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NETANYAHOU DÉVOILE SA STRATÉGIE
Pourquoi Israël veut être un Etat
juif ?
Pr Chems Eddine Chitour
Lundi 1er juin 2009 «Ce
jour-là, j’ai créé l’Etat juif» Theodore
Herzl (Congrès de Bâle 1897)
Le 15 février 1896
apparaît dans la vitrine d’une librairie de Vienne un ouvrage
mystérieux:, «L’Etat juif» d’un journaliste autrichien
Theodore Herzl, le théoricien du sionisme codifié au Congrès de
Bâle. Révolté par les manifestations de l’antisémitisme
français- affaire Dreyfus-, Herzl estime absolument nécessaire
la constitution d’un «abri permanent pour le peuple juif»,
thèse qu’il reprend dans son livre L’État des Juifs. Il y expose
les trois principes fondamentaux du sionisme: l’existence d’un
peuple juif; l’impossibilité de son assimilation par d’autres
peuples; d’où la nécessité de créer un État particulier, qui
prenne en charge le destin de ce peuple. A ces trois fondements
du sionisme, le Congrès de Bâle de 1897 ajoute un quatrième: le
droit des Juifs à s’installer en terre d’Israël, donc dans la
région palestinienne de l’Empire ottoman.
De là débute le sionisme et du même coup le malheur des
Palestiniens. Voilà donc pourquoi Benjamin Nethanyahou - qui se
revendique du sionisme pur et dur- remet au gout du jour la
nécessité de faire reconnaitre Israël comme un Etat juif. Le 27
mai 2009, un projet de loi punissant d’un maximum d’un an de
prison la négation du droit d’Israël à exister en tant qu’Etat
juif, a franchi une première étape à la Knesset. Ce texte
interdisant la publication de tout «appel à nier l’existence
d’Israël en tant qu’Etat juif et démocratique, lorsque le
contenu d’une telle publication pourrait avoir comme conséquence
de provoquer un acte de haine, de mépris ou de déloyauté»
envers Israël doit encore être soumis à d’autres votes du
Parlement et être revu par une commission avant d’être adopté
définitivement. On l’aura compris, c’est la première phase d’une
deuxième Nakaba, puisque les Arabes israéliens n’auront pas
vocation à rester dans un Etat juif.
Qu’est-ce qu’au juste un Juif?
Pour le philosophe Armand Abécassis, le judaïsme est confronté
aujourd’hui à une grave crise d’identité! Le sionisme politique
n’est pas synonyme d’Israël: Herzl, son fondateur, avait d’abord
accepté l’idée d’installer les juifs en Ouganda! Le sionisme
religieux, c’est d’abord la volonté d’installer le monde juif,
sa mémoire, sa culture, sa religion sur son territoire
d’origine. (...) Israël doit rester laïc. Le prêtre au temple,
le roi au palais. Mais ce n’est pas le judaïsme qui gagne en
Israël, c’est un certain esprit religieux, recroquevillé sur
lui-même par peur de la modernité.(1)
Alain Gresh et Dominique Vidal donnent différents sens au mot
juif: nom (ou adjectif) dont la seule définition fait l’objet,
depuis longtemps, de débats très complexes, tant sont nombreuses
et souvent contradictoires les conceptions de la «judéité».
À la question: «Qu’est-ce qu’un Juif?» les réponses sont
en effet diverses. De longues polémiques se sont naturellement
développées sur ce thème, en Israël. La Loi du retour, adoptée
dès 1950, stipule que chaque Juif a le droit de venir en Israël.
