Opinion
Sarin, la nouvelle
ADM du pauvre :
un remake de l'invasion de l'Irak ?
Chems
Eddine Chitour
Jeudi 2 mai 2013
Quand on veut
noyer son chien, on l'accuse de rage»
Dicton
populaire
Une accusation récurrente qui date d'il
y a six mois: la Syrie utiliserait des
armes chimiques contre son peuple. On
accuse la Syrie de posséder toutes
sortes d'armes chimiques. sarin, tabun,
du gaz moutarde et du VX, version plus
mortelle du sarin. Depuis les années
1990 on accuse la Syrie de posséder le
plus grand arsenal d'armes non
conventionnelles du Proche-Orient. Mais
lesquelles, et combien? L'affaire du
sarin nous rappelle étrangement le
matraquage des médias occidentaux
prélude à l'invasion de l'Irak. Il y
eut, en effet, un précédent Saddam
Hussein qui utilisa ces armes chimiques
à Hallabja contre les Kurdes. La
«communauté internationale» c'est-à-dire
les Etats-Unis et ses vassaux européens
n'ont pas bougé, c'était une affaire
interne.
Ils bougèrent quand Bush décida
d'envahir l'Irak dans le cadre du Pnac
pour s'emparer du pétrole irakien. Il
fallait trouver un motif, les armes de
destruction massive cherchées en vain
par Hans Blix puis El Baradei (anciens
directeurs de l'Aiea). Tout le monde se
souvient de la réunion du Conseil de
sécurité du 5 février 2003, Le
secrétaire d'Etat Collin Powell
brandissant une fiole censée être la
preuve irréfutable que Saddam Hussein
détenait des ADM. On sait par la suite
que Collins Powell reconnut qu'il avait
été trompé par les Anglais. Dix ans plus
tard, un autre pays arabe musulman,
risque de connaitre le même scénario
pour des accusations pour le moment
invérifiables, de l'avis même du
président si c'est du fait du pouvoir
syrien ou de la rébellion.
Bref
historique des armes chimiques
Les hommes se sont toujours battus et
pendant longtemps ce fut des batailles
qui mettaient en jeu des stratégies et
des forces en hommes. Par la suite, il y
eut un tournant majeur avec l'apparition
d'armes sophistiquées Celui qui détenait
une supériorité, la devait à sa
«technologie», au secret de sa
fabrication. Des civilisations
disparurent à cause notamment, de leur
retard technologique.
Dès l'antiquité gréco-romaine, les
premières ´´armes chimiques´´ ont fait
leur apparition lors de différents
conflits. D'abord rudimentaires (simples
poisons tirés de plantes), elles se sont
perfectionnées au fil des siècles - au
même titre que l'armement en général -
et ont été de plus en plus employées,
notamment lors de la guerre 1914-18. A
la fin du siècle dernier, les nations
ont pris conscience de la nécessité
d'interdire l'emploi des armes
chimiques. Le dernier acte en date et le
plus important est la Convention pour
l'interdiction des armes chimiques,
entrée en vigueur le 29 avril 1997. (1)
«Déjà dans l'antiquité gréco-romaine on
rapporte les puits empoisonnés à l'ergot
de seigle (Assyriens et Perses, Vie et
IVe siècles av. J-C.); le ´´Feu
grégeois´´: fumées toxiques à base de
pâte incendiaire inventées par le grec
Kallinikos (673). Le ´´feu grégeois´´
restera pendant cinq siècles l'arme
secrète de Byzance contre les Turcs. Au
Moyen âge et Renaissance on cite les
barriques de chaux vive aveuglante
catapultées par la flotte anglaise sur
des vaisseaux français. Au XIXe siècle
on cite le plan anglais pour enfumer
mortellement la garnison russe de
Sébastopol avec 500 t de soufre (guerre
de Crimée, 1854-1855). La Première
Guerre mondiale fut un concentré
d'horreur par l'utilisation de
l'ypérite, dès le 22 avril 1915: les
pertes totales dues aux gaz de combat
-ont été de 1.300.000 hommes (dont près
de 100.000 morts au combat). En 1925,
pendant la guerre du Rif,
franco-espagnole contre Abdelkrim le
rogui, il y eut utilisation d'ypérite;
de même qu'en 1935-36: emploi massif
d'ypérite contre les guerriers abyssins
contribuant à l'écrasement de
l'Ethiopie.»(1)
«Dans les années 1950, marquées par la
´´guerre froide´´, s'amorce un tournant
décisif: production massive d'armements
chimiques de plus en plus sophistiqués
et efficaces. Entre 1963 et 1968:
l'Egypte utilise de l'ypérite au Yémen,
les Etats-Unis de la dioxine au Vietnam
le fameux agent orange qui fit des
dégâts importants. De 1982 à 1988,
l'Irak utilisera des armes chimiques en
diverses occasions: de décembre 1987 à
décembre 1990. Les Etats-Unis, après 19
ans d'interruption, reprennent la
production d'armes chimiques.» (1)
Qu'est-ce
que le sarin?
