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L'EXPRESSIONDZ.COM
Essais nucléaires français en Algérie
À quand la responsabilité devant
l'histoire ?
Pr Chems Eddine Chitour
Lundi 15 février 2010
Hourra pour la France! Depuis ce matin,
elle est plus forte et plus fière.»
Général de Gaulle, le 13 février 1960 à 7h04
Ce «Hourra!» du général, les populations de Reggane, qui
ont eu à subir dans leur chair la volonté de la France de
rentrer dans le club atomique, continuent de le payer pour les
survivants. Il y a précisément un demi-siècle, la France
entamait son ère nucléaire avec une série d’essais en Algérie,
d’abord atmosphériques puis souterrains. Qu’est-ce que l’énergie
nucléaire en quelques phrases? La bombe atomique exploite une
réaction de fission nucléaire enchaînée. On provoque la fission
de noyaux d’uranium-235 enrichis, auxquels sont souvent ajoutés
du tritium (3H) pour accentuer l’explosion. En accord avec la
loi d’équivalence d’Einstein, E=mc², l’énergie libérée par la
fission d’un seul noyau d’uranium-235 libère environ 200 MeV (1
MeV = 1.609 x 10-13 J) et d’environ 210 MeV pour le
plutonium-239. Au cours de l’explosion d’une bombe atomique,
toute cette énergie est contenue dans le terme hnu qui
correspond à la conversion de la masse en énergie de liaison au
cours de la formation des produits de fission.
Dans une bombe A, c’est l’amorce d’un combustible conventionnel
qui déclenche la première réaction de fission. Au moment de
l’explosion atomique, 35% de l’énergie est émise sous forme de
chaleur et environ 15% sous forme de rayonnements radioactifs.
Durant la microseconde que dure l’explosion, un intense
rayonnement X et gamma est émis qui se transforme rapidement en
chaleur, formant une bulle d’air incandescent d’environ 1
kilomètre de diamètre dont la température atteint plusieurs
millions de degrés dans le coeur. C’est la boule de feu
éblouissante (le fireball) que l’on aperçoit tout au début de
l’explosion et qui rougit rapidement en se refroidissant. En
l’espace d’un millionième de seconde, l’explosion génère une
onde de choc qui se propage à plus de 1000 km/h dans un rayon de
plusieurs kilomètres autour du point d’impact pulvérisant tout
sous son passage, bâtiments, arbres et êtres vivants, générant
énormément de cendres et de poussières. L’air chaud étant plus
léger que l’air froid, en l’espace de quelques dixièmes de
secondes cette boule de feu s’élève au-dessus du sol en créant
une forte aspiration d’air. Un violent courant d’air
ascensionnel se manifeste, entraînant toute la matière
pulvérisée alentour. C’est ce phénomène qui soulève la poussière
du sol et crée la tige du champignon atomique.(1)
Une boule de feu de
100 m de diamètre
Outre le spectaculaire champignon blanc et
vaporeux ou coloré et poussiéreux, l’explosion d’une bombe
atomique produit plusieurs effets: lors de l’explosion de la
bombe d’Hiroshima,- la première bombe de Reggane est
l’équivalent de 6 bombes Hiroshima- l’énergie libérée fut
équivalente à un tremblement de terre de magnitude 5,5 sur
l’échelle ouverte de Richter. Au cours d’une explosion atomique,
la quasi-totalité des bâtiments et tous les arbres sont
effondrés quand ils n’ont pas disparu, volatilisés! La détente
explosive de l’énergie de la bombe crée un éclair aveuglant (Lemp)
au sens propre du terme, et en une fraction de seconde (< 1 ms),
une onde de choc tellement forte se manifeste qu’elle génère une
onde de pression plus intense que celle du plus puissant
cyclone. Elle contient en fait la moitié de toute l’énergie de
la bombe! En se déplaçant à plus de 1000 km/h, la pression de
l’air sur le front de l’onde génère un vent si puissant
qu’aucune structure, même massive et enracinée, n’est capable de
lui résister. Avec ses 3900 kg chargés avec l’équivalent
d’environ 13 kT de TNT, la bombe d’Hiroshima pulvérisa tout dans
un rayon de 2 km autour de l’hypocentre: buildings, ponts et
arbres furent balayés comme de vulgaires jouets et réduits en
charpie quand ils ne furent pas pyrolisés par la chaleur. Sur
les 76.000 bâtiments que comptait la ville, 62.9% furent
détruits dont une bonne partie furent réduits en cendres et
seulement 8% échappèrent à la destruction.(1)
Les effets thermiques sont les plus apocalyptiques. Juste après
l’onde de choc qui survient moins de 20 ms après l’explosion, on
assiste au flash lumineux suivi de l’extension de la boule de
feu formée par le réchauffement de l’air par les rayonnements X
générés durant l’explosion.
