Opinion
Sunnites vs
Chiites: La grande fitna est de retour
Chems
Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Samedi 14 janvier
2012
«La guerre,
c'est la guerre des hommes; la paix,
c'est la guerre des idées.»
Victor Hugo
Après le départ des Américains en
décembre 2011 et plus que jamais, les
attentats se multiplient en Irak. Après
trois ans d'une guerre confessionnelle
sanglante, les violences continuent.
Plus d'une centaine de personnes ont été
tuées depuis ce début d'année. On dit
que c'est une guerre confessionnelle
entre chiites et sunnites. Mais est-ce
seulement cela? Ne faut-il pas y ajouter
l'objectif occidental de détruire l'Iran
accusé de soutenir les chiites dans les
pays arabes, notamment en Syrie pays
dans la tourmente et dernier verrou
avant l'Iran? Quelles sont les origines
récentes des longues rancunes entre ces
deux courants religieux?
Chiites et
sunnites, un schisme irréductible
Le chiisme
constitue l'une des trois principales
branches de l'islam avec le sunnisme et
le kharidjisme; il regroupe environ 10 à
15% des musulmans, dont 90% d'Iraniens.
On les trouve dans tous les pays du
Moyen-Orient, notamment en Irak (60%),
Syrie (Alaouite 22%), Bahrein, Arabie
Saoudite (6%) Le chiisme en terme arabe
shi'a désigne à l'origine un groupe de
partisans. Dans le Coran, ce terme est
utilisé plusieurs fois dans ce sens. Par
exemple, dans le verset 28: 15 où les
partisans de Moïse sont décrits par
chiites. Dans son Al-Firaq al-Shî`ah,
Hasan ibn Musa al-Nawbakhti, savant
chiite, écrit: «Les chiites sont les
partisans de Ali. Ils sont appelés «les
chiites de Ali» et croient en son
Imamat.» Une tradition prophétique
(rapportée par les sunnites que les
chiites) le soutient: «Je suis la cité
du savoir, Ali en est la porte. Celui
qui veut le savoir ainsi que la sagesse
qu'il passe donc par la porte.» (1)
Le sunnisme vient du mot sunna,
c'est-à-dire la tradition du Prophète,
qui comprend ses paroles, ses actes et
ses pratiques. Ils considèrent que le
Coran (la parole divine) a été révélée
et que l'univers et l'histoire sont
prédéterminés. Le cycle de la prophétie
s'est clos avec la mort du Prophète (Qsssl).
Les chiites affirment également suivre
la sunna du Prophète (Qsssl), mais ils
rejettent la législation des premiers
califes et de certains compagnons, qui a
selon eux gravement altéré la véritable
sunna du Prophète (Qsssl). Le conflit de
succession a engendré une scission
fondamentale au sein de l'islam: d'une
part, les chiites reconnaissent Ali
comme premier successeur légitime de
Mahomet. Avec ses deux fils - Hassan et
Hussein - qui lui succédèrent, a
commencé pour les chiites la lignée des
imams. De l'autre, les sunnites
majoritaires ne voient en Ali que le
quatrième calife. Les particularités
doctrinales et les différences
théologiques entre ces deux courants
reposent donc sur une querelle politique
de succession. Le destin tragique de
Hussein secoue une partie de la
conscience musulmane et provoque une
détermination à combattre jusqu'au bout
pour un idéal de pouvoir juste et
respectueux des principes fondamentaux
de l'islam. Le martyre devient un
symbole de la lutte contre l'injustice,
selon le credo chiite. Chaque dixième
jour du mois lunaire de Mouharram, les
chiites commémorent cette mort par des
chants funèbres où ils se frappent la
poitrine en signe de deuil et pour
certains, de manière sanglante en se
flagellant en signe de contrition.».(1)
L'Irak actuel
Pour Pierre-Jean
Luizard directeur de recherche au Cnrs,
« lorsque l'on parle de courants
religieux en Irak, on parle avant tout
de communautés. Les deux principales
communautés musulmanes sont les chiites,
majoritaires avec 55% de la population,
et les sunnites qui sont, à parité avec
les Kurdes, aux alentours de 20%
chacune. Ici, nous avons un conflit
entre deux populations antagonistes pour
des raisons historiques et sociales.
