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Opinion
De la dignité humaine à la dignité des
peuples:
Le faute des intouchables et des institutions
Chems Eddine Chitour
Jeudi 19 mai 2011
«Selon que vous soyez puissant
ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir»
(La Fontaine «Les Animaux malades de la peste»).
Un coup de tonnerre dans un ciel sans nuage! C’est ainsi que
l’on pourrait interpréter l’annonce de l’arrestation puis la
décision de la justice américaine de maintenir en détention
Dominique Strauss-Kahn. Ancien ministre de Lionel Jospin en
France, ce professeur d’économie né au Maroc, fut nommé en
novembre 2007 directeur général du FMI.
L’image est forte et à la hauteur du crime reproché, symbolisant
en une fraction de seconde la très haute idée de l’égalité que
se font les Etats-Unis: l’omnipotent, l’intouchable Dominique
Strauss-Kahn est apparu, hier soir à 23h, les traits tirés,
menotté, les mains dans le dos, sous escorte policière Une
humiliation suprême qui a fait vaciller de son piédestal un
puissant parmi les puissants, jouisseur invétéré et notoire, qui
jouissait de tout et, notamment d’une impunité inacceptable
depuis de nombreuses années. Un traitement de faveur que la
police américaine a allègrement piétiné, en l’exposant sous les
feux des projecteurs. A mille lieues de l’omerta à la française,
qui protège, étouffe, et pire, absout, depuis la nuit des temps,
avec une complicité bienveillante, les double, voire triple vies
de nos grands hommes, les dédouanant de tous leurs secrets
d’alcôve même s’ils virent au drame, l’intégrité des autorités
américaines, qui ne fléchit pas devant les princes du monde,
force le respect.(1)
Jean Daniel abonde dans le même sens d’une façon quasi
automatique . «Nous avons assisté, écrit-il, à l’organisation
médiatique d’une mise à mort, comme dans une corrida où l’on
sait que le taureau va mourir, sauf qu’il n’y avait cette fois,
aucun torero qui prenne des risques. Strauss-Kahn donnait bien
l’impression d’un taureau blessé qui met un genou à terre et
attend l’estocade. (...) Voilà comment l’on transforme, salit et
déshonore des principes qui ont eu leur noblesse. C’était au
contraire une inégalité savamment organisée et appliquée. La
transparence? Mais laquelle? (...) L’année dernière, j’ai eu
l’impression que s’ouvrait un fossé entre le peuple américain et
nous. J’ai même pensé que nous n’appartenons pas à la même
civilisation.»(2)
Rien que ça! il y a là motif à déclarer la guerre à l’Amérique
qui nous envie. Plus que la gravité des faits dont DSK est
inculpé, ce dont il ne semble pas concerné par le sort de la
jeune fille, lui l’humaniste à compassion variable. Remuant pour
les besoins de la cause, le marécage de la persécution. Certains
vont plus loin, ne résistant pas à voir des complots partout et
une vengeance non assouvie, certains hommes politiques et
journalistes sont allés jusqu’à accuser la justice américaine de
régler ses comptes aves la douce France.
Nous lisons dans un post consacré tout enier au crime de lèse
majesté de la France : «Sans présumer de la culpabilité ou de
l’innocence de Dominique Strauss-Kahn, il y a maintenant quelque
chose de profondément choquant dans l’attitude de la justice
américaine. Jack Lang a donné son sentiment là-dessus: «Il n’est
pas impensable qu’il y a de la part de certains magistrats, le
procureur en particulier ou la juge, la volonté de se payer un
Français, un Français qui plus est connu. On a le sentiment d’un
acharnement médiatico-judiciaire, d’un lynchage». La justice
américaine s’est chargée de lui rappeler qu’il n’était rien,
juste un Français arrogant, ce qui outre-Atlantique est un
pléonasme, et, après une exécution médiatique dans les règles,
après que l’image de la déchéance a fait le tour du monde.(3)
Le son de cloche est totalement différent dans d’autres pays
européensoù la réalité est dévoilée dans sa totale dimension . A
titre d’exemple, Pierre Ruetschi fait un portrait sans
concession de DSK. Nous le lisons: «Médiatiques, financières ou
encore politiques: les conséquences de l’affaire Strauss-Kahn
sont sans mesure. Triste destin que celui du patron du FMI, qui
se croyait visiblement trop important pour être inquiété. DSK
inaugure l’ère du scandale mondial. Rarement les supposées
déviances d’un seul homme n’auront eu un impact
politico-économique d’une telle puissance, et cela alors que les
faits ne sont pas encore établis. Comme s’il avait fallu le
scandale, propagé à la vitesse sidérante des nouveaux médias,
pour dévoiler le formidable pouvoir d’un seul homme aux
casquettes multiples. (...) A quoi il convient enfin d’ajouter
les relations de défiance qui menacent de s’installer entre
Paris et Washington. Les Américains, confortés dans la vision la
plus méprisable qu’ils peuvent avoir des Frenchies, auront
humilié la France, en livrant DSK aux caméras dans une mise en
scène spectaculaire à laquelle pas un média ne résiste. En lui
refusant la libération sous caution, ils confirment. Les
déviances sexuelles prêtées à un seul homme pourraient donc
dérégler le climat mondial comme le battement d’ailes du
papillon peut provoquer le chaos, la poésie en moins. S’il était
jaugé à la mesure des banques, DSK aurait été jugé too big to
fail, trop gros pour s’effondrer. Et serait donc sauvé. (...)
