Opinion
Ce que fut
l'invasion coloniale de l'Algérie :
Histoire d'une douleur
Chems
Eddine Chitour
Pr Chems
Eddine Chitour
Vendredi 4 mai 2012
«Il y a de la
grandeur dans la petitesse, dans les
petites choses, dans la moindre chose.
Il y a de la grandeur à condition qu'à
l'horizon il y ait un but.»
Aimé Césaire: Discours et entretiens
Nous sommes à deux mois du cinquantième
anniversaire de l'Algérie. Devant le
vide sidéral actuel qui fait que les
Algériennes et les Algériens se
désintéressent de leur histoire partant
de deux constats réalistes: il n'y a
rien à attendre du côté de la puissance
coloniale qui garde par-devers elle les
documents et nos fragments de mémoire.
Il n'y a rien à attendre aussi de la
part de nos autorités qui, pendant
cinquante ans, ont donné un récit
laudateur qui, malheureusement,
certaines fois est loin de la vérité, ce
qui délégitime globalement le discours
officiel. Certains se demandent s'il est
possible d'écrire une histoire sereine
du vivant de certains «acteurs» ou
réputés tels de la guerre de Libération.
Nous allons dans les deux mois qui nous
séparent résumer en huit épisodes le
destin de cette Algérie dont on nous dit
que la dénomination a été inventée par
la France et ce faisant, devrait tout à
cette France qui l'a faite jaillir du
néant de l'occupation ottomane. Qu'il
nous suffise de répondre que la Régence
s'était portée au secours de la
Révolution française en lui vendant du
blé - alors que dans le même temps, les
nations européennes, pour la plupart
monarchiques, tournaient le dos au mieux
et certaines fois la combattaient. Cette
reconnaissance des révolutionnaires à
l'endroit de la Régence, fut citée dans
le journal de la Révolution «le
Moniteur». Elle fut d'ailleurs à la base
du contentieux- les différents
gouvernements ne voulant pas honorer
leur dette - qui dura jusqu'en 1827,
date de l'affaire de l'éventail qui
devait donner prétexte à la royauté pour
envahir l'Algérie.
Le projet
échoua
Pour rappel, l'histoire de la créance
impayée par la France pour des
livraisons de blé pendant la Révolution,
l'exaspération du Dey indigné par le
comportement pour le moins incorrect, du
consul Deval, a servi de prétexte à
l'expédition. Cette dernière fut en
fait, chaque fois reculée et ceci depuis
le XIVe siècle (le premier bombardement
d'Alger date de 1390). En fait, la
plupart des nations européennes
(Espagne, Angleterre, Italie) avaient,
comme la France, un contentieux sans
fondement, avec la Régence d'Alger.
C'est le cas des Américains, qui, las de
payer pendant des années un tribut à la
Régence, pour garantir la libre
circulation de leurs navires, vinrent
faire le siège devant Alger en 1815,
(Bombardement de Decatur). Les Anglais
ne furent pas en reste, ils bombardèrent
(flotte dirigée par lord Exmouth), Alger
sans succès. Il en fut de même des
Espagnols qui, après une période d'
«accalmie» de près de deux siècles,
vinrent bombarder Alger (Expédition d'O'Reilly
vers 1775). La créance que la France n'a
pas voulu honorer, (interférence de deux
commerçants juifs et d'un consul
français véreux et surtout arrogant),
amenèrent, comme nous l'avons écrit, le
fameux incident du chasse-mouches: le
prétexte à une juste réparation était
enfin trouvé par la France.