La température dans la boule de feu dépasse 100 millions de
degrés durant une microseconde. Dans le cas d’une bombe A comme
celle d’Hiroshima, la bombe créa une boule de feu de 60 à 100 m
de diamètre (certains ont affirmé qu’elle mesurait 300 m de
diamètre). Dans un espace de 17 m de rayon autour de
l’hypocentre, la température était de 300.000°C. A 50 m de
distance elle oscilla entre 9-11.000°C, tandis qu’au sol, sous
l’hypocentre, la température devait osciller entre 4 et 6000°C,
l’équivalent de la température régnant à la surface du Soleil!
Avec de telles températures, il va sans dire que cette chaleur
nettoie tout sur son passage. La boule de feu incandescente
réduisit tout en cendres instantanément, y compris les building
fabriqués en béton armé. Dans un rayon de 2 à 3 km, les
bâtiments furent sévèrement endommagés. Jusqu’à 4 km de
l’hypocentre, les maisons furent lourdement endommagées et la
chaleur calcina encore tous les êtres vivants.(1)
En 1983, un groupe international de chercheurs publia une étude
sur les risques encourus par une guerre nucléaire globale. Outre
les pertes en vies humaines et économiques que tout le monde
pouvait imaginer, le rapport insistait principalement sur les
effets climatiques d’un tel événement. Pendant des dizaines
d’années, personne n’imaginait que le climat pouvait être
altéré. En l’espace de quelques mois, les arbres, les plantes et
les fleurs vont dépérir et mourir faute de pouvoir assurer la
photosynthèse. Les animaux végétariens et les oiseaux vont
progressivement disparaître faute de trouver leur alimentation.
Du fait que le phytoplancton ou plancton végétal n’assurera plus
la photosynthèse, le zooplancton et beaucoup de poissons
mourront également.. Et de maillon en maillon, c’est finalement
toute la chaîne alimentaire qui va subir une extinction massive
et instantanée à l’échelle de l’évolution. Malheureusement,
l’Homme est au sommet de cet édifice...Il y eut de ce fait,
disparation de la Vie au sens large autour de Reggane. Voilà
donc, en résumé une oeuvre positive parmi tant d’autres léguées
par la France Enfin, en 1992, Gary Whiteford, professeur de
géographie à l’université de New Brunswick, publia une étude
dans laquelle il compara la fréquence des tremblements de terre
avant et après l’invention de la bombe atomique. Il constata
que, durant les 50 années précédant son invention, il y eut 68
tremblements de terre supérieurs à la magnitude 5,8. Depuis 1950
ce taux à «soudainement et dramatiquement» augmenté
jusqu’à 127 par an; le nombre de tremblements de terre a
pratiquement doublé! A ce jour, l’armée américaine considère que
cette augmentation n’est qu’une coïncidence. Le 13 février 1960,
en effet, une bombe atomique explosait en plein air du Sahara.
Ce n’était qu’un «essai», baptisé «Gerboise bleue».
L’essai avait lieu dans le sud-ouest de l’Algérie en plein
Sahara, à environ 70 kilomètres de Reggane. La bombe avait été
installée à 100 mètres au-dessus du sol et la puissance de
l’explosion a atteint 70 kilotonnes selon les expérimentateurs.