Au moment où les nations développées
conçoivent des armes de plus en plus
dangereuses - pour leur doctrine de zéro
mort de leur côté- on accuse les pauvres
d'utiliser des armes qu'elles-mêmes ont
inventées il y a plus d'un siècle et se
découvrent une vocation humaniste après
les horreurs des guerres mondiales et de
décolonisation, (Vietnam, Algérie) où le
napalm fut utilisé de façon industrielle,
le sarin parait bien rikiki. «Le sarin
lit-on dans l'Encyclopédie Wikipédia,
est une substance inodore, incolore et
volatile, extrêmement toxique pour
l'homme et l'animal, même à très faible
dose (0,01 ppm peut être fatal). On
estime qu'il est environ 500 fois plus
toxique que le cyanure. Il passe
facilement la barrière des poumons et
est absorbé par la peau d'où il passe
directement dans le sang. Il a été
utilisé comme arme chimique. Le sarin
fut découvert en 1939 en Allemagne, dans
les laboratoires de l'IG Farben, par
trois chercheurs allemands. Le composé
reçoit son nom d'après ses inventeurs:
Gerhard Schrader, Ambros, Rüdiger et Van
der Linde. Plusieurs armées de par le
monde, ont mis à la disposition de leurs
soldats des seringues auto-injectables
d'antidote. En 1950: l'Otan en fait son
agent neurotoxique officiel. L'Union
soviétique et surtout les États-Unis en
produisent des quantités importantes. En
1991: la résolution 687 de l'ONU
considère que le sarin est une arme de
destruction massive et de ce fait
interdit.» (2)
On l'aura compris, les pays occidentaux
qui décident de ce qui doit être
interdit, ont pris la «précaution» de
produire des produits chimiques
autrement plus dangereux.
Les accusations
occidentales
La Syrie a-t-elle fait usage d'armes
chimiques contre les rebelles? Londres
et Washington disent posséder des
renseignements qui l'indiquent. Du gaz
sarin aurait été employé. Cette
accusation est ancienne, elle date de
l'année dernière à l'époque déjà?
certains étaient convaincus de cela.
Ainsi, pour Isabelle Lasserre: «Personne
ne remet en cause l'existence d'armes
non conventionnelles en Syrie.
Néanmoins, dans la perspective de la
chute du régime, le sort de cet arsenal
pose question. Que les propos américains
sur une militarisation de l'arsenal
chimique syrien aient ou non été une
manipulation diplomatique, ils ont en
tout cas fait franchir une nouvelle
étape à l'idée d'intervention militaire
dans la liste des scénarios envisagés
par les capitales occidentales. Les
États-Unis et leurs alliés, notamment la
France, avaient déjà affirmé qu'une
utilisation des armes chimiques serait
considérée comme une «ligne rouge»
justifiant une vive réaction. Sans que
personne n'ait précisé ce qui pourrait
exactement la déclencher. (...) En
affirmant que l'armée syrienne avait
commencé à charger des bombes avec du
gaz sarin, les responsables américains
voulaient-ils entraîner leurs alliés
dans une action préventive? » (3)
« Selon certains experts, il s'agirait
de rejouer en Syrie l'intervention
militaire menée en 2011 en Libye. Pas de
troupes au sol, mais une action combinée
de forces spéciales, d'hélicoptères et
d'avions pour mener des frappes ciblées.
Cette opération aurait pour finalité de
prendre le contrôle des stocks d'armes
chimiques, afin de les neutraliser.
(...) Après avoir fait monter la
mayonnaise, Washington semble désormais
relativiser le danger. Mais si la Syrie
n'est pas la Libye, elle n'est pas non
plus l'Irak. Il n'y avait pas d'armes
chimiques dans l'Irak de Saddam Hussein.
