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L'EXPRESSIONDZ.COM
MOHAMED ED DOURA, ENFANT MARTYR
Le courage de Charles Enderlin
Chems Eddine Chitour
Lundi 11 octobre 2010
«Au Moyen-Orient, si vous ne pouvez pas expliquer une chose par
la Théorie du Complot n’essayez pas de l’expliquer. Les gens ne
vous croiront pas.»
Thomas Friedman, Rédacteur du New York
Times.
Il y a dix ans, le 30 septembre 2000,
mourait le jeune Mohamed Ed Doura dans des conditions atroces,
victime de tirs croisés entre «l’armée la plus pure du monde» et
des Palestiniens suite à la provocation, deux jours plus tôt de
Ariel Sharon qui est venu plastronner sur l’Esplanade des
mosquées. Ce sera le début de l’Intifada. Charles Enderlin,
journaliste de renom, qui se trouvait au carrefour de Netzarim
colonie sauvage israélienne à Ghaza avec son caméraman Talal
Abou Rame, rapporte par l’image le calvaire de l’enfant qui
tentait de se protéger avec son père derrière un petit muret. Le
film brutal montre comment le père lève désespérément les mains,
on voit nettement l’effroi de l’enfant puis plus rien, l’enfant
soubresaute puis ne bouge plus fauché par une rafale, le père
sera grièvement blessé. Ces images produites par France 2 feront
le tour du monde. Dans le camp de réfugiés de Boureij, Jean-Paul
Mari a retrouvé la famille de Mohammed al-Durra, l’enfant de 12
ans tué par les soldats israéliens dans les bras de son père.
Jama le père, et le fils Mohamed reviennent, nous dit Jean-Paul
Mari, du marché, ils sont obligés de traverser un carrefour. «A
l’approche du carrefour de Netzarim, le taxi collectif refuse
d’aller plus loin. Pour rejoindre sa maison du camp de Boureij,
il faut passer à pied. Jamal prend Mohammed par la main et
s’avance prudemment le long d’un mur de parpaing, à 50 mètres en
diagonale du fortin israélien. Soudain, une fusillade nourrie
éclate. Pendant deux à trois minutes, des coups de feu partent,
face au fortin, d’une rue perpendiculaire, là où se trouve
habituellement un poste palestinien. (...) La riposte, venue du
fortin, inonde le carrefour d’une grêle de balles. Talal voit
deux civils tomber sur l’asphalte. Il décide de s’avancer vers
le trottoir, est pris sous une rafale et s’aplatit derrière un
minibus Volkswagen providentiel. (...) Une ambulance veut
s’avancer au carrefour. Elle doit battre en retraite. Talal
croit entendre un cri d’enfant. Il voit, en face de lui, à 20
mètres, sur le trottoir opposé, Jamal et son fils Mohammed
accroupis derrière un fût en ciment dur, sorte de baril creux
qui recouvre une prise d’eau. «Le gosse a pris une balle dans la
jambe. Le père le tirait vers lui, le serrait contre son dos
pour essayer de le protéger de son corps», se rappelle Talal.
Mohammed, terrifié, supplie son père: «Pour l’amour de Dieu,
protège-moi, papa!» (...) le père crie en hébreu: «Mon fils est
en train de mourir. Arrêtez de tirer!» Mais une pluie de balles
s’abat à nouveau. Puis un nuage de poussière a envahi le coin.
