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L'EXPRESSIONDZ.COM
Destruction de la société afghane
Y a-t-il un plan B ?
Pr Chems Eddine Chitour
Afghanistan: un véhicule civil saute sur une mine, 11 tués
Photo: RIA NOvosti - © REUTERS/ Ahmad Masood
Lundi 1er mars 2010
Dans une stratégie précédente, les taliban étaient les
meilleurs alliés des Etats-Unis contre l’empire soviétique.
L’un des héritages les plus durs d’Obama à assumer est sans
conteste l’état de guerre américaine qui veut que les Etats-Unis
sont et seront perpétuellement amenés à rétablir l’ordre mondial
surtout, depuis la chute de l’empire soviétique il y a vingt
ans. Cependant, on aurait cru naïvement qu’Obama pourrait mettre
un terme à cet état de belligérance permanent. Au contraire,
plus que jamais et partant du principe que les amis d’hier
peuvent être les ennemis d’aujourd’hui, l’Amérique est sur tous
les fronts. Après la débâcle vietnamienne et la mise en coupe
réglée de l’Irak, voici venir le tour de l’Afghanistan et des
taliban qui, dans une stratégie précédente, étaient les
meilleurs alliés des Etats-Unis contre l’empire soviétique au
point qu’ils avaient des bureaux de recrutement aux Etats-Unis
pour «l’Internationale islamique».
L’avènement de Bush a correspondu dans le sillage du 11
septembre, avec la nécessité en 2001 d’aller délivrer les
Afghanes des taliban accusés d’héberger Ben Laden. Il y eut même
un clip de l’armée américaine invitant les Afghanes à enlever
leur burqua. En 2010, l’objectif que se donne B.Obama est
d’éliminer la menace terroriste que constitue l’Afghanistan et
non pas d’y installer un régime démocratique). (...) Comment
va-t-on atteindre l’objectif que l’on s’est donné? 1) Plus de
troupes pour combattre les «insurgés», et protéger «des
centres de population clés», ce qui doit «aider à créer
les conditions (...) de transfert de responsabilité aux Afghans».
2) Assistance à des secteurs de l’économie, qui «puisse avoir
un impact immédiat sur la vie du peuple afghan». 3)
Collaboration avec le Pakistan, chez qui la rébellion s’est
installée.(1)
L’ Afghanistan, pays mythique de Djamel Eddine Al Afghani, de
Herat, Bamyan des villes mythiques, est un pays de 652.000 km²,
d’une trentaine de millions d’habitants. Souvenons-nous, en
1979, l’entrée de l’armée soviétique en Afghanistan conduit
Washington à considérer le Pakistan comme un «rempart»
contre Moscou. Islamabad apporte un soutien actif aux islamistes
anticommunistes en 1994, une création occidentale et du
Pakistan: les taliban. En 1996, les taliban prennent le contrôle
de Kaboul et offrent l’asile à Oussama Ben Laden. Une vraie
guerre se déroule actuellement sous bannière américaine.
Quelle solution
politique?
Les pays européens, notamment le Royaume-Uni,
la France et même l’Allemagne tentent de prendre pied pour que
«le moment venu comme en Irak on se partage le butin».
L’Afghanistan est un corridor important pour l’alimentation en
énergie. D’après le président Hamid Karzaï- ancien d’Unocal-, il
y aurait aussi du pétrole. Les Américains et leurs alliés ont
tiré la leçon du Vietnam. Pratiquement aucune photo n’est
publiée sur les soldats morts au combat, blessés, souvent
atrocement mutilés, amputés. Les médias français complices font
leur sale boulot de «couverture» d’une guerre inutile:
cacher ce soldat mort, agonisant, ou amputé, que nous ne
saurions vous montrer.