Ce droit a été complété par la loi sur la nationalité, votée en
1952, qui accorde automatiquement la nationalité israélienne à
tout immigrant profitant de la loi du retour, donc juif. Mais
qui considère-t-on comme tel? Dans la Palestine antique, un
groupe juif de type national s’était formé. Mais l’effondrement
des royaumes juifs sous les coups successifs des Assyriens et
des Babyloniens, la colonisation romaine, et surtout
l’écrasement de la révolte de Bar Kokhba, en 135 ap. J.-C., le
dispersèrent. Tandis qu’un petit noyau demeurait en Terre
sainte, le gros des populations juives s’éparpillaient tout
autour de la Méditerranée, souvent en s’assimilant à leurs pays
d’accueil. D’autres, profondément imprégnés de leur identité,
parvinrent même à convertir, parfois massivement, leurs
hôtes.:l’État juif d’Arabie du Sud, au VIe siècle, ou bien
encore l’État juif des Khazars en Russie du Sud-Ouest, au VIIIe
siècle, se constituèrent par le ralliement des souverains et de
leurs sujets. Arthur Koestler, dans La Treizième tribu, affirme
ainsi que la plupart des Juifs d’Europe centrale descendent des
Khazars, donc de Turco-Mongols convertis puis dispersés en terre
slave...Il en alla de même en Afrique du Nord, en Espagne, en
Gaule, en Germanie, en Asie, etc. Les Juifs d’aujourd’hui n’ont
donc, vraisemblablement, aucune filiation avec les Hébreux
C’est dire, du même coup, combien l’appel au concept de race
relève à la fois de l’ignoble et de l’absurde. La vieille
anecdote du Juif français parti en Chine pour y retrouver ses
frères répond, sur le mode de l’humour, à cette pseudo-théorie.
Arrivé enfin à Shanghai, notre homme, dans une ruelle obscure,
découvre la synagogue, et y pénètre. Les Juifs chinois, qui y
prient, d’abord étonnés, se font peu à peu menaçants. Alors il
leur crie: Mais je suis juif, comme vous. Et eux, lui montrant
leurs yeux bridés, de rétorquer: Mais tu n’as pas le type! Une
simple visite en Israël convaincra d’ailleurs le plus dubitatif
des lecteurs de l’extraordinaire diversité des types «juifs,
aussi vaste que celle des peuples des quelque cent cinquante
pays dont sont issus les Israéliens...»
Le concept même de «peuple juif» est, à cet égard, pour
le moins discutable. À défaut d’une réalité ethnique et sachant
que l’angle religieux s’avère restrictif, sur quels éléments
s’appuierait-il? (...)Et l’on connaît cette lettre dans laquelle
Léon Blum, en 1950, s’associe à l’«effort admirable»
d’Israël qui assure désormais une patrie digne de tous les Juifs
qui n’ont pas eu comme moi la bonne fortune de la trouver dans
leur pays natal. Même assimilés, les Juifs, pourtant, existent.
Soit qu’ils soient désignés comme tels: C’est l’antisémite qui
crée le Juif, affirmait Jean-Paul Sartre.(2)
L’historien israélien Schomo Sand, professeur à l’université de
Tel-Aviv, auteur d’un ouvrage courageux «Comment le peuple juif
fut inventé écrit: «Les Juifs forment-ils un peuple?
Contrairement à une idée reçue, la diaspora ne naquit pas de
l’expulsion des Hébreux de Palestine, mais de conversions
successives en Afrique du Nord, en Europe du Sud et au
Proche-Orient. Voilà qui ébranle un des fondements de la pensée
sioniste, celui qui voudrait que les Juifs soient les
descendants du royaume de David». Shlomo Sand ne remet pas
pour autant en cause la légitimité de l’existence et de la
souveraineté de l’Etat d’Israël; cependant celui-ci se
discrédite, soutient-il, par son caractère exclusivement
ethnique, engendré par le «racisme» des idéologues
sionistes.
Tout Israélien, écrit-il, sait, sans l’ombre d’un doute, que le
peuple juif existe depuis qu’il a reçu la Torah dans le Sinaï,
et qu’il en est le descendant direct et exclusif (...)D’où vient
cette interprétation de l’histoire juive? Elle est l’oeuvre,
depuis la seconde moitié du XIXe siècle, de talentueux
reconstructeurs du passé, dont l’imagination fertile a inventé,
sur la base de morceaux de mémoire religieuse, juive et
chrétienne, un enchaînement généalogique continu pour le peuple
juif. Les historiens sionistes n’ont cessé, depuis, de réitérer
ces «vérités bibliques», devenues nourriture quotidienne
de l’éducation nationale. Mais voilà qu’au cours des années
1980, la terre tremble, ébranlant ces mythes fondateurs. Les
découvertes de la «nouvelle archéologie» contredisent la
possibilité d’un grand exode au XIIIe siècle avant notre ère.
