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L'EXPRESSIONDZ.COM
LE DÉBAT SUR L’IDENTITÉ NATIONALE EN
FRANCE
Comment être français ?
Pr Chems Eddine Chitour
Jeudi 17 décembre 2009
«L’identité n’est pas donnée une fois pour
toutes, elle se construit et se transforme tout au long de
l’existence.»
Amin Maalouf (Les Identités meurtrières)
«Il ne faut pas se payer de mots! C’est
très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs,
des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à
toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à
condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon, la France
ne serait plus la France. Nous sommes quand même avant tout un
peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et
de religion chrétienne. Qu’on ne nous raconte pas d’histoires!
Les musulmans, vous êtes allés les voir? Vous les avez regardés,
avec leurs turbans ou leurs djellabas? Vous voyez bien que ce ne
sont pas des Français! (...) Essayez d’intégrer de l’huile et du
vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un moment, ils se
sépareront de nouveau. Les Arabes sont des Arabes, les Français
sont des Français. Vous croyez que le corps français peut
absorber dix millions de musulmans, qui demain seront vingt
millions et après-demain quarante? Si nous faisions
l’intégration, si tous les Arabes et Berbères d’Algérie étaient
considérés comme Français, comment les empêcherait-on de venir
s’installer en métropole, alors que le niveau de vie y est
tellement plus élevé? Mon village ne s’appellerait plus
Colombey-les-Deux-Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées!»
Ces mots du général résument à eux seuls toute la problématique
de la condition «d’être français» tel que le pensait De
Gaulle il y a une cinquantaine d’années en plein XXe siècle.
Qu’en est-il aujourd’hui de l’identité française au XXIe siècle?
Doit-on la circonscrire uniquement aux Gaulois à têtes rondes
pour paraphraser San Antonio dans «l’Histoire de France»?
Doit-on au contraire faire du désir d’être ensemble le ciment
d’une identité du XXIe siècle?(1)
Risque calculé?
Tout est reparti d’un débat organisé par le
ministre de l’Identité nationale. Le président Sarkozy -pour des
raisons éminemment «électoralistes» - a pris le risque
-calculé?- de réveiller les vieux démons de l’extrême droite et
d’ouvrir la boite de Pandore qu’il sera difficile de refermer.
D’autant que la tribune publiée dans le journal Le Monde, le 9
décembre, suscite des interrogations. On se souvient que le
thème de l’identité a déjà été «vendu» lors des élections
de 2007 Cela a commencé par une petite phrase: «La France:
aimez-la ou quittez-la». Ce mot a été emprunté à Ronald
Reagan «America love it or leave it». A l’époque, Le
Figaro magazine se demandait: «Serons-nous encore français
dans trente ans?».
Dans la mythologie grecque, écrit un intellectuel sous le
pseudonyme d’Evariste, Pandore fut créée par Zeus pour se venger
des hommes. Elle amena avec elle une jarre, qui renfermait tous
les maux de l’humanité, dont la Vieillesse, la Maladie, la
Guerre, la Famine, la Misère, la Folie, le Vice, la Tromperie et
la Passion, ainsi que l’Espérance. Poussée par la curiosité,
Pandore finit par ouvrir sa boîte, libérant ainsi tous ces maux.
Nicolas Sarkozy, lui, en a fait un programme politique. Pure
Folie, car Nicolas Sarkozy a demandé à Éric Besson de lancer ce
débat à travers toute la France pour reconquérir l’électorat
d’extrême-droite. (...) L’identité nationale renvoie à
l’imaginaire que chacun projette, à partir de son histoire
singulière et de son ressenti particulier, sur la France. C’est
la raison pour laquelle un tel sujet de débat ne peut
qu’alimenter les Passions et les divisions. Il ne peut conduire
qu’à la discorde. On relèvera cet autre passage, qui ne peut
qu’introduire la confusion dans les esprits: «Mais je veux
leur dire aussi [aux musulmans, Ndlr] que, dans notre pays, où
la civilisation chrétienne a laissé une trace profonde, où les
valeurs de la République sont partie intégrante de notre
identité nationale, tout ce qui pourrait apparaître comme un
défi lancé à cet héritage et à ces valeurs condamnerait à
l’échec l’instauration si nécessaire d’un islam de France [...]»
