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L'EXPRESSIONDZ.COM
DIEU, LES HOMMES ET LES HORS LALOI
L'apaisement entre l'Algérie et
la France est-il encore possible ?
Chems Eddine Chitour
Jeudi 14 octobre 2010
«Il faut relever ce peuple, il faut cesser de
le parquer dans son Coran (..) il faut que la France lui donne,
je me trompe, lui laisse donner l’Evangile, ou qu’elle le chasse
dans les déserts, loin du monde civilisé....Hors de là, tout
sera un palliatif insuffisant et impuissant».
Cardinal Lavigerie
«Imaginons quatre millions d’Allemands ou
de Russes établis en France par le droit du plus fort et mettant
en coupe réglée un pays exsangue, se ménageant un revenu moyen
vingt fois supérieur au nôtre et tous les privilèges d’une caste
supérieure. Imaginons l’indigénat, les élections truquées,
l’arbitraire policier, la ségrégation raciale, Imaginons la
misère noire, la famine et la maladie, la brutalité des rapports
humains, l’analphabétisme, la haine. La révolte éclatera. On
s’apercevra alors que les victimes des révoltés sont les
victimes de la France,». R. Bonnaud. Revue Esprit: Juin1957
Voilà en quelques phrases, résumés 132 ans de déni de dignité,
de massacres et de racisme mais aussi de prosélytisme débridé.
Le film Hors-la-loi de Rachid Bouchareb résume jusqu’à la
caricature le déni de dignité. Le film est articulé autour de
trois faits: la dépossession de la terre vers 1926 (la loi
Warnier date de plus de cinquante ans plus tôt). Le deuxième
événement est le déroulement des massacres du 8 Mai 1945. Pour
rappel, selon les sources françaises il y aura 10.000 à 15.000
morts du côté algérien et 106 morts parmi les Européens. Selon
les sources algériennes, il y aura plus de 45.000 morts dans les
jours qui vont suivre. L’enquête du général Tubert, le 16 mai,
confirme les chiffres de quelques milliers de morts avancés par
le général Duval le «bourreau de la ville» de Sétif. Par
ailleurs, des arrestations massives vont être opérées dont
celles des principaux dirigeants nationalistes. La répression
judiciaire est confiée à des cours martiales, elle aboutit à
4560 arrestations, 1307 condamnations, dont 99 à mort et 64 aux
travaux forcés à perpétuité. Certains, déportés à Cayenne, et
qui ont fait souche dans ce pays, reviendront en Algérie après
l’Indépendance.
Ces «Français» d’ailleurs
Qu’a-t-on reproché à ce film? De n’avoir pas parlé de la
centaine de morts européens? Il est curieux de constater que les
détracteurs du film sont les plus grands laudateurs du mythe de
l’Algérie française et sont en fait des émigrés de la première,
de la deuxième ou de la troisième génération. Rachid Bouchareb
décrit en six minutes sur deux heures les prémisses de la Guerre
d’Algérie par les massacres de Sétif. (1)
Qui en est le porte-drapeau? Il y a d’abord Hubert Falco, le
secrétaire d’Etat aux Anciens combattants dont les ascendants
sont italiens. Il fait examiner le film de Bouchareb pour voir
s’il est conforme aux «faits historiques» à la demande d’un
deuxième émigré de la deuxième génération, le député Lionel
Luca, fils d’un émigré roumain qui s’engagera dans la Légion
étrangère. Lionel Luca est de ceux ayant âprement défendu
l’article 4 de la loi du 23 février 2005. Il y a enfin le beur
(l’arabe chrétien) le député Elie Aboud né le 12 octobre 1959 à
Beyrouth (Liban) et qui en rajoute selon le fameux principe.
