Opinion
Embargo
pétrolier de l'Iran : Coup d'épée dans
l'eau ou apocalypse annoncé
Chems Eddine Chitour
Samedi 7 janvier
2012
«La
dissimulation est aux affaires ce que
l'alliage est à la monnaie: un peu est
nécessaire, trop la discrédite.»
Ce proverbe iranien qui a traversé le
temps est plus que jamais d'actualité.
Peut-être que la mentalité iranienne que
l'Occident dédaigne de connaître, fait
que nous sommes en présence d'un
gigantesque malentendu sur le programme
nucléaire militaire iranien,
contrairement à celui d'Israël qui lui
est bien réel. Il n'empêche! L'année
démarre mal avec comme punition, les
velléités d'embargo du pétrole iranien.
Cet embargo sera-t-il efficace?
Etouffera-t-il l'Iran? Renversera-t-il
Ahmadinejad pour mettre à la place une
marionnette pro-occidentale qui arrêtera
le programme nucléaire civil, répondant
de ce fait, à l'exigence
américano-israélienne. Quelles sont les
conséquences?
On sait que l'Iran détient 10% des
réserves pétrolières mondiales prouvées
(ce qui place le pays à la 3e place dans
le monde). L'Iran possède également les
secondes réserves de gaz naturel
mondiales (15% du total mondial);
celles-ci sont exploitées principalement
pour l'usage domestique. L'Iran est un
grand pays qui essaie de diversifier
d'une façon cohérente l'utilisation de
ses ressources, notamment par la
construction de barrages
hydroélectriques...
L'embargo
du pétrole iranien
On apprend que l'Allemagne et la France
ont réussi à «imposer» aux petits pays
européens l'ordre de ne pas acheter du
pétrole iranien. L'embargo est considéré
comme «Une très bonne nouvelle» par les
Etats-Unis qui se félicitent de l'accord
de principe conclu par les pays
européens pour imposer un embargo sur
l'achat de brut iranien. Deuxième pays
producteur de l'Opep, l'Iran tire 80% de
ses rentrées de devises de ses
exportations de pétrole, soit environ
100 milliards de dollars pour l'année
iranienne en cours (mars 2011 - mars
2012). La Russie, la Chine et d'autres
pays asiatiques ont récemment affirmé
leur opposition à un embargo pétrolier.
Les Etats-Unis ont renforcé ces derniers
jours leurs sanctions contre le secteur
financier iranien, via le gel des avoirs
de toute institution financière
étrangère qui commercerait avec la
Banque centrale iranienne dans le
secteur du pétrole.
Pour Zhor Hadjam, Téhéran a menacé de
bloquer le détroit d'Ormuz, un canal
stratégique par où transitent entre un
tiers et 40% du trafic maritime
pétrolier mondial, ajoutant aux
incertitudes. Des tensions persistantes
qui ont eu leur impact sur le baril de
Brent qui a atteint, le 3 janvier,
112,59 dollars, son niveau le plus élevé
depuis le 15 novembre 2011. Il faut
savoir que l'Iran produit quelque 3,5
millions de barils par jour et exporte
environ 2,5 millions de barils par jour,
dont près de 18% sont destinés à
l'Europe. Pour contourner la pression
occidentale des sanctions, l'Iran s'est
tourné vers l'Asie pour faire baisser sa
dépendance par rapport au marché
européen. La France et l'Allemagne
défendent l'idée d'un embargo sur
l'achat de brut iranien, mais certains
pays européens s'y opposent fermement;
Téhéran vend quelque 450.000 barils aux
Européens, essentiellement à l'Italie
qui dépend à plus de 40% du pétrole
iranien (180.000 barils), à l'Espagne
(160.000 barils) et à la Grèce (100.000
barils). De plus, la recherche d'autres
sources de substitution, venant d'Arabie
Saoudite (qui s'est déclarée disposée à
fournir plus de barils) et de Libye,
reste aléatoire et ne tranquillise pas
totalement les pays européens réticents.
