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Le Grand soir
Inutile élection :
Le peuple afghan pris au piège
Chems Eddine Chitour
Photo: Le Grand Soir
Mercredi 19 août 2009
« La guerre en Afghanistan ne réduit pas le
risque terroriste et, loin d’améliorer la vie des Afghans, sème
la mort et la désolation dans tout le pays. La Grande-Bretagne
n’a rien à faire dans ce pays. »
Joe Glenton, un jeune déserteur britannique.
Ce jeudi l’Afghanistan, nous dit-on, a rendez
vous avec l’histoire. Elle va élire « démocratiquement » à la
magistrature suprême le candidat désigné par Les Etats-Unis, en
l’occurrence l’inamovible Karzaï. Hamid Karzaï, né le 24
décembre 1957 à Kandahar. Depuis décembre 2001, il est président
de la République islamique d’Afghanistan. Il fait ses études en
Inde. Il fait partie d’un petit mouvement de résistance afghan
pro-royaliste, et est nommé vice-ministre des Affaires
étrangères lorsque les moudjahidins prennent Kaboul en 1992. Il
collabore ensuite avec les talibans mais, après la prise de
Kaboul en 1996, il refuse le poste de représentant des talibans
à l’ONU proposé par le mollah Omar. Hamid Karzaï est repéré dans
les années 1990 par Zalmay Khalilzad, un afghan naturalisé aux
États-Unis à l’époque ambassadeur des États-Unis en Afghanistan.
Le Département d’État décide de le promouvoir comme futur
président. Le 13 juin 2002, il est élu président pour deux ans
par la Loya Jirga (assemblée coutumière des
chefs de clans). Le 9 octobre 2004, soutenu par les États-Unis,
il remporte le scrutin. Son autorité se limite à la capitale
Kaboul.
« Malgré le foisonnement de candidatures à la présidentielle
(41), écrit Zafar Hilaly, la compétition devrait
vraisemblablement se résumer à un duel entre le président
sortant et l’ancien ministre des Affaires étrangères
Abdullah. (…) Voilà pourquoi le Pachtoune Hamid Karzai, issu
de la plus importante communauté ethnique afghane (40 % de
la population), les poches garnies de billets qu’il peut
distribuer à loisir et flanqué d’une administration locale à
ses ordres, est le favori incontestable.(…) Pour les
Pakistanais, Hamid Karzai est une vieille connaissance. Son
parti pris contre le Pakistan, d’abord contenu, s’est
épanoui sous l’influence des Tadjiks de l’Alliance du Nord,
qui vouent au voisin la même haine que les extrémistes
hindous. Son rapprochement avec l’Inde en témoigne.(…)
L’actuel chef de l’Etat afghan a forgé une alliance
militaire avec l’Inde qui, selon certains, représente une
menace non négligeable pour la sécurité du Pakistan.
Intelligent, habile, corrompu et capable de tirer profit de
toutes les situations, Hamid Karzai n’en est pas moins un
dirigeant faible, un homme flexible comme un roseau, doté,
pour reprendre les mots d’un président américain [Theodore
Roosevelt], de “la colonne vertébrale d’un éclair au
chocolat” – ce qui explique probablement pourquoi Washington
l’a choisi pour en faire son représentant en Afghanistan. Le
Pakistan et l’Afghanistan sont pourtant condamnés à
coopérer. Le président pakistanais Asif Ali Zardari a eu,
semble-t-il, raison de traiter Hamid Karzai en ami ». (1)
« Tout le monde s’accorde à penser que les
Américains ne tiendront en Afghanistan guère plus de deux ou
trois ans. Et, à moins qu’il ne parte avec eux, comme le
président Thieu du Vietnam [en 1975], c’est l’homme que les
Afghans se choisiront comme chef de l’Etat, le 20 août, qui
présidera aux destinées du pays après leur départ. (…) A
Washington non plus, personne ne retient son souffle :
l’identité du vainqueur importe peu, car ce sont les
Etats-Unis qui mèneront la barque afghane dans le futur
proche ». (1)
Que devient le peuple afghan dans cette tragédie qui dure depuis
plus de trente ans avec l’invasion de l’URSS ? On sait que les
talibans avaient jusqu’ici appelé au boycott de ces élections,
invitant les Afghans à prendre les armes contre les
« envahisseurs » étrangers, les troupes internationales qui ont
renversé le régime taliban fin 2001. Aujourd’hui, fortes de 100
000 hommes, les troupes de la coalition de l’Otan sont chargées
avec les forces afghanes de veiller à la sécurité des élections.