Cette violence est le résultat de
siècles de domination de la part de la
minorité sunnite au sein des
institutions, depuis l'époque ottomane
jusqu'à la fin du régime de Saddam
Hussein. L'Irak est actuellement
caractérisée par une Constitution et des
institutions qui ont été décidées dans
une période où le pays n'était pas
réellement souverain. (...) Le processus
politique est faussé par une vraie
tromperie: on a confondu majorité
démographique avec majorité
démocratique. Les chiites votent pour
les chiites. Les sunnites, d'abord
exclus, ont ensuite voté pour une liste
sunnite. Les échanges n'existent
pas.»(2)
« Il faut revenir aux origines de la
domination politique et sociale des
sunnites dans la société arabe de
l'Irak. Elle est liée à l'histoire du
peuplement de ce pays. La plupart des
Arabes d'Irak sont des nouveaux venus,
originaires pour la majorité, de tribus
sunnites qui ont migré depuis la
péninsule arabique et se sont
sédentarisées. Dans l'univers bédouin,
la sédentarisation a été assimilée à un
processus d'asservissement des
sédentaires par les nomades ».(2)
L'échec du
sunnisme
« Les sédentaires
ont rejoint des communautés chiites
tandis que les dernières tribus nomades,
des grandes confédérations tribales,
sont devenues les familles régnantes.
Ces classes dominantes étaient les
relais locaux de l'Empire ottoman,
porte-étendard du sunnisme à l'époque.
En 1920, les Anglais se sont reposés sur
ces élites. Le système, malgré les
révoltes et les révolutions successives,
a toujours maintenu le monopole du
pouvoir, notamment militaire, entre les
mains des sunnites. Les chiites, eux,
sont restés constamment exclus. Ils se
sont rattrapés dans le domaine
économique. La guerre confessionnelle
qui a ravagé l'Irak entre 2005 et 2008
est un phénomène totalement nouveau.»(2)
On le voit les morts se comptent par
dizaines. Le 5 janvier cinq attaques
visant des chiites, dont quatre dans des
quartiers habités par cette communauté à
Baghdad, ont fait au moins 67 morts et
près de 140 blessés jeudi en Irak,
rapportent les autorités. (...) Pour
rappel à la mi-décembre, le chef du
gouvernement a demandé au Parlement de
voter une motion de défiance contre le
vice-Premier ministre Saleh al Moutlaq.
Un mandat d'arrêt a par ailleurs été
émis à l'encontre du vice-président
Tareq al Hachemi, accusé de diriger des
escadrons de la mort. Moutlaq et Hachemi
sont des dirigeants d' «Irakia», un bloc
laïque soutenu par les sunnites. Premier
groupe représenté au parlement, «Irakia»
a accepté il y a un an un accord de
partage du pouvoir censé réduire les
tensions interreligieuses mais se plaint
aujourd'hui d'être mis à l'écart par le
chef du gouvernement.(3)
Le nouvel incident est l'accusation du
vice-président irakien sunnite Tarek al
Hachemi de fomenter un complot: des
attentats et des assassinats contre des
officiels irakiens.
Le chef de l'Etat irakien Djalal
Talabani et le président du Parlement
Ossama al Noudjaifi ont tenté de trouver
une issue à la grave crise politique qui
touche l'Irak, estimant qu'il
appartenait à la justice de déterminer
les charges pesant contre le sunnite
Tarek al Hachemi, accusé par le Premier
ministre chiite Nouri al Maliki d'avoir
orchestré des attentats et des
assassinats contre des officiels
irakiens. L'organisation d'une
conférence nationale réunissant tous les
partis politiques afin d'apaiser les
tensions est prévue. Maliki, qui dans
l'accord de partage du pouvoir entre les
différents groupes religieux représente
la majorité chiite, a souhaité
l'arrestation de Hachemi et le limogeage
de son adjoint Saleh al Moutlak qu'il
accuse d'avoir commandité des escadrons
de la mort contre des officiels
gouvernementaux et des services de
sécurité. Le chef du parti sunnite
Irakia, Iyad Allaoui, a expliqué sur la
chaîne de télévision Al Arabiya que le
gouvernement avait modifié sa version
des faits sur la manière dont avait été
conduite l'enquête visant Hachemi.
(...)» (4)
Pour rappel, l'Irak avait fait la guerre
à l'Iran en 1980 pour freiner la
révolution chiite iranienne avec
l'argent des roitelets du Golfe. Une
fois la guerre finie -les deux pays sont
sortis exsangues. Il faut rappeler
qu'ils ont été ravitaillés en armes par
les Occidentaux, souvenons-nous de l'Irangate-
Ce fut la première attaque frontale du
sunnisme contre le chiisme. La 3e guerre
du Golfe déclenchée sous le faux
prétexte des ADM, a éliminé Saddam, fait
1 million de morts et ouvert la boite de
Pandore de la fitna...au détriment du
sunnisme.