Selon certaines estimations, la Libye ne
produit actuellement que 800.000 barils
par jour.(1)
Le ministre iranien du Pétrole, Rostam
Qasemi, cité par l'hebdomadaire Aseman,
déclare que le prix de 200 dollars que
pourrait atteindre le baril en cas de
nouvelles sanctions occidentales contre
Téhéran. «Pour Nicholas Sarkis,
directeur du Centre arabe d'études
pétrolières, interviewé par Melissa
Roumadi, l'embargo sur les importations
de pétrole iranien aura des conséquences
considérables sur le marché pétrolier
pour deux raisons. La première est que
ceci priverait les pays consommateurs de
tout ce que l'Iran exporte comme
pétrole. La seconde est qu'il y a le
risque de représailles du côté des
Iraniens. Ceux-ci ne s'en cachent pas.
Ils menacent de fermer le détroit
d'Ormuz par où passe une grande partie
des exportations mondiales de pétrole.
(...) Personne ne peut prévoir jusqu'où
les prix du pétrole pourraient aller. On
ne peut pas donner un chiffre comme ça
avant même que d'éventuels événements
aient lieu. Ce qui est certain, c'est
qu'il y aura une très forte augmentation
des prix. Qu'ils passent à 150 dollars,
à 180 ou à 200 dollars et plus, toutes
les hypothèses sont possibles. Ce qui
est certain, c'est qu'une telle
possibilité aurait des effets désastreux
sur le marché pétrolier.» (2)
«Il y aura, poursuit l'expert, un impact
certain sur les économies de tous les
pays consommateurs de pétrole, y compris
les pays de la zone euro qui dépendent,
en grande partie, du pétrole iranien. La
demande augmente alors que les capacités
non utilisées de production deviennent
limitées et les découvertes se font
rares. Le développement de nouvelles
capacités de production est assez lent.
(...) Ce dont je doute. Le risque est
trop grand pour les Etats-Unis et
l'Europe pour avancer dans ce sens et
interdire le pétrole iranien. (...Depuis
plusieurs années déjà, ces pays
(Etats-Unis, Europe, Ndlr) ont cherché à
étrangler l'Iran pour faire pression et
le pousser à arrêter son programme
nucléaire. Ils n'ont pas réussi
jusqu'ici. Un durcissement des sanctions
que ce soit dans le domaine pétrolier,
financier ou autre qui irait jusqu'à
présenter un risque plus grave pour
l'économie iranienne, il faudrait
s'attendre dans ce cas à des
représailles du côté iranien.» (2)
Que se
passera-t-il si l'embargo est décrété?
En fait, de notre point de vue, il ne se
passera rien d'exceptionnel, les prix
pourraient augmenter pour une très
courte période et redescendre tout aussi
brutalement. Les Occidentaux jouent à se
faire peur et à faire peur en parlant de
la catastrophe de la fermeture du
détroit d'Ormuz. Est-ce la fin du Monde?
De fait, ce sont les petits pays qui
seront les premiers touchés. D'abord,
les Etats-Unis ne sont pas concernés,
ils se ravitaillent ailleurs. De plus,
il ne faut jamais oublier que l'Agence
internationale de l'énergie, le gendarme
pétrolier à la solde de l'Empire, veille
au grain. On sait que cette institution
créée par Henry Kissinger en 1974 pour
«casser l'Opep» fait dans ses statuts
obligation aux membres- les pays de
l'Otan- de constituer des stocks de
sécurité de 90 jours pour amortir le
choc en cas de conflit. En clair, si un
conflit est déclaré, les membres de
l'AIE vont destocker leurs réserves, ils
vont créer une abondance artificielle
qui va annihiler l'effet d'augmentation
due à une rareté conjoncturelle.
Cette «façon de faire» est absolument
contraire à l'esprit de la doctrine
libérale de l'offre et de la demande,
mais qui peut protester? Ces scénarios
ont fonctionné dans les derniers
conflits. Il faut cependant que le
conflit ne dure pas plus de trois mois.
L'Empire et ses vassaux ont les moyens
de juguler la flambée des prix. Seuls
les marchés financiers de la spéculation
peuvent les perturber. De ce fait, il ne
faut pas être naïf pour croire que les
kermesses de l'Opep servent à quelque
chose, les décisions sont prises
ailleurs, elles sont annoncées et
imposées par l'Arabie Saoudite et les
roitelets du Golfe pour le compte de
l'Empire. En décembre 2011, à la réunion
de l'Opep, l'Iran a réclamé en vain une
baisse de la production de l'Arabie et
du Koweït. On dit que les Etats-Unis
sont le membre le plus important de l'Opep.