Cinquante ans plus tard, l’anniversaire de l’essai «Gerboise
Bleue» ne se chante plus sur la musique de la fierté
nationale. Au fil des années, la déclassification de ces
dossiers a éclairé ces essais d’un jour nouveau. Il est
indiscutable que des soldats français et des habitants de la
région ont été gravement contaminés dans les jours et les années
qui ont suivi. Peu de précautions ont été prises au moment des
essais, Gerboise bleue étant d’ailleurs orientée vers l’étude
des conséquences d’une explosion sur l’environnement immédiat.
Si le Csem a choisi la région de Reggane, c’est entre autres
parce que la densité de population y est très faible. Mais elle
est loin d’être nulle. Plusieurs milliers de militaires
français, dont des appelés du contingent, travaillaient dans le
camp installé à quelques dizaines de kilomètres de Reggane, un
bourg regroupant à l’époque, environ 2000 habitants d’après
l’Aven (Association des vétérans des essais nucléaires). La
région est aussi parcourue par les nomades, qui ont sillonné ces
zones contaminées durant des années. Quant à l’étendue des zones
affectées, les vents du désert et de la stratosphère (atteinte
par les particules les plus fines) la rendent très vaste.
La solde donnée par
El Gueddafi
Les retombées radioactives sur les environs
ont été estimées mais les valeurs mesurées sont longtemps
restées secrètes. Même les tirs souterrains de In Eker en ont
provoquées. Sur les treize explosions en tunnel, quatre ont
officiellement généré des fuites de matériau radioactif. La
confidentialité entourant ces essais a freiné et même empêché à
la fois la reconnaissance de ces effets et l’adoption de mesures
de sécurité pour les populations locales et les militaires
participant à l’expérience. «Le rapport annuel du CEA de 1960
montre d’ailleurs l’existence d’une zone contaminée de 150 km de
long environ et les instructions remises aux participants de
l’opération Gerboise bleue précisaient bien les conditions dans
lesquelles on pouvait entrer et sortir de "la zone contaminée".
Cela confirme bien que certaines régions proches du lieu du tir
devaient receler une dose significative de radioactivité.»
Ces remarques sont issues d’un rapport du Sénat de 1997. Fidèle
à sa tradition qui consiste à persister dans ce qu’elle croit
être le droit et l’honneur, la France tourne le dos à son passé,
qui ne fut pas sans ombre aussi bien vis-à-vis de ses militaires
qui furent, comme ils le disent, des cobayes sacrifiés sur
l’autel du prestige de la France comme puissance nucléaire mais
aussi et dans le même temps, la destruction de la vie sur un
territoire de manoeuvres et cela sans aucun remord ni regret et
encore moins de repentir avec des partenaires qui persistent
quant aux bienfaits de la colonisation. Les essais nucléaires
faits par des scientifiques qui étaient loin de mesurer les
conséquences de leurs expériences, jouaient de ce fait, aux
apprentis sorciers avec la vie des autres.
Dans tout le Sahara algérien, les retombées radioactives ont été
enregistrées jusqu’à plus de 3000 km du site. A la suite
immédiate du putsch des généraux (23 avril 1961) (ou putsch
d’Alger), le gouvernement français a ordonné la détonation du 25
avril 1961 (Gerboise Verte) afin que l’engin nucléaire ne puisse
tomber dans les mains des généraux putchistes. La France passa
ensuite des essais aériens à des essais souterrains. Le site
choisi est In Ecker. Les tirs sont réalisés en galerie,
celles-ci étant creusées horizontalement dans un massif
granitique du Hoggar, le Tan Afella. (2)
Sous la pression d’ONG et d’élus, le Sénat français a finalisé
le 6 février 2002 un rapport sur «Les incidences
environnementales et sanitaires des essais nucléaires effectués
par la France entre 1960 et 1996.» «L’opération de
démantèlement de ces sites n’a pas été correctement effectuée,
ce qui constitue des risques permanents liés à toute vie dans
ces zones.» Que dire en définitive de ce déni de
responsabilité? «Dans les relations algéro-françaises, est-il
écrit dans El Watan, et le devoir de mémoire que l’on invoque
dans les occasions officielles, lors des visites d’Etat, cette
question n’a jamais figuré à l’ordre du jour des discussions.