Cependant, la France devait donner des
gages à l'Angleterre et lui avait promis
de s'en tenir à une occupation
restreinte d'Alger. Cette dernière
proposa d'ailleurs, de faire participer
des contingents indiens musulmans (les
Pakistanais!!), pour faciliter les
contacts avec les Indigènes et procéder
à une occupation sans histoires, puisque
c'étaient des musulmans. Le projet
échoua et la France parvint à faire
cavalier seul, et mis à exécution un
projet mûri depuis 1808, année où
Napoléon 1er envoya à Alger l'espion
Boutin pour faire des repérages,
La période française (1830-1962) peut à
bien des égards être considérée comme la
plus noire de l'histoire trois fois
millénaire de l'Algérie. Pendant que le
général de Bourmont, qui eut un
comportement ambigu lors des guerres
napoléoniennes, apposa sa signature au
bas de l'engagement solennel de protéger
les biens, les personnes, ainsi que le
respect de leur religion, ses généraux
pénétraient à la Casbah et la mettaient
à sac. Le journal «le National» du 6
septembre 1830 rapporte qu'un général
prit à partie un colonel et un
lieutenant qui se disputaient un écrin
contenant des diamants du Dey d'une
valeur de trois millions. Le général
faisant prévaloir son grade se
l'appropria et éconduit le Dey qui le
réclama par la suite.
En effet, l'envahisseur a pris prétexte
d'un motif anodin, l'insulte faite par
le Dey à Deval, consul du Royaume de
France.
Le motif réel est, le croyons-nous,
fondamentalement différent. Il y a
d'abord l'attrait de la rapine, en effet
le trésor fabuleux du Dey était évalué
selon certaines estimations à 200
millions de francs-or de l'époque.
Ensuite la volonté délibérée de
prosélytisme chrétien débridé présenté
dès 1827 par le marquis de Clermont
Tonnerre, ministre des Affaires
étrangères de Louis XVIII. Enfin, une
tentative de revanche sur l'histoire
européenne de la France qui s'est
terminée comme on le sait avec la
défaite cuisante de Waterloo ne devait
pas être étrangère à ces motifs qui
permettaient, en définitive, de redorer
un blason bien terni par la démesure
napoléonienne et de donner un exutoire
aux «ambitions impatientes» de la
France.
L'Algérie avait tous les attributs d'un
Etat au sens moderne du terme avec une
monnaie, une armée, un drapeau et des
frontières connues et reconnues par les
puissances de l'époque. A titre
d'exemple, Massinissa battait monnaie
pendant que l'Europe n'avait pas encore
émergé -exception faite de la Grèce et
de l'Empire romain au temps historique.
Il a fallu attendre, à titre d'exemple,
le traité de 843 pour que l'on puisse
parler pour la première fois du mot
France. En effet, peu après la mort de
Charlemagne, des événements majeurs
marquent l'Empire carolingien: c'est en
tant que dernier fils survivant de
Charlemagne que Louis Ier le Pieux (ou
le Débonnaire) obtient le titre
d'empereur d'Occident en 814. En 840,
Louis le Pieux meurt, laissant derrière
lui une succession qui s'annonce
délicate. Pépin d'Aquitaine, second fils
de l'empereur, mourut en 838. A la mort
de Louis le Débonnaire, l'Empire est
donc partagé entre ses trois autres
fils: Louis le Germanique, Lothaire et
Charles le Chauve. En 843, le partage
est finalement décidé à Verdun: Lothaire
reçoit la Francie médiane, de la mer du
Nord à l'Italie, il garde le titre
d'empereur. Louis le Germanique reçoit
la Francie orientale ou Germanie (la
future Allemagne). Charles le Chauve
reçoit la Francie occidentale (la future
France). Comme tous les pays, la France
s'est inventée des mythes fondateurs qui
lui ont permis d'asseoir une identité
historique
Il en est de même de l'Algérie qui eut
aussi un parcours épique allant des
premières lueurs de la civilisation au
Maghreb après d'abord l'avènement de
Mechta el Arbi, l'homme de Tifernine
près de Mascara il y a 1,7 million
d'années (cf, les fouilles d'Arembourg)
ce fut la préhistoire riche à travers
toute l'Algérie qui est elle-même un
musée à ciel ouvert et que les
Algériennes et Algériens ne connaissent
pas; il y eut ensuite l'avènement de la
dynastie des royaumes berbères qui
auraient débuté au Xe siècle avant Jésus
Christ- Un roi berbère, Shshnaq ou
Sheshonq, se serait installé sur le
trône d'Egypte et aurait fondé la XXIIe
dynastie. Ce qui explique la date du
calendrier amazigh (2760). Ce fut
ensuite la venue des Phéniciens et du
judaïsme, des Romains avec, dit-on,
aussi l'avènement d'une Eglise
maghrébine apostolique avec mise en
place de plusieurs centaines d'évêchés
suite au donatisme qui s'est rebellé
contre l'Eglise officielle représentée
par saint Augustin; ce fut enfin
l'avènement des conquérants arabes
véhiculant l'Islam. Qui permit
durablement et après moult convulsions
de conquérir les coeurs par le message
divin.
