Opinion
A
propos de la tourmente syrienne : Ce que
je cois
Chems Eddine Chitour
© AFP/ Ho-Sana - RIA Novosti
Samedi 8 octobre
2011
«L'absence de
catéchisme dans l'Islam fait dépendre
l'enseignement religieux du pouvoir
politique. Or les politiques culturelles
ne sont nulle part innocentes. Elles
reflètent des stratégies de pouvoir et
répondent aux conditions de la
reproduction des systèmes de domination
sociale. (...) La formation d'une pensée
déstructurée, qui est aujourd'hui la
règle, est le fruit d'une stratégie
éducationnelle et au-delà, politique.
Elle fait partie de cette même
entreprise qui voue le reste de la
population à la marginalisation et à la
clochardisation. Ces politiques ne sont
pas séparables de l'ensemble des
mécanismes sociopolitiques du système en
place qui sanctionne, l'honnêteté,
l'esprit d'initiative et la créativité.
Il favorise le clientélisme,
l'hypocrisie et la soumission aux chefs.
Bref, il faut chercher la clé de la
conscience déstructurée, désorientée,
désaxée, désemparée et déstabilisée qui
tend trop à définir la conscience
musulmane d'aujourd'hui dans
l'assujettissement de tout savoir, de
toute culture, de toute religion, de
toute littérature, de tout enseignement
à la stratégie du pouvoir.»
Burhan Ghalioun. Islam et politique.
P.182. Editions La Découverte 1997
L'auteur de ces justes mots est Burhan
Ghalioun ancien professeur de sociologie
politique à la Sorbonne nouvelle Paris
III, il y a soutenu une thèse en 1980.
Engagé dans le mouvement de
démocratisation de la Syrie et du Monde
arabe, il est intronisé président du
Conseil national syrien. Cela donnerait
une légitimité aux yeux de la France
avec un président qui s'est nourri des
lumières et de qui rien de méchant ne
peut arriver. On comprend l'adoubement
tacite de ce brillant intellectuel dont
on peut se demander s'il a encore gardé
des liens avec la Syrie profonde depuis
plus de trente ans. On peut se demander
si le peuple syrien éduqué n'a pas plus
besoin de guides ancrés dans le terroir
et mettant en avant la lutte sous toutes
ses formes que l'apport d'intellectuels
certes brillants, mais dont le rôle qui
plaît à l'Occident n'est pas encore venu
à ce stade de la révolution. Il est à
souhaiter que le professeur saura
séparer le bon grain de la beauté de la
révolte, de l'ivraie de la récupération
occidentale.
Les médias occidentaux, encore eux, avec
toujours la même partialité mettent une
chape de plomb sur les massacres en
Libye et nous signalent le moindre
mouvement en Syrie. Pourquoi cet amour?
Est-ce parce qu'ils veulent la liberté
et la démocratie pour les Arabes? On
peut en douter. Est-ce un pays islamiste
allié au terrorisme? Non, au contraire,
c'est l'un des pays qui ne connaît pas
les divisions confessionnelles. Le
mépris souverain des nations européennes
à l'endroit des peuples arabes est loin
d'être fondé.
Des
"marqueurs" universels
Qu'on se le dise! La Syrie comme l'Irak
a connu les premières organisations
sociales de l'humanité. Petit détour par
Wikipédia/ On lit: «L'histoire de la
Syrie est marquée par sa situation
exceptionnelle. C'est un territoire de
transition au carrefour de plusieurs
mondes: L'homme de la terre syrienne a
peut-être découvert, pour la première
fois de l'histoire de l'humanité, à Abu
Huraïra, l'art de cultiver, d'associer
l'eau et le grain de blé, pour
multiplier les épis. C'est également en
Syrie, que l'homme découvrit comment
utiliser le cuivre, comment le façonner
et en réaliser un alliage: le bronze.
Dès le IIIe millénaire av. J.-C. les
Syriens construisaient des palais,
créaient des fresques, et connaissaient
un essor culturel et commercial
remarquables. Et c'est dans ce pays que
naquît aussi l'alphabet (site de Ugarit,
près de Lattakié).
La Syrie a eu une part importante dans
l'histoire du christianisme. Elle a
donné 6 papes au christianisme. Elle
doit à Salah Eddine des victoires
décisives sur les croisés. Pour la
période récente. La Syrie fut ottomane
depuis 1516. En 1861, l'intervention
franco-anglaise eut pour conséquence
l'autonomie du Liban vis-à-vis de Damas.