Mais l’affaire pourrait aussi être petite, simplement minable et
sordide.(...) A ce stade, une seule certitude: «He’s fried», il
est cuit comme disent les Américains, politiquement mort. Ce
sont les précédents et ses trop nombreuses casseroles,
resurgissant avec un effet dévastateur, qui l’ont fait tomber.
Pas les préjugés».(4)
L’arrogance des puissants et les traitements médiatiques
différenciés
Qu’en est-il justement de la dignité de la personne qui se dit
outragée? Personne n’en parle parmi les biens, pensants; toute
la sollicitude va à DSK. Seules des associations féministes ont
déploré le peu de place faite à la victime présumée dans les
réactions à l’inculpation de DSK: «Dominique Strauss-Kahn est
présumé innocent», mais «jeter le soupçon sur les propos de la
plaignante est également grave».
Ce qui m’a le plus interpellé c’est l’abscence d’empathie
vis-à-vis de la victime. A croire qu’elle n’existre pas, qu’elle
ne souffre pas. Il ne lui est même pas accordé le bénéfice du
doute. Pour les lobbys de l’information et de la politique, elle
a tort car DSK: ne peut pas avoir tort. Indexant une affaire en
fait, simplement crapuleuse, si les faits étaient avérés, sur un
complot mondial – certian ont même convoqué le capitaine
Dreyfus- contre l’homme le plus puissant du monde après Obama-dixit,
une de ses laudatrices.
Pourtant, être arrêté, traduit en justice n’est pas nouveau et
ne donne pas lieu à protestation quand il s’agit des damnés de
la terre. Quand des dirigeants africains sont arrêtés, ils n’ont
eu droit à aucune retenue de la part des médias. Le cas de
Charles Taylor détenu, Ben Ali et Moubarak avilis par leurs
peuples sous l’oeil ravi des médias et de l’Occident, le slogan
«dégage» étant devenu une marque déposée avec sa traduction en
arabe «Irhale». Personne ne s’est offusqué de voir le président
Gbagbo en tricot de peau demandant une serviette pour s’essuyer
après avoir été brutalisé ainsi que sa femme. On trouve cela
normal quant aux cas de Omar el Bechir et El Guedaffi. Ils
attendent d’être jugés par le TPI. Mieux, un ancien officier
allemand de 94 ans est traîné sur une civière au tribunal pour
être jugé. Demandant à être dispensé du procès, on l’accuse de
simulation...
Le cas le plus douloureux est celui de Saddam capturé dans une
cache. Les médias occidentaux aux ordres, ne se sont pas privés
de photographier Saddam sous tous les angles, hirsute, hagard,
obligé devant les caméras d’ouvrir la bouche pour laisser un
médecin farfouiller dans sa dentition à la recherche d’une dent
cariée.. Le film de sa pendaison est une insulte à la dignité
humaine, le tournage en principe interdit l’a été fait à dessein
pour montrer urbi et orbi comment le lion de Babylone se
liquéfie devant la mort. Il n’en fut rien. Saddam regarda la
mort en face, il refusa la cagoule, il eut le courage et la
force de lire la chahada dans une atmosphère irréelle, des
chiites lui promettant l’enfer. Ce crime, dont la responsabilité
est celle de l’Occident et de ses bourreaux irakiens,
rappelons-le, s’est déroulé le jour de l’Aïd el adha, donnant à
penser, dans l’imaginaire musulman, au sacrifice du mouton.
