Algérie
Elections du 10
mai :
L'Algérie joue-t-elle son destin ?
Chems
Eddine Chitour
Pr Chems
Eddine Chitour
Mardi 8 mai 2012
« A l'instant
qu'un peuple se donne des représentants
il n'est plus libre »
Jean Jacques Rousseau (Du Contrat
Social)
450 députés pour 25 000 candidats 500
observateurs internationaux qui sont là
pour surveiller que l’on ne triche pas,
atavisme hérité de Naegelen . 44 partis
politiques dont 21 qui ont deux mois
d’existence et que l’on connait qu’à
travers des sigles. Leur dénominateur
commun est qu’ils sont tous pour la
justice, la bonne gouvernance certains
pour le retour aux sources d’autres pour
l’infitah avec tous la récurrence d’un
discours attrape jeunesse. Cette
dernière étant à des années lumières du
microsome actuel L'unanimisme de tous
les partis politiques est total quant au
fait que la rente règlera tout et tout
le temps Avons-nous fait le bilan de ces
vingt ans d'errance ?
Ces élections promises
déboucheront-elles sur une vision claire
de l'avenir avec au préalable, sur les
invariants et les consensus qui
transcendent les partis ? Et ces
dizaines de partis, comme en 1992,
ont-ils un programme capable de donner
enfin un cap à cette jeunesse dont on
dit qu'elle ne croit plus à rien !
Chacun sait que l'Algérie a payé le prix
fort qui a été, de mon point de vue, le
paroxysme de l'antagonisme entre deux
projets de société : celui du retour aux
sources - arrimé à la sphère
moyen-orientale - d'une façon totale
sans discernement et sans prise en
compte de la réalité du monde. Le
deuxième courant, traité de parti de
l’étranger donnait l'impression de
s'arrimer à une sphère occidentale qui
n'est pas celle de nos « valeurs »
Résultat des courses, la guerre de
tranchées qui a commencé en 1962 entre
les arabisants et les francisants
perdure. La révolte d'Octobre 1988-
notre printemps - qui fut, d'une
certaine façon, une révolte du pain.
Plus de 500 morts passés par pertes et
profit
L'interruption des élections en décembre
1991 ouvrit la boîte de Pandore de
l'horreur. La société dans son ensemble
fut traumatisée et l'Algérie perdit des
dizaines de milliers de ses fils - on
parle de 200 000 morts - Pourquoi ?
Parce que nous n'avons pas su depuis
l'Indépendance réconcilier les Algériens
avec leur histoire, leur identité
culturelle, nous n'avons pas su dépasser
les ambitions de chacun pour former
l'homme nouveau bien dans son identité
et sa religion. Religion que personne ne
devrait instrumentaliser pour en faire
un fonds de commerce. L'Algérie durant
cette décennie rouge servit de «
laboratoire » Personne ne l'aida à
transcender ses contradictions. Car
parallèlement à la terreur, l'Algérie
tomba sous les fourches caudines du FMI
qui nous intima l'ordre de nous ajuster
structurellement.
Où en
somme-nous en 2012 ?
Avons-nous fait notre aggiornamento,
notre ouverture sur le monde ?
Avons-nous formé l’homme nouveau qui
n’utilise pas le fond de commerce
galvaudé de la glorieuse Révolution de
Novembre qui fut, à bien des égards,
pour le monde un tournant. Pour la
première fois en effet, un peuple du
tiers monde relevait la tête et décidait
de tenir tête à une puissance voulant
garder en l’état l’ordre colonial
établi. Avons-nous tiré les leçons de la
guerre de tous contre tous de la
décennie 90 ? Mutatis mutandis nous en
sommes toujours au même point, sauf
qu'une rente insolente en 11 ans a
permis de rembourser la dette, mais nous
n'avons pas construit quelque chose de
pérenne, quelque chose qui crée de la
richesse Certes, nous avons des milliers
d'écoles, de lycées et près de 70
établissements supérieurs mais que
valent-ils quand on sait que notre école
est en miettes et que nos diplômés ne
répondent pas au minimum de normes
requises ? Faire dans le quantitatif
dans le siècle du Web 2.0 du data
speeding, du Dow Jones est un pis-aller.
C'est l'infitah à outrance- l’ouverture
débridée- , on ne sait plus rien faire,
on s'en remet aux Chinois, Japonais,
Français, Turcs pour nous nourrir, nous
vêtir, nous construire des logements,
nous distribuer l'eau...nous conduire..
