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L'EXPRESSIONDZ.COM
LES CHRÉTIENS D'ORIENT
Des citoyens arabes à part
entière ou entièrement à part ?
Chems Eddine
Chitour
Bethlehem
Jeudi 13 janvier 2011
L’Occident a instrumentalisé
indifféremment, au gré de ses intérêts, les Chrétiens d’Orient
et les musulmans.
Encore une fois, les croyants, qu’ils
soient chrétiens ou musulmans, sont appelés à s’entre-tuer sous
le regard intolérant d’un Occident qui instrumentalise le sacré
pour arriver à ses fins; s’y ajoutent aussi trois paramètres
importants: le prosélytisme des évangélistes qui fait de plus en
plus de dégâts, les ingérences du pape en faveur des chrétiens
et enfin les intrigues en sous-main du sionisme chrétien pour
qui les dissensions entre chrétiens et musulmans sont du pain
bénit sur tous les plans. Les ingérences occidentales ont généré
une réaction extrémiste dans «la galaxie Ben Laden» dont on se
demande comment il arrive à gérer et à se déployer partout en
semant la terreur. Le 31 décembre, l’Eglise copte d’Alexandrie a
fait l’objet d’un attentat qui a fait des dizaines de morts. Cet
attentat affreux et condamnable et semblable aux dizaines
d’autres attentats qui endeuillent le Moyen-Orient, a provoqué
la colère des Egyptiens de confession chrétienne, les Coptes
mais aussi des autorités religieuses musulmanes. Le président de
l’Union mondiale des Ouléma, Cheikh Youssouf Al Qaradawi a
condamné très fermement l’attentat contre l’église copte d’Al
Kidissine à Alexandrie. En des termes très clairs, il a
renouvelé les condamnations qui avaient émané d’autres autorités
officielles de l’Islam au Moyen-Orient, notamment du Cheikh d’Al
Azhar, Ahmad Al Tayeb.
Les clameurs indignées en Occident ne se sont pas faites
attendre. On diabolise les autres citoyens égyptiens musulmans
comme on a diabolisé les autres irakiens. Cette compassion a
géométrie variable a mobilisé l’Occident et la papauté. Comme le
faisait remarquer l’anthropologue Hosham Dawod dans Le Monde du
10 novembre 2010, «Chrétiens d’Irak: ne choisissons pas nos
victimes!», à propos de l’accueil de réfugiés irakiens chrétiens
en France: «La décision prise le 2 novembre d’accueillir sur le
sol français 150 chrétiens victimes de l’attentat de Baghdad du
1er novembre (...) est à cet égard emblématique. Sous les traits
d’une démarche humanitaire, c’est choisir ses victimes. (...)
[car au même moment], une vingtaine de voitures piégées ont
explosé dans divers quartiers de Baghdad, faisant des centaines
de victimes. Et, depuis, cela n’a pas provoqué la même
compassion. »
Qui sont ces Arabes chrétiens d’Orient?
Les Coptes sont des Egyptiens, le mot copte veut dire égyptien.
Comme le dit le livre des Actes des Apôtres, le jour de la
Pentecôte, il y avait des Egyptiens à écouter les apôtres et
Saint Pierre. La tradition fait remonter à Saint Marc
l’évangélisation du pays, à son voyage à Alexandrie.
Aujourd’hui, la présence chrétienne en Egypte se chiffre dans
les 8 millions sur les 80 millions d’habitants. Dans une superbe
contribution, René Naba dresse le portrait des Arabes chrétiens.
Ecoutons-le: «Situés à l’épicentre du conflit entre Islam et
Occident, perçus tantôt comme passerelle entre deux mondes
tantôt comme les supplétifs d’une cinquième colonne d’une
nouvelle croisade contre l’Islam, au gré des exacerbations des
conflits entre les deux rives de la Méditerranée (...).