Les faits sont pourtant historiquement avérés et les témoins de
ces tragiques événements sont encore en vie pour amener la
France à reconnaître sa responsabilité dans ce crime et à en
assumer les conséquences. Les "gerboises" multicolores, que la
France coloniale a fait exploser sur le sol du Sahara algérien
avec toutes les conséquences tragiques que l’on sait, n’ont fait
ni la grandeur ni la puissance technologique de la France, pas
plus qu’elles n’ont servi les idéaux de fraternité et de liberté
dont elle se réclame. (...) S’il n’y a rien à attendre de ce
côté-là, il est du devoir de l’Etat algérien de rappeler, en
toutes circonstances, à la communauté internationale et à
l’opinion française, ce qui s’est réellement passé dans cette
partie de l’Algérie pour que le martyre de Reggane soit reconnu
comme crime contre l’humanité, à l’instar du génocide de
Hiroshima et de Nagasaki.(3)»
Il reste que si la France a attendu 45 ans après pour révéler
l’implantation des mines antipersonnel posées le long de nos
frontières, aucune cartographie des sites des dépôts des déchets
radioactifs n’a été fournie à l’Algérie à ce jour. Il serait
moral que la France, qui a semé la mort et qui n’avait aucune
certitude quant à la fiabilité de ses expériences - n’avait-elle
pas, en effet, préparé 6000 cercueils à toutes fins utiles? -
reconnaisse enfin, que la colonisation ce n’était pas «positif»
pour les milliers de personnes irradiées et pour les autres
milliers potentiellement malades à venir car, faut-il le
rappeler, la demi-période de l’uranium 235 est de 24.000 ans.
D’ailleurs, sur le terrain, la radiation est toujours aussi
forte, plusieurs dizaines de fois plus forte que la
radioactivité naturelle. Le désastre multidimensionnel
occasionné par les essais nucléaires n’est qu’un épisode dans le
catalogue du Livre noir du colonialisme pour reprendre
l’expression de l’historien Marc Ferro. Tout l’or du monde ne
suffirait pas à réduire la douleur accumulée pendant 132 ans de
déni de responsabilité de la part d’un pouvoir colonial fort du
droit du plus fort, qui ne veut pas regarder son histoire en
face. C’est une erreur de faire comme El Gueddafi qui a donné un
solde de tout compte de la colonisation italienne de la Libye de
25 milliards de dollars à l’Italie des Berlusconi et du sinistre
Graziani qui a eu à pendre le père de la révolte, Omar el
Mokhtar. C’est une erreur de faire de ces tragiques évènements
un moyen de pression politique sur le dos des milliers voire des
millions de douleurs d’Algériens qui demandent justice et non
l’aumône. Il serait malvenu de brader pour des raisons
politiciennes la cause sacrée de la dignité humaine. Le
colonialisme français est responsable des malheurs de l’Algérie,
les répliques du tsunami de 1830 sont à des degrés divers
présentes dans nos têtes. La France a mis une cinquantaine
d’années pour reconnaître qu’il y avait une guerre en Algérie et
non des «évènements». Elle se grandirait si elle
reconnaissait son rôle dans les horreurs qui ont été commises en
son nom. Les idéologues à l’instar d’Alain Finkielkraut et de
Pascal Bruckner qui mettent en avant la «tyrannie de la
repentance» ne sont pas de bons conseils. Rien de pérenne ne
se construira entre l’Algérie et la France si un devoir de
mémoire n’est pas assumé de part et d’autre. Il est honteux, le
croyons-nous, de donner un prix à la douleur. C’est tout le sens
d’un combat des hommes de bonne volonté de part et d’autre,
au-delà des gouvernants de passage.
1.Jean-Luc Goudet - Cinquantenaire des
premiers essais nucléaires: place aux victimes Le Futura-Sciences.
12 février 2010
2..C.E.Chitour: Essais nucléaires au Sahara: Les apprentis
sorciers face à l’histoire Journal L’Expression 16 février 2009
3.Essais nucléaires en Algérie. Les «bienfaits» de la
colonisation- El Watan.12.02.2008
Pr Chems Eddine Chitour, Ecole nationale
polytechnique, enp-edu.dz
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Publié le 16 février 2010 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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