Résultat des courses : les causes
multidimensionnelles de la révolte sont
toujours là. Elles sont même accentuées
par un manque de vision flagrant. Le
pouvoir, dos au mur, achète du temps et
pense calmer la foule qui gronde par un
saupoudrage proportionnel à des classes
dangereuses. Dans l'Algérie de 2012, la
compétence n'est plus un ascenseur
social, il ne faut pas travailler, avoir
un diplôme, être un besogneux soucieux
du bien public et d'honorer
consciencieusement ses engagements par
une assiduité et un travail bien fait.
Au contraire, on est pris pour un naïf !
Dans l'Algérie de 2012, brûler un pneu
peut vous valoir comme punition...un
appartement que vous n'aurez jamais si
vous êtes un cadre moyen et plus encore,
diplômé du supérieur ou de ce qu'il en
reste. Dans l'Algérie de 2012, l'Ecole
ne fait plus rêver, il vaut mieux être
footballeur et toucher en une fois,
d'une façon scandaleuse, le gain d'un
enseignant dans toute une vie. Dans
l'Algérie de 2012, il vaut mieux
investir pour être député car il y a un
bon retour sur investissement, peu
importe d'ailleurs parti, l'essentiel
est d'y être.
Le manque
de vision des 44 partis politiques.
On nous dit que parmi les prétendants
les élus , beaucoup ont un niveau
universitaire. De quel niveau nous
parlons ? Est-ce un critère décisif
?Pour ma part, une personne avec un bon
sens paysan soucieux du bien public,
pétri de valeurs est de loin plus
préférable aux mercenaires diplômés qui
vibrent à la fréquence du népotisme, de
la ‘accabya » l’esprit de clan au XXIe
siècle au sens que lui donne Ibn
Khakdoun . Pour certains,
paléo-enseignants, c’est encore plus
dommageable du fait que leur sacerdoce à
l’université n’était pas bien solide. Il
n’empêche que le titre ronflant sonore
et creux de « Profissour » leur permet
de tromper le peuple. Les partis
politiques notamment les anciens, ont
accroché à leurs trophées quelques uns
de ces Algériens sans épaisseur.
A l'instar des autres partis politiques,
les formations islamistes dont certaines
participent au gouvernement ne se
distinguent pas par un programme
économique se limitant le plus souvent à
énoncer des promesses. Le discours
populiste prime sur tout le reste. De
plus, quelle est la force réelle de
chaque parti ? Cependant tout est bon
pour saturer et inciter les Algériens à
aller voter. Les élections n’intéressent
pas les Algériens. Ils pensent qu’il est
inutile de voter car les élus ont une
marge de manœuvre symbolique.
Cependant, même les zaouïas sont
mobilisés pour crédibiliser le pouvoir
comme au bon vieux temps colonial pour
inciter la plèbe à voter peu importe
pour qui. « Les zaouïas écrit Tayeb
Belghiche ont des prétentions
inimaginables il y a seulement quelques
années. Mahmoud Chaâlal, président de
l’Union nationale des zaouïas
algériennes (UNZA), vient d’affirmer
qu’«exclure (ces dernières) du jeu
politique est une erreur», ajoutant, ne
reculant pas devant la contradiction,
que «pour les élections présidentielles
2004 et 2009, Abdelaziz Bouteflika a été
réintroduit au palais d’El Mouradia
grâce à nous». Ces propos soulignent la
régression terrible de l’Algérie depuis
une douzaine d’années. L’action des
zaouïas, jointe à celle des islamistes,
risque d’enfoncer davantage le pays dans
l’abstentionnisme. (1)
On aura donc tout vu devant cette
nouvelle mise ne scène d’élections sans
réel lendemain Pessimiste mais au fond,
inquiet, Kamel Daoud du Quotidien d’Oran
écrit : « le peuple ne peut pas se
démocratiser : il est encouragé à se
diviser, se tribaliser, s'émietter,
spéculer, priser, radoter, mais pas à
s'organiser en dehors de l'ENTV et sa
propagande, du FLN et ses clones. (…) Le
plus étrange est que les régimes durs et
peu démocrates ont cet étrange habitude
de reprendre les préjugés racistes des
ethnologues coloniaux d'il y a un siècle
: les autochtones ne peuvent pas être
libres de leurs choix, ne peuvent pas se
gouverner, n'ont pas vraiment une âme et
ne peuvent pas être démocrates sauf
après quelques dizaines de siècles de
rééducation chrétienne ou blanche ou
culturelle ou « authentique ». Le même
mépris scientifique, la même sociologie
du mépris et de suprématie. La solution
commune aux deux, le Père du peuple et
le missionnaire occidental ? Le temps.