Que dit l’ONU «gardienne de la légitimité» mondiale? Elle
n’a pas été consultée pour ce qui se passe en Afghanistan C’est
un scénario à l’irakienne: une fois de plus les Etats-Unis
passent outre, cette fois-ci la France a retenu la leçon, elle
fait partie de la «coalition» du monde libre. Le
Représentant spécial du secrétaire général pour l’Afghanistan,
Kai Eide, vient de critiquer la stratégie de l’OTAN dans ce
pays. La communauté internationale doit démilitariser son
approche globale en Afghanistan afin de permettre des avancées
durables dans les domaines politique et humanitaire, a déclaré
le représentant de l’ONU à Kaboul, Kai Eide. «Il nous faut
adopter une démarche par laquelle notre stratégie soit politique
et non pas militaire et où les éléments politiques et civils
constituent un simple appendice d’une stratégie militaire.»
Si l’idée est d’obtenir des résultats rapides, «bien souvent
un impact rapide se mue en échec rapide».(2)
L’offensive menée à Marjah dans la province du Helmand en
Afghanistan est «un prélude» à des opérations de plus
grande ampleur dans la province voisine de Kandahar, a indiqué
vendredi un haut responsable américain Pourtant, le général
McChrystal, commandant des forces internationales en Afghanistan
qui vient de déclarer au Financial Times: «En tant que
soldat, je pense qu’il y a eu assez de combats et je crois
qu’une solution politique, comme dans tous les conflits, est
inévitable.» Comment y arriver? Comment convaincre les
insurgés de se mettre à table et de négocier? Ce ne sont
certainement pas des étrangers, américains ou européens, qui
sauront leur parler.
La réponse des taliban ne s’est pas fait attendre. Malgré
l’offensive, «les taliban afghans frappent le centre de
kaboul», titre le quotidien américain. Le 18 janvier, la
capitale afghane a été la cible d’attaques coordonnées qui «ont
paralysé la ville durant presque toute la journée», écrit le
journal. Des kamikazes se sont fait exploser en plusieurs
endroits, tandis que d’autres combattants ouvraient le feu
contre les forces de sécurité. Ces attaques, qui auraient fait
en tout une quinzaine de morts, ont eu lieu près du palais
présidentiel où, le même jour, des ministres du nouveau
gouvernement Karzaï prêtaient serment. Hamid karzaï a déclaré la
sécurité «rétablie».(3)
Quel est le bilan actuel de la guerre? Au-delà des bavures qui
ciblent des enfants et des femmes, les drones armés américains
qui visent les taliban dans les zones tribales du nord-ouest du
Pakistan ont tué entre 830 et 1210 personnes, dont 32% de
civils, depuis 2004, selon un décompte publié jeudi 25 février
par la New America Foundation, les Etats-Unis ont procédé à 114
frappes de drones depuis 2004, dont 53 en 2009. 1666 militaires
ou civils travaillant pour les forces armées avaient perdu la
vie, toutes causes confondues (combats, accidents, etc.) dont
1007 Américains. En 2009, selon les estimations du gouvernement
afghan et de la coalition, environ 20.000 combattants taliban
avaient été tués. Le tonnage de bombes largué par l’Usaf, est de
12.742 tonnes sur l’Afghanistan. En août 2008 il y avait 70.000
soldats étrangers en Afghanistan. En janvier 2009, le think tank
International Council on Security and Development a estimé dans
un rapport que les taliban étaient actifs dans environ 72% du
territoire afghan, conclusions contestées par le commandement de
l’Otan. Le site National priorities estime à plus de 255
milliards de dollars le coût de la guerre. Le gouvernement
Karzaï est désormais parfois ironiquement nommé «maire de
Kaboul» par la population voire par des officiels. Le
général Mc Chrystal, qui a pris le commandement du théâtre
afghan récemment, avoue, lui aussi en 2009, l’incompétence et la
corruption du gouvernement central qui a réussi à rendre les
Afghans «nostalgique(s) de la sécurité et de la justice du
régime taliban» La corruption se développe dans des
proportions alarmantes estimées entre 260 et 465 millions de
dollars pour la seule année 2007. Cette corruption touche tous
les fonctionnaires de l’Etat jusqu’au président Karzaï
lui-même(4)
Le CF2R, le centre de recherche sur le renseignement français
n’hésite pas à comparer la guerre en Afghanistan au Vietnam. La
note n°189 du 5 octobre 2009 intitulée CF2R - Afghanistan: des
airs de conflit indochinois, se termine par une conclusion
explosive: «Mais ce retrait en annonce un deuxième qui sera
moins glorieux: le départ de toutes les forces étrangères du
pays car les opinions publiques ne pourront tolérer longtemps
les pertes occasionnées et le coût que cette guerre représente,
sans espoir de voir poindre l’ombre d’une solution.» En
effet, les Etats-Unis ont estimé leurs dépenses à 65 milliards
de dollars pour la guerre en Afghanistan, montant déclaré par le
Congrès pour 2010. Or, avec 32,7 millions d’habitants, on peut
estimer le coût à 2446 dollars par afghan, soit près de 2 ans de
salaire moyen (60$ US par mois).(5)
Un article particulièrement lucide permet de situer les enjeux
de la présence étrangère. «Si les déclarations des taliban
sont à prendre avec des pincettes, les reportages des médias et
surtout ceux des Occidentaux sur les forces de coalition ne sont
pas paroles d’Evangile non plus. La plupart des informations
diffusées viennent de journalistes intégrés dans l’armée. (...)