«Etre plus royaliste que le roi». Elie Aboud, qui a fait sa
carrière en caressant les pulsions revanchardes de l’électorat
nostalgique, Rachid Bouchareb a beau rappeler que le film est un
film de fiction, une saga qui raconte l’histoire de trois frères
algériens et de leur mère sur une période de plus de trente-cinq
ans, du milieu des années trente à l’indépendance de l’Algérie
en 1962. Hors-la-loi est une fiction. On n’a jamais reproché à
Francis Ford Coppola, le réalisateur d’Apocalypse Now, de
n’avoir pas filmé la guerre du Vietnam dans l’ordre où elle
devait être racontée.´´» (1)
L’historien Gilles Manceron a relevé quelques inexactitudes
historiques de la part du réalisateur. Pour lui: «Cette
polémique témoigne d’un phénomène qu’on connaît déjà,
c’est-à-dire l’existence de milieux nostalgiques de la
colonisation qui sont portés par l’extrême droite, mais qui sont
aussi représentés au sein même de la majorité politique actuelle
en France (...). Il y a un discours selon lequel il faut que la
France regarde son passé, y compris les pages sombres de ce
passé, et les reconnaisse, notamment tout ce qui renvoie à
l’histoire coloniale et à l’histoire franco-algérienne; et puis
il y a l’idée selon laquelle il n’y a rien à regretter du point
de vue de ce passé colonial qui serait une oeuvre positive. A
mon avis, la reconnaissance est inévitable, la France ne pourra
que le faire parce que c’est intenable d’être dans la
dénégation.» (2)
Le troisième repère est celui du 17 Octobre 1961. Il me semble
que le film a pris trop de liberté avec la réalité, le titre
lui-même ne parle pas de la guerre en Algérie, mais en France où
on ne parle pas de hors la loi. De plus, l’idéologue ne
correspond pas avec une figure connue et reconnue de la
Fédération de France qui a porté à bout de bras le combat du FLN
en France à la fois contre le MNA (symbolisé d’une façon rapide
par un cafetier étranglé) et contre le pouvoir français (on ne
voit que l’assassinat du commissaire). Par contre, l’épisode qui
consiste à faire rentrer les armes est digne de Dillinger.
Brutalement après cela, deux des trois frères meurent et le film
se termine par l’indépendance de l’Algérie. Au-delà de l’effort
fait pour présenter une fiction qui décrit une partie du
calvaire algérien, on peut se demander quel est le degré de
fidélité a ce film par rapport à la réalité de ceux qui l’ont
vécu. Bouchareb dit s’être entretenu avec des militants qui ont
vécu les événements. A-t-il lu, aussi, deux ouvrages de
référence: La 7e Wilaya de Maître Ali Haroun et l’ouvrage de
Omar Boudaoud qui fut pendant cinq ans à la tête de la
Fédération de France? Les deux ouvrages sont parus aux éditions
Casbah. Pas un mot des réseaux de Francis Jeanson, Hubert Curiel,
et des «porteurs de valises» réduits à des personnes anonymes
comptant des billets de banque. Pas un mot des religieux qui
aidèrent la révolution. Ces dialogues auraient pu donner une
dimension humaine au film pour faire paraître la justesse de la
lutte pour l’indépendance comme une cause naturelle qui a des
défenseurs même chez les citoyens français. En toute honnêteté,
ce film n’a pas la densité de La Bataille d’Alger ou mieux
encore de Chronique des années de braise et de L’Opium et le
bâton voire plus simplement du premier film de Bouchareb
Indigènes.