En 1918. Les troupes du général Gouraud
arrivent, vainquent une armée menée par
Youssef al-Azmeh dans la bataille de
Maysaloun le 23 juillet, et entrèrent à
Damas. Fayçal se trouva contraint à
l'exil. Les Français ne se retirèrent
totalement du Liban et de la Syrie qu'en
1946. Au cours de l'été 1920, T. E.
Lawrence - appelé Lawrence d'Arabie -,
faisait le commentaire sarcastique
suivant: «Les Turcs avaient été de
meilleurs dirigeants.» Il affirma que
les Turcs avaient utilisé 14.000
conscrits locaux en Irak et avaient tué
en moyenne annuelle 200 Arabes pour
maintenir la paix. Par contre, les
Britanniques avaient déployé 90.000
hommes, avec des avions, des chars
blindés, des navires de guerre et des
trains blindés, et avaient tué près de
10.000 Arabes au cours du seul
soulèvement de l'été 1920. Le 7 août
1920, The Times [le quotidien impérial
britannique] demandait de savoir:
«Combien de temps encore des vies
précieuses devront être sacrifiées pour
l'objectif vain d'imposer sur la
population arabe une administration
élaborée et coûteuse qu'elle n'a jamais
réclamée et dont elle ne veut pas!»(1)
Une contribution de Zénobie nous montre
la réalité des services de sécurité
syriens- dirigés d'une main de fer par
le clan alaouite, qui terrorisent tous
ceux qui s'opposent au pouvoir des El
Assad. On se souvient en effet que ce
docteur avait pendant près de 8 mois
donné l'illusion de l'ouverture. Le
parti Baâth l'a rappelé à l'ordre. Le
témoignage suivant d'un général:
«L'armée de la Syrie n'est que l'armée
des services de sécurité syriens (jaych
amni).» Mon interlocuteur a prononcé ces
mots gravement. On l'appellera Mohammed,
c'est un officier supérieur sunnite.
(...) Le ciment de l'édifice
sécuritaire, c'est la culture de la peur
que la révolte vient de mettre à bas.
Sous M. Bachar Al-Assad (depuis 2000),
le parti, la bureaucratie et l'armée
sont passés directement sous le contrôle
des services de sécurité, eux-mêmes
entièrement aux mains de la famille
Assad. «Le nombre total dans l'armée et
les services de sécurité dépasserait
700.000 personnes: 400.000 hommes dans
les forces armées régulières, 100.000
hommes dans la police et les services de
renseignement, et plusieurs dizaines de
milliers employés à temps partiel par
les organes de la Sûreté. (...) On est
arrivé à cette situation hautement
symbolique où il n'y a plus que deux
appartenances réelles: l'alaouite et la
sunnite (fi alawi wa fi sunni) mais par
sunnite, il faut entendre toutes les
autres communautés» [sunnite, druze,
chrétiennes, etc., soit 90% de la
population, Ndlr]. L'armée syrienne est
composée de sept divisions (firaq),
chacune dirigée par un général de
division (liwa). (...) La composition
communautaire de chaque unité militaire
empêche toute homogénéité pour les
sunnites (mais pas pour les alaouites
comme la quatrième division le prouve).
(...) Les perspectives de la révolte?
difficile à dire sinon qu'elles sont
sombres. En même temps, le régime s'est
perdu lui-même.... La seule possibilité
du côté militaire ne pourrait venir que
d'une scission, peu probable, au sein de
la direction des services de sécurité,
qui pourrait alors entraîner d'autres
secteurs de l'armée...» (2)
Zénobie nous explique par ailleurs,
comment la révolution a amené un nouveau
langage imprégné par le terroir mais
profondément percutant par ces enfants
qui sont fauchés au nom de la liberté et
dont on risque de confisquer la
révolution. Il écrit: «Comme les
résistances nationalistes arabes en
Syrie au cours du XXe siècle, l'actuel
soulèvement populaire est marqué par la
place de la mosquée dans les
mobilisations, par le rôle moteur de la
jeunesse, de secteurs sociaux
économiquement en crise ou éloignés de
la capitale, et la participation des
femmes. «Ma fi khawf baad al-yawm!»
