Opinion
Mouammar Kadhafi
assassiné par les Etats-Unis et l'OTAN
Bill
Van Auken
Lundi 24 octobre 2011
Le meurtre sauvage jeudi du dirigeant
libyen évincé, Mouammar Kadhafi, sert à
souligner le caractère criminel de la
guerre que les Etats-Unis et l'OTAN
mènent depuis ces huit derniers mois.
L'assassinat qui fait suite à un siège
de plus d'un mois de Syrte, ville
côtière libyenne qui fut la ville natale
de Kadhafi et le centre de son soutien.
L'attaque perpétrée contre cette ville
de 100.000 habitants a détruit
pratiquement tous les bâtiments et
résulte en un nombre incalculable de
civils tués, blessés et frappés de
maladie et qui sont privés de
nourriture, d'eau, de soins médicaux et
d'autres produits de première nécessité.
Apparemment Kadhafi se déplaçait dans un
convoi de véhicules pour tenter
d'échapper au siège de la ville, une
fois le dernier bastion de résistance
tombé aux mains des « rebelles »
soutenus par l'OTAN. Les avions de
l'OTAN ont attaqué le convoi jeudi matin
à 8 heures 30, laissant un bon nombre de
véhicules en proie aux flammes et
l'empêchant d'avancer. Ensuite, des
miliciens anti-Kadhafi armés sont
intervenus pour porter le coup de grâce.
La mort de Kadhafi semble faire partie
d'un massacre plus large qui aurait
coûté la vie à un certain nombre de ses
proches collaborateurs, de combattants
fidèles et de ses deux fils, Mo'tassim
et Saif al-Islam.
Alors que les détails des meurtres
demeurent quelque peu flous, des
photographies et des vidéos filmées sur
des téléphones portables et publiées par
les « rebelles » soutenus par l'OTAN
montrent clairement un Kadhafi blessé
aux prises avec ses ravisseurs et criant
alors qu'il est entraîné vers l'arrière
d'un véhicule. Son corps dénudé et sans
vie est ensuite exhibé, couvert de sang.
Il est évident qu'après avoir d'abord
été blessé, peut-être lors des frappes
aériennes de l'OTAN, l'ancien dirigeant
libyen a été capturé vivant pour ensuite
être exécuté sommairement. Une
photographie le montre avec à la tête
une blessure par balle.
Le corps de Kadhafi a ensuite été emmené
dans la ville de Misrata où il aurait
été traîné dans les rues avant d'être
déposé dans une mosquée.
Le sort réservé à sa dépouille est
politiquement significatif en ce qu'il a
été saisi par une faction de la milice
de Misrata qui opère sous sa propre
autorité et qui n'a aucune loyauté
envers le Conseil national de transition
(CNT) de Benghazi que Washington et
l'OTAN ont sacré comme étant le « seul
représentant légitime » du peuple
libyen.
Et donc, cet événement macabre, que le
président Barack Obama a salué dans la
roseraie de la Maison Blanche comme
l'avènement d'une « nouvelle Libye
démocratique », ne fait que révéler en
réalité les failles régionales et
tribales qui plantent le décor pour une
période prolongée de guerre civile.
Les Etats-Unis comme la France,
revendiquent le mérite de leur rôle dans
le meurtre de Kadhafi. Le Pentagone a
affirmé jeudi qu'un drone prédateur
américain avait tiré un missile hellfire
sur le convoi du dirigeant libyen évincé
tandis que le ministre français de la
Défense a dit que des avions de combat
français l'avaient bombardé.
Les Etats-Unis et l'OTAN avaient
effectué plusieurs frappes aériennes sur
la résidence caserne de Kadhafi à
Tripoli ainsi que sur d'autres maisons
où ils croyaient qu'il se cachait depuis
le lancement en mars de la guerre
brutale contre la Libye. L'une de ces
frappes de fin avril avait coûté la vie
à son plus jeune fils et à trois de ces
jeunes petits-enfants.
Washington avait déployé des avions de
surveillance ainsi qu'un grand nombre de
drones pour essayer de retrouver Kadhafi
alors que des agents du renseignement
américain, britannique et français, des
soldats des opérations spéciales et des
« contractors » militaires (engagés par
des sociétés privées) opérant au sol
participaient également à la chasse à
l'homme.
