Opinion
Stéphane Hessel a
cessé de s'indigner
Les bonnes causes orphelines
Chems
Eddine Chitour
Samedi 2 mars 2013
Mais si
aujourd'hui comme alors, une minorité
active se dresse, cela suffira, nous
aurons le levain pour que la pâte lève.»
Stephane
Hessel
Mardi 26 février est un jour à marquer
d'une pierre noire. Ce jour-là Stéphane
Hessel rendait l'âme et déposait les
armes mettant fin à un combat de près
d'un siècle. Il y eut des hommages
sincères à travers le monde, notamment
les indignés de différents pays. Il y
eut aussi des gens - à l'instar du Caf -
qui ne boudèrent pas leur plaisir de
voir enfin cet infatigable défenseur des
faibles leur crier à la face leur
ignominie. Stéphane Hessel a été ´´un
maître à ne pas penser´´, a jugé
mercredi le président du CRIF, qui
dénonce notamment sa ´´volonté
obsessionnelle´´ ´´de faire de Gaza
l'épicentre de l'injustice´´ dans le
monde. Qui est
Stéphane Hessel?
Il est né le 20 octobre 1917 à Berlin
dans une famille d'écrivains. Après la
percée allemande de mai 1940, il est
retenu prisonnier. Il s'en échappe
rapidement et se trouve parmi les
premiers à rejoindre De Gaulle à
Londres. Mais le 10 juillet 1944, à la
suite d'une trahison, il est arrêté à
Paris par la Gestapo, qui le torture et
l'expédie à Buchenwald. Là, il est sauvé
avec quelques autres de la pendaison
grâce à la complicité d'un intellectuel
allemand. Après la Seconde Guerre
mondiale, alors qu'il commence une
carrière de diplomate au Quai d'Orsay,
il participe à la rédaction de la
Déclaration universelle des droits de
l'homme, signée en 1948 dans le cadre
des Nations unies.(1)
Ambassadeur de France durant de longues
années, notamment en Israël. Hessel
connaît la barbarie et l'a vue de ses
propres yeux pour l'avoir subie.
Lorsqu'il parle de la Palestine, il
estime que ce qu'il a vécu dans les
camps de concentration n'est pas loin de
ce que vivent les Palestiniens! Deux
grandes causes reviennent de façon
récurrentes dans le combat de Stéphane
Hessel: la cause palestinienne et le
néolibéralisme.
Stéphane Hessel,
le défenseur opiniâtre des droits des
Palestiniens
Le cheminement de la pensée de Stéphane
Hessel à propos de la Palestine ne date
pas d'aujourd'hui. Il écrit: «En 1947,
l'ONU s'est laissé convaincre que les
juifs seraient contents d'avoir 55% de
la Palestine, et les Arabes 45%. On
s'est vite rendu compte que les juifs,
porteurs de l'idéologie sioniste,
voulaient beaucoup plus, et que les
Palestiniens ne voulaient pas entendre
parler du partage d'une terre qu'ils
estimaient leur appartenir totalement.
J'ai complètement changé ma perception
des choses entre le moment où l'on a
construit un pays pour les juifs
massacrés par les Allemands et le moment
où l'on s'est aperçu que les dirigeants
de ce pays, devenus eux-mêmes des
colonisateurs et des occupants de terres
arabes, se comportaient très mal
vis-à-vis du droit international et des
droits de l'homme. Ma conviction est
qu'Israël n'a jamais dévié de sa volonté
de faire qu'il y ait le moins de
Palestine possible et que l'on cantonne
les Palestiniens dans de petits
«bantoustans», ce qui est tout sauf une
solution si l'on veut voir les
Israéliens vivre durablement en paix.»
(2)
«De tous les combats auquels, Stéphane
Hessel a prêté son enthousiasme et sa
hauteur de vue, écrit Benyamin Barthes,
celui pour les droits des Palestiniens
occupe une place à part dans son
parcours. Au mois d'octobre, il avait
manifesté une dernière fois sa fidélité
à cette cause, en présidant la quatrième
session du tribunal Russel sur la
Palestine, une juridiction citoyenne,
réplique de celle bâtie par le
philosophe britannique Bertrand Russel
et son homologue français Jean-Paul
Sartre, qui avait jugé en 1966 les
crimes américains au Vietnam.