Enfin, on ne peut pas ne pas évoquer le cas Ben Laden dont on
nous dit qu’il a été immergé. L’Occident s’est illustré tout au
long de son parcours de colonisateur par des meurtres et des
pendaisons; la pendaison de Omar el Mokhar en est aussi un
exemple mais elle ne fut pas mondialisée comme c’est le cas
maintenant
On le voit, nous nageons en France en plein «apartheid»; d’un
côté, les puissants, intouchables, à qui on peut permettre tout.
De l’autre les sans-grade que l’on peut exhiber comme des
animaux de foire, et à ce propos, l’Occident européen a une
grande expérience des zoos humains qui ont égayé tout au long du
XIXe et même XXe siècle la mélancolie des Européens au point
qu’un certain Geoffroy de Saint Hilaire, directeur du Jardin
d’acclimatation, exposait au voyeurisme des Parisiens, des
villages entiers de Noirs d’Afrique derrière des grilles. La
dignité humaine est ainsi problématisée dans les pays qui se
veulent les chantres des droits de l’homme blanc.
Cependant, même cette arrogance des grands en Europe commence à
être dénoncée. Pour Michela Marzano, professeur de philosophie
morale à l’Université Paris Descartes, «les citoyens ont baissé
la garde vis-à-vis de l’attitude des élites». J’ai le sentiment
qu’apparaît une corrélation entre l’homme de pouvoir et le
sentiment d’impunité. Et cela, c’est nouveau en démocratie.
Comme si le seul fait d’occuper un poste de responsabilité
légitimait toutes sortes de conduites, et en particulier
vis-à-vis des femmes. La position sociale d’un homme rendrait
légitime l’utilisation de la violence et de la contrainte? C’est
évidemment inacceptable. (...) En France ou en Italie, les
citoyens ont baissé la garde et perdu leur «vigilance».
Montesquieu ajoutait que «tout homme qui a du pouvoir est porté
à en abuser (...) il faut que, par la disposition des choses, le
pouvoir arrête le pouvoir».(..) (5)
Pour Michela Morzano, aux Etats-Unis c’est différent; il existe
aux Etats-Unis des garde-fous réels pour la protection de
l’égalité et de la liberté substantielles des citoyens. C’est à
l’honneur de ce pays. On considère par exemple qu’une femme de
chambre a exactement les mêmes droits qu’un important homme
politique. (...) Les Américains sont très sensibles au
contraire, aux abus de pouvoir. Comme le soulignait déjà
Tocqueville, c’est le propre d’une véritable société
démocratique de garantir l’égalité entre le président des
Etats-Unis et une simple femme de chambre».(5)
On l’aura compris, la justice est la même, une, aux Etats-Unis
Cela prouve une chose à mettre à l’actif des Etats-Unis c’est
que dans ce pays, personne n’est au-dessus des lois. En 1807
Thomas Jefferson, président des Etats-Unis, fut jugé comme un
simple citoyen bien plus tard dans les années soixante-dix du
XXe siècle; un autre président,Richard Nixon, dut démissionner
pour avoir menti au peuple américain.
Le FMI broie la dignité des peuples
Il est une autre dignité que nous devons ne pas oublier, c’est
celle des peuples. L’affaire DSK nous amène à faire l’inventaire
des méfaits du FMI l’institution qu’il dirigeait, Il faut
cependant, se souvenir que le FMI que l’on présente comme le
remède pour les pays en difficulté, a toujours trainé une
réputation sulfureuse méritée. Cela n’a pas changé malgré les
laudateurs actuels qui louent la politique humaniste de DSK
allant même jusqu’à insinuer que c’est pour cela qu’il est
tombé.
