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L'EXPRESSIONDZ.COM
LES SOCIÉTÉS MILITAIRES PRIVÉES
La mort par procuration
Pr Chems Eddine Chitour
Lundi 7 septembre 2009
«En temps de paix, le mercenaire dérobe; en temps de guerre,
il déserte.» Nicolas Machiavel Environ 90
personnes ont été tuées le 1er septembre dans un bombardement de
l’OTAN en Afghanistan. L’ONU avait auparavant demandé
l’ouverture d’une enquête «approfondie». D’une façon tout
à fait hypocrite l’UE fait part de son incompréhension. Bernard
Kouchner a fait valoir que les Européens devraient revoir à la
hausse leurs contributions financières. «Les taliban offrent
50 dollars par famille, ce qui permet de vivre un mois entier,
alors que nous payons seulement la moitié. Bien sûr que nous
devons payer plus».(1)
Pour Bernard Kouchner, le sort de l’Afghanistan est une
mercuriale au plus offrant, il dénie du même coup tout
patriotisme aux Afghans qu’il traite indirectement de
mercenaires au plus offrant même s’ils ont une façon de
gouverner discutable; il sont chez eux.
Apparemment, la démocratie aéroportée est infligée au peuple
afghan pris en tenaille entre les taliban et les Occidentaux. Il
faut le rappeler que près de 800 personnes dont deux tiers sont
des civils, notamment des enfants, sont mortes en 2008. Le vrai
mercenariat est du côté de la coalition qui fait la guerre aux
peuples irakien et afghan en faisant appel à des mercenaires. Il
est né dans le sillage de la «guerre de l’information» et
de la doctrine du «zéro mort» suite aux guerres perdues
du Vietnam et du Cambodge, expérimenté notamment au Kosovo dans
les années 1990 par les forces de l’OTAN. Les Etats-Unis sont
aujourd’hui déployés dans plus de 50 pays. Les raisons du
recours à des sociétés militaires privées sont multiples:
politiques: contourner le Parlement américain et éviter la
critique populaire. Contourner le contrôle administratif: ne pas
irriter l’opinion publique. Les morts BW ne sont pas décomptés
comme des soldats.
Qu’est-ce qu’un mercenaire?
Un mercenaire, du mot latin merces qui signifie salaire, est un
combattant étranger aux parties en conflit, «spécialement
recruté dans le pays ou à l’étranger» et qui «prend une
part directe aux hostilités». Ce combattant doit également
avoir un «avantage personnel» à participer à ce conflit,
qui prend souvent la forme d’une rémunération «nettement
supérieure à celle» de ses homologues de l’armée régulière.
On peut citer la Légion étrangère française ou les Gurkhas
anglais. Si, après un procès régulier, le soldat capturé est
jugé coupable d’être un mercenaire, il peut s’attendre à être
traité comme un simple criminel et peut aussi faire face à la
peine de mort. Au cours de la Première guerre punique, les
Carthaginois firent amplement appel à des mercenaires. Les
républiques italiennes de la Renaissance firent souvent appel à
des mercenaires, nommés condottieres, pour leur défense.(1)
Les Britanniques ont utilisé des mercenaires suisses et
allemands plus particulièrement dans leurs colonies d’Amérique.
Depuis 1859, la Garde suisse pontificale est la seule force
mercenaire autorisée par le droit suisse. Elle a pour mission de
protéger le pape au Vatican. A partir des années 1960, des
mercenaires sont présents dans plusieurs conflits en Afrique,
comme au Katanga en République démocratique du Congo (RDC) (Bob
Denart spécialiste français des coups d’Etat dans les
républiques bananières) ainsi qu’au Yémen. A partir des années
2000, parallèlement à la disparition progressive du mercenariat
traditionnel, se sont développées les sociétés militaires
privées (SMP) anglo-saxonnes, parfois en renfort d’une milice.