[«Plus de peur à partir
d'aujourd'hui!»], scandaient les
habitants de Deraa le 18 mars dernier.
La rue s'attache aussi à répondre aux
accusations de division, de violence et
de complot. Elle proclame son désir de
pacifisme, d'unité et son rejet du
confessionnalisme: «Un, un, le peuple
syrien est un!»; «Pacifiquement,
pacifiquement, musulmans et chrétiens,
pacifiquement, pacifiquement, non, non
au confessionnalisme!»; «Non à la
violence, non au vandalisme!». Dans les
zones où des provocations communautaires
ont été perpétrées, les slogans et
banderoles ripostent: «Sunnites, Kurdes
et alaouites, nous voulons l'unité
nationale» («Sunni wa kurdi wa alawiyya,
badna wahdah wataniyyah»). (...) Forts
des leçons de la guerre civile qui a
ravagé durant quinze ans le Liban voisin
et plus récemment l'Irak, les Syriens se
méfiaient d'une confrontation longue et
sanglante comportant des risques
d'affrontements confessionnels.(...) «Zenga,
zenga, dar, dar, badna nchîlak ya Bachâr»
- «Ruelle après ruelle, maison après
maison, Bachar, on va se débarrasser de
toi». (3)
Le veto
sino-russe
Il y a donc à l'évidence un profond
désir de changement - les ouvertures
jugées insuffisantes par l'opposition
syrienne qui demande à juste titre le
départ d'El Assad- Cependant les
dirigeants occidentaux veulent
instrumentaliser les espérances du
peuple syrien. Après plus de six mois de
soulèvement et malgré, le Conseil de
sécurité sous la houlette occidentale a
voulu rééditer le coup de l'invasion de
la Libye. Coup d'arrêt! La Chine et la
Russie ont opposé mardi 4 octobre leur
veto à un projet de résolution du
Conseil de sécurité de l'ONU menaçant le
régime syrien de «mesures ciblées».
Le président du Conseil national syrien
(CNS), Burhan Ghalioune, a déclaré que
le veto russe et chinois ne fera
qu'«encourager» la répression en Syrie.
Pour le ministre britannique des
Affaires étrangères, William Hague, le
veto russe et chinois constitue une
«erreur profonde et regrettable». Les
Etats-Unis sont dits «furieux» (...) En
visite en Afrique du Sud, Tayyip Ordogan
a estimé que le gouvernement syrien
«aurait dû recevoir un avertissement». A
son avis, ils «n'ont pas besoin
d'endurer un régime tyrannique sans
pitié et sans vergogne qui bombarde son
propre peuple depuis la mer». (4)
La Russie qui s'est expliquée par la
voie du chef adjoint de sa diplomatie
s'opposera à toute tentative de pays
occidentaux de légitimer, à l'aide du
Conseil de sécurité de l'ONU, des
sanctions unilatérales contre les
régimes indésirables. «Certains pays
occidentaux et leurs groupements
régionaux recourent de plus en plus
souvent à des sanctions unilatérales
contre tel ou tel régime qu'ils ne
trouvent pas à leur goût et ce, sans
consulter les autres membres de la
communauté internationale», a relevé le
vice-ministre. Commentant les motifs du
veto russe opposé mardi dernier au
projet de résolution européen du Conseil
de sécurité de l'Onu sur la Syrie,
Moscou a déclaré mercredi que le «modèle
libyen» de la protection des civils
illustrait un «abus grossier des
résolutions du Conseil pour réaliser des
projets unilatéraux visant à renverser
les régimes indésirables». (5)
Personne ne conteste que le régime des
Al Assad depuis 1970 n'a que trop duré.
Il y a des meurtres avérés. Le pouvoir
n'a plus de légitimité. Pendant ce
temps, la famille El Assad brade des
immeubles en Europe et ses propriétés en
Espagne. Quelle est la solution?
Voulons-nous d'une histoire à l'Irak,
l'Afghanistan? Personne ne croit aux
droits de l'homme version occidentale.
La Chine et la Russie sont de sucroît
échaudées pour s'être fait convaincre
pour le cas de la Libye et la fameuse
résolution de mars qui a été dévoyée.