Pourtant, il semble que l'Empire craque
de partout au profit de l'Asie. «Requiem
pour les États-Unis d'Amérique, tels que
vous les avez connus depuis la guerre,
écrit Robert Bibeau. Après moins de
soixante-dix ans de règne sans partage -
si ce n'est quelques velléités du
social-impérialisme soviétique (1955-
1989) - l'empereur d'Occident poursuivra
sa descente aux enfers encore cette
année. L'agonie de l'Empire amorcée en
2008 - crise des subprimes - prolongée
en 2011 - crise de la dette souveraine -
se poursuivra en 2012 et s'étiolera sur
quelques années. Au cours de cette
période, les États-Unis seront
simultanément insolvables et
ingouvernables, transformant en
«bateau-ivre» ce qui fut le
«navire-amiral» de la flotte
impérialiste occidentale (...) Le déclin
de l'empire américain est bien certain.
Les émissions de dollars (Quantitative
Easing) de 2009 et 2010 n'auront servi
qu'à plomber le navire à la dérive. Les
agences de notation anglo-saxonnes et
les banquiers de Wall Street le savent
pertinemment, en 2012 ne soyez pas
étonnés d'apprendre qu'ils convertissent
une partie de leurs avoirs - dollars -
en euros, en yuans, en francs suisses,
en or...Les rats ont commencé l'an
dernier à abandonner le navire-ivre.»
(3)
«Dans le monde occidental, poursuit
Robert Bibeau, l'impérialisme étatsunien
aux abois - l'ennemi irréductible de
l'impérialisme chinois - essaiera de
soulever une vague de protectionnisme et
de nationalisme fanatique et les
États-Unis tenteront d'impulser une
désastreuse «Guerre froide» contre la
Chine. Au cours de 2011, Obama a fourni
le cadre et la justification d'une
confrontation à grande échelle et de
longue durée avec la Chine. Ce sera un
effort désespéré pour maintenir
l'influence étatsunienne et conserver
ses positions stratégiques en Asie et
partout dans le monde. «Le «quadrilatère
de pouvoir» de l'armée étasunienne - les
États-Unis, le Japon, l'Australie et la
Corée - avec le soutien des satellites
philippins, essaieront de détruire les
liens commerciaux de la Chine au moyen
de la puissance militaire de Washington.
(...) La déconfiture économique et
sociale de l'Amérique commande cette
action «audacieuse et périlleuse»,
pensent un certain nombre de stratèges
du Pentagone et de Wall Street. La
déstabilisation des approvisionnements
en hydrocarbure de la Chine, du Japon et
de l'Euroland permettra aux États-Unis
(qui ne s'approvisionnent pas au
Proche-Orient) de se refaire une
autorité sur les marchés boursiers -
folle équipée de financiers
désespérés.(3)
Malgré cela, les Etats-Unis resteront la
première puissance militaire malgré une
croissance moins soutenue de leur budget
militaire, a promis Barack Obama, qui a
présenté le 5 janvier une réforme de la
doctrine militaire prévoyant une baisse
des effectifs. «Notre armée sera plus
réduite, mais le monde doit savoir que
les Etats-Unis vont maintenir leur
supériorité militaire avec des forces
armées mobiles, souples et prêtes à
faire face à toutes les éventualités et
les menaces», a déclaré le président,
s'adressant à la presse au Pentagone.
A cette stratégie du pire, à ces bruits
de bottes savamment entretenus, on peut
ajouter le rôle des vassaux. pour
pouvoir étouffer financièrement l'Iran,
il est nécessaire que ceux qui
s'approvisionnaient par l'Iran puissent
ne pas manquer de pétrole. C'est là
qu'interviennent les pays du Golfe et
principalement l'Arabie Saoudite dont le
rôle sera justement d'ouvrir les vannes.
