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L'EXPRESSIONDZ.COM
LE NOBEL À OBAMA
Un acompte pour une belle utopie
Pr Chems Eddine Chitour
Barack Obama
Lundi 12 octobre 2009 «Le prix de la paix
récompense la personnalité ayant le plus ou le mieux contribué
au rapprochement des peuples, à la suppression ou à la réduction
des armées permanentes, à la réunion et à la propagation des
progrès pour la paix.» Alfred Nobel (testament)
Vendredi 9 octobre, jailli de nulle part, doublant tous les
«nominés» au Nobel de la paix, Barack Obama se voit décerné le
Nobel de la paix. Parmi les «faits d’armes» du nouveau président
américain, Thorbjoern Jagland a aussi relevé son engagement dans
la lutte contre le changement climatique. «Obama a, en tant que
président, créé un nouveau climat dans la politique
internationale. La diplomatie multilatérale a regagné une
position centrale, avec un rôle accru accordé aux Nations unies
et aux autres institutions internationales. (...) Rarement une
personne a, comme l’a fait Obama, capturé l’attention de la
planète et donné à sa population l’espoir d’un avenir meilleur»,
a ajouté le président du Comité norvégien.
Barack Obama est le 21e Américain et le quatrième président des
Etats-Unis à obtenir le prix Nobel de la paix: Théodore
Roosevelt en 1906, Woodrow Wilson, en 1919, pour avoir fondé la
Société des Nations, et Jimmy Carter en 2002, pour ses efforts
en faveur de la paix. Dans une brève déclaration depuis la
Maison-Blanche, le président américain Barack Obama a déclaré
accueillir «avec surprise et une profonde humilité» le prix
Nobel de la paix, jugeant ne pas avoir mérité cette distinction
par rapport aux lauréats antérieurs.
Incrédulité
Pour l’histoire, le Nobel de la paix a un passé tumultueux.
L’écrivain Stefan Zweig raconte que Florence Nightingale aurait
été à l’origine de la fondation de ce prix en convaincant Alfred
Nobel de réparer «le mal qu’il avait causé avec sa dynamite».
Curieusement, le produit de la vente de la dynamite, qui
continue à tuer dans le monde, sert de faire-valoir à un Prix
pour la Paix, la paix... des cimetières. Les nominations sont
normalement tenues à rester secrètes durant 50 ans. Plusieurs
d’entre elles sont désormais connues et médiatisées, notamment
celles comprises entre 1901 et 1955. Quand certaines de ces
listes ont été révélées à la presse, on a pu découvrir qu’Adolf
Hitler avait été un temps nommé en 1939 par Erik Brandt, membre
du Parlement suédois. D’autres propositions de ce genre ont été
soumises au Comité telles que Benito Mussolini (en 1935) ou
encore Joseph Staline (en 1945 et en 1948).
De fait, plusieurs récompenses ont été attribuées sans prendre
en compte le passé du lauréat ou sa politique et ses actes
intermédiaires souvent en contradiction avec la définition du
prix. Ceci a largement remis en doute la crédibilité, voire la
légitimité de la distinction lorsqu’elle est revenue à des
personnalités telles que Theodore Roosevelt, Anouar el-Sadate,
Menahem Begin, Shimon Peres, Yitzhak Rabin, Yasser Arafat, Lê
Duc Tho et Henry Kissinger: choix aussi sulfureux que
controversés. L’autre critique importante faite aux jurés du
Nobel concerne l’omission notable, dans ses palmarès d’individus
dont les contributions pour la paix ont été unanimement saluées.
La liste des grands oubliés comprend, notamment le Mahatma
Gandhi dont l’éviction a été vivement critiquée, y compris dans
les déclarations publiques de plusieurs membres du Comité. (...)