Les musulmans doivent-ils comprendre que «la France, tu
l’aimes chrétienne ou tu la quittes»?(...)Ce serait oublier
que la République s’est construite en rupture avec la France
chrétienne, (...) qu’il aura fallu qu’un sang impur abreuve nos
sillons (que le sang bleu des forces monarchistes et cléricales
soit versé). (2) On comprend dans ces conditions la réprobation
du recteur de la mosquée de Lyon, Kamel Kabtane, elle est
révélatrice à ce titre du ressentiment qui monte, reprochant au
président d’une France plurielle de considérer l’Islam comme une
«foi d’immigrés», et d’exhorter à «l’invisibilité»
des musulmans dans l’espace public «Un déversoir et un
défouloir!» La coupe est pleine pour le commissaire à la
diversité et l’égalité des chances, Yazid Sabeg, qui a confié au
Journal du Dimanche ses mauvais pressentiments: «Ce débat
échappe à tout contrôle, il peut aggraver les fractures et donne
à beaucoup de Français, les Français de confession musulmane, le
sentiment d’être une fois de plus marginalisés.»
Qui est en fait Français et depuis quand? En son temps, le
général de Gaulle aurait répondu: «Pour moi, l’histoire de
France commence avec Clovis, choisi comme roi de France par la
tribu des Francs, qui donnèrent leur nom à la France. Avant
Clovis nous avons la préhistoire gallo-romaine et gauloise.
L’élément décisif pour moi c’est que Clovis fut le premier roi à
être baptisé chrétien. Mon pays est un pays chrétien et je
commence à compter l’histoire de France à partir de l’accession
d’un roi chrétien qui porte le nom des Francs.» Ces quelques
phrases résument parfaitement ce que le XIXe siècle catholique
n’a cessé de proclamer sur tous les tons et en toutes
circonstances: la France n’est pas un peuple comme les autres;
le peuple élu, prédestiné des temps modernes (par opposition à
l’ère biblique), le successeur insigne du peuple hébreu. (3) Il
y a donc à l’évidence débat sur les origines, ce qui nous
appelle à parler de Français de souche. (...) Les propos tenus
par les personnalités politiques, indiquent clairement que
l’identité française est nécessairement une identité française
de souche. Donc, plutôt que de perdre son temps à se demander, à
l’instar du gouvernement Sarkozy, «Pour vous qu’est-ce
qu’être français», demandons-nous plutôt «qu’est-ce
qu’être français de souche?» Si pour le dictionnaire est de
souche celui «qui appartient à un groupe national donné
depuis de nombreuses générations, au point de ne plus être
considéré comme un immigrant ni un descendant d’immigrant»,
pour nous, en observant la réalité des faits, la chose est
claire: est de souche celui qui est «blanc» et qui porte
un nom, un prénom, à consonance européenne, pour ne pas dire
chrétienne. Au XVIe siècle l’Europe, via le Portugal et
l’Espagne, promulgue des lois de «limpieza de sangre» («purification
du sang») contre ses propres populations juives et
musulmanes. A la suite de la chute de Grenade (1492). (...) En
1609, il y a exactement quatre cents ans, l’Inquisition décide
d’en finir définitivement avec les Morisques. Les autorités
politiques et cléricales hésitent un moment entre
l’extermination physique et la déportation Ce sera en fin de
compte la déportation: «500.000 personnes - hommes, femmes et
enfants, seront déportées (hors d’Europe) avec, au moins, 75% de
"pertes"». Avec cette histoire tragique, l’Europe -et la
France par conséquent -s’est bâtie une identité amputée de ses
Juifs et de ses Musulmans... Le XIXe siècle européen érige les
Blancs en dieux. En France, comme ailleurs en Europe, la
tendance est la même.(4) En 1882, Renan pouvait définir la