Comme l'écrit justement, F. Coulon: «Le
monde musulman n'a jamais été aussi
divisé que depuis la chute de Saddam
Hussein. (...) Les Saoudiens ne
comprennent pas et refusent d'admettre
que l'ordre sunnite arabe ait échoué au
XXe siècle. (...) Le nationalisme
sunnite a démontré pendant les guerres
du Liban et d'Irak son incapacité à
unir, il n'a en effet ni réunifié les
Arabes ni repris un seul pan de
territoire à Israël. (...) Le chiisme
s'est bien mieux adapté au XXIe siècle.
Dans l'intériorisation du Coran déjà, se
dévoilent des différences entre chiites
et sunnites. Le chiite n'a pas le droit
d'interpréter le Coran tout seul. Il lui
faut l'aide et l'intercession d'une
autorité. Le chiite ne lit pas
littéralement le Coran, il doit
l'étudier pendant des années de
formation classique, non exempte
d'autres disciplines. Dans l'islam
sunnite au contraire, il n'existe pas de
hiérarchie. (;..) Un sondage Zogby de
2008, montrait que les trois figures les
plus populaires au Moyen-Orient, ne sont
pas sunnites: Hassan Nasrallah -chef
chiite du Hezbollah; Bachar al-Assad
-président alaouite de la Syrie; Mahmoud
Ahmedinejad -président chiite d'Iran.
(...) »
« Dans cinq guerres majeures, 1948,
1967, 1973, 1982 et 2003, l'ordre
sunnite arabe apparaît comme le grand
vaincu. La guerre du Liban dura 18 ans,
déchira toutes les parties politiques et
religieuses du pays jusqu'à l'ascension
d'un certain Hezbollah. Israël se retire
du Liban en 2000. (...) A 65% chiite,
l'Irak allait être mise dans l'ombre de
l'Iran. Irrémédiablement.
L'Irak une fois débarrassé de Saddam
Hussein, de son armée et de sa police
secrète, le «bouclier sunnite arabe»
s'est mué en un gouffre, que l'Iran a su
remplir promptement, en toute discrétion
pendant l'occupation
américano-britannique. (...) Le retour
des chiites fut diffus: ce n'étaient pas
seulement les lieux de pélerinage
chiites comme Nadjaf ou Kerbala qui
furent visés mais aussi les nouveaux
services de sécurité irakiens, l'armée,
la police et le gouvernement.(...)» (5)
«Les années 2000 et 2001 restent le vrai
tournant pour le monde musulman. Le
Liban démontrait que les Arabes ne
parvenaient pas à s'unir, entre alliés
extérieurs, et même entre tribus ou
factions différentes. Le Hezbollah
allait coiffer tout le monde en battant
sur le terrain Israël. » (5)
« Et la situation actuelle irakienne
conclut F. Coulon est là pour rappeler
que la désunion est féroce. Liban et
Irak ont affaibli la diplomatie sunnite
ainsi que son pouvoir au sein du monde
musulman. (...) L'acteur encore bien
debout reste l'Arabie Saoudite! Déjà
tributaire de la présence de la flotte
américaine comme bouclier, l'Arabie
Saoudite est en outre diminuée: la
cooptation des Alaouites en Syrie, par
l'Iran a conduit à une rupture entre
Saoudiens et Syriens. (...) En cas
d'invasion, les Etats du Golfe seraient
incapables en effet, de se faire justice
seuls. Stratégiquement, le point central
reste Bahreïn, la flotte américaine y a
établi sa base navale. Si Bahreïn saute
un jour, c'est la porte ouverte pour
l'Iran, sur un plan militaire.» (5)
A juste titre, René Backman parle d'une
nouvelle guerre froide. Il écrit: «De
Kaboul à Beyrouth en passant par Baghdad,
les signes se multiplient depuis
quelques mois d'un réchauffement de la
guerre froide entre sunnites et chiites.
En Afghanistan, une décennie de
relations enfin apaisées entre les
Hazaras - qui constituent l'essentiel de
la minorité chiite - et les autres
groupes ethniques a volé en éclats le 6
décembre, lorsque trois attentats visant
des chiites, au terme des célébrations
sacrées de l'Achoura, ont fait 63 morts.
D'autant que les attaques ont été
revendiquées par un groupe djihadiste
sunnite lié au Pakistan et à Al Qaîda.
