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Opinion
Fin de mission pour Laurent Gbagbo:
Intronisation du fidèle Ouattara
Chems Eddine Chitour
Laurent Gbagbo
Vendredi 15 avril 2011
«La France, gendarme de
l’Afrique, c’est terminé , désormais, aucun soldat français ne
tirera sur un Africain. (…) »
Nicolas Sarkozy (discours au Cap)
Lundi 11 avril , après-midi, Laurent Gbagbo est « capturé » et
conduit à l’hôtel du Golf où il est fait prisonnier avec sa
femme. Avec un rare cynisme, Alain Juppé sur RTL, implique
l’Afrique dans la crise ivoirienne. «De grâce, essayons de ne
pas faire toujours porter tout le chapeau à la France. Ce qui
est en cause aujourd’hui, je le répète, c’est de savoir si le
droit international, proclamé de façon tout à fait évidente par
les Nations unies et par l’Union africaine est respecté, tous
les chefs d’Etat africains ont fini par lâcher Gbagbo, ce n’est
pas la France qui est seule en cause. C’est l’ensemble de
l’Union africaine. Si en Afrique, on constate que des élections
qui se sont correctement déroulées, qui ont été validées par
l’Union africaine et par les Nations unies, sont bafouées par
ceux qui ont été battus, alors c’en est fini de la démocratie en
Afrique. C’est ça qui est en cause.» Après l’invasion, c’est la
démocratie que les puissances occidentales veulent imposer par
nouveaux serviteurs interposés. Ouattara est la personne
désignée. Laurent Gbagbo a raison de dénoncer l’intervention
militaire de la France dans son pays. «Je trouve, dit-il,
vraiment ahurissant que la vie d’un pays se joue sur un coup de
poker de capitales étrangères.»
Qui est Laurent Gbagbo?
Pour l’histoire, Laurent Gbagbo n’a pas jailli du néant. Il
devient en 1970 professeur d’histoire au lycée d’Abidjan.
Chercheur à l’Institut d’histoire, d’art et d’archéologie
africaine (Ihaaa) à partir de 1974, il est également titulaire
d’une maîtrise d’histoire de la Sorbonne. Il soutient enfin, en
juin 1979, une thèse de doctorat. Parti en exil en France en
1985, il cherche à promouvoir le FPI et son programme de
gouvernement visant à lutter contre la dictature du Parti
démocratique de Côte d’Ivoire, alors parti unique, et à
promouvoir le multipartisme. Idéologiquement proche du Parti
socialiste français.
«La qualité peut-être dominante, écrit Philippe Bernard, est la
personnalité. Le candidat a beaucoup réfléchi, il a un avis
précis et le dit dans l’ensemble fort bien.» Le «candidat» en
question s’appelle Gbagbo Laurent. Nous sommes le 22 juin 1979
et à l’université Paris VII-Jussieu, un jury de trois historiens
salue ainsi la thèse de troisième cycle soutenue par cet
étudiant déjà âgé de 34 ans, intitulée. «Les ressorts
socio-économiques de la politique ivoirienne (1940-1960)».
Revenu à Abidjan après sa thèse, il fonde dans la clandestinité
le futur Front populaire ivoirien (FPI), mais doit à nouveau
s’exiler à Paris en 1982. Le premier président ivoirien, qui fut
ministre de la IVe République française, est présenté par
M.Gbagbo comme «le représentant d’une bourgeoisie terrienne
(ivoirienne) qui n’a pas intérêt à rompre avec l’ordre colonial,
car elle en a besoin pour l’écoulement de ses produits agricoles
qui n’ont pas de débouchés sur le marché intérieur». Le Parti
démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci) d’Houphouët, «en pactisant
avec l’occupant (français) et en adoptant les mots d’ordre
collaborationnistes, poursuit la thèse, a permis la seconde
pacification et a instauré un climat politique propice à
l’exploitation économique de type néocolonial». Quant à
l’enseignement dispensé par les Français, il «permet à
l’administration coloniale de pratiquer sur une vaste échelle le
génocide culturel, prélude à la confiscation de la pensée des
peuples soumis».(1)
Par qui a été arrêté Laurent
Gbagbo?