(...)L'auteur d'Indignez-vous avait été
fait, en novembre, citoyen d'honneur de
ce pays sans Etat. ´´C'est vraiment très
triste, réagit le poète Elias Sanbar,
ambassadeur de la Palestine à l'Unesco.
Stéphane était quelqu'un d'extrêmement
chaleureux, animé d'une énergie vitale,
d'une foi inébranlable dans le droit.
C'est une perte énorme, et pas que pour
la Palestine.´´»(3)
«Dans un livre de dialogue, publié en
2012, Le Rescapé et l'Exilé (éditions
Don Quichotte), les deux hommes, unis
par un même amour de la poésie, avaient
évoqué leur rapport à la question
palestinienne. Hessel y racontait qu'à
la sortie de la Seconde Guerre mondiale,
marqué par l'expérience de la
déportation, il était favorable à la
création d'Israël. ´´Mais il racontait
aussi qu'à cette époque-là, il était,
comme beaucoup, totalement ignorant de
ce qu'était la Palestine, précise Elias
Sanbar, coauteur du livre. C'est par la
question du droit qui lui était si
chère, et de son non-respect par Israël,
qu'il a rejoint notre cause.´´ Son
premier voyage dans les territoires
occupés, qui remonte aux années 1990,
l'incite à transformer ses convictions
en actions. ´´Il en est revenu
bouleversé, quasiment habité par le
sentiment qu'il avait le devoir de
parler, se remémore Leïla Chahid, Dans
les années 2000, le fringant octogénaire
multiplie les déplacements dans une
région en pleine ébullition.» (3)
«En 2009, poursuit Barthes,
l'infatigable Hessel s'insurge contre
l'opération ´´Plomb durci´´, qui coûta
la vie à plus d'un millier de résidents
de Gaza, qualifiant les bombardements
israéliens de ´´crimes contre
l'humanité´´. Il milite pour la
libération de Salah Hamouri, le jeune
Franco-Palestinien condamné par Israël à
sept années de prison. Il joint
également sa voix à la campagne BDS
(boycottage, désinvestissement,
sanctions), qui lutte de façon
non-violente contre l'impunité d'Israël,
en appelant, notamment à un boycottage
des produits fabriqués dans les colonies
juives de Cisjordanie. Ce ralliement
achève d'en faire la bête noire des
milieux pro-israéliens français, qui, à
l'instar de l'écrivain Pierre-André
Taguieff, martèlent qu'il appelle à la
´´haine d'Israël ´´ et qu'il s'est rangé
dans le camp des ´´pires antijuifs´´. En
janvier 2011, le CRIF obtient même
l'annulation d'une conférence à laquelle
il devait participer à l'Ecole normale
supérieure, rue d'Ulm à Paris. (...)Le
vieil indigné refusait de raccrocher.
´´Il nous laisse un message,conclut
Elias Sanbar, c'est qu'il faut se battre
sur le front du droit, encore et encore.
C'est ça ou le bain de sang.´´(3)
L'acharnement contre ses principes
Avec sa liberté de ton, Stéphane Hessel
a mobilisé contre lui tous les
intellectuels français qui font de la
défense d'Israël - qu'elle ait tort ou
raison - leur combat. Il s'est notamment
attiré leurs foudres quand il a donné
son avis sur la politique hitlérienne.
Dans un entretien publié dans le
Frankfurter Allegemeine Zetitung du 21
janvier 2011 Stéphane Hessel déclarait
en effet:
«L'occupation allemande était
´´relativement inoffensive´´ tout comme
la persécution des juifs et
l'extermination systématique des juifs
d'Europe. «Aujourd'hui, nous pouvons
constater ceci: la souplesse de la
politique d'occupation allemande
permettait, à la fin de la guerre
encore, une politique culturelle
d'ouverture. Il était permis à Paris de
jouer des pièces de Jean-Paul Sartre ou
d'écouter Juliette Gréco. Si je peux
oser une comparaison audacieuse sur un
sujet qui me touche, j'affirme ceci:
l'occupation allemande était, si on la
compare par exemple avec l'occupation
actuelle de la Palestine par les
Israéliens, une occupation relativement
inoffensive, abstraction faite
d'éléments d'exception comme les
incarcérations, les internements et les
exécutions, ainsi que le vol d'oeuvres
d'art. Tout cela était terrible. Mais il
s'agissait d'une politique d'occupation
qui voulait agir positivement et de ce
fait, nous rendait à nous, résistants,
le travail si difficile.»