nation comme «une âme, un principe spirituel». Comment
peut-on définir l’identité?. Quelles sont les valeurs qui sont
qu’on peut se sentir français en dehors des injonctions et qui
peuvent changer d’un pouvoir à l’autre? Montesquieu en son temps
expliquait aux Français «comment être persan?» Quelle
différence y a-t-il entre un Bulgare un Hongrois un Arménien, un
Espagnol, un Italien au regard de l’intégration avec un Algérien
ou un Marocain? La différence réside d’abord dans la
non-maîtrise par les premiers de la langue et de la culture
françaises. En fait, il n’est pas important qu’ils connaissent
la «Ballade des pendus» de François Villon. Par contre,
leur avantage décisif est l’identité religieuse qui, a bien des
égards, berce d’une façon invisible la société française. Tout
ce beau monde est compatible avec le corps social français pétri
par deux mille ans de cultures chrétiennes combien même ces
çi-devants candidats à la nationalité n’ont qu’un rapport
lointain avec la religion chrétienne, n’empêche ils sont «comme
nous», traduction: ils peuvent être français, Certains
français de fraîche date poussent le ridicule jusqu’à se «croire
plus royalistes que le roi» N’a-t-on pas vu Manuel Val- avec
des ascendants espagnols- émettre le souhait qu’il y ait plus
blancos dans sa circonscription?. Par contre, on peut être
français depuis un siècle, le nom patronymique et surtout
l’appartenance à une sphère cultuelle sont des «marqueurs
indélébiles». On se souvient de l’article pathétique de
Mustapha Kessous, journaliste au Monde, où il décrit le racisme
ordinaire. On se souvient aussi de ces beur(e)s qui, las
d’attendre un hypothétique ascenseur social, en viennent à
revendiquer leur paléo-racine en reprenant les noms de Mohamed
au lieu de Jean-Pierre. Sur quelle vision de l’histoire doit
alors, reposer l’identité nationale? Celle d’une France
gauloise, continuée par les rois, accomplie définitivement avec
la République? Ou celle d’une France métissée, faite de
diversités culturelles et ethniques, ouverte sur l’avenir?
Qu’est-ce qu’être français au XXIe siècle? Doit-on comme le
réduit le débat actuel, à tenir à distance le musulman au point
qu’à la 4e génération on parle encore de l’origine des beurs?
Nous donnons la parole à Jean Baubérot qui répond magistralement
et avec humour au président Sarkozy Tu as écrit une tribune dans
Le Monde (9 décembre) qui a retenu toute mon attention. En
effet, tu t’adresses à tes «compatriotes musulmans», et
c’est mon cas, moi Mouloud Baubérot, frère siamois de celui qui
tient ce blog. Avant, par politesse, il faut que je me présente
très brièvement. Ma famille provient de Constantine, ville
française depuis 1834 et chef-lieu d’un département français
depuis 1848. Nous sommes donc d’anciens Français. D’autres nous
ont rejoints peu de temps après et sont devenus Français, en
1860, tel les Niçois et les Savoyards. Et au siècle suivant,
d’autres sont encore venus. Certains de l’Europe centrale, bien
différente de notre civilisation méditerranéenne. Mais, comme tu
l’écris très bien, nous sommes très «accueillants», nous
autres. Alors nous avons donc accueilli parmi eux, un certain
Paul Sarkozy de Nagy-Bosca, qui fuyait l’avancée de l’Armée
rouge en 1944. Nous sommes tellement «accueillants» que
nous avons fait de son fils, ton frère siamois, immigré de la
seconde génération, un Président de notre belle République.
Comment être plus accueillants? Mais faudrait quand même pas
tout confondre: entre lui et moi vois-tu, c’est moi qui
accueille, et lui qui est accueilli. Ne l’oublie pas. (...)