Singulier est le destin de ces chrétiens originels, de ces
chrétiens des origines de la chrétienté, dits «chrétiens
d’Orient», ballottés entre Orient et Occident, tiraillés entre
leur appartenance socioculturelle arabe et la communion
religieuse qui les lie à l’Occident, entre leur communauté de
destin avec leurs compatriotes de confession musulmane et leur
communauté de croyance avec les Occidentaux. Environ 13 millions
de chrétiens. Selon les estimations les plus généralement
admises. Les chrétiens dans le Monde arabe appartiennent à une
douzaine d’Églises différentes(...) une communauté riche d’une
histoire prestigieuse, d’un patrimoine ancestral, d’une
expertise irremplaçable.(1)
Il cite ensuite les causes qui fragilisent l’entente
intercommunautaire «La judaïsation rampante de la Palestine,
l’implosion de l’Irak du fait américain, auparavant la guerre
inter-factionnelle du Liban, l’instrumentalisation de l’Islam à
des fins politiques contre le courant nationaliste à l’apogée de
la guerre froide soviéto-américaine (1950-1990), la montée en
puissance des islamistes en Egypte, les manifestations contre
les caricatures de Mahomet (publiées dans des pays «chrétiens»),
l’isolement iranien depuis la crise nucléaire ont aggravé la
marginalisation de ces minorités au point que cette présence
bimillénaire risque d’être balayée par le vent de l’histoire,
victime de la radicalisation des crispations
transméditerranéennes. René Naba nous parle ensuite d’une façon
spécifique entre ceux qui prônent l’altérité et la nécessité de
construire l’Etat libanais à l’image de Emile Lahoud ou du
général Michel Aoun et ceux tentés par le choc des religions,
sensibles au chantre des sirènes de l’Occident qui n’a cessé de
s’ingérer depuis Saint Louis «protecteur auto-proclamé» des
Maronites, «L’alliance des milices chrétiennes des Forces
libanaises. Avec Israël, l’ennemi officiel du Monde arabe,
constituera l’un des points noirs de l’histoire de la chrétienté
arabe, et les chefs de cette équipée suicidaire, (...) Le
soutien constant manifesté, en dépit de leurs turpitudes, aux
Forces libanaises, ordonnateurs de la collaboration avec Israël,
par le patriarche Nasrallah Sfeir a valu au chef de l’Eglise
maronite le titre désobligeant de «patriarche de la désunion».
(...) Du magma libanais, un homme se distinguera, toutefois, à
distance: l’exilé de Paris, Raymond Eddé, figure de proue des
Chrétiens modérés, l’antithèse des chefs de guerre. En 1975, il
se dressera contre la partition du Liban, projet qu’il prêtera à
Henry Kissinger, secrétaire d’Etat américain, dont il dénoncera
quotidiennement les menées. (...) Protectrice des chrétiens
d’Orient, la France a institutionnalisé et instrumentalisé le
communautarisme tant au Liban que dans l’ensemble des pays sous
son mandat, au mépris du principe de la laïcité et de la
séparation de l’Eglise et de l’Etat. Tous les grands exodes des
chrétiens d’Orient auront été consécutifs à des opérations
occidentales. Il en a été de la création d’Israël, comme de la
guerre civile interlibanaise, comme de l’invasion américaine de
l’Irak. Au vu de ce bilan, la conclusion s’imposait sans appel,
à savoir que les chrétiens arabes auront toujours été les grands
sacrifiés au bénéfice de la stratégie israélo-américaine et
qu’il importait désormais que le sort des chrétiens arabes soit
scellé dans son ancrage avec son environnement arabe, tant il
est vrai que les chrétiens arabes n’ont pas vocation à devenir
une diaspora complémentaire des diasporas dans les pays
occidentaux, à titre de vestige d’une civilisation
perdue.(...)»(1)
Même à Ghaza
Les chrétiens d’Orient, écrit Alain Gresh, ne constituent pas
une «ethnie»: rien ne les différencie de leurs compatriotes, ni
la langue ni la culture, ni la plupart des traditions. Ils sont
une partie intégrante de l’Orient arabe et ils ont contribué de
manière importante aux mouvements de renaissance du XIXe siècle,
à la création du nationalisme arabe. L’affaiblissement de ce
nationalisme, auquel l’Occident a largement contribué, a
favorisé l’émergence d’un discours islamiste, aux tendances
multiples, qui a amené chaque minorité à s’organiser sur un mode
confessionnel (...)»(2)
Pour Hayat Huwaik Atiya, «c’est l’Occident, dit -elle, qui est
le générateur historiquement du racisme et du sionisme avec tous
les résultats connus et notamment ceux que cet Occident exerce
depuis des décades contre le Monde arabe pour saper cette
cohésion sociale et religieuse dans le Monde arabe. L’Occident
n’a jamais cessé de faire des plans et des luttes
géostratégiques pour saper l’unité arabe et la richesse de sa
diversité religieuse. (...) En conséquence, Votre Sainteté,
sachez que nous - Arabes chrétiens - nous ne sommes une minorité
en aucune façon, tout simplement parce que nous étions des
Arabes chrétiens avant l’Islam, et que nous sommes toujours des
Arabes chrétiens après l’Islam.