Plusieurs dynasties virent le jour dans
ce qui était alors le Maghreb. Les
Mouahidines, les Mourabitines, les
Hammadites, les Zianides les Hafisdes et
les Mérinides du XIIIe au XVe siècle. La
Reconquista espagnole amena le reflux
des royaumes arabes d'Espagne vers le
Maghreb, -Chute de Grenade le 6 janvier
1492- et aussi l'occupation de quelques
villes algériennes à partir de 1509
(Oran) puis Alger, Béjaïa Djidjel. La
venue d'Arroudj et Khair-Eddine
Barberousse sauva le Royaume d'Alger,
continuateur des dynasties précédentes
du Maghreb central. Leur venue sauva
aussi le Maghreb d'une christianisation
effrénée mise en place par le cardinal
Cisneros, ancien inquisiteur de la cour
d'Espagne. C'est justement Khair Eddine
Barberousse qui donna à l'Algérie -
appelée alors Régence d'Alger- les
frontières Est et Ouest actuelles.
Massinissa
Pendant toute la période historique,
l'Algérie s'était fait signaler par ses
hommes de lettres et ses hommes de
religion qui furent à bien des égards
des marqueurs identitaires. Il y avait
une université il y a vingt siècles à
Mdaourouch. (Madaure) Apulée y étudia et
y enseigna. Il écrivit sa fameuse pièce
- l'Ane d'or - qui dit-on est le prélude
au théâtre universel. Béjaïa, Tlemcen
Constantine, Miliana, étaient des
centres de rayonnement. Ibn Khaldoun, le
père de la sociologie universelle
écrivit «La Moqquadima»à Takdempt
(Tiaret), Al Ghobrini nous dit qu'il y
avait cent savants à Béjaïa au XVe
siècle - ounouane adhiraya an machaïkh
Bejaïa» «Galerie des cent savants de
Béjaïa. Pendant ce temps, l'Europe était
encore en pleines ténèbres de la pensée.
Nous voilà aux portes de 1830! Dans les
prochains écrits et tout au long des
semaines d'ici le 5 juillet, nous
tenterons de décrire ce que fut
réellement la colonisation. Nous ne
serons pas ingrats envers ceux qui ont
aidé l'Algérie, je veux notamment citer
l'abnégation des instituteurs et des
médecins qui ont bravé l'ordre colonial
pour venir à nous et nous assister dans
notre douleur.
Nous sommes, en tant qu'Algériens,
conduits à penser que le pouvoir
colonial a eu un comportement criminel
en Algérie. Les sirènes qui nous
demandent de passer l'éponge devraient
lire l'histoire. Le moment est venu pour
que la France reconnaisse les crimes
perpétrés en son nom en Algérie qui ne
peut effacer d'un trait de plume les
atrocités endurées par son peuple
humilié et brimé durant 132 ans.
L'opinion française admet que l'on
puisse rechercher des criminels nazis 70
ans après les faits, poursuivis par les
juifs, le dernier en date, Victor
Demanjuk, jugé grabataire à l'âge de 91
ans et qui vient de mourir.
Cette même opinion qui reconnaît la
responsabilité de l'Etat français dans
la déportation de 15 000 juifs nie au
nom du droit du plus fort sa
responsabilité dans la
clochardisation-selon le mot de Germaine
Tillon- de la société algérienne pendant
130 ans. Cette même opinion qui, à
l'instar de Lionel Jospin-unanimisme
gauche droite- a parlé d'un solde de
tout compte avec l'indépendance. Aux
oubliettes, les terreurs, les millions
de morts dont un million durant la
guerre de Libération?