L'Otan bombarde toujours alors qu'El
Gueddafi n'est plus aux commandes. les
victimes d'hier sont les bourreaux
d'aujourd'hui avec la bénédiction du
Ciel de l'Otan. Le peuple syrien a droit
à la liberté, la démocratie,
l'alternance. Certes, la Russie a aussi
des intérêts, notamment en Syrie avec sa
base maritime dit-on à Tartous qui lui
permet dit-on de dresser des missiles
contre l'Otan (Turquie). D'un autre
côté, la Syrie sert dit-on les intérêts
de l'Iran. De fait, la sanction
pétrolière est sans effet: la production
pétrolière est marginale.
A qui
profite-t-il?
Pour sa part, René Naba avance aussi
d'autres arguments pour décrypter
l'entêtement des Occidentaux à démolir
la Syrie: (...) Au-delà des vives
critiques fondées sur les tares du
pouvoir syrien, la déstabilisation de la
Syrie vise à compenser le basculement de
l'Egypte dans le camp de la contestation
arabe et à rompre la continuité
stratégique entre les diverses
composantes de l'axe de la résistance à
l'hégémonie israélo-américaine en
coupant les voies de ravitaillement du
Hezbollah au Sud-Liban. L'effet
secondaire est de détourner l'attention
sur la phagocytose de la Palestine par
Israël avec la complicité des Etats
occidentaux. Israël et la Syrie ne
partagent pas le même intérêt. L'Etat
hébreu cherche à constituer une ceinture
d'états vassaux sur son pourtour, la
Syrie à se dégager du noeud coulant
glissé autour de son cou pour la forcer
à la reddition. La Syrie et l'Irak
constituaient les deux seuls états du
Monde arabe animés d'une idéologie
laïque. L'Irak a été démantelé par les
Américains avec pour conséquence la
constitution d'une enclave autonome
pro-israélienne dans le Kurdistan
irakien, le schéma qui a préludé au
démembrement du Soudan avec la
constitution d'une enclave pro
israélienne au Sud-Soudan, sur le
parcours du Nil. (...) La libre
détermination des peuples est un droit
sacré inaliénable. Cela doit s'appliquer
en Syrie, comme en Palestine.
Cautionnée, en juillet à Paris, avec
Bernard-Henri Lévy, une conférence de
l'opposition syrienne discrédite les
participants et jette un voile de
suspicion sur leurs objectifs. (...)
Gageons que si la Syrie souscrivait à un
règlement de paix avec Israël, dans des
conditions avilissantes pour elle, elle
retrouverait grâce aux yeux des
Occidentaux, particulièrement de Nicolas
Sarkozy en voie de carbonisation et de
Barack Obama, en voie de pantinisation».
(6)
Je prends le même pari que René Naba en
y ajoutant qu'on le veuille des jours
sombres pour le vivre-ensemble
interconfessionnel. Nous risquons de
revivre les événements tragiques de 1861
fomentés par les Anglais et les
Français. Que fait l'ONU? Pourquoi s'en
remet-elle au Conseil de sécurité, voire
à l'Otan pour gouverner le monde?
Pourquoi ne met-elle pas en place une
force des Casques bleus avec les Arabes?
Après El Assad, les suivants qui feront
allégeance d'une façon ou d'une autre, à
l'Occident accepteront une partition du
pays. On peut penser que plus rien ne
peut arrêter la dynamique d'effritement
des anciens pouvoirs arabes au profit de
l'inconnu. Chacun s'interroge sur ce qui
en restera quand l'inexorable tsunami de
la contestation balaiera les pouvoirs en
place. Ceci permettra d'assurer encore
pour quelques décennies le confort
énergétique de l'Occident et assoira
définitivement Israël.
1. C. E. Chitour. La Faceboukisation de
la jeunesse arabe: La Syrie en marche
pour la partition
http://www.palestine-solidarite.org/analyses.Chems-Eddine_Chitour.280311.htm
2. Zénobie,
http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2011-09-07-Syrie-un-officier-superieur-parle
7.09.2011
3.http://www.monde-diplomatique.fr/
2011/06/ZENOBIE/20746
4. Veto russe et chinois contre la
condamnation de la Syrie AFP 06.10.11
5. Guennadi Gatilov: Déclaration à
l'agence RIA Novosti 6 octobre 11
6. René Naba
http://www.mondialisation.ca/
index.php?context=va&aid=269173 10 2011
Professeur
Chems Eddine Chitour
Ecole Nationale Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 9 octobre 2011 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
Le sommaire du Pr Chems Eddine Chitour
Le
dossier Syrie
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