Afghanistan (DynCorp) et surtout en Irak (Military Professionnal
Ressources Inc, Blackwater, Erinys, Aegis) depuis 2003.Ils
fournissent différents services comme la protection
d’installations, l’entraînement des troupes, la maintenance du
matériel militaire et participent même, dans certains cas, aux
combats armés.(2)
La contribution suivante nous permet de comprendre le mécanisme
de recrutement. Londres, septembre 2004. Les locaux d’une
société de sécurité, dirigée par un ancien officier d’infanterie
français, sont le théâtre d’auditions un peu particulières.
(...) La société de sécurité, qui recrute au nom de
commanditaires souvent américains ou britanniques, leur propose
une mission de 45 jours, rémunérée 7000 livres (10.200 euros),
afin de protéger des sites sensibles en Irak. (...) Selon la
direction générale de la sécurité extérieure (Dgse) [française
Ndlt], qui a rédigé plusieurs rapports sur le sujet à la
mi-novembre, «37 ressortissants français seraient
actuellement employés par sept sociétés de sécurité privée en
Irak». (...) En octobre 2005, c’est la société américaine
Executive Security and Aviation Solutions (Esas) qui lançait une
campagne de recrutement en France, afin de dénicher une
cinquantaine de gardes de sécurité. (..) Il suffisait, pour
s’inscrire, d’envoyer par e-mail son CV à l’adresse électronique
de Glenn F. (...) Les mercenaires français travaillent donc pour
une demi-douzaine de sociétés, essentiellement anglo-saxonnes.
(...) Depuis le début des activités des sociétés de sécurité
privées (SSP) en Irak, la Dgse a recensé quatre morts de
nationalité française. Selon une estimation réalisée par les
services secrets en juin 2005, les pertes des sociétés de
sécurité, toutes nationalités confondues, atteindraient le
chiffre de 238 personnes, pour un effectif global de 50.000
hommes, employés par quelque 400 sociétés. (...) La seule
société française à évoluer sur le marché irakien s’appelle
Allied International Consultants and Services (Aics). (...) «On
ne peut pas concurrencer les boîtes anglo-saxonnes, remarque
Jean-Philippe L., on ne ramasse que les miettes. Jamais une
société américaine ne fera appel à nous (....) Autre SSP en
pointe, Aegis, qui compte d’anciens militaires et diplomates de
haut rang dans son conseil de surveillance, a "gagné", elle, un
contrat de 293 millions de dollars lancé par le Pentagone».(3)
En Irak, plus de 180.000 salariés de sociétés privées assurent
de nombreuses missions qui, dans d’autres conflits, auraient été
confiées à des soldats. Cette véritable armée parallèle agit en
toute impunité. Les armées occidentales n’arrivent plus à
mobiliser assez d’hommes pour maintenir la paix ou mener des
guerres (exemple: le conflit irakien). La guerre en Irak
nécessite selon les experts 400.000 hommes sur le terrain. La
coalition n’a réussi à réunir que 160.000 soldats (dont 130.000
américains) Les militaires manquants ont été remplacés par des
contractants privés: 180.000 civils travaillent en Irak pour les
armées occidentales. La CIA avait secrètement sous-traité à
Blackwater la traque et la capture du chef d’Al Qaîda. Bien que
le ministère des Affaires étrangères ait publiquement rompu avec
Blackwater, cette société de sécurité privée bénéficie toujours
de 400 millions de dollars de contrats avec le gouvernement
américain. (...) Ces contrats illustrent la dépendance des
autorités américaines à l’égard d’entreprises privées comme
Blackwater. Derniers exemples en date, des projets d’assassinat
contre des chefs d’Al Qaîda qui lui auraient été confiés par la
CIA ont récemment été révélés, soulevant de vives réactions au
Congrès le 21 août.(4)
Blackwater est une multinationale rentable...1 milliard de
dollars de contrats avec l’Etat américain. En 2006, le nombre de
soldats de Blackwater déployés dans le monde était estimé à
23.000. Le chiffre d’affaires de Blackwater a augmenté de
80.000% entre 2001 et 2006.Premier contrat majeur: la protection
de Paul Bremer en Irak (20 hommes de BW sont employés à 600
dollars par jour pour protéger le représentant US). On la trouve
sous contrat en Irak, Afghanistan, Azerbaïdjan, Afrique
orientale, Moyen-Orient, USA, 90% des revenus de Blackwater.