Le dernier et important reproche fait au Nobel concerne
l’efficacité et la valeur réelle de cette récompense lorsqu’elle
est revenue à des personnalités dont les efforts diplomatiques
ont été jugés aussi «vains» que «stériles», à l’instar de
l’ancien président des États-Unis Jimmy Carter, de Kofi Annan ou
de Mohamed El Baradei. S’agissant de Al Gore accusé de
propagande dans son film Une vérité qui dérange, en
Grand-Bretagne un parent d’élève a attaqué le ministre de
l’Education qui avait projeté ce film dans les écoles au motif
que c’est une façon de voir les changements climatiques. Le
ministère a dû corriger le tir en prévenant avant chaque
projection les limites de ce film qui ne présente qu’un aspect
de la réalité, celui d’attribuer l’augmentation de la
température à la pollution par le CO2
Comment cette nouvelle fut accueillie aux Etats-Unis? D’abord,
il y a eu l’incrédulité. «La première réaction de beaucoup de
gens, c’est: Vous plaisantez?», renchérit le blog Future of
Capitalism. Eh bien, c’est le temps qu’il a fallu pour m’arrêter
de rire», s’esclaffe Daniel W. Drezner. «Je ne ris pas d’Obama.
Je ris des crétins du Comité Nobel qui ont fait ce choix qui
dévalue encore un prix qui l’était déjà», nuance-t-il cependant.
Dans ce concerto en bémols majeurs, l’éloge de Crooked Timber
(«le président Obama a changé la façon dont le monde voit
l’Amérique. Il a remonté le moral de la planète. Ce type, c’est
du Prozac mondial») paraît bien isolé. Heureusement pour la
Maison-Blanche et le Comité Nobel, certains blogueurs ont déjà
suggéré des solutions pour réparer ce choix étrange. «Le Comité
devrait peut-être lui donner la moitié du prix maintenant et
garder l’autre jusqu’à ce qu’il ait accompli au moins une de ses
missions cruciales», suggère l’ancien secrétaire au Travail
Robert Reich, qui a manifestement vu trop de films où un mafieux
donne seulement la moitié de la somme promise à son homme de
main avant d’exécuter un contrat.
Lech Walesa, qui a dirigé dit-on, le syndicat autonome
Solidarnosc au début des années 1980, se permet de juger de
l’octroi du Nobel de la paix à Obama: «Qui, Obama? Si vite? Trop
vite! Il n’a pas eu le temps de faire quoi que ce soit.» Pour le
moment, il ne fait que proposer.» Qui est Lech Walesa qui reçut
le Nobel de la paix, très controversé sauf par l’Occident, après
deux ans de militantisme dans une obscure République satellite
de l’empire soviétique? L’ouvrier de Gdansk fut appuyé
lourdement par l’Occident et la papauté contre «l’empire du
mal», comme nommait Ronald Reagan, l’empire soviétique. En
novembre 1982, Walêsa est libéré. En octobre 1983, il reçoit un
prix Nobel de la Paix immérité grâce au pape Jean-Paul II, son
ami et, à Reagan. Cette «notoriété» est surfaite, et son rôle en
tant qu’agent des services secrets polonais n’est toujours pas
clair. Il est donc mal placé pour porter un jugement.
La famille d’Obama au Kenya, par la bouche du demi-frère d’Obama,
Saïd Obama, s’est dite honorée qu’un membre de la famille ait pu
décrocher cette distinction. Le président russe Dmitri Medvedev
s’est félicité de l’attribution du prix Nobel de la paix.
«J’espère que cette décision apportera un élan supplémentaire à
notre effort commun pour créer un nouveau climat de politique
internationale.» Yvo de Boer, plus haut responsable du climat
aux Nations unies, déclare: «J’espère que cela constituera un
encouragement pour lui pour s’engager fortement pour (un accord)
à Copenhague.» Pour Angela Merkel: «Barack Obama a réussi en peu
de temps à instaurer un nouveau ton et à permettre une ouverture
au dialogue. Ce prix constitue une incitation pour le président
et pour nous tous à oeuvrer encore mieux pour la paix dans le
monde.» Le Premier ministre Yukio Hatoyama déclare: «Je suis
très heureux. Je veux le féliciter du fond de mon coeur. Je vois
le monde changer depuis que le président Obama a pris ses
fonctions. Mahmoud Abbas a félicité Barack Obama, et souhaité
l’avènement d’un Etat palestinien sous sa présidence. En
revanche, le Hamas a estimé que le président américain avait
«encore beaucoup de choses à faire avant de mériter» le prix
Nobel de la paix. Un conseiller du président Mahmoud Ahmadinejad
a estimé que ce prix devait inciter Barack Obama à aider à
mettre fin à l’injustice dans le monde. Pour Shimon Peres, «Vous
avez apporté à l’humanité tout entière un nouvel espoir
(...).Très peu de leaders sont parvenus à changer l’état
d’esprit du monde en si peu de temps et avec un tel impact.» Le
chef de la Ligue arabe, Amr Moussa, s’est dit «très content» du
choix du Comité Nobel. Le Koweït, la Jordanie et le Yémen ont
adressé des messages de félicitations. On le voit, comme
d’habitude, les dirigeants arabes en retard d’une guerre, ne
trouvent rien d’original sinon des salamalecs.