Le film Hors-la-loi est sorti concomitamment avec le film Des
Hommes et des Dieux mais est-ce un hasard? Ou une manoeuvre pour
contrecarrer l’éventuelle consécration du film Hors-la-loi? Nous
avons voulu comprendre en dehors de toute manipulation que nous
ne pouvons pas exclure- continuer à entretenir la vision d’une
Algérie à feu et à sang qui s’en prend à de paisibles religieux-
le fond du film. En dehors de l’unanimité de façade, il y a
quelque chose qui remue dans ce film. Le film Des Hommes et des
Dieux, de Xavier Beauvois, évoque les trois dernières années de
la vie des moines trappistes du monastère de Tibhirine, jusqu’à
leur assassinat en 1996, et relance les nombreuses questions
autour de ce massacre, qui avait suscité une forte émotion à
l’époque et qui reste entouré de mystère. Fondé en 1938, le
monastère trappiste de Tibhirine est situé au coeur des
montagnes de l’Atlas, dans la région de Médéa. Très intégrés et
proches de la population à laquelle ils apportent notamment une
aide médicale, les moines se consacrent à la prière et vivent du
travail de la terre. Dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, à 1h15,
une vingtaine de personnes pénètrent de force dans l’enceinte du
monastère, où ils enlèvent sept moines. L’enlèvement des
religieux français est revendiqué le 18 avril par Djamel Zitouni,
chef du Groupe islamique armé (GIA). Le 21 mai, un communiqué
attribué au GIA annonce la mort des moines.(3)
Catholiques ou non, les comédiens ont, à la demande de Xavier
Beauvois, fait précéder le tournage d’une retraite dans une
abbaye. Plus exactement à l’abbaye de Tamié (Savoie), où, au
début de l’été 2009, il traîne ses comédiens pour une retraite
de quelques jours. Là-bas, on ne parle pas. Jamais. On écoute.
Ainsi, quand l’équipe débarque, à l’automne 2009, au monastère
bénédictin de Tioumliline, au Maroc, les acteurs, sont
véritablement devenus des moines. Il règne une étrange ambiance.
Sérénité et recueillement. L’armée marocaine, elle, se plie aux
exigences du cinéaste. Il a ainsi pu dresser un mât avec le
drapeau algérien et coller des stickers de l’armée algérienne
sur leurs hélicoptères. Ovationné et récompensé à Cannes,
plébiscité par la presse, le film célèbre, à travers la mémoire
des moines disparus, l’homme et la vie. Le film de Xavier
Beauvois ne traite pas de la foi ou de la religion, mais de
l’engagement. Et l’athée comme le croyant et le footballeur, y
trouveront source de réflexion et l’écho de leur propre
existence.
Une scène poignante
Parmi les moines de Tibhirine il y a avait
2 anciens militaires qui ont fait la guerre d’Algérie: Christian
de Chergé, le Père prieur supérieur du monastère qui fut
sous-lieutenant appelé dans un régiment de cavalerie qui a sévi
dans l’Ouest algérien de 1959 à 1961 et le «frère Jean-Pierre»
qui servait au 8e Rpima à peu près à la même époque. Le thème du
sacrifice, voire du martyre, devient peu à peu majeur. La
fiction épouse alors l’histoire, avec la lecture, en voix off,
d’extraits de la lettre-testament du prieur des moines de
Tibhirine, Christian de Chergé, qui aborde cette éventualité
d’une mort violente qu’il n’aurait pas recherchée. Sans montrer
le dénouement de l’histoire, la mort des moines et les
conditions dans lesquelles elle s’est produite, Xavier Beauvois
montre l’essentiel: le choix difficile, fait en conscience par
ces hommes, de rester au monastère et dans cette région, quels
que soient les risques encourus Ce thème du sacrifice culmine
dans une séquence évoquant la dernière Cène: la caméra, dans une
émouvante série de travellings, dépeint le visage des moines,
lors d’un repas qui suit leur décision de ne pas partir.
Accompagnée par la musique du Lac des Cygnes, de Tchaïkovski,
cette scène est considérée, par plusieurs observateurs, comme
l’une des plus poignantes du film.
Nous avons voulu connaître le cheminement du Père supérieur,
Christian de Chergé (1937-1996), religieux français trappiste.
On apprend que Christian de Chergé a passé une partie de son
enfance à Alger où son père est commandant au 67e Régiment
d’artillerie d’Afrique.
Il revient en Algérie en 1959 comme jeune officier, et il se
souviendra toujours d’avoir eu la vie sauve au cours d’une
embuscade grâce à un Algérien qui risqua sa vie pour le sauver:
Mohamed, un musulman garde champêtre, père de dix enfants.