Entre 2000 et 2007 Blackwater se vante que toutes les personnes
ayant été sous sa protection n’ont jamais eu aucun problème.
Entre 2005 et octobre 2007 on a dénombré plus de 195 incidents
impliquant Blackwater. Dans 80% des cas les hommes de Blackwater
ont tiré les premiers. «Que s’était-il passé lors de cette
bavure de Blackwater? s’interroge le New York Times. Une
fusillade au coeur de Baghdad impliquant la société de sécurité
privée Blackwater, le 16 septembre, a soulevé la question de la
responsabilité des mercenaires en Irak. Le New York Times, pour
sa part, se base sur de récents témoignages pour revoir à la
hausse les conditions et le bilan de cet incident meurtrier
(...). D’après le quotidien américain, dix-sept personnes ont
été tuées et vingt-quatre blessées lorsque les gardes privés ont
"traité" ce qu’ils pensaient être une attaque-suicide. Le
véhicule visé transportait en fait un jeune médecin et sa mère
en route vers l’hôpital, qui allaient chercher le père de
famille. Lorsqu’un garde a ouvert le feu dans leur direction, le
médecin a été atteint mortellement à la tête, perdant ainsi le
contrôle du véhicule, qui a continué de progresser vers le
convoi de Blackwater. Les mercenaires ont réagi immédiatement en
tirant des dizaines de balles qui ont tué la mère ainsi que de
nombreux Irakiens qui tentaient de fuir.»(5)
L’impunité des mercenaires
Jusqu’à ce jour, aucun homme de Blackwater n’a été inculpé car
en juin 2004, Paul Bremer, peu avant son départ d’Irak, signe un
décret qui empêche la justice irakienne de juger des
contractants privés de l’armée américaine Cette situation leur
accorde de fait une immunité quasi-totale. Quand les Etats-Unis
ont envahi le pays en 2003 sans l’accord de l’ONU, la question
juridique de l’occupation a été immédiatement posée, mais, dès
la fin des combats, les principales puissances ont avalisé cette
invasion par la résolution 1483 de mai 2003. Le 27 octobre 2008,
le «Parlement» irakien a approuvé «l’accord de
sécurité» entre Baghdad et Washington. L’occupation fut
légalisée jusqu’au 31 décembre 2008. Ce texte prévoit un retrait
des forces combattantes américaines d’ici 2011. (...) Au mieux,
«l’accord de sécurité» fait revenir l’Irak aux années
1930 quand les Britanniques dirigeaient en sous-main le pays. Au
pire, la Mésopotamie restera cette zone grise où soldats et
mercenaires occidentaux agissent impunément au nom des
multinationales...De plus, l’accord garantit une impunité totale
aux Occidentaux armés qui ont agi en Irak depuis 2003 (article
12), or, mercenaires et soldats sont déjà soupçonnés ou
coupables de multiples exactions rarement poursuivies aux
Etats-Unis comme ailleurs...Les mercenaires sont donc assurés
qu’ils n’encourent rien. Par la suite, les gouvernements
américain et irakien ont cherché à résoudre le problème de la
responsabilité des gardes privés en Irak. «Selon le New York
Times, un projet de loi qui annule l’immunité dont bénéficient
les sociétés de protection privées en Irak a reçu l’accord du
gouvernement irakien mardi 30 octobre, et doit maintenant être
approuvé par le Parlement. (...) Le journal new-yorkais établit
un parallèle entre le projet de loi irakien et l’annonce, lundi
29 octobre dans la presse, de l’échec possible des poursuites
aux Etats-Unis contre les gardes responsables de la fusillade du
16 septembre: "La décision du gouvernement irakien fait suite à
des rapports indiquant que, pendant son enquête, le département
d’Etat a promis aux gardes de Blackwater l’immunité contre
d’éventuelles poursuites. Le 30 octobre, ce dernier a confirmé