Il faut du temps pour que les peuples
locaux soient capables d'être traités
comme des peuples. Quel temps ? Le temps
que je sois président jusqu'à la mort.
Moi et les miens. Les proches, les
parents. Beaucoup de temps. 5 fois
cinquante d'indépendance…etc. D'ailleurs
cette idée est même intégrée par
l'indigène qui n'a pas lu Frantz Fanon :
nous méritons la dictature car c'est la
seule solution de barrage contre notre
sauvagerie évidente et naturelle.(2)
Les
élections truquées un atavisme africain
fruit d’un héritage
Aminata Traore ancienne ministre de la
culture nous décrit la situation au Mali
on croit être en Algérie ! Les mêmes
thérapies de l’extérieur avec les mêmes
effets ! En vingt ans, écrit-elle, de «
transition démocratique », assistée et
encensée par la « Communauté
Internationale », la montagne a accouché
d’une souris. Le peuple est désemparé
mais inaudible. Le coup d’Etat est
survenu à cinq semaines du premier tour
de l’élection présidentielle, dans un
contexte quasi insurrectionnel. (…) Le
multipartisme que nous appelions de tous
nos vœux, s’est traduit par la
prolifération des partis dont le nombre
dépasse 140 actuellement pour un pays de
14 millions d’habitants. Coupés de leur
base électorale, les dirigeants
démocratiquement élus sont occupés à
plein temps par toutes sortes de
stratégie de captation de « l’aide au
développement » et des opportunités
d’affaires que le système néolibéral
offre. Ce sont les gagnants de ce
système économique et politique mafieux
qui, en « démocrates milliardaires »
s’apprêtaient à se disputer la place
d’ATT en achetant tout ce qui peut
l’être, du bulletin de vote à la
conscience des électeurs/trices. »(3)
« Enrichissez-vous et taisez-vous » est
la règle non écrite du jeu politique.
(…) Leurs enfants qui, avec ostentation,
fêtent leurs milliards ajoutent à
l’indignation des jeunes déshérités qui
n’ont droit ni à une école de qualité ni
à l’emploi et au revenu ni à un visa
pour aller tenter leur chance ailleurs.
Aucun parti politique ne peut se
prévaloir aujourd’hui d’une base
électorale éduquée et imprégnée des
enjeux et des défis du changement de
manière à choisir leurs dirigeants en
connaissance de cause et à les contrôler
dans l’exercice de leurs fonctions.
La société civile, dont le rôle est
d’éduquer, de contrôler et d’interpeller
la classe politique vit de compromis et
de compromissions. (…) La liberté
d’expression chèrement acquise est sous
surveillance dans les médias publics.
Elle se traduit par l’existence d’un
paysage médiatique dense (journaux..)
qui, pour survivre, se comporte comme la
société civile : savoir se vendre. Quant
à l’unique chaine de télévision
nationale, l’ORTM, elle est « la voix de
son maître ».(3)
Comment
désintégrer un pays ?
En Algérie, nous avons de plus en plus
l’impression que malgré nos certitudes
d’un autre âge, l’Algérie peut très bien
basculer dans une nouvelle horreur de
par la volonté des grands de ce monde ,
pour qui l’intervention l’ingérence au
nom de valeurs faussement humanistes-
même chez eux où c’est la jungle et le
règne d’un libéralisme sauvage- est une
nouvelle façon de régner sur les peuples
surtout s’ils disposent de matières
premières et notamment d’hydrocarbures .
Cela n’a pas échappé à certains partis
politiques qui agitent à raison le
spectre de la peur du complot étranger,
naturellement pour leur propres survie
et prospérité loin, justement, du
bonheur du peuple et de son aspiration à
vivre d’une façon apaisée socialement
avec les fondamentaux d’une vie digne,
emploi, éducation et santé. Ecoutons
l’un de ces partis qui pense que la
solution est dans une assemblée
constituante :
«Les députés ont souillé l'image des
Algériens tandis que l'Assemblée
nationale est devenue un espace de
business et d'affaires», a lâché le
premier secrétaire national du Front des
forces socialistes, Ali Laskri. Sur sa
lancée, il a expliqué que «la
participation du Front des forces
socialités aux joutes du mois de mai
porte dans ses projets le rétablissement
du politique d'où la nécessité du retour
à l'Assemblée constituante car l'APN
actuelle n'a aucune valeur». «Ce qui se
passe actuellement dans certains pays
voisins, la Libye, les pays du Sahel et
peut-être l'Algérie, exige de nous tous
de rester vigilants et d'être mobilisés
pour éviter une éventuelle contagion.»