Le ministre des Affaires étrangères
Laurent Fabius, a évoqué 1000 tonnes
réparties sur une trentaine de
sites.»(3)
Curieusement, depuis décembre 2012,
silence radio puis brutalement sans que
l'on sache trop comment, l'information
refait surface fin avril 2013. Les
Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont
affirmé détenir des informations allant
en ce sens. «Nous insistons pour une
enquête des Nations unies qui pourrait
évaluer les preuves et établir ce qui
s'est produit», a dit la porte-parole du
Conseil de sécurité nationale (NSC), le
cabinet de politique étrangère du
président Barack Obama, Caitlin Hayden
».
Celine Lussato du Nouvel Observateur,
semble prendre elle aussi ses désirs
pour des réalités.
Elle rapporte les déclarations
incendiaires de David Cameron qui
rappellent celles de Tony Blair pour
l'Irak; «´´C'est extrêmement grave,
c'est un crime de guerre et nous devons
le prendre très au sérieux´´, a-t-il
déclaré sur la BBC à propos des preuves
de l'utilisation d'armes chimiques en
Syrie. Le président des Etats-Unis
Barack Obama a promis une ´´enquête très
solide´´ sur l'utilisation éventuelle
d'armes chimiques en Syrie et réaffirmé
que l'emploi de telles armes changerait
´´la règle du jeu´´. Le secrétaire
général de l'ONU Ban Ki-moon a
´´renouvelé son appel urgent´´ au
gouvernement syrien pour qu'il autorise
une équipe de l'ONU à enquêter sur les
accusations d'utilisation d'armes
chimiques dans le conflit, a indiqué
jeudi son porte-parole (...)L'ONU avait
nommé le 26 mars, le professeur Ake
Sellström, un scientifique suédois, pour
diriger une équipe d'experts chargée de
déterminer si des armes chimiques ont
été utilisées en Syrie. (...)» (4)
Elle nous apprend, sans bouder son
plaisir, qu'il y a une étroite
coordination américano-israélienne pour
régler le problème: «Le Pentagone
écrit-elle, a déjà envoyé plus de 200
hommes en Jordanie pour préparer une
éventuelle opération conjointe avec des
alliés pour sécuriser les armes
chimiques syriennes. Une option soutenue
par les Israéliens: ´´Il est clair que
s'il y a une volonté de la part des
Etats-Unis et de la communauté
internationale, ils peuvent agir
militairement et prendre le contrôle des
arsenaux chimiques syriens, (...) ce qui
mettra fin à toutes les inquiétudes´´, a
déclaré le vice-ministre des Affaires
étrangères, Zeev Elkin, dans une
interview à la radio militaire. Mais
pour l'heure, aucune décision ne semble
avoir été prise à Washington, Paris ou
Londres.» (4)
La
réaction molle du pouvoir syrien
Le régime syrien a rejeté samedi les
accusations américaines et britanniques
sur son recours à des armes chimiques
dans sa guerre contre les rebelles,
l'allié russe mettant en garde
l'Occident contre l'utilisation de ce
dossier comme un ´´alibi´´ pour
intervenir en Syrie. Selon lui, ´´la
Syrie n'utilisera jamais (d'armes
chimiques), pas seulement parce qu'elle
respecte la législation internationale
et les règles d'une guerre, mais en
raison de problèmes humanitaires et
moraux´´. (...) Pour l'émissaire du
président russe Vladimir Poutine pour le
Moyen-Orient, Mikhail Bogdanov, les
informations relayées sur les armes
chimiques ne doivent pas servir
d'´´alibi´´ pour une intervention
militaire en Syrie. Il a néanmoins
affirmé que ´´s'il y a des preuves
sérieuses sur l'utilisation d'armes
chimiques en Syrie, il faut les montrer
immédiatement et ne pas les
dissimuler´´».(5)
Par ailleurs, Damas accuse la Turquie
d'armer les rebelles, la Jordanie, de
les entraîner et de favoriser leur
infiltration en Syrie, et une partie des
Libanais d'aider les insurgés à faire
passer les armes à travers la frontière.
(...) La Jordanie s'est retrouvée
impliquée dans le conflit quand les
États-Unis ont déployé des soldats sur
son sol pour entraîner l'armée
jordanienne et intervenir le cas échéant
pour sécuriser les stocks d'armes
chimiques syriennes.