Nous n’avons besoin d’aucun protectorat occidental.»(3)
Qu’en est-il de l’attitude du Hamas envers les minorités
chrétiennes de Palestine? Michel Sabbah, patriarche mettait en
garde contre l’idée trop souvent relayée en Occident d’une
hostilité grandissante des sociétés majoritairement musulmanes
envers les populations chrétiennes. Lucide, il reconnaissait que
certains «incidents individuels entre musulmans et chrétiens
peuvent parfois prendre une dimension communautaire» mais tout
en ajoutant qu’en «Palestine, cela n’est jamais allé plus loin.
Aucun massacre, aucun attentat contre les églises, aucune
persécution ouvertement antichrétienne» avant de conclure que
«même à Ghaza, les chrétiens sont protégés par le Hamas, souvent
présenté comme une organisation terroriste». Autre illustration
de cette harmonie, qui se rappelle aujourd’hui qu’une femme
chrétienne avait été nommée maire de Ramallah en 2005 et qu’un
député chrétien avait été élu sous la bannière du Hamas lors des
élections législatives palestiniennes de janvier 2006?(4)
Pour l’histoire, les ingérences occidentales ont de tout temps
existé. On situe les premières luttes conte l’Islam au
déclenchement des croisades par le pape Urbain II. Pendant près
de deux siècles et demi et d’une façon continue, huit croisades
eurent lieu.La relève européenne fut reprise par la Reconquista
qui bouta hors d’Espagne, sur près d’un siècle, plus d’un
million d’Andalous (musulmans et juifs) qui furent accueillis au
Maghreb. Après les luttes de l’Empire ottoman, le tournant fut
donné par la prise de Constantinople. A partir de cette date, le
Monde musulman entame un déclin depuis plus de trois siècles et
tout le XIXe siècle vit le dépeçage de l’Empire ottoman:
«L’homme malade de l’Europe» selon Bismarck. Toutes les
provinces périphériques lui furent arrachées (Bulgarie,
Grèce..). En Syrie, un moutassaref chrétien fut imposé au sultan
ottoman par les Français et les Anglais pour gérer les affaires
des chrétiens après les émeutes de Damas en 1856. Sarkozy en a
fait allusion le 8 janvier en présentant ses voeux aux Coptes,
et a parlé du rôle exemplaire de l’Emir Abdelkader qui a sauvé
d’une mort certaine les chrétiens de Damas au nombre de 10.000.
Cette ingérence de l’Occident se poursuit de nos jours. Nous
apprenons que les Evangélistes ne reculent devant rien. On dit
qu’ils ont été embarqués sur les chars américains en Irak et
qu’ils passaient d’un mourant à un autre pour leur donner
l’extrême onction. Tandis que le Synode des Evêques pour le
Moyen-Orient se déroulait au Vatican, en octobre 2010, une autre
réunion de quelque 4 200 missionnaires évangéliques, préparée
par le Comité de l’Evangélisation mondiale, se passait à la même
période, à Cape Town, en Afrique du Sud, ayant aussi pour thème
cette hystérique «évangélisation du monde», (...) A noter que
cette déclaration Michée est issue du Réseau Michée, constitué
d’un groupe de plus de 330 organisations chrétiennes actives
émanant de 81 pays. Est-il lieu d’ajouter que le budget de
l’évangélisation en 2009 comprenait le chiffre de 370 milliards
de dollars?!(5)
Pour mémoire, l’Occident a instrumentalisé indifféremment, au
gré de ses intérêts, les Chrétiens d’Orient et les musulmans.
Souvenons-nous que les taliban et Ben Laden sont une création
des services secrets américains, anglais et pakistanais dans les
années 1980 pour détruire l’empire soviétique en Afghanistan.