Quand il est retombé, j’ai vu le gosse allongé, mort, et son
père, assis, inconscient, dont le corps blessé se balançait
étrangement.» Ils sont restés quarante-cinq minutes en tout,
parfaitement visibles, serrés l’un contre l’autre, derrière ce
baril. Pour Mohammed, le chirurgien n’a pu que constater sa
blessure à la jambe droite et sa mort causée par la balle qui
lui a ouvert le ventre. Jamal, le père, avait le bras droit
fracturé, la jambe droite broyée et l’os du bassin emporté sur
10 centimètres de large: «Trois impacts de balles de M16 à haute
vélocité.(1)»
Un Symbole
«Le petit Mohamed El Dura, écrit Pascal Boniface, devient le
symbole de l’enfant innocent tué par les soldats de Tsahal, les
tirs provenant des positions de l’armée israélienne. Ces images
suscitent une immense émotion, l’armée israélienne ne conteste
pas la présentation de France 2, mais peu à peu l’affaire va
prendre une autre dimension, et c’est le journaliste responsable
du reportage, Charles Enderlin, qui va être mis au banc des
accusés. Charles Enderlin n’est pas n’importe qui: c’est un
journaliste extrêmement réputé, parfait connaisseur du
Proche-Orient et contre qui il est, a priori, difficile de
porter l’accusation d’antisémitisme puisqu’il a notamment, la
double nationalité franco-israélienne. Depuis plus de dix ans,
Charles Enderlin subit des attaques professionnelles et des
menaces sur lui et sa famille.» (2)
«Une théorie du complot va se mettre en route. De la même
manière que certains ont nié l’existence des attentats du 11
septembre, certains vont développer la théorie d’une mise en
scène expliquant que l’enfant n’a pas été tué et qu’il vit
tranquillement en Jordanie, ou qu’il l’a été par les
Palestiniens afin de prendre une position victimaire (...)
Heureusement, la direction de la rédaction de France 2 n’a
jamais cédé. C’est toute cette histoire que Charles Enderlin
raconte dans son livre, Un enfant est mort; les dix ans de
galère, d’accusation, de pression, de harcèlement moral et
professionnel, tous les éléments sont là et la démonstration de
Charles Enderlin est implacable. Son livre et son histoire
suscitent plusieurs interrogations. Comment expliquer que cette
mort ait pu prendre une telle importance. La journaliste
d’Europe 1, Catherine Nay, en a peut-être livré l’explication
lors d’un éditorial, disant que cette photo allait faire écho à
celle de l’enfant juif du ghetto de Varsovie. Elle a aussitôt
été attaquée violemment et on a publiquement tiré la conclusion
qu’elle n’évoquerait plus jamais le conflit israélo-palestinien.
Des enfants tués par l’armée israélienne au cours d’opérations
militaires, il y en a eu des centaines, mais la force de l’image
est telle que la mort en direct d’un seul enfant a plus d’impact
que celle dont on rend compte en quelques lignes dans les
journaux.» (2) (3)
«S’il n’est pas étonnant que des extrémistes, à l’image de
Philippe Karsenty qui fait de la chasse à Charles Enderlin une
raison de vivre et un moyen de subsistance, que la ligue de
défense juive ou l’ex-journaliste Luc Rosenzweig devenu
propagandiste extrémiste (dont on peut lire des mails absolument
délirants dans le livre) aient attaqué le journaliste de France
2, il est beaucoup plus surprenant qu’il ait été partagé par des
personnalités dites modérées ou se disant attachées à la paix.
Alain Finkielkraut, l’ex-ambassadeur israélien en France
redevenu historien Elie Barnavi, ou le président du Crif,
Richard Prasquier, ont également participé sans état d’âme à
cette chasse à l’homme. On a même vu deux journalistes réputés,
Denis Jeambar, à l’époque à la tête de l’Express, et Daniel
Leconte, l’incontournable producteur d’Arte, faire une démarche
auprès d’Arlette Chabot pour mettre en cause Charles Enderlin.
Ils auraient souhaité que cette démarche reste purement
confidentielle, ce qui ne fut pas le cas.» (2)
«Il y a bien sûr la volonté de faire un exemple et d’empêcher la
critique d’Israël sur un plan moral. Charles Enderlin livre
également une autre explication à la formidable campagne dont il
a été la victime. Plus encore que son reportage sur la mort d’un
enfant, ce sont ses livres et documentaires sur l’échec du
processus de paix et la reprise du conflit qui sont en cause.
Charles Enderlin a fait un travail historique remarquable des
événements qui ne sont contestés par aucun des acteurs qu’il a
pour la plupart vu longuement. Ses conclusions tendent à prouver
que, contrairement à ce que vont essayer de faire croire le
gouvernement israélien et ses partisans et relais médiatiques,
ce n’est pas Yasser Arafat qui a décidé d’interrompre les
négociations et de relancer l’Intifada, mais que c’est bien la
répression des manifestations ayant fait plusieurs morts, le
lendemain de la visite d’Ariel Sharon le 28 septembre 2000 sur
l’Esplanade des mosquées, qui est venue susciter une colère
incontrôlée.» (2)
Dans la même veine de la théorie du complot, Pierre-André
Taguieff qui compare le reportage de Charles Enderlin... aux
Protocoles des Sages de Sion. On le voit; la machine à
propagande doit tourner à fond, l’ordre vient d’en haut.