Par la force, l’Occident a pris le pouvoir en Côte d’Ivoire,
l’Otan sera sur place, la France coloniale et texane via Sarkozy
a montré ses muscles et va continuer la politique françafricaine,
le FMI pourra piller le pays et l’offrir aux multinationales et
à Monsanto (à la clé, ruine des paysans, suicides, santé en
péril), le sous-sol du pays le plus riche d’Afrique sera aux
mains des Anglo-Saxons et des Israéliens, les Chinois seront
boutés dehors, la pègre va diriger le pays (Ouattara homme des
casseroles, corrompu avec sa femme anglaise, sulfureuse), bref,
à la tête du pays un sinistre valet de l’Occident criminel, à
son image. Pauvres Africains!
Une dépêche Reuters, agence de presse américaine peu
soupçonnable d’être complice de Gbagbo, a annoncé le lundi 11
avril 2011 à 15h41 que
Gbagbo a été arrêté par les forces spéciales françaises. Et ce
ne sont pas des hommes de Laurent Gbagbo qui le lui avaient
signalé, mais des hommes de Ouattara! Un autre porte-parole du
camp Ouattara, Hervé Cohx, basé à Paris, a précisé que Laurent
Gbagbo avait été emmené à l’hôtel du Golf, QG des forces du
vainqueur reconnu de l’élection présidentielle du 28 novembre.
«Je vous confirme l’arrestation de Gbagbo qui se trouve
actuellement à l’hôtel du Golf», a-t-il confié à Reuters. «Il a
été arrêté par les forces françaises qui l’ont remis aux forces
républicaines».(2)
Comment l’opinion internationale
évalue la capture de Laurent Gbagbo?
Plusieurs médias occidentaux ont fait part de leur scepticisme
concernant le scénario incanté par les chaînes françaises. «Que
les bottes françaises aient foulé le sol du palais présidentiel
ou pas, il est clair que les militaires français ont fait
basculer la lutte pour le pouvoir en faveur de Ouattara», estime
John Lichfield du journal The Independent. Pour le quotidien
britannique, la position de la France était décidée avant même
l’arbitrage de l’ONU et de la communauté internationale, qui ont
déclaré Alassane Ouattara président élu: c’est Nicolas Sarkozy,
lorsqu’il était maire de Neuilly, qui a marié le couple
Ouattara. «Paris avait perdu patience avec Gbagbo depuis des
années», croit savoir le journal, pour qui le rôle de la France
en Côte d’Ivoire se résume à la «sale habitude» de la «Françafrique».
L’analyse est partagée par El Pais: selon le journal espagnol,
cette «guerre» en Côte d’Ivoire est un héritage du passé
colonial. Sous le couvert de l’ONU, Nicolas Sarkozy a joué le
«rôle de gendarme néocolonial», commente El Pais. «Sarkozy a
suivi la crise de très près en communiquant régulièrement avec
Outtara par téléphone», souligne le journal.
L’intervention de la France dans la crise ivoirienne pourrait
coûter cher à Ouattara, estiment les analystes. Pour Ishaan
Tharoor, du magazine Time, «Ouattara devra se défaire de
l’étiquette de marionnette de la communauté internationale et
surtout de la France, que ses opposants essaient de lui coller».