Une analyse lucide nous est donnée par le site du Parti des
indigènes de la République. Nous lisons: «Depuis l’intervention
franco-britannique au Liban en 1860, destinée à préparer le
démantèlement de l’Empire ottoman en 1920, jusqu’à la dernière
invasion états-unienne de l’Irak en 2004, l’impérialisme
occidental a toujours su poursuivre le même objectif: exploiter
voire créer de toutes pièces des problèmes communautaires au
Moyen-Orient, utiliser telle communauté contre telle autre,
mettre en place des régimes corrompus dictatoriaux empêchant la
réalisation de projets rassembleurs et émancipateurs; le tout
devant aboutir à imposer dans la région des mini Etats à base
religieuse ou ethnique, à sa dévotion. Ce n’est pas autrement
que furent créées l’entité sioniste Israël, pilier colonial et
gendarme principal du système régional impérialiste, ainsi que
les minimonarchies pétrolières du Golfe.»(6)
Sionisme chrétien
Quelles sont les conséquences des multiples ingérences
occidentales et sionistes?Les chrétiens d’Orient sont considérés
par les islamistes, comme «des croisés» au même titre que les
Américains auxquels ils sont identifiés. C’est le signal
d’alarme qu’avait tiré en 2006 Sa Béatitude le Patriarche Michel
Sabbah et d’autres personnalités religieuses. Le programme
sioniste chrétien propose une conception du monde dans laquelle
l’Evangile s’identifie avec l’idéologie impérialiste,
colonialiste et militariste. Dans sa forme la plus extrême, il
met l’accent sur des événements eschatologiques qui mènent à la
fin de l’histoire plutôt qu’à l’amour et à la justice vivants du
Christ. «Nous rejetons catégoriquement les doctrines du sionisme
chrétien (...). Nous rejetons encore davantage l’alliance
actuelle entre les dirigeants sionistes chrétiens et des
organisations dont font partie des membres du gouvernement
d’Israël et des Etats-Unis, qui imposent à présent, de manière
unilatérale et anticipée, leurs frontières et leur domination
sur la Palestine. Nous rejetons les enseignements du sionisme
chrétien (...) Ces actes de discrimination transforment la
Palestine en ghettos de pauvreté entourés par des implantations
exclusivement israéliennes. La construction du Mur de Séparation
sur une terre palestinienne confisquée, ébranlent la viabilité
de l’Etat palestinien ainsi que la paix et la sécurité de toute
la région. (7)Pour que la lutte commune contre l’intégrisme
puisse être mise en route, écrit René Naba, il importe que la
chrétienté d’Orient opère un repositionnement sur son
environnement arabe, renonçant à son alignement inconditionnel
sur les pays occidentaux, symétriquement à une démarche de
l’Islam sunnite, dominant dans le Monde arabe et musulman, de
s’appliquer, parallèlement, ses propres préceptes qui firent sa
gloire et sa réussite du temps de la conquête arabe, un principe
de saine gouvernance dans une société pluraliste, lointaine
préfiguration de la séparation de l’Eglise et de l’Etat,
fondement du principe de la laïcité, à savoir: Ad Dine Lillah
Wal Watan Li Jamih (La religion relève de Dieu et la Nation
appartient à toutes les composantes de sa population).
Les Chrétiens arabes d’Orient sont des citoyens à part entière
et leur force viendra de leur attachement à leur terre, qui
transcendera leur confession. Ceci leur permettra de déjouer
toutes les manoeuvres visant à les diviser.
1.René Naba:Le singulier destin des chrétiens arabes (1/2) Site
Oumma.com18 octobre 2010
2.Alain Gresh: L’attentat d’Alexandrie, Le Monde diplomatique.
4.01.2011
3.Hayat Huwaik Atiya: Lettre ouverte des Chrétiens arabes du
Machrek à Sa Sainteté le Pape.
4.Nabil Ennasri: Cheikh Al Qardawi, les chrétiens d’Orient
Oumma.com 6 janvier 2011
5.Zeinab Abdelaziz:L’Afrique, les Congrès de Lausanne, et
l’évangélisation. Lundi 3.01.2011
6.A qui profite le meurtre de nos frères chrétiens d’Égypte? Le
PIR, 6 janvier 2011
7.http://marthetmarie.lifediscussion.net/vie-d-eglise-f8/sionisme-chretien-sa-condamnation-t202.htm?highlight=condamnation
Eglise universelle - 19 février 2010
Pr Chems Eddine Chitour,
Ecole nationale polytechnique
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Publié le 13 janvier 2011 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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