Le discours du Caire
En dehors de la personnalité du président du Nobel qui a pesé
lourdement dans la décision, Pierre Haski s’interroge sur les
raisons de l’octroi du Nobel à Obama: «A la surprise générale,
il s’est vu récompensé «pour ses efforts extraordinaires en
faveur de la coopération entre les peuples». C’est la surprise
de l’Académie Nobel: Barack Obama s’est vu décerner vendredi le
prix Nobel de la paix, à peine huit mois après son arrivée à la
Maison-Blanche. Jusqu’ici, les dirigeants politiques récompensés
par ce prix prestigieux l’étaient après la conclusion.
S’agissant de Barack Obama, on salue l’intention, les paroles
courageuses et peut-être surtout l’homme et son parcours. Mais,
comme le souligne malicieusement le blogueur Maître Eolas sur
Twitter, c’est bien la première fois qu’on accorde le Nobel de
la paix au chef d’un Etat qui en occupe militairement deux
autres (l’Irak et l’Afghanistan). (...) Du côté positif, on
relèvera que le nouveau président américain peut être salué pour
avoir mis fin à l’engrenage fatal dans lequel l’administration
Bush avait entraîné l’Amérique et le monde, celui d’un
affrontement des civilisations». (1)
«Le discours du Caire de Barack Obama, en juin dernier, est de
ce point de vue, un moment historique où un chef d’Etat tente
d’inverser la marche du monde, et tend la main à un sixième de
l’humanité qui avait fini par considérer son pays comme
l’incarnation du mal (et réciproquement). (...) De même peut-on
saluer les efforts d’Obama en vue de sortir de l’impasse au
Proche-Orient, en tenant une position ferme, pour une fois, face
aux Israéliens et à la colonisation de la Cisjordanie. Plus
inquiétant encore, ce prix Nobel intervient alors qu’une intense
réflexion a lieu en ce moment à Washington sur la demande
insistante des chefs militaires américains en Afghanistan
d’accroître de manière significative les effectifs engagés dans
la guerre contre les taliban. Le premier geste du nouveau Nobel
de la paix sera-t-il d’envoyer des renforts faire une guerre
dont l’issue est plutôt sombre? Le capital sympathie personnel
du Président sera assurément en hausse dans le monde
arabo-musulman, même si chacun sait que les actes compteront
plus que les «propos raffinés» d’un président parvenu à effacer
en si peu de temps l’image de cowboy de son prédécesseur, et
redonner un visage souriant à une Amérique que beaucoup
s’étaient habitués à détester.»
Le Times ne se montre guère enthousiaste. Pour le journal,
«l’attribution du prix Nobel de la paix au président Barack
Obama va susciter incrédulité et consternation dans bien des
capitales de la planète. Peut-être même ira-t-elle jusqu’à
embarrasser l’intéressé lui-même. Rarement une décision aura été
aussi manifestement politique et partisane. Le comité du Nobel
norvégien y a clairement vu un moyen d’exprimer la gratitude de
l’Europe pour la fin des années Bush, son approbation face à
l’élection du premier président noir des Etats-Unis et l’espoir
que Washington tienne sa promesse de renouer avec la communauté
internationale. Ce n’est pas la première fois que le jury du
Nobel fait des choix controversés. Certains prix semblaient
couronner davantage un espoir qu’un parcours. (...) Cela étant,
le prix Nobel d’Obama a plus de fortes chances d’être comparé au
plus discutable de tous, celui revenu en 1973 à Henry Kissinger
et à Lê Duc Tho [ qui lui l’a refusé Ndlr] pour les négociations
ayant mis fin à la guerre du Vietnam. On n’avait alors pas
manqué de rappeler que Kissinger avait défendu les bombardements
au Cambodge (2).