(...) A défaut d’un exil depuis la Palestine romanisée, d’où
viennent les nombreux Juifs qui peuplent le pourtour de la
Méditerranée dès l’Antiquité? De la révolte des Maccabées, au
IIe siècle avant notre ère, à la révolte de Bar-Kokhba, au IIe
siècle après J.-C, le judaïsme fut la première religion
prosélyte. Les Asmonéens avaient déjà converti de force les
Iduméens du sud de la Judée et les Ituréens de Galilée, annexés
au «peuple d’Israël». Partant de ce royaume
judéo-hellénique, le judaïsme essaima dans tout le Proche-Orient
et sur le pourtour méditerranéen. De même, les chroniqueurs
arabes nous apprennent l’existence, au VIIe siècle, de tribus
berbères judaïsées: face à la poussée arabe, qui atteint
l’Afrique du Nord à la fin de ce même siècle, apparaît la figure
légendaire de la reine juive Dihya el-Kahina, qui tenta de
l’enrayer. Des Berbères judaïsés vont prendre part à la conquête
de la péninsule Ibérique, et y poser les fondements de la
symbiose particulière entre juifs et musulmans, caractéristique
de la culture hispano-arabe.(...) La conversion de masse la plus
significative survient entre la mer Noire et la mer Caspienne:
elle concerne l’immense royaume khazar, au VIIIe siècle. (...)
Israël, soixante ans après sa fondation, refuse de se concevoir
comme une république existant pour ses citoyens. Près d’un quart
d’entre eux ne sont pas considérés comme des Juifs et, selon
l’esprit de ses lois, cet Etat n’est pas le leur. En revanche,
Israël se présente toujours comme l’Etat des Juifs du monde
entier. (...)(3)
Imbu alors de l’idéologie de la race supérieure de droit divin,
Israël pratique envers ses propres citoyens, juifs falasha,
indiens et surtout arabes israéliens un apartheid qui n’a rien à
envier au racisme le plus primaire et au langage zoologique dont
parle Franz Fanon. Ainsi Brahim Senouci écrit: (...) Raciste, le
rabbin israélien Yitzhak Ginsburg affirmant au Jerusalem Post le
19 juin 1989 que «le sang juif et le sang des goys
(non-juifs) ne sont pas les mêmes» et en concluant que «tuer
n’est pas un crime si les victimes ne sont pas juives»?
Raciste, Ehud Barak qui, le 28 août 2000 (Jerusalem Post du 30
avril 2000), ose cette comparaison: «Les Palestiniens sont
comme les crocodiles, plus vous leur donnez de viande, plus ils
en veulent»? (...)(4)
L’erreur d’Arafat
Nous citons aussi l’analyse pertinente de Pierre Stambul, juif
tolérant et qui brave l’ire de ceux qui pensent que tout ce que
fait Israël ne doit pas être jugé. Retraçant le parcours de
l’OLP et l’erreur de Arafat d’avoir reconnu Israël sans que
celui-ci ne reconnaisse l’Etat de Palestine, il tente de
démonter la mécanique israélienne. «Sur le fond, écrit-il, il
n’y a pas de différence entre le nettoyage ethnique de 1948
(800.000 Palestiniens expulsés de leur pays au moment de la
Naqba, la catastrophe) et la conquête suivie de la colonisation
de 1967. (...) L’ONU a reconnu Israël, toutes grandes puissances
confondues. elle a accepté qu’Israël se proclame État juif. Par
contre, l’ONU n’a jamais reconnu les annexions de 1967 et a même
voté plusieurs résolutions demandant un retrait israélien. (...)
Les négociateurs palestiniens ont été naïfs à Oslo. Ils ont
reconnu Israël, mais n’ont obtenu qu’une reconnaissance de
l’OLP. Qu’ils soient exilés ou réfugiés au Proche-Orient, voire
plus loin, la majorité des Palestiniens n’espèrent plus rien du
processus politique d’Oslo. Du coup, ils en reviennent à la
question de la Naqba, à l’illégitimité de la création d’Israël.
La revendication qui était celle de l’OLP avant 1988 (un seul
État, laïc et démocratique en Palestine) reprend de la vigueur.