Pour avoir défendu le droit des
Palestiniens à vivre dignement, il a été
mis en examen, le 24 septembre 2010,
pour «incitation à la haine raciale».
Comment le fait de dénoncer un pays qui
bafoue les lois internationales fait que
nous sommes systématiquement accusés
d'antisémitisme ou d'incitation à la
haine raciale? Pourquoi de tels
amalgames? Comment cet homme de 93 ans,
qui se bat chaque jour pour la paix et
pour les droits de l'homme peut-il se
faire accuser de la sorte? «Peut-être
est-ce parce qu'il ose le crime ultime:
dénoncer la politique du gouvernement
israélien! Stéphane Hessel utilise tout
ce qui est en son pouvoir pour faire
pacifiquement pression sur le
gouvernement israélien afin que les
droits de l'homme et les lois
internationales soient respectés;
notamment grâce au boycott des produits
israéliens (BDS), une pratique que
Michèle-Alliot Marie avait docilement
condamnée.
Avant de disparaître, l'intellectuel
avait également rédigé la préface d'Un
État pour la Palestine, à paraître le 20
mars aux éditions de L'Herne, qui
présente les conclusions des différentes
sessions du ´´Tribunal Russell sur la
Palestine´´..
Le devoir
de s'indigner contre le néo-libéralisme
prédateur
Stéphane Hessel, un résistant d'hier et
d'aujourd'hui. Sous ce titre, le site
Attac rappelle le combat de Stéphane
Hessel: «Résister, disait Lucie Aubrac,
est un verbe qui se conjugue au présent.
Résistant d'hier contre le nazisme,
Stéphane Hessel était aussi un résistant
d'aujourd'hui, engagé contre les méfaits
du néolibéralisme, l'écart grandissant
entre les plus riches et les plus
pauvres, la dictature des marchés
financiers, l'exploitation abusive des
ressources de la terre, les traitements
inhumains infligés aux personnes les
plus défavorisées. Stéphane Hessel était
aussi un bâtisseur. Il avait participé à
l'élaboration du programme du conseil
national de la résistance, dont Attac a
fêté avec lui le soixantième
anniversaire en 2004. Il avait ensuite
corédigé la Déclaration universelle des
droits de l'homme. Infatigable défenseur
des droits humains, il a été également
de tous les combats anticoloniaux. Sa
défense rigoureuse du peuple palestinien
lui a valu d'essuyer, à maintes reprises
insultes et diffamation. Jusqu'à la fin,
il a été aux côtés de ceux qui menaient
les luttes pour un monde plus juste. Son
livre Indignez-vous, qui a eu un écho
planétaire, a été le drapeau de milliers
de manifestants du monde entier qui se
sont mobilisés contre un système injuste
et de moins en moins démocratique. Le 15
janvier 2012, Hessel avait conclu une
manifestation internationale organisée
par Attac sur ´´Leur dette, notre
démocratie´´.(4)
Après l'immense succès du manifeste
Indignez-vous!, Stéphane Hessel, mort à
95 ans, s'apprêtait à publier la semaine
prochaine A nous de jouer! un livre
d'entretiens dans lequel il exhorte les
´´indignés de cette Terre´´ à agir avec
compassion en faveur d'un ´´monde
social´´.
Les indignés européens, puis
planétaires, résistants, presque
impossibles, se sont soulevés sous une
bannière proposée par un homme qui avait
déjà traversé un siècle. Pensez donc!
Des jeunes faisant du slogan d'un
«vieillard» le cri de guerre de leur
génération contre les effroyables
conditions qui leur sont faites:
Indignez-vous!. Les valeurs et les
moyens de Stéphane Hessel sont devenus
des mantras à Madrid, Athènes, Lisbonne,
à Tel-Aviv, mais aussi à Paris et, chose
fascinante, au pied de Wall Street avec
les fameux Occupy Street, Stéphane
Hessel s'est opposé à l'inéluctable:
d'une part, à «l'immense écart qui
existe entre les très pauvres et les
très riches et qui ne cesse de
s'accroître» et d'autre part, à la
détérioration des droits de l'homme.