Les Afghans oseront-ils défier ces menaces directes pour aller
soutenir des politiciens souvent discrédités ou corrompus ?
Risqueront-ils leur vie pour voter pour le président Hamid
Karzaï, dont la réélection semble déjà garantie de toute façon
mais dont l’autorité s’affaiblit ? Un chiffre : en mars 2008,
après plus de six ans de combat, selon les données de l’Afghanistan
Conflict Monitor se référant au total de ceux qui ont péri
dans cette guerre, il dépasse les 8000 personnes en 2007. Nous
aurions un total estimé entre 20.000 et 25.000 morts entre
octobre 2001 et juin 2008. (2)
Ajoutons à cela les bavures appelées pudiquement
« dommages collatéraux » par drones interposés. D’ailleurs,
obnubilé par la doctrine « zéro américain mort » on apprend que
dans un article paru dans le Washington Post,
que le Pentagone avait publié une proposition pour embaucher des
« agents de sécurité », c’est-à-dire des mercenaires, pour
accomplir certaines tâches pour lesquelles l’armée américaine ne
dispose pas de personnel suffisant. Comme si cela ne suffisait
pas, l’armée américaine réfléchit, en plus des drones qui font
des ravages, au développement de robots sophistiqués pour être
déployés sur les terres de conflits à la place des hommes. Pour
les questions éthiques on verra plus tard… « A la prison de
Bagram, écrit Mireille Delamarre, sont enfermés de nombreux
détenus afghans, souvent pendant des mois voire des années, sans
qu’ils puissent bénéficier de l’aide d’un avocat ou sans même
savoir le motif de leur incarcération. Bagram est l’équivalent
de Guantanamo en Afghanistan ». (3)
Dans la première année de guerre en Afghanistan,
le coût financier de la guerre s’élèverait à $1 milliard par
mois. Les États-Unis ont déjà envoyé 6000 missiles et bombes sur
le sol afghan. Le coût de certains missiles s’élève à $1 million
pièce. L’argent coule à flot et le peuple n’en voit pas la
couleur. Une nouvelle faune détourne les ressources provenant
principalement des Etats Unis. Cette nouvelle élite est en fait
constituée des personnels d’agences d’aide étrangères
gouvernementales ou non gouvernementales. « Cela pose une
nouvelle fois, écrit Patrick Cockburn, la question de la
complicité active à une guerre coloniale de ces agences et de
leur personnel, dans un pays touché par une pauvreté extrême et
ravagé par des années de conflits armés. Le mode de vie style
"cage dorée" dévoile la vérité dans toute sa laideur concernant
l’aide étrangère en Afghanistan. De vastes sommes d’argent sont
gaspillées par des agences d’aide occidentales pour leur propre
personnel en Afghanistan alors que l’extrême pauvreté poussent
de jeunes afghans à combattre pour les Talibans. Actuellement
les Talibans paient 4$ pour une attaque contre un barrage de
police dans l’ouest du pays, mais les consultants étrangers à
Kaboul, dont les salaires sont payés avec les budgets des aides
pour l’étranger, peuvent bénéficier de salaires compris entre
250000$ et 500000$ par an.
« Les dépenses élevées pour payer, protéger et loger dans
des conditions luxueuses les responsables occidentaux gérant
les aides permet de comprendre pourquoi l’Afghanistan occupe
la 174 ème place sur 178 sur une liste de l’ONU classant les
pays selon leur richesse. En 2006, Jean Mazurelle, le
directeur de la Banque Mondiale de l’époque, a calculé
qu’entre 35 et 40% des aides ont été "mal dépensées". Il y a
eu de nombreuses attaques contre des étrangers à Kaboul et
des attentats suicide ont été selon les Talibans efficaces
pour concentrer la plupart des expatriés dans des quartiers
sécurisés où les conditions de vie peuvent être luxurieuses
mais où on mène une vie aussi confinée que dans une prison.