«Nous ne voulons pas d'un Irak bis »
Justement, il ne faut pas croire que
nous sommes invulnérables, que nous
avons déjà donné ! Le Nouvel Ordre
Mondial fait fi des identités des
spiritualités , rien en doit entraver la
rapine et tous les moyens sont bons pour
déstabiliser les pays ne mettant en
œuvre chaque fois de nouvelles méthodes.
Après les méthodes de « démocraties
aéroportées » de l’ère Bush, depuis
quelque temps se ont jour les techniques
soft des réseaux sociaux , véritables
chevaux de Troie pour créer la discorde
Si nous ne voulons pas servir de
laboratoire nous devons éviter de prêter
le flanc à la critique Sinon à Dieu ne
plaise on s’occupera de nous et ce sera
comme en Libye la curée. Ces petites
informations tirées du bréviaire du
parfait révolutionnaire anti-dictature
donne des pistes de résistance et de
combat. Sans être naïf quant aux droits
de l’homme version occidentale
s’agissant de l’application aux « autres
» « Depuis plusieurs années écrit l’un
des idéologues , la manière dont les
peuples peuvent prévenir ou détruire les
dictatures a été l’une de mes
principales préoccupations. (…) De ces
considérations et de ces expériences
monte l’espoir résolu que la prévention
de la tyrannie est possible, que des
combats victorieux contre des dictatures
peuvent être menés sans massacres
mutuels massifs, que des dictatures
peuvent être détruites et qu’il est même
possible d’empêcher que de nouvelles ne
renaissent des cendres de celles qui
sont tombées ». (4)
Pour sa part, Federico Mayor qui a écrit
la préface du Livre de Gene Sharp : «
Résister, c’est le début de la victoire,
a déclaré Adolf Pérez Esquivel. C’est
effectivement le début d’une grande
transition à l’aube du XXIe siècle, de
sujets soumis à citoyens, de spectateurs
impassibles à acteurs. le temps d’agir à
temps est arrivé. Temps de surmonter
l’inertie, de ne plus s’obstiner à
vouloir résoudre les défis présents avec
des formules valables hier. (…) Jamais
plus le silence ! Le moment de la
participation sans présence (Internet,
SMS, …) est arrivé. Savoir pour prévoir,
pour prévenir. Savoir en profondeur pour
transformer la réalité comme il faut. De
la force à la parole ! Il faudra élever
la voix pour éviter qu’on lève les
mains, comme d’habitude. Mains tendues
pour aider, pour soutenir. Genoux pour
se lever, jamais plus pour s’humilier,
pour se soumettre. (…) Notre rôle,
maintenant, c’est de contribuer à une
rapide diffusion de ce que représentent
la guerre et la violence pour générer un
sentiment de refus, pour produire une
clameur populaire d’aversion aux
tambours de la confrontation inéluctable
et ensanglantée… Il est temps de dire à
ceux qui ne le savent pas encore, qu’il
y a aujourd’hui des méthodes non
seulement plus modernes mais surtout
plus efficaces, qui font appel à
l’intelligence, au réalisme et à la
préparation. Il s’agit de véritables
stratégies, conçues pour gagner et non
seulement pour résister ; cela change
tout ». (5)
Ce serait en définitive, un moindre mal
si ces nouveaux députés mettaient en
place une Assemblée Constituante qui
poserait enfin les jalons d’une
Assemblée où les fondamentaux d’un
projet de société pour les générations à
venir étaient posés. Il reste à savoir
si la jeunesse de 2012, celle des
réseaux sociaux de Facebook de Twitter,
bref, de l'Internet, est aussi
vulnérable que celle d'avant. Gageons
que cette jeunesse est plus à même de
comprendre les grands enjeux du monde et
qu'elle donnera sa voix à bon escient.
Quelque part dans les officines, un
logiciel de détricotage de l’Algérie est
en marche Saurons nous y faire face ?
1. Tayeb Belghiche L’autre régression El
Watan 29.04.12
2. Kamel Daoud Démocratie :
l'explication coloniale du
décolonisateur Le Quotidien d’Oran avril
2012
3. Aminata Traore Le Mali, Chronique
d’une recolonisation programmée
4. Gene Sharp De la dictature à la
démocratie Editions LHarmattan 2009
5.Federico Mayor Préface de l’ouvrage de
Gene Sharp Editons L’Harmattan 2009
Professeur
Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 8 mai
2012 avec l'aimable autorisation de
l'auteur
Le sommaire du Pr Chems Eddine Chitour
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