C’est le cas de l’offensive de Marjah [appelée opération
Mushtarak], lancée conjointement, le 13 février, par les troupes
américaines et les forces de l’Otan en coopération avec l’armée
afghane. Le fait même que cette opération soit présentée comme
une étape importante de la stratégie de lutte
anti-insurrectionnelle du président Obama en Afghanistan, est
d’une totale malhonnêteté. (...) Et puis, les taliban ne sont
pas des inconnus venus de nulle part. Cette terre est la
leur..(..) En réalité, pour les tribus, les taliban ne sont pas
des ennemis. Leurs véritables ennemis, ce sont les occupants
étrangers et leurs collaborateurs locaux (...) Qu’ils [les
taliban, note ] n’aient enregistré jusqu’ici aucune désertion
dans leurs rangs malgré l’incroyable blitz médiatique monté par
les alliés avant l’offensive de Marjah, en dit aussi long sur
leur combativité que sur leur attachement à leur foi et à leur
idéologie. (...)L’histoire devrait donc se répéter. De même, la
stratégie de Washington d’acheter les insurgés avec de l’argent,
des emplois et des services, est vouée à l’échec, comme le fut
la politique des Soviétiques. Ce plan est une vaste imposture.
Les clans font front commun face à l’envahisseur étranger. Les
partisans de ce projet de corruption [les incitations
financières à déposer les armes] n’ont visiblement pas intégré
dans leurs calculs la possibilité qu’au lieu d’obtenir une
quelconque allégeance, ils s’attirent encore plus d’hostilité de
la part de tribus en colère. (...) En conclusion, la meilleure
solution pour les occupants étrangers reste encore d’engager
directement des discussions de paix avec les leaders taliban.
Toute autre option n’est qu’illusion.»(6)
Pour couronner le tout, on apprend qu’en mai 2008, l’armée
américaine a été contrainte de confisquer et de faire brûler des
Bibles dans la base de Bagram. L’année suivante, Al Jazeera
révéla en effet que l’aumônier militaire en chef, le
lieutenant-colonel Gary Hensley, avait alors prôné la conversion
de la population et distribuait des Bibles en dari et pachtoune
envoyées par une église américaine Un rapport parlementaire
français de 2009, y voyait là un comportement accréditant le
discours de «guerre des civilisations». On l’aura
compris, nous allons inexorablement vers une guerre de
civilisation qui ne dit pas son nom; tout est fait pour
diaboliser l’Islam, notamment grâce à l’apport de nos
intellectuels dits «musulmans modérés» en Occident. Tahar
Ben Djelloun que nous avons connu autrement plus lumineux quand
il s’agit de littérature se met depuis quelque temps à la
politique, après ses prises de «position courageuse contre le
voile», le voilà en train de conseiller Obama en lui disant
qu’il perd son temps (...) Vous ne gagnerez jamais cette guerre.