"J’étais dans la province du Badhakshan dans le nord de
l’Afghanistan où vivent 830 000 Afghans, la plupart
dépendant pour leur subsistance de l’agriculture," a dit
Matt Waldman, directeur politique et conseil d’Oxfam à
Kaboul. "La totalité du budget du bureau local de
l’agriculture, irrigation et bétail, qui est extrêmement
important pour les paysans au Badakhstan, est juste de 40
000$. C’est le salaire d’un consultant expatrié à Kaboul
pendant quelques mois." (…) « Le programme d’aide
international est plus important en Afghanistan car le
gouvernement a peu de sources de revenus. Les dons des
gouvernements étrangers constituent 90% des dépenses
publiques. L’aide est bien plus importante qu’en Irak, où le
gouvernement a des revenus pétroliers. En Afghanistan, le
salaire mensuel d’un policier est seulement de 70$ ce qui
n’est pas suffisant pour vivre sans toucher des pots de
vin ». (4)
Alors qu’un attentat-suicide a frappé samedi 15 août le centre
de Kaboul, les rebelles islamistes harcèlent les forces de
sécurité afghanes et les troupes de l’Otan pour terroriser la
population et empêcher les élections de jeudi Le spectaculaire
attentat-suicide commis à Kaboul samedi 15 août révèle en tout
cas de sérieuses brèches dans la sécurité de la capitale
afghane. L’Otan et les Américains se rendent compte que la
partie ne sera pas facile. Les Talibans se battent bien et
occasionnent des pertes sérieuses. Dans une interview au
quotidien de Wall Street, le 11 aout 2009,
le général Stanley McChrystal, commandant des forces américaines
en Afghanistan, estime que les talibans ont pris le dessus sur
les troupes de la coalition.
Dans un entretien à CNN dimanche 9 aout, Susan
Rice, l’Ambassadrice états-unienne à l’ONU, a confirmé
pleinement cette perspective : « Je m’attends à dix années
supplémentaires d’engagement des Etats-Unis, et je prévois que
le coût de [cet engagement] sera bien plus grand que celui de la
guerre d’Irak. Nous voulons investir ce qui sera nécessaire pour
atteindre cet objectif ». D’ailleurs le président Obama a encore
répété que la guerre ne sera ni facile ni rapide. Il a annoncé
vouloir « gagner les cœurs et les esprits » des Afghans afin de
retourner la population contre les insurgés. En clair, réduire
les frappes aériennes, notamment dans les zones peuplées. Une
stratégie qui n’a pas échappé aux talibans. Ils ont remis en
circulation leur petit guide de conduite du combattant
islamiste, datant du mois de mai, dans lequel il est recommandé
de préserver les civils pour gagner leurs coeurs. Depuis
Bruxelles, le 28 juillet, David Miliband, le ministre des
Affaires étrangères britannique, a envoyé au président afghan un
message "sans équivoque", narre le quotidien anglais
Times. Alors que des élections générales
doivent avoir lieu le 20 août en Afghanistan, il a appelé Hamid
Karzai pour lancer le dialogue avec les talibans modérés.
Réponse du berger à la bergère : « Nous ne parlerons jamais au
gouvernement de marionnettes de Karzai », a déclaré le
porte-parole des talibans, Yousuf Ahmadi, cité par l’AFP.