M.Assad a d'ailleurs prévenu que la
Jordanie était aussi ´´exposée´´ à la
crise que la Syrie.
Dans sa conférence de presse de mardi 30
avril, Obama en parle. Tangi Quemener de
l'AFP résume son intervention: «M.Obama
n'a pas dévié de sa position d'extrême
prudence. Barack Obama a promis une
réévaluation des ´´options´´ américaines
sur la Syrie s'il est prouvé que Damas a
utilisé des armes chimiques, mais a mis
en garde dans l'intervalle contre des
décisions prises sans avoir ´´tous les
éléments´´ en main. Le président a
cependant mis en garde contre la prise
de décisions hâtives en l'absence de
faits précis et concrets. ´´Je dois être
certain d'avoir tous les éléments.
a-t-il dit. Son administration évoque
ouvertement le précédent de 2003, quand
le prédécesseur de M.Obama, George
W.Bush, avait lancé l'invasion de l'Irak
sous le prétexte d'armes de destruction
massive qui n'ont jamais été retrouvées.
A l'heure actuelle, ´´on ne sait pas
comment ces armes ont été utilisées,
quand elles ont été utilisées, ni qui
les a utilisées´´, a souligné le
président américain. Lors d'un entretien
avec son homologue russe Vladimir
Poutine, ´´le président Obama a souligné
l'inquiétude (provoquée par) les armes
chimiques syriennes´´, a indiqué
l'Exécutif américain dans un communiqué,
en précisant que les deux hommes
allaient ´´continuer à se concerter
étroitement´´ sur le conflit syrien. AFP
30.04.2013
Que peut-on dire
en conclusion?
La mort rôde au quotidien. Un nouvel
attentat a ensanglanté mardi 30 avril à
une heure de grande affluence, la
capitale syrienne, tuant au moins 13
personnes, au lendemain d'une attaque
ayant visé en vain le Premier ministre.
Les violences ont causé lundi la mort de
159 personnes -36 soldats, 65 rebelles
et 58 civils. Le peuple syrien découvre,
inaugure les attentats à la voiture
piégée faisant chaque jour des dizaines
de morts. Si le pouvoir syrien est sûr
de son fait comme il l'a fait en
accusant auprès des Nations unies les
rebelles d'Al Nosra d'avoir utilisé les
armes chimiques (chlore le 19 mars), et
pour éviter tout malheur supplémentaire
au peuple syrien, le pouvoir syrien
devrait permettre l'inspection par les
Nations unies. Cela n'est sûrement pas
une garantie - comme pour l'Irak- mais
au moins devant la communauté
internationale des 195 nations, elle a
une position claire.
La solution est connue de revenir aux
accords de Genève pour une transition
apaisée. Pour rappel, cet accord
international adopté le 30 juin 2012 est
´´la base sans autre alternative, pour
un règlement politique de la crise en
Syrie´´, a affirmé M.Bogdanov émissaire
russe. Le texte appelle à la fin
immédiate des violences qui ravagent la
Syrie et prévoit la mise en place d'un
processus de transition politique, mais
ne se prononce pas sur le sort du
président Bachar al-Assad. C'est ce que
tente désespérément de mettre en place
le médiateur des Nations unies, Lakhdar
Brahimi, devenu la bête moire du Qatar
qui, vainement tente de le neutraliser
pour imposer «sa solution». Une
reddition en rase campagne des Arabes ou
de ce qu'il en reste. Mais ceci est une
autre histoire...
1.
http://nonproliferation.irsn.fr/Chimie/CIAC/Pages/armes-chimiques-dans-histoire.aspx
2. Le sarin. Encyclopédie Wikipédia.
3. Isabelle Lasserre
http://www.lefigaro. fr/international/2012/12/11/01003-20121211ARTFIG00657-le-casse-tete-des-armes-chimiques-d-assad.php?cmtpage=04
4.Céline Lussato
http://tempsreel.nouvelobs.com/la-revoltesyrienne
/20130426.OBS7414/syrie-armes-chimiques-que-peut-faire-la-communaute-internationale.html
5.
http://www.lorientlejour.com/article/812132/le-regime-syrien-rejette-les-accusations-sur-lutilisation-darmes-chimiques.html
AFP 28/04/2013
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Nationale Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 2 mai 2013 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
Le sommaire du Pr Chems Eddine Chitour
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