Mais l’arrestation de Laurent Gbagbo ne signe pas la fin de la
crise, prévient le New York Times. Les frappes aériennes de
l’ONU et de la France «vont nourrir la colère des pro-Gbagbo,
mus par un sentiment anti-occidental», prédit le quotidien
américain.(3) «Pour déloger le président sortant de son bunker,
écrit Leslie Varenne de la Tribune de Genève, la France et l’ONU
ont sorti l’artillerie lourde. Opération réussie. L’opération
minutieusement préparée par les forces françaises et onusiennes
a été un vrai succès. Laurent Gbagbo et ses proches ont été
arrêtés lundi en début d’après-midi et conduit directement à
l’hôtel du Golf, QG d’Alassane Ouattara. Lundi en milieu de
matinée, une quarantaine de blindés quittent le camp militaire
français, direction Cocody, le quartier où se trouve le
président sortant avec ses proches. Selon un autre témoin, au
même moment, des parachutistes sont largués au-dessus du Palais
présidentiel. Puis les forces spéciales entrent en action du
côté du bunker. Une heure plus tard, l’arrestation du clan
Gbagbo est réalisée et rendue officielle. Dans un premier temps,
l’ambassadeur de France reconnaît que l’arrestation a été
réalisée par les soldats français. Puis, dans la foulée, une
source diplomatique dément: «Le président Ivoirien sortant,
Laurent Gbagbo, a été arrêté lundi dans sa résidence d’Abidjan
par les forces de son rival Alassane Ouattara et non par les
forces spéciales françaises.» Une source militaire déclare: «Ce
ne sont pas les forces de Ouattara qui ont arrêté Laurent
Gbagbo, ce n’est pas possible, l’armée de Ouattara n’a jamais pu
approcher le périmètre.»(4)
En fait, la situation était arrivée à un blocage. Il fallait
crever l’abcès. En fin de matinée de lundi, rapporte le Monde,
M.Gbagbo et son entourage avaient tenté une sortie de leur
résidence qui était en feu, touchée par un tir de missile
français la veille au soir. Les partisans de Laurent Gbagbo
avaient riposté et mis les assaillants pro-Ouattara en fuite.
Laurent Gbagbo avait ensuite tenté de s’enfuir par une vedette
au bord de la lagune. Il semble en avoir été dissuadé par
l’hélicoptère français. Les diplomates français estiment que la
situation s’était à ce point dégradée, qu’ils n’avaient pas
d’autre choix que de précipiter la chute de Laurent Gbagbo. Ne
rien faire, aurait précipité le pays dans la guerre civile
(...). La présence des troupes françaises à Abidjan ne relève
pas cependant d’un hasard. Il est évidemment lié au passé
colonial de la France. Mais l’intervention de Licorne, en 2011,
n’a absolument pas les mêmes bases que celle des soldats
français en 2004. Il s’agissait alors des militaires du
bataillon d’infanterie de marine basé à Abidjan qui avaient tiré
sur la foule des «jeunes patriotes», lancés dans des
manifestations anti-françaises. Le bombardement mortel de
l’aviation ivoirienne sur le camp français de Bouaké avait
conduit la France à détruire l’intégralité de l’aviation
ivoirienne et déclenché en représailles des manifestations
«patriotiques» ».(5)
« La décision prise par Nicolas Sarkozy d’intervenir
directement, même sous un clair mandat de l’ONU, contredit
toutefois formellement ses discours antérieurs. L’interpellation
de Laurent Gbagbo ne signifie pas nécessairement la fin du
conflit, étant donné le nombre important d’armes qui a été
distribué à ses partisans ces derniers jours. Le retour à la
paix dépendra aussi de la capacité du nouveau président à
enclencher un processus de justice visant les auteurs de
violence, y compris dans son propre camp. Un autre grand défi
sera la reconstitution d’une armée réellement nationale avec la
fusion des forces qui viennent de s’entretuer. Cette fusion, qui
devait être réalisée depuis plusieurs années, ne l’a pas été.
Guillaume Soro, ancien chef de la rébellion du Nord, ancien
Premier ministre de Laurent Gbagbo, et actuel Premier ministre
de M.Ouattara, a probablement pris encore de l’ascendant en tant
que responsable militaire des opérations qui ont conduit à la
reconquête de la totalité du territoire ivoirien. Chef
militaire, connu pour son impulsivité, il pourrait, en effet,
s’imposer face au très policé Alassane Ouattara ».(5)
Le sort des civils
"La guerre civile qui a eu lieu s’est soldée par la mort de
plusieurs centaines de civils. Les deux camps se rejettent
mutuellement la responsabilité. Cependant, des informations font
état de massacres perpétrés par les troupes de Ouattara.
«Jusqu’à un millier de civils auraient été massacrés dans la
ville de Duékoué en Côte d’Ivoire, pays d’Afrique de l’Ouest.