À Christian qui lui avait promis de prier pour lui, Mohamed
avait répondu: «Je sais que tu prieras pour moi. Mais vois-tu,
les chrétiens ne savent pas prier!» «Dans le sang de cet ami,
j’ai su que mon appel à suivre le Christ devrait trouver à se
vivre, tôt ou tard, dans le pays même où m’avait été donné le
gage de l’amour le plus grand.» Après la guerre, il est ordonné
prêtre en l’église Saint-Sulpice de Paris en 1964. En 1984,
l’Abbaye Notre-Dame de l’Atlas devient un simple prieuré. Il en
est élu, en 1984, prieur titulaire. Il avait une connaissance
approfondie et une grande estime pour l’Islam et la culture
arabe, et connaissait en plus de la langue arabe plusieurs
autres langues, dont le latin, le grec et l’hébreu (4).»
Sa vie durant, il n’aura de cesse d’approfondir cette foi dans
une unité entre les deux religions. Il étudiera et méditera les
sourates du Coran relatives à «Jésus, fils de Marie», aux «Gens
du Livre» et aux chrétiens, comparera les termes des deux
religions, les concepts, comme celui de la Miséricorde et du
«Miséricordieux», «Ar Rahman», et «Rahma» Miséricorde (bonté)).
Il travaillera sur un des principaux noms d’Allah, le Dhikr et
sur la parabole des Vierges folles et des Vierges sages. Il
cherchera à percer la clef du mystère de la place de l’Islam
dans le «Mystère du Salut», il aimait commenter cette sourate du
Coran: «Ceux qui sont les plus disposés à sympathiser avec les
musulmans sont les hommes qui disent: «Nous sommes des
chrétiens.» Cela tient à ce que ces derniers ont parmi eux des
prêtres et des moines et à ce qu’ils ne font pas montre
d’orgueil.» (Coran, 5, 82). (4)
Nous sommes troublés en découvrant cette importante dimension
mystique de ces moines qui ont fait voeu de pauvreté, de
compassion devant la détresse humaine et qui, d’une certaine
façon, ont voulu se repentir devant Dieu de la faute de ces
conquérants imbus de la certitude qu’ils appartiennent à la race
supérieure. Les deux films décrivent les deux faces d’un
engagement, celui de l’intellectuel du film Hors-la-loi pour qui
la conduite de la révolution devait primer sur les parcours de
chacun, et celui du religieux qui se place dans une dimension de
sacrifice individuel pour expier une faute celle de la France
coloniale mais aussi une rédemption personnelle qui fait
qu’au-delà des parcours religieux de chacun il y a certainement
de la place pour un lien «une ribat as salem», «un lien de paix»
qu’avait appelé de ses voeux Christian de Chergé. La relation
algéro française est «prise en otage» par ceux qui trouvent leur
compte dans ce flou où chacun y trouve son compte. En France, ce
sera les nostalgériques du «bon temps des colonies» qui arrivent
encore à mobiliser et à être un électorat sur lequel la droite
comme la gauche compte... En Algérie, nous sommes encore englués
dans une vision monolithique et dans l’attente d’une écriture
sereine de l’Histoire trois fois millénaire du pays et dont la
partie concernant le huitième envahisseur qu’a été l’invasion
coloniale attend aussi d’être écrite. C’est à cette condition
que l’on pourra parler de relations apaisées entre l’Algérie et
la France.
1. C.E. Chitour: Hors la loi «coloniale»: Brève histoire d’un
passé qui ne passe pas L’Expression mai 2010
2. Nadjia Bouzeghrane - Gilles Manceron:
«Le film est dénigré pour de mauvaises raisons» El Watan 5 mai
2010
3 Treize ans après, le massacre de Tibhirine suscite toujours le
trouble. Le Monde.fr 11 09 2010
4. Père Christian de Chergé: Encyclopédie libre Wikipédia
Pr Chems Eddine Chitour
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Publié le 14 octobre 2010 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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