Un président qui commande deux guerres, en plein coeur du monde
musulman, ne mérite pas de prix, surtout s’il réfléchit à une
escalade», a dit le commentateur progressiste David Sirota. «Ces
résultats considérables», l’ensemble de la presse américaine
souligne que M.Obama ne les a pas encore accomplis. Pour Andrew
Leonard, du site Internet Salon, «Barack Obama tente de
construire un système de soins, de réparer la machine
économique, de prévenir le réchauffement climatique sans oublier
de sortir les troupes d’Irak et de trouver une solution au
conflit afghan. S’il réussit tout cela, il méritera un prix.
Mais certainement pas encore». Les éditorialistes conservateurs
vont plus loin dans leur critique de ce prix. En effet, Glen
Greenwald, sur Salon, estime que le comité Nobel s’est
«ridiculisé». (...) «En 2010, note Jennyfer Robin, de
Commentarymagazine.com, le prix ira à Mahmoud Ahmadinejad pour
avoir accepté de s’asseoir à la table des négociations.» (3)
Zbigniew Bzrezinski, l’ancien conseiller diplomatique de Jimmy
Carter, a estimé qu’en moins d’un an, Barack Obama avait
«redéfini les relations de l’Amérique avec le reste du monde»,
«nettement amélioré son image», «fait une série de promesses
pour tenter de résoudre certains conflits d’une manière non
unilatérale» et engagé l’Amérique à poursuivre des buts «élevés»
tels que la réduction des armements nucléaires. «C’est un
accomplissement énorme», a-t-il dit à la chaîne PBS. Il a estimé
que le Nobel donnait une «légitimité internationale» à sa
politique et serait utile sur l’Iran ou la question
palestinienne. Henry Kissinger compare Obama à «un joueur
d’échecs». Pour lui, si le Président garde toujours un coup
d’avance, il s’imposera. «Mais si on devait continuer à vivre
dans la certitude que chaque crise peut être résolue par un
discours philosophique, alors il se heurterait à des problèmes
wilsoniens», avertit l’ancien diplomate, brandissant, comme un
chiffon rouge, le nom du président américain Woodrow Wilson,
pacifiste convaincu et initiateur de la Société des Nations.
Cette fameuse SDN qui ne put empêcher la Seconde guerre
mondiale.(4)
Que peut-on espérer? Le prix 2009 tranche avec la tradition
Nobel, qui récompense normalement un processus abouti. Il est
hors de doute que l’octroi du Nobel de la paix va peut-être
l’aider en politique intérieure où il a fort à faire contre les
Républicains sur les dossiers de la sécurité sociale, la crise
financière, la relance de l’économie et les changements
climatiques; Bush parti, les conservateurs et les lobbys sont
toujours là et les marges de manoeuvre du président Obama sont
faibles. Ironie du sort, le dossier climat, qui recevra son
épilogue à Copenhague, se déroulera le jour de l’attribution du
Nobel à Obama qui viendra le recevoir en personne. Gardons
l’espoir que la délégation américaine vienne enfin avec des
décisions qui donneront à la planète l’espoir de ne pas dépasser
ces deux degrés fatidiques au-delà desquels toute vie sur terre
sera infernale, notamment pour les damnés de la terre.
1.Pierre Haski Nobel 2009: Barack Obama icône (prématurée) de la
paix Rue89 09/10/2009
2.Le Times. Le prix Nobel des bonnes intentions. 910 2009.
3.Antonin Sabot. Nobel: la presse américaine dénonce un prix
«prématuré». Le Monde 9.10. 2009
4.Sabine Syfuss-Arnaud,: Obama, un Nobel embarrassant.
Challenges 9 octobre 2009.
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Publié le 12 octobre 2009 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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