Karim Mohsen s'interroge justement sur
l'armement saoudien. Il écrit: «L'Arabie
Saoudite vient d'acquérir 84
chasseurs-bombardiers F-15 américains
pour la modique somme de 29,4 milliards
de dollars. (...) Pour se prémunir
contre qui? Israël ou l'Iran? Il faut
savoir que dans les ventes de ces armes
aux pays arabes, un alinéa interdit leur
utilisation contre Israël. Ceci dit,
«l'ennemi» pour lequel les Etats-Unis
arment l'Arabie Saoudite est donc
identifié: l'Iran! On relève, dès lors,
qu'il y a là comme un défaut: l'Arabie
Saoudite, siège des Lieux Saints de
l'Islam, et qui accueille (à Djeddah)
l'Organisation de la Conférence
islamique (OCI, 57 pays, dont l'Iran)
peut-il être l'ennemi d'un autre pays
musulman? Désormais la question se pose
avec gravité: le combat que les
Etats-Unis mènent contre l'Iran peut-il
être celui de l'Arabie Saoudite?» (4)
Une attaque contre l'Iran est annoncée
depuis plusieurs années par différents
services de renseignement privés, dont
les plus sérieux. Pour ce faire il faut
sauter le verrou syrien, il sera facile,
alors pour Israël qui piaffe
d'impatience - à moins que cela ne soit
un bluff - de «traverser» le territoire
syrien et ce qui reste du territoire
pour aller tester ses missiles Jéricho
sur les Iraniens. «La déstabilisation de
la Syrie, écrit Gilles Munier, comme
celle de l'Irak, fait partie du projet
de démembrement du Monde arabe sur des
bases ethniques, tribales ou
confessionnelles. Les contre-mesures
adoptées pour détourner les «Printemps
arabes» de leurs objectifs semblent
inspirées du plan Yinon de 1982, du nom
d'un fonctionnaire du ministère
israélien des Affaires étrangères qui
préconisait la création de mini-Etats
antagonistes partout dans le Monde
arabe. (...) La politique de la
canonnière - ou du porte-avions - est de
retour, comme au XIXe siècle au service
des intérêts économiques et
géostratégiques occidentaux. L'Irak, la
Yougoslavie, l'Afghanistan, la Côte
d'Ivoire, la Libye et bientôt,
peut-être, la Syrie et l'Iran en ont
été, sont ou seront les victimes. Je ne
suis pas le seul à penser que pour
enrayer leur déclin économique et
politique, les Etats-Unis et leurs
alliés s'en prendront à la Fédération de
Russie et à la Chine. (...) Barack Obama
a si peur du lobby israélien qu'il fera
à peu près n'importe quoi pour s'assurer
du vote juif cette année. Chaque fois
qu'on l'accuse de ne pas être assez
ferme avec l'Iran, il augmente d'un cran
les mesures contre l'Iran.» (5)
Devant cette apocalypse annoncée, y
a-t-il un pilote dans le vaisseau Terre?
Cette course vers l'abîme est porteuse
de tous les dangers. Pourquoi ne pas se
mettre autour d'une table et parler de
l'avenir de la planète dans la dignité
et le respect de chacun en demandant
d'abord aux 5 membres du Conseil de
sécurité de permettre des inspections de
leur programme nucléaire, pourquoi ne
pas parler de dénucléarisation du
Moyen-Orient? Pourquoi prendre par la
force ce qui ne vous appartient pas?
Pourquoi imposer une fausse démocratie
aéroportée qui apporte le chaos, le
sang, les larmes, une violence
permanente? Pourquoi ne pas régler le
problème de la place de l'homme par
rapport au capital, à
l'ultralibéralisme? Quand quelques
milliers d'oligarques sont plus riches
que la moitié de la planète, il y a lieu
de s'indigner. Une guerre nucléaire sera
mondiale, les Chinois et les Russes ne
laisseront pas faire, car après, ce sera
leur tour. C'est peut-être cela la fin
de l'espèce humaine prévue par les
calendriers mayas.
1. Zhor Hadjam: Le prix du pétrole
pourrait connaître une forte hausse El
Watan 5 01 2012
2. Melissa Roumadi: Nicolas Sarkis «Le
contexte pétrolier n'est pas favorable à
des sanctions contre l'Iran» El Watan
05.01.12
3. Robert Bibeau http://www.centpapiers.
com/deux-mille-douze-avant-et-apres/91333
4. Karim Mohsen: Mais contre qui s'arme
donc Riyadh? L'Expression 05 Janvier
2012
5. Gilles Munier
http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=28507
Professeur Chems
Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 8 janvier
2012 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
Le sommaire du Pr Chems Eddine Chitour
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