C’est la plus forte perte en vies humaines dans l’ancienne
colonie française depuis les élections présidentielles
contestées de novembre 2010. (...) La résolution de l’ONU a
donné le feu vert à une guerre civile aux conséquences
désastreuses pour la population civile. Un million de personnes
sont supposées avoir fui la Côte d’Ivoire ces derniers mois. La
politique de la France en Côte d’Ivoire suit le modèle fixé en
Libye où la France et la Grande-Bretagne ont obtenu une
résolution de l’ONU pour une zone d’exclusion aérienne, sous
prétexte de protéger les civils. L’action militaire en Libye et
en Côte d’Ivoire reflète l’attitude de plus en plus agressive
que les puissances occidentales sont en train d’adopter en
Afrique où elles se trouvent confrontées à une concurrence de
plus en plus acharnée de la part de la Chine et d’autres
économies émergentes pour l’obtention de ressources". (6)
"Paris a dépêché maintenant 300 troupes supplémentaires en
faisant passer le nombre de soldats français à 1400. Ils ont
pris le contrôle du principal aéroport. (...) L’aéroport s’était
précédemment trouvé entre les mains de l’ONU et aurait pu servir
à une évacuation en cas de besoin. La prise de contrôle de
l’aéroport par les Français est un acte d’agression coloniale.
Sous le couvert du droit international et de préoccupations
humanitaires, la France est en voie de réaffirmer un contrôle
direct sur la Côte d’Ivoire. Les victimes à Duékoué sont les
conséquences immédiates de cette poussée de la France de
ré-établir son pouvoir en Afrique. Washington a été obligé de
critiquer Ouattara malgré son soutien politique à son égard. La
secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, a exprimé des
préoccupations au sujet du massacre à Duékoué, en appelant «les
forces du président Ouattara à respecter les règles de la guerre
et à cesser d’attaquer des civils.» Guillaume Ngéfa, directeur
adjoint de l’Onuci, a dit que les forces de Ouattara avaient
perpétré les meurtres à Duékoué. «Nous avons des preuves, nous
avons des photos. C’était des représailles.»" (6)
«Nous recevons des appels de partout, du nord, de l’Est, du sud,
d’Abidjan et de villages aussi,» a dit Guillaume Ngéfa à la
radio Deutsche Welle. La porte-parole de la Croix-Rouge (Icrc)
Dorothea Krimitsas, a reconnu: «Il ne fait pas de doute que
quelque chose s’est produit dans cette ville sur une grande
échelle et sur quoi l’Icrc continue de recueillir des
informations. Tout semble indiquer qu’il s’agissait de violence
interethnique.»(6)
Y aura-t-il une justice pour ces morts? On aurait cru que le
colonialisme c’est du passé. Il n’en n’est rien, il renaît de
ses cendres sous les habits humanitaires. Farid Mellal écrit à
ce propos: «La France l’a voulu, la France l’a obtenu. Laurent
Gbagbo est tombé. Les intérêts français en Côte d’Ivoire sont
sauvés. La fameuse force «Licorne», a montré ce lundi que ce
n’était pas qu’une simple force d’interposition, mais une armée
au service de l’Etat français pour sauver l’intérêt de la France
dans un pays indépendant et souverain depuis le 7 août 1960. La
Françafrique a de beaux jours devant elle. La France ne serait
plus le «gendarme de l’Afrique», avait promis Sarkozy. Gbagbo
est tombé...mais le gendarme français est de retour en Afrique».
(7) Nous sommes d’accord.
1.Philippe Bernard. En 1979, la thèse
marxiste de «l’étudiant» Gbagbo Le Monde 12.04.2011
2.http://fr. reuters com/article/topNews/ idFRPAE73
AODU720110411
3.Flora Genoux. Côte d’Ivoire: la presse internationale juge «néo-coloniale»
l’action de la France. Le monde.fr 12.04.2011
4.Leslie Varenne. Laurent et Simone Gbagbo, sont désormais aux
mains de Ouattara, La tribune de Genève 11.04.2011
5.Côte d’Ivoire: «L’interpellation de Laurent Gbagbo ne signifie
pas nécessairement la fin du confit». Le Monde. fr 12.04.2011
6.Ann Talbot: Des civils massacrés en Côte d’Ivoire par les
forces soutenues par l’Occident. Mondialisation.Ca 7.04.2011
7.http://bellaciao org/fr/spip.php? article116043
Pr Chems Eddine CHITOUR
Ecole Polytechnique Alger enp-edu.dz
Publié le 15 avril 2011 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
Les textes du Pr Chems Eddine Chitour
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