Quand les Sarkozy sont devenus Français, le ciel de Paris
s’ornait d’une Grande Mosquée, avec un beau minaret. Je suis
d’accord, moi Mouloud qui t’accueille, je dois te faire «l’offre
de partager (mon) héritage, (mon) histoire (ma) civilisation),
(mon) art de vivre». Tiens, je t’invite volontiers à venir
manger un couscous avec moi. (...)(5) Contrairement à moi,
puisque tu n’es en France que depuis une seule génération, tu as
encore beaucoup de choses à apprendre quant aux «valeurs de
la République (qui) sont partie intégrante de notre identité
nationale». Vu ta fonction, il faut que tu l’apprennes vite
car «tout ce qui pourrait apparaître comme un défi lancé à
cet héritage et à ses valeurs condamnerait à l’échec.» Mais,
je ne suis pas inquiet: tu es très doué. (...)D’abord, la
laïcité, ce n’est nullement «la séparation du temporel et du
spirituel» comme tu l’écris. Le «spirituel» et le «temporel»,
ce sont des notions théologiques, et cela connotait des
pouvoirs. (...) En laïcité, seul «le peuple» est
souverain, et donc le seul «pouvoir» est le pouvoir
politique qui émane de lui. (...)(5)
Morts pour la France
Tu fais preuve d’une curieuse obsession des
minarets et tu sembles assez ignorant à ce sujet. Pour être
concret, je vais te raconter l’histoire de France en la reliant
à ma propre histoire d’ancien Français, du temps où toi, tu ne
l’étais pas encore. Pendant la guerre 1914-1918, mon
arrière-grand-père est mort au front, comme, malheureusement,
beaucoup de Français, de diverses régions: Algérie, Savoie, ou
Limousin,...Car nous avons été environ 100.000, oui cent mille,
musulmans à mourir au combat pour la France. Nous étions déjà
tellement «arrivés» en France, que nous y sommes morts!
Ces combats avaient lieu dans cette partie de la France appelée
«métropole». Ma famille y était venue, à cette occasion,
et elle y est restée. A Paris, précisément. Comme nous
commencions à être assez nombreux, et provenant, outre la
France, de différents pays, la République laïque a eu une très
bonne idée: construire une mosquée, avec un beau minaret bien
sûr. Elle avait décidé, en 1905, de «garantir le libre
exercice du culte». «Garantir», c’est plus que
respecter. C’est prendre les dispositions nécessaires pour
assurer son bon fonctionnement. Pourquoi passes-tu tant de
temps, dans ton texte, à nous parler des minarets? (...) De
plus, et je vais t’étonner Nicolas, les laïques, ils aimaient
bien les minarets. Quand on a posé la 1ère pierre de la mosquée,
le maréchal Lyautey a fait un très beau discours. Il a déclaré:
«Quand s’érigera le minaret que vous allez construire, il
montera vers le beau ciel de l’Ile de France qu’une prière de
plus dont les tours catholiques de Notre-Dame ne seront point
jalouses.»(5) Belle lettre en vérité de monsieur Jean
Bauberot (Mouloud pour les besoins du plaidoyer) qui permet de
situer les véritables enjeux. Ceci dit, ce plaidoyer pour la
tolérance pourrait être complété en ajoutant que la paix entre
l’Eglise et la République est venue en partie d’un modus
vivendi: la République ayant laïcisé les attributs de l’Eglise.
Ainsi sur les 11 jours chômés dans l’année 9 sont à caractère
religieux- on se souvient du tollé provoqué par la proposition
de la commission Stasi de permettre que l’Aïd el Kebir et la
fête juive du Kippour soit déclarées fêtes nationales chômées et
payées. Point n’est besoin de les «identifier». Les
Musulmans de France veulent vivre d’une façon apaisée leur
spiritualité à l’om-bre des lois de la République.
1.Chems Eddine Chitour. Comment peut-on
être Français? Site Mille babors 11/04/2007
2.Évariste: Nicolas Sarkozy et la boîte de Pandore. Res publica
n°630. 13 décembre 2009
3.Christian Amalvi. Le baptême de Clovis: heurs et malheurs d’un
mythe fondateur de la France contemporaine. Bibliothèque de
l’École des chartes, 1989, n°1, pp. 583-610.
4.Réflexions sur la France «de souche» http//temps.reel
nouvelobs 10 décembre 2009
5.Lettre de Mouloud Baubérot à Nicolas Sarkozy: Site Oumma.com
14 décembre 2009
Pr Chems Eddine Chitour, Ecole nationale
polytechnique, enp-edu.dz
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Publié le 17 décembre 2009 avec l'aimable autorisation de l'Expression
Les textes du Pr Chems Eddine Chitour
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