que des employés de Blackwater impliqués dans la fusillade
s’étaient vu offrir une certaine forme d’immunité en échange de
leurs dépositions."».(6) Mais, bien que Baghdad ait interdit
à Blackwater d’opérer sur le territoire irakien après la
fusillade de 2007, dans l’espoir de faire oublier son passé,
Blackwater a d’ailleurs changé son nom, en février 2009, pour «Xe
Services LLC». Xe assure toujours le transport aérien des
diplomates américains qui y sont envoyés. Son contrat de deux
ans, d’un montant de 217 millions de dollars, arrive à
expiration le 3 septembre. ´´Mais nous en passer complètement ne
serait guère envisageable dans les circonstances actuelles´´,
avait déclaré la secrétaire d’Etat. D’ailleurs, le 3 septembre
2009, le département d’Etat américain a fait part de la
prolongation du contrat de la société américaine Blackwater pour
protéger la vie des diplomates américains en Irak, selon
certaines sources d’information. Pourtant, le gouvernement de
Nouri al-Maliki a interdit d’activité en Irak la société de
sécurité Blackwater. C’est dire si la souveraineté de l’Irak est
limitée...«Si l’on croit la théologie catholique "une guerre
juste" doit obéir à trois conditions, (...) La première des
trois conditions énoncées par saint Thomas est que la guerre ne
peut être légitimement décidée que par l’autorité politique
souveraine qui a pour fin principale de connaître et de
promouvoir le bien commun de la cité ou société politique
parfaite. (...) La deuxième condition de la guerre juste est que
la guerre soit entreprise pour une cause juste (..°) La
troisième condition de la guerre juste est ainsi la rectitude de
l’intention de celui qui fait la guerre. L’autorité politique
suprême peut entreprendre une guerre pour une cause juste mais
en étant mue principalement par une intention mauvaise. (...) On
pourrait ajouter une condition que saint Thomas n’affirme pas
explicitement: il faut que le belligérant use de moyens
militaires légitimes. Il n’est donc pas permis d’user de
n’importe quel moyen militaire pour vaincre son ennemi. Il y a
des actes qui sont toujours mauvais en eux-mêmes et il n’est
jamais permis de les poser. L’intervention des armées
américaines et anglaises en Irak, décidée sans l’assentiment du
Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies»(7)
Les guerres que mène l’Occident ne sont pas justes et partant
pas morales. Quand Bush avait envahi l’Afghanistan, c’était pour
délivrer les Afghanes, maintenant c’est pour combattre le
terrorisme. Et demain? Cette guerre dissymétrique de 1 pour 1000
est encore plus amorale quand on utilise les satellites, les
drones et les robots. On tue son adversaire sans le connaître à
des milliers de kilomètres, à partir d’une salle climatisée du
fin fond des Etats-Unis...
1.Un raid de l’OTAN fait 90 morts en
Afghanistan: Le Monde.fr AFP, Reuters et AP 04.09.09 2.Les
mercenaires Encyclopédie libre Wikipédia
3.Gérard Davet, Fabrice Lhomme, Profession: mercenaire français
en Irak. Le Monde 25 112005
4.M.Landler, M.Mazzetti Washington a du mal à rompre avec
Blackwater. NYTimes 24.08.09
5.Affaire BW: Que s’est-il vraiment passé le 16 septembre?
Courrier international 03.10.2007.
6.Barnabé Chaix. Quelle responsabilité pour les mercenaires
américains? Courrier International 31.10.2007
7.Qu’est-ce qu’une guerre juste?
http://www.etudesfda.com/SPIP/spip.php?article48
Pr Chems Eddine CHITOUR,
Ecole nationale polytechnique
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Publié le 7 septembre 2009 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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