Pour le Cadtm, le FMI n’est pas l’institution qui aide les pays
en crise, c’est au contraire celle qui impose des programmes
draconiens d’austérité et qui défend un modèle économique
structurellement générateur de pauvreté. (...) Profondément
antidémocratique, puisque les pays les plus riches disposent de
plus de la moitié des voix au sein du conseil d’administration,
le FMI est en fait, un instrument des grandes puissances pour
veiller au maintien du système capitaliste et aux intérêts des
grandes sociétés transnationales. (...) Partout, le FMI prétend
que l’initiative et les intérêts privés doivent être soutenus
par les politiques des pouvoirs publics au détriment des
politiques sociales. Partout, il donne raison aux banquiers
contre les intérêts des peuples. Partout, il favorise le
creusement spectaculaire des inégalités, le développement de la
corruption, le maintien des peuples dans la soumission au
néolibéralisme. (...) Le FMI en tant qu’institution doit aussi
être poursuivi en justice pour les violations multiples des
droits humains fondamentaux qu’il a commis et qu’il continue de
commettre dans de nombreux pays.(6)
Pour le site Attac, l’histoire retiendra peut-être que le plus
grand complot qui ait été fomenté à la charnière des XXe et XXIe
siècles aura été de plonger le monde dans une crise monumentale,
parce qu’elle est sociale, économique, financière et écologique.
Le FMI et toutes les institutions soeurs comme la Banque
mondiale et l’OMC, les directoires autoproclamés comme le G8 et
le G20, tous ont mené et mènent des politiques qui mettent à
genoux les peuples. (...) Le FMI et l’Union européenne n’ont pas
sauvé la Grèce, ils l’ont assommée. Ils n’ont pas sauvé
l’Irlande et le Portugal, ils ont conforté leurs gouvernements
dans la volonté de ceux-ci de faire payer la crise aux victimes
de la crise et non à leurs fautifs. Voilà la nouvelle
essentielle de ce week-end: le FMI met le monde à terre et, avec
de telles politiques, les classes dominantes veulent se
l’approprier définitivement. Le FMI est un symbole: celui de
l’argent, celui du pouvoir, celui de l’arrogance, celui du
mépris. C’est ce symbole-là qu’il faut rejeter».(7)
Dans son dernier ouvrage, Georges Corm fait justement, le procès
de la mondialisation comme étant le fossoyeur des solidarités
qui rentraient dans les prérogatives de l’Etat-Nation. «(...) Il
y a une formidable concentration de pouvoir politique, financier
et économique, mais aussi médiatique, aux mains de quelques
dirigeants politiques ou économiques et directeurs d’agences de
financement et de fonds de placements et de banques. (...) L’
‘‘industrie publicitaire’’ est le bras armé de ce système qui
nous emprisonne. Il coûte 400 milliards de dollars par an qui
sont payés par les victimes du système, c’est-à-dire les
consommateurs. Vous imaginez ce qui pourrait être accompli avec
cette somme dans le domaine des protections sociales qui se
réduisent partout comme une peau de chagrin sous l’effet de
l’idéologie néolibérale? (...)»(8)
Malgré ses limites, l’État-Nation «exprime le désir d’une
collectivité humaine d’être maîtresse de son destin par des
mécanismes de représentation de ses membres et le contrôle des
actes de ses dirigeants élus afin d’assurer la conformité et
l’intérêt de la collectivité et de tous ses membres». Il faut
démondialiser selon le mot de Corm. L’Etat retrouvera alors sa
légitimité.(9)
L’affaire DSK est un tournant. Il est à espérer que la dignité
humaine et la dignité des peuples ne soient pas des slogans
creux. La fable de Lafontaine s’applique merveilleusement bien à
l’anomie du monde actuel. Seuls les sans grade sont jugés. Louis
Ferdiand Céline disait que presque tous les désirs de pauvres
sotn punis de prison. Sans être naïfs , il est à souhaiter que
justice soit faite, c’est à ce prix qu’il y aura la paix dans le
monde.
1.DSK, le puissant déchu Nouvel Obs. 16 mai
2011
2.Jean Daniel: Affaire DSK: l’organisation d’une mise à mort,
Nouvel Obs. 17.05.2011
3.http://www.lepost.fr/article/2011/05/17/2497060_affaire-dsk-.html
4.Pierre Ruetschi. DSK au coeur d’un scandale planétaire Tribune
de Genève 17.05.2011
5.Michela Marzano. Par Eve Roger. Le Nouvel Observateur.
17.05.2011
6.Cadtm: DSK: en finir avec le FMI qui défend un système
capitaliste. 16.05.2011
7.Attac France, Paris, Le FMI met le monde à terre. 17 mai 2011
8.Entretien avec Georges Corm Quotidien Al Balad. Beyrouth. 2
Décembre 2010
9.C.E.Chitour http://www.mondialisation.
ca/index.php?context=va&aid=22928
Pr Chems Eddine CHITOUR
Ecole Polytechnique Alger enp-edu.dz
Publié le 19 mai 2011 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
Les textes du Pr Chems Eddine Chitour
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