L’histoire ne doit pas retenir cet enfant, cet ange assassiné
devant son père. Soit, on taxe le témoin d’´´antisemitisme´´ et
on s’acharne à la fin cela finira par devenir vrai, soit on le
présente comme un «islamiste fasciste» en puissance ou même de
s’exploser. A la fin, le résultat est qu’on décrédibilise et on
censure. Le problème pour les sionistes est que Charles Enderlin
est juif, comment le décrédibiliser? Comment faire? On s’acharne
pour que l’intéressé soit définitivement muselé. «Il est des
livres, écrit l’éditorialiste du journal Le Monde, que l’on
écrit pour se défendre contre la diffamation, tenter de rétablir
sa vérité et laver son honneur. Tel est l’objet d’Un enfant est
mort. C’est peu dire que Charles Enderlin, correspondant
permanent de France 2 à Jérusalem depuis 1981, a été meurtri par
la campagne de dénigrement qui le poursuit depuis dix ans à
propos de l’affaire du petit Mohammed Al-Dura. Peut-être
aurait-il pu choisir le silence, afin de permettre aux passions
de s’apaiser, pour que s’éteigne cette polémique vipérine. Y
aurait-il gagné en sérénité? Il ne le croit pas: «Avec ou sans
ce livre, cette campagne va continuer, parce que c’est mon
travail, mes livres, c’est moi, qu’ils visent.» C’est une mort
en direct. Les tirs, commentera Charles Enderlin, «sont venus de
la position israélienne». Le 3 octobre, interrogé par la BBC, le
général israélien Giora Eiland, chef des opérations de l’armée,
dressera un constat similaire, puis il se rétractera. Le
cameraman de France 2, Talal Abou Rahmeh, ne sait pas alors que
ses images vont faire le tour du monde, exacerber la tension
israélo-palestinienne, semer les germes d’une intense
controverse, toujours vivace».(4)
La mécanique du diable
«Pour l’opinion arabe et musulmane, l’armée israélienne a
assassiné un enfant. Mais un puissant lobby pro-israélien s’est
mis en branle, visant à délégitimer le journaliste (il n’était
pas présent sur les lieux du tournage), et instrumentaliser une
théorie du complot: le film serait un ´´montage´´, une ´´mise en
scène´´, une ´´manipulation´´ et une ´´imposture´´. France 2
renouvellera sa confiance à son correspondant, dont la
réputation professionnelle est indéniable, et la profession
journalistique lui apportera un très large soutien. Rien n’y
fait. La mécanique de la diffamation est en marche, elle ne
s’arrêtera plus. Elle dispose d’avocats déterminés et influents.
A sa tête, Philippe Karsenty, pour qui l’affaire Al-Dura est
devenue, depuis dix ans, un véritable fonds de commerce. Il est
rejoint par l’ancien journaliste Luc Rosenzweig, l’ancien
ambassadeur d’Israël à Paris, Elie Barnavi, Richard Prasquier,
président du Conseil représentatif des institutions juives de
France, l’écrivain Alain Finkielkraut, parmi d’autres. Le livre
de Charles Enderlin n’est pas un règlement de comptes, mais une
démonstration: il décrit minutieusement, faits et citations à
l’appui, la trame et la progression d’une campagne de calomnies.
Si Un enfant est mort est d’abord le récit de l’acharnement
contre un journaliste, c’est aussi un livre sur le conflit
israélo-palestinien, en ce sens qu’il illustre l’intensité des
haines dont celui-ci se nourrit.
«Il s’agissait», estime Charles Enderlin, «de m’abattre
professionnellement parce que j’avais mis à mal, dans «Le rêve
brisé», la version israélienne sur les responsabilités dans
l’effondrement du processus de paix d’Oslo. Multiplication de
procès -dont aucun n’a donné tort à Charles Enderlin, campagne
de dénigrement, insultes, rien n’arrête la campagne haineuse
qu’il décrit dans «Un enfant est mort». Jusqu’à la lettre
explicite de menaces rédigée par un journaliste ayant fait sa
carrière dans un prestigieux quotidien... Mais au-delà de cette
insupportable cabale, ce que révèle l’affaire Al-Dura, c’est la
volonté d’étouffer toute image susceptible de réveiller une
opinion internationale lassée d’un conflit qui n’en finit pas.