Pour cette présentation, nous allons
résumer les principaux chapitres. Après
la description de l'invasion en
insistant principalement dans le cadre
de cette étude sur l'étouffement de la
connaissance et l'attaque systématique
de la religion, notamment en détruisant
ou en convertissant des mosquées et en
tarissant les financements par les
habous et les fondations pieuses. Nous
allons montrer dans cet essai le vrai
visage de la colonisation en décrivant
les méthodes des militaires des Saint
Arnaud qui avait, comme l'écrit si bien
Victor Hugo, «les états de service d'un
chacal»
Nous parlerons de tous les tortionnaires
qui, pendant 132 ans et jusqu'à la
veille de l'Indépendance, ont torturé,
avili et spolié le peuple algérien. Nous
n'oublierons pas aussi de citer tous les
intellectuels, voire les sommités qui
ont cautionné sans état d'âme l'invasion
et la mise en coupe réglée, notamment
Tocqueville, Lamartine, tous les auteurs
prestigieux pour qui le calvaire de
l'Algérie était nécessaire s'il devait
contribuer au rayonnement de la France;
nous citerons les positions humanistes
de tous les Victor Hugo, les Flaubert,
Dumas et tant d'autres notamment, Emile
Zola pour qui le sort du capitaine
Dreyfus méritait tous les engagements
dans son célèbre «J'accuse». Point
d'accusation concernant les meurtres, la
politique du fer et du sang des hordes
de l'armée française.
Cependant, à côté des Rovigo, Bugeaud et
autres Desmichels, il nous faut citer
tous ceux qui ont tenté d'alléger le
malheur des Algériens aussi bien dans le
corps enseignant que dans le corps
médical. Nous terminerons enfin par
rendre hommage à tous ces Français
anonymes qui ont combattu pour la cause
de la liberté du peuple algérien... Ces
Français, à l'image de Fanon, Janson,
Curiel Timsit, Audin, Yveton, Chaulet,
et tant d'autres qui ont bravé les
interdits pour épouser la cause du
peuple algérien. L'Algérie honore tous
ceux qui lui ont permis de combattre la
nuit coloniale. A travers ce plaidoyer,
nous mettrons en exergue le livre noir
de la colonisation en Algérie et
tenterons de prouver honnêtement ce que
fut l'oeuvre positive de la colonisation
en Algérie.
Nous allons, enfin, tenter d'évaluer ce
que furent les crimes de l'armée
d'Afrique puis du pouvoir colonial puis
enfin de l'armée française pendant 132
ans en faisant le décompte de tous les
morts de cette tragédie qui a commencé
un matin de 1830. Nous allons, en
définitive, décrire le «Livre noir de la
colonisation» en rapportant en honnêtes
courtiers tous les méfaits mais aussi en
témoignant de tous ceux, notamment parmi
le corps enseignant, qui ont pris leur
métier à coeur et n'ont pas fait de
discrimination pour les rares indigènes
à qui on avait permis l'école à doses
homéopathiques.
Ce plaidoyer pour une histoire apaisée
contribuera, nous l'espérons, à une
meilleure perception de l'histoire et
cet anniversaire sera pour nous un
moment de ressourcement sans haine ni
esprit de vengeance, c'est aussi, nous
l'espérons, une main tendue à tous ceux
de l'autre côté de la Méditerranée qui
acceptent enfin de comprendre que la
colonisation ne fut pas une oeuvre
positive et qu'un chemin est possible
pour un avenir fait d'amitié si une
reconnaissance des faits était assumée
et qu'Algériens et Français s'apprécient
avec une égale dignité.
Professeur
Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 4 mai
2012 avec l'aimable autorisation de
l'auteur
Le sommaire du Pr Chems Eddine Chitour
Le dossier
Algérie
Les dernières mises à jour
|