(...). Les Soviétiques qui y avaient envoyé des centaines de
milliers de soldats avaient dû se rendre à l’évidence et se sont
retirés en transmettant le problème à l’Occident. Dans ce pays
aux paysages magnifiques, la barbarie a trouvé son refuge, sa
source, sa grotte et nargue le monde avec une brutalité sans
pareille. Appelons cette barbarie taliban ou trafiquants d’opium
ou aventuriers sans foi ni loi. Des gens, au tempérament
qu’aucun Américain ne peut percer, ne peut comprendre,
sillonnent le pays et le ravagent. Le 26 février 2001, jour où
des taliban ont fait exploser des statues de Bouddha, vestige
d’une grande civilisation, statues de terre et de pierre érigées
dans le désert pour la spiritualité, datant du IVe au Ve siècle
après Jésus-Christ, ce jour-là, le monde civilisé a été vaincu.
Ni les musulmans d’Arabie, d’Afrique ou du Maghreb n’ont
protesté et dénoncé cet acte de barbarie qui allait être suivi
par d’autres attentats cette fois-ci sur des hommes.(7) Merci
Monsieur Ben Djelloun le civilisé pour ces phrases à l’endroit
des barbares que nous sommes, que vous étiez...
30 ans de guerre
Chiffres à l’appui, un rapport d’Europol, le
très sérieux office européen de police criminelle
intergouvernemental, implanté à La Haye, l’assène de manière
irréfutable: 99,6% des attentats terroristes perpétrés en Europe
sont le fait de groupuscules non musulmans On nous informe d’une
nième bavure qui a vu la mort d’une trentaine de personnes
civiles, notamment des femmes et un enfant. Les parents des
victimes sont bien avancés d’apprendre que le général Mc
Christal est triste, voilà qui va les consoler. Cette entreprise
de déstructuration de la société afghane comme celle que nous
avons connue à la pire époque du «talon de fer» de
l’armée d’Afrique sous la gouverne d’un certain général Bugeaud
«le fameux bouchou» qui permettait à des générations de
mères d’imposer le silence à nous autres qui étions terrorisés
par cet ogre qui s’en prend aux enfants. Assurément, le monde va
mal. L’expédition d’Afghanistan ne fera qu’élargir le fossé
entre un monde musulman qui tarde à faire son aggiornamento pour
séparer le bon grain de l’ivraie et un Occident plus dominateur
que jamais, qui dicte encore et toujours la norme. Il est à
espérer que les prémisses d’une nouvelle recomposition du monde
dans le sens d’un basculement vers le continent asiatique en
termes de puissance du XXIe siècle donnera du répit à cette
civilisation islamique dont le malheur est étroitement indexé
sur l’ineptie de ses dirigeants qui pensent que le pouvoir leur
est octroyé pour les siècles des siècles, stérilisant du même
coup toute velléité de nouveau, de renouveau en un mot
d’alternance féconde. Que reste-t-il de la société afghane qui
est en guerre depuis plus de trente ans? Les jeunes naissent,
vivent et meurent sans autres perspectives que de survivre et
éviter les tirs de drones de jeunes Américains installés à des
milliers de kilomètres dans des salles climatisées, au fin fond
du Texas et qui, d’un simple clic, décident de la vie et de la
mort de personnes qu’ils ne connaissent pas, amenant par drones
interposés le malheur à cette société harassée entre des
gouvernants tyrans et un Occident qui ne lâche rien et qui sera
de plus en plus cruel avec un comportement imprévisible au fur à
mesure que les matières premières et surtout l’énergie
viendraient à lui manquer.
1.Obama, Afghanistan et discours - 02
décembre 2009
http://www.paperblog.fr/2580328/obama-afghanistan-et-discours/
2.Communiqué de l’ONU du 4 janvier 2010
3.Les taliban frappent au coeur de Kaboul. The Wall Street
Journal Europe 19.01.2010?
4.Guerre d’Afghanistan (2001) Un article de Wikipédia,
l’encyclopédie libre.
5.Gilles Bonafi. Des Etats ruinés - Le 16 février 2010
http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=17648
6.Mater les taliban, un beau rêve: The Frontier Post 16.02.2010
7.Tahar Ben Jelloun: Il faut savoir arrêter une guerre perdue!
Le Monde 26.02.10
Pr Chems Eddine Chitour, Ecole nationale
polytechnique, enp-edu.dz
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Publié le 2 mars 2010 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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