«Dix ans que ça dure, écrit Pierre Haski. Dix ans que Charles
Enderlin endure une cabale l’accusant d’avoir commis le pire
crime pour un journaliste: avoir commis un faux, la mort en
direct d’un enfant palestinien, Mohamed Al-Dura, dans la bande
de Ghaza. Il publie un livre sur cette pénible affaire: «Un
enfant est mort». Il a fait sa vie depuis près de trente ans,
notamment parce qu’il enfilait chaque année l’uniforme de
l’armée israélienne pour accomplir sa période de réserve
obligatoire. De ce point de vue, Enderlin a sans doute plus fait
concrètement pour la sécurité d’Israël que ses détracteurs de
Paris ou Washington... Depuis dix ans, cette affaire fait
l’objet d’une intense polémique, dont Charles Enderlin est la
principale cible, avec une violence et une persévérance sans
beaucoup d’équivalents. Ses détracteurs l’accusent d’avoir
couvert une mise en scène, et affirment même que l’enfant serait
vivant, sans toutefois en apporter la moindre preuve factuelle.»
«Ce déchaînement pourrait être risible, vu le nombre de morts
que cette région a connu au cours de la décennie écoulée, y
compris d’enfants, notamment lors de la guerre de Ghaza l’an
dernier, au cours de laquelle, selon le rapport rédigé pour
l’ONU par le juge sud-africain Richard Goldstone, aussi bien
Israël que le Hamas palestinien ont commis des «crimes de
guerre». La bataille semble plus concerner les communautés
juives à l’étranger que les Israéliens eux-mêmes, ou le reste du
monde. Comme s’il fallait laver symboliquement l’armée
israélienne du soupçon d’avoir délibérément tué un enfant, pour
conserver à cette armée son image de pureté immortalisée un jour
par Claude Lanzmann dans son film «Tsahal» Circonstance
aggravante, Charles Enderlin est lui-même juif, avec une partie
de ses ancêtres ayant fui le nazisme, mais un «mauvais juif»?
Car, comme le demande le journaliste dans son livre: «Pour être
un bon juif, faut-il accepter la thèse de la mise en scène de
l’affaire Al-Dura?»(5)
Pourquoi, en définitive, nier la mort de Mohamed Al-Dura alors
que de nombreux civils palestiniens ont été tués par l’armée
israélienne, ces dernières années? Le 7 octobre 2007, Gideon
Levy écrivait ainsi dans Haaretz: «En octobre dernier, nous
avons tué 31 enfants à Ghaza...». Et au cours des trois semaines
de la guerre de Ghaza, début 2009, «318 des victimes» étaient
des mineurs de moins de 18 ans», rappelle Charles Enderlin.
Pourquoi alors cette obstination à nier cette mort-là? Parce que
ces images, qui montrent en direct la mort d’un innocent,
désarmé, sont insupportables. Et parce que l’armée israélienne
-comme d’autres- mène désormais une guerre totale aux images qui
peuvent lui aliéner l’opinion. L’armée la plus pure du monde que
Claude Lanzmann a tenté de vendre démontre au jour le jour que
c’est une armée non seulement cruelle qui ne respecte pas les
droits de la guerre, mais que forte et sûre d’elle-même, elle
puise dans son délire messianique la conviction qu’elle
appartient à la race des seigneurs.
1. Jean-Paul Marihttp://hebdo.nouvelobs. com/sommaire/monde/037320/c-est-ici-qu-on
-meurt.html
2. Pascal Boniface: Charles Enderlin sous les feux croisés
http://pascalboniface
affairesstrategiques.blogs.nouvelobs.com/archive/2010/10/06/charles-enderlin-sous-les-feux-croises.html
3. Charles Enderlin. Un enfant est mort. Ed. Don Quichotte Paris
2010
4. «Un enfant est mort», de Charles Enderlin: autopsie d’une
calomnie Le Monde 23 10 2010
5. Pierre Haski: «Un enfant est mort»: Charles Enderlin défend
son honneurhttp://www.rue89.com/print/ 168657 09/29/2010
Pr Chems Eddine Chitour, Ecole nationale
polytechnique.
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Publié le 11 octobre 2010 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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