«Le ras-le-bol mondialisé est une
réalité. Si les médias aux ordres ont
soigneusement étouffé les révoltes des
sans-voix mais pas sans droits dans les
pays occidentaux, on se souvient que
Stephane Hessel s'était indigné et
l'avait fait savoir dans un petit
fascicule: Indignez-vous!. Tiré à des
dizaines de milliers d'exemplaires, il a
fait mouche, car devant l'anomie du
monde, les motifs d'indignation ne
manquent pas. Avec le philosophe Edgar
Morin, il vient de «récidiver» dans un
petit ouvrage. Stéphane Hessel et Edgar
Morin marient leur ardeur juvénile et
leurs réflexions dans un manifeste, Le
chemin de l'espérance, qui préconise
l'insurrection des consciences et
exigence citoyenne, socles selon eux
d'une «politique du bien-vivre».(5) (6)
«L'ouvrage écrit à deux, est un
manifeste d'indignation de ´´dénoncer le
cours pervers d'une politique aveugle
qui conduit au désastre, d'énoncer une
voie politique de salut public et
d'annoncer une nouvelle espérance´´,
soulignent ces deux symboles de la
Résistance et amis de longue date.»
«Nous ne proposons pas de pacte aux
partis existants», insistent-ils. «Nous
souhaitons contribuer à la formation
d'un puissant mouvement citoyen, d'une
insurrection des consciences qui puisse
engendrer une politique à la hauteur de
ces exigences». Ils appellent à dépasser
les clivages idéologiques pour trouver
des solutions. Ils définissent ainsi
quatre sources pour «alimenter la
gauche: la source libertaire, la source
socialiste, qui se concentre sur
l'amélioration de la société; la source
communiste, qui se concentre sur la
fraternité communautaire. Ajoutons-y la
source écologique, qui nous restitue
notre lien et notre interdépendance avec
la nature et plus profondément notre
Terre-mère, et qui reconnaît en notre
Soleil la source de toutes les énergies
vivantes.» (5) (6)
L'écologie ne lui était pas étrangère.
Lors d'une conférence à Nantes, Hessel a
présenté son livre Tous comptes faits...
ou presque, Stéphane Hessel appelle les
citoyens a s'engager pour lancer un
grand mouvement. «Nous sommes membres de
la Terre, nous n'en sommes pas les
maîtres.» Stéphane Hessel est ensuite
revenu sur l'affaire Mohammed Merah. Il
nous met en garde «il ne faut pas
confondre cette violence terroriste avec
l'Islam», qui n'est pas plus condamnable
qu'une autre religion. La source du
terrorisme est la haine, c'est à
celle-ci qu'il faut trouver des
réponses. Stéphane Hessel prône la
compassion, c'est-à-dire «la passion de
vouloir un équilibre établi entre tous
afin que les cultures se rencon-trent et
vivent ensemble».(7)
A cette empathie envers son prochain,
son combat itératif est toujours celui
des droits de l'homme. Le 22 janvier
2013, à la question du journaliste
Mathias Leboeuf : « Où faut-il aller ? »
, Stéphane Hessel répond tout de suite.
«Il faut aller à la mise en oeuvre de la
Déclaration universelle des droits de
l'homme»: telle fut la dernière phrase
prononcée alors par l'ancien résistant.
Tout est dit dans cette phrase qui
résume le noble combat d'une vie.
Reposez en paix Stephane Hessel, que la
Terre vous soit légère.
1.
http://www.la-croix.com/Actualite/France/
Stephane-Hessel-resistant-diplomate-indigne-est-mort-_NG_-2013-02-27-915600
2.
http://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/ghozlan-s-en-prend-a-stephane-82687
3. Benjamin Barthe http://www.lemonde.
fr/proche-orient/article/2013/02/27/stephane-hessel-le-defenseur-opiniatre-des-droits-des-palestiniens_1839840_3218.html
4.
http://www.france.attac.org/archives/spip.
php?
rubrique432
5 Stéphane Hessel et Edgar Morin Le
chemin de l'espérance Edits Fayard,
28.09.10 David Naulin Indignés, Stéphane
Hessel et Edgar Morin prônent
l'espérance 5 octobre 2011
6.
http://www.legrandsoir.info/le-printemps-occidental-les-indignes-relevent-la-tete.html
7.
http://www.mopnantes.fr/societe/stephane-hessel-rsquo-universite-nantes
6126 30 03 12
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 2 mars 2013 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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