Dans le Golfe, Riyadh qui voit
l'influence de Téhéran derrière les
revendications inspirées par les
révoltes de Tunis et du Caire, a envoyé
son armée au secours de la monarchie
sunnite de Bahreïn dont les sujets, en
majorité chiites, réclamaient des
réformes démocratiques. Bastion du
sunnisme wahhabite, l'Arabie Saoudite,
qui a brutalement réprimé les émeutes
dans sa province de Hassia, largement
peuplée de chiites, s'inquiète des
ambitions nucléaires de l'Iran et accuse
Téhéran d'avoir voulu assassiner son
ambassadeur à Washington».(6)
«En Irak, la coexistence entre le
Premier ministre chiite Nouri Kamal al-Maliki,
proche de l'Iran, et les élus de la
minorité sunnite n'a pas survécu au
départ des derniers soldats américains
et à l'autoritarisme du chef du
gouvernement qui entend marginaliser
sunnites, kurdes et laïques. Deuxième
groupe parlementaire du pays, Iraqiya,
où coexistent sunnites et laïques, a
décidé de boycotter le gouvernement et
le Parlement. Au nord du Yémen, c'est
l'aviation de Riyadh qui a contenu la
révolte des zaïdites, branche locale du
chiisme. Au Liban, chambre d'écho de la
crise syrienne après trente ans de
tutelle de Damas, les dirigeants des
deux communautés, hantés par le souvenir
de la guerre civile, appellent à l'unité
nationale. Dominé par les chiites du
Hezbollah, alliés de la Syrie et de
l'Iran, le gouvernement affirme sa
volonté de «ne pas s'ingérer» dans les
affaires du voisin. Les tensions dans
l'«arc chiite» montrent que l'Iran, dans
le chantage stratégique régional qui
s'amorce, dispose de plusieurs
cartes(6).
Dans une tentative d'enfoncer le clou
entre les différentes communautés
syriennes, le chef d'Etatmajor, Benny
Gantz, a annoncé qu' «Israël» se
préparait à accueillir des réfugiés
syriens essentiellement de confession
alaouite.«La chute d'Assad portera
préjudice à la communauté alaouite.».
Pour Gantz, «la chute du régime syrien
aura des répercussions importantes
géopolitiques sur la région puisqu'elle
brisera l'axe
Iran-Syrie-Hamas-Hezbollah.(7)
Les musulmans s'étripent. L'Iran risque
d'être attaqué avant la fin du mandat d'Obama
mais le pétrole coule toujours et c'est
cela le principal. On le voit, le puzzle
se recompose. L'Arabie Saoudite s'est
dotée auprès des Américains pour 30
milliards de dollars de matériel de
guerre. Les chiites de Bahrein ont été
matés.
Les Syriens sont dans la tourmente et
des bruits de bottes se font entendre
dans le détroit d'Ormuz. On dit même
qu'une «coalition» du type de celle de
1991 - à laquelle participeront tous le
Etats du Golfe surtout pour le symbole -
avec cette fois-ci en prime, Israël se
prépare à normaliser l'Iran. Décidément,
cette année 2012 sera celle du chaos
«réorganisateur». Il est de ce fait à
craindre que la grande fitna (
mésentente) qui a fait tant de mal, dans
l’histoire à l’unité du monde musulman
soit de retour , catalysée cette fois-çi
de l’extérieur pour le plus grand bien
de l’empire et de ses vassaux
1. Le chiisme: Encyclopédie Wikipédia
2. Pierre-Jean Luizard
http://www.atlantico. fr/decryptage/irak-sunnites-chiites-pourquoi-detestent-autant-terrorisme-guerre-histoire-pierre-jean-luizard-261870.html
3. S. al-Salhy, K.: Raheem: Vague
d'attentats anti-chiites en Irak, 67
morts Reuters 5 01 2012
4. Pierre Sérisier: Suadad al-Salhy
Reuters 27 déc. 2011
http://fr.news.yahoo.com/les-dirigeants-irakiens-tentent-r%C3%A9soudre-la-crise-hachemi-220041597.html
5. F. Coulon: L'ordre sunnite arabe
rompt devant les chiites 25 décembre
2010 http://laterrevuedemars.
blog.lemonde.fr/
6. R. Backmann.Chiites-sunnites: une
coexistence qui vole en éclats: Nouvel
Obs 09-01-2012
7.Al Manar: ´´Israël´´ dit se préparer à
accueillir des réfugiés syriens
alaouites 11/01/2012
Professeur
Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 15 janvier
2012 avec l'aimable autorisation de
l'auteur
Le sommaire du Pr Chems Eddine Chitour
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