Quel serait en définitive la raison de cette
guerre ? Ecoutons ce plaidoyer : « Motif principal de la guerre
en Afghanistan en 2001, la guerre au terrorisme en Afghanistan
est devenu un objectif secondaire mais préalable à la
réalisation des enjeux militaro-pétrolier de la région. Il en
est de même pour la démocratisation, la sécurisation et la
stabilisation du pays. Ces objectifs secondaires auxquels
s’ajoutent la reconstruction et l’aide humanitaire forment la
base de la propagande de justification de l’intervention
militaire occidentale en Afghanistan. (…) La majorité des gens
normaux dans le monde sont sincèrement préoccupés par le sort
fait aux femmes en Afghanistan mais il serait naïf de penser que
l’administration Bush et les généraux de l’OTAN en ait fait un
enjeu stratégique. C’est le dernier de leurs soucis sauf que
c’est un motif vertueux très commode pour manipuler l’opinion
publique. Donc la démocratie et la libération des femmes
afghanes sont des motifs très secondaires, mais des arguments
vertueux utiles pour la propagande de guerre ». (5)
Que dire en conclusion ? L’Otan, dit-on, est
désarmée face à l4emprise talibane. L’analyse suivante nous
parait pertinente : « (…) La vraie question est : quelle
histoire l’Afghanistan est-elle en train d’écrire ? Il suffit de
parcourir les rues de Kaboul, la capitale, et d’interroger les
habitants sur la signification que le mot démocratie a pour eux.
Les plus âgés disent qu’ils n’en savent rien, que ce mot
n’évoque rien pour eux. D’autres, plus jeunes, observent que
cette démocratie correspond à une augmentation de l’insécurité,
et à une licence des mœurs qui, s’ils ne la réprouvent pas
ouvertement, les gêne, car elle ne colle pas avec leurs
traditions, même celles qui sont antérieures à l’époque
talibane. En réalité, le problème le plus important de
l’Afghanistan réside dans la méthode. On a voulu plaquer sur ce
pays aux traditions, spécificités et fonctionnement très
particulier, des recettes types, éprouvées mais adaptées à nos
sociétés occidentales. Un fait tout simple : l’organisation de
l’Afghanistan repose sur un système tribal et de pouvoirs
locaux, villageois même. Il ne s’agit pas là des fameux chefs de
guerre, mais de chefs de village, de tribus… Pas forcément
talibans, ou fondamentalistes. Comment, alors, un président élu,
même démocratiquement pourrait-il avoir une légitimité ? Mixer
le respect de ces traditions avec une dose de démocratie peut
permettre aux Afghans d’écrire leur propre histoire, tout en
donnant un rôle d’acteur aux Occidentaux » (6)
Les Afghans forment une vieille civilisation.
Ils sont harassés et fatigués de mourir tous les jours pour un
pouvoir aussi pourri que les précédents. A Florence Aubenas qui
les a côtoyés, ils avouent : « On ne touche que la poussière des
4x4, pas les milliards. » Sept ans après la chute des talibans,
ni la communauté internationale ni le gouvernement afghan n4ont
été à la hauteur des espoirs qu4ils avaient suscités. Et les
Afghans souffrent toujours autant des rivalités claniques, de
l4incompétence de leurs dirigeants, et surtout de la corruption.
« Ils regrettent le temps des talibans. C4est tout dire »( 7)
A n’en point douter, ces élections ne changeront
rien à la donne. On aurait cru que la grandeur des Etats-Unis
sous l’ère Obama aurait permis l’avènement de la paix. Il ne
faut pas oublier que les talibans, quand ils étaient en odeur de
sainteté, avaient un bureau de recrutement à New York pour
drainer l’internationale islamique contre « el kouffar » - les
soviétiques - et disposaient des fameux lance-roquettes
Stinger qui avaient fait des ravages dans
les chars russes.
1. Zafar Hilaly : Hamid Karzai prêt pour un
second mandat The News18.08.2009
2. C.E. Chitour : Afghanistan La mort
d4enfants au nom des valeurs de l4Occident 1 09 2008
3. Mireille Delamarre Les
US ont de plus en plus recours aux sociétés sous traitantes
http://www.planetenonviolence.org
18 Septembre 2008
4. Patrick Cockburn Profiteurs : De Guerre A
Kaboul .The Independent 01/05/09
5.
http://objection_votre_honneur.monb...
6. Storytelling : Quelle
histoire pour l’Afghanistan ?
http://storytelling.over-blog.fr/
7. Florence Aubenas. Voyage dans un pays en
miettes : Le Nouvel Observateur N° 31 07 2008
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