(...)»
«Il n’y a qu’une seule façon de régler cette guerre, c’est
d’en revenir au droit. L’occupation, le nettoyage ethnique,
l’interdiction faite aux réfugiés de revenir chez eux, les
discriminations, les assassinats, les emprisonnements massifs
sont des crimes. Au départ, il y a un crime fondateur, celui de
1948, et toute paix juste commencera par la reconnaissance de la
Naqba. Toute négociation devra porter sur les moyens de
"réparer" ce crime. Si les Juifs israéliens resteront, "l’ État
juif" doit disparaître. Le droit international ne reconnaît que
les États de tous leurs citoyens. Définir un Etat sur une base
"raciale", ethnique, nationale ou religieuse est discriminatoire
et les Israéliens ont fait la démonstration sanglante du
caractère discriminatoire de l’ État juif vis-à-vis des
Palestiniens. (...) Il faut contrer en permanence la propagande
israélienne qui assimile la critique radicale de l’Etat juif à
de l’antisémitisme».(5)
Le premier test du président Obama vis-à-vis d’Israël s’est
soldé apparemment par un échec. Benyamin Netanyahou est venu lui
dire niet à toutes les propositions. Pas d’Etat palestinien, pas
de gel des colonies. Par contre, il demande l’aide des
Etats-Unis pour démolir l’Iran. Au passage, il annonce qu’il
faut que les Palestiniens reconnaissent Israël comme un Etat
juif. Cette affirmation lourde de sens, n’a soulevé en Occident
aucun tollé, voire réserve. C’est le silence radio. La situation
est pourtant favorable pour le président américain. On se
souvient que le gouvernement Clinton ne portait pas dans son
coeur Benyamin Netanyahou, considéré comme un menteur et un
tricheur. De plus, il semble que le soutien à Israël de la part
des Américains ne soit plus aussi monolithique, le Congrès
américain et la communauté juive - ont désormais un nouveau
visage. La semaine dernière, 64 députés américains ont supplié
Obama de répondre le plus vite possible à la crise humanitaire
qui sévit dans la Bande de Ghaza. Trente-deux membres du Congrès
ont signé une proposition de résolution engageant le Congrès à
soutenir l’administration américaine dans ses efforts en faveur
d’une solution fondée sur deux Etats. Il est loin le temps où
Martin Indyk, ancien ambassadeur américain en Israël, explique
que si les hommes politiques américains tentaient de restreindre
l’aide économique et militaire en vue d’obtenir des concessions
de la part des Israéliens, «[ils recevraient] une lettre du
Congrès avec pas moins de 87 signatures de sénateurs et 87% du
Congrès disant ne vous avisez surtout pas de faire cela!».
(...)
En fait, la stratégie de Benyamin Netanyahou est cohérente: un
Etat juif ne peut abriter que des Juifs. Non seulement il n’y
aura pas droit au retour des réfugiés de 1948 ou de leurs
descendants, mais si Israël arrive à s’introniser Etat juif, les
Arabes israéliens vont donc, par la force des choses aller dans
ce banthoustan que sera - le piège de l’Etat palestinien. Le
temps ne joue pas en faveur des Palestiniens et des Arabes car
Israël ignore toutes les résolutions depuis 1948, même
l’initiative saoudienne de 2002 est ignorée. Pour ce qui est de
Jérusalem, la judaisation à marche forcée de la partie arabe est
un réel motif d’inquiétude. Israël veut-il la paix ou est-ce la
guerre qui lui donne une réelle existence?
Pr Chems Eddine Chitour, Ecole nationale
polytechnique
1.Armand Abécassis: «Qu’est-ce qu’être
juif?» Le Point 22/12/2007 N°1838
2.Alain Gresh, Dominique Vidal: Qui est «juif»? quel sens
donner à ce mot? IDH Toulon
3.Shlomo Sand: «Comment le peuple juif fut inventé», IDH
Toulon. mardi 27 janvier 2009
4.Brahim Senouci, - Mercredi 22 avril 2009
(5).Pierre Stambul: Etat juif ou société de tous ses citoyens?
http://www.protection-palestine.org/spip.php?article7429 30 mai
2009
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Publié le 18 mai 2009 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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