Deux jours à peine avant le meurtre de
Kadhafi, la secrétaire d'Etat
américaine, Hillary Clinton, était
arrivée pour une visite inopinée à
Tripoli à bord d'un avion militaire
lourdement armé. Une fois sur place,
elle a demandé qu'on le capture « mort
ou vif. »
Selon l'Associated Press, Clinton a
déclaré « sans mâcher ses mots que les
Etats-Unis aimeraient voir l'ancien
dictateur Mouammar Kadhafi mort.
« "Nous espérons qu'il pourra bientôt
être capturé ou tué pour que vous n'ayez
plus à le craindre plus longtemps", a
dit Clinton à des étudiants et à
d'autres personnes lors d'un genre de
réunion publique dans la capitale. »
L'AP a poursuivi en remarquant:
« Jusqu'ici, les Etats-Unis évitaient
généralement de dire qu'il fallait tuer
Kadhafi. »
Mais, en réalité, Washington est en
train de poursuivre une politique
ouverte de meurtre d'Etat. Dans ce cas
précis, ils ont ouvertement préconisé et
fourni tous les moyens pour faciliter le
meurtre d'un chef d'Etat avec lequel le
gouvernement américain avait noué
d'étroites relations politiques et
commerciales au cours de ces huit
dernières années.
Le corps meurtri du fils de Kadhafi,
Mo'tassim, qui a aussi été capturé
vivant puis exécuté, a été exposé à
Misrata. Pas plus tard qu'en avril 2009,
il avait été chaleureusement accueilli
par la secrétaire d'Etat américaine
Hillary Clinton.
Dans son discours prononcé jeudi dans la
roseraie de la Maison Blanche, Obama
s'est vanté de ce que son gouvernement
avait «liquidé » les dirigeants d'Al
Qaïda, en prenant le ton d'un parrain de
la mafia, avec le charisme en moins.
Parmi ses dernières victimes, figurent
deux citoyens américains, le mois
dernier, Anwar Awlaki, l'imam américain
d'origine yéménite, et deux semaines
plus tard, son fils Abdulrahman âgé de
16 ans et né à Denver. Tous deux avaient
été inscrits sur une « liste de
personnes à tuer » (« kill list ») par
un sous-comité secret de la sécurité
nationale (National Security Council
subcommittee) et assassiné par des
missiles hellfire. Abdulrahman a été
déchiqueté en même temps que son cousin
de 17 ans et sept autres amis alors
qu'ils étaient en train de dîner.
Le meurtre de Kadhafi est l'apogée d'une
guerre criminelle qui a tué un nombre
incalculable de Libyens et laissé la
plus grande partie du pays en ruines.
Cette opération avait été lancée sous le
prétexte de protéger des civils et était
fondée sur une fausse affirmation que
Kadhafi était en train de préparer un
siège de la ville de Benghazi dans l'Est
pour massacrer ses adversaires. Cette
opération s'est terminée par le siège de
Syrte orchestré par l'OTAN lors duquel
des milliers ont été tués et blessés
durant la répression de toute opposition
aux « rebelles ».
Dès le début, toute l'opération a été
orientée vers la recolonisation de
l'Afrique du Nord et poursuivie pour le
compte des intérêts pétroliers des
Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de la
France, de l'Italie et des Pays-Bas.
Alors que durant la décennie passée
Kadhafi avait gagné la faveur des
Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de la
France et d'autres puissances
occidentales, en signant des contrats
pétroliers, des accords sur les armes et
autres pactes, l'impérialisme américain
et ses homologues en Europe continuaient
de considérer son régime comme un
obstacle à leurs objectifs dans la
région.
Parmi les principales préoccupations de
Washington, Londres et Paris figurent
les intérêts économiques croissants de
la Chine et de la Russie en Libye et
plus généralement en Afrique. La Chine a
développé un commerce bilatéral
s'élevant à 6,6 milliards de dollars,
principalement dans le secteur
pétrolier, alors que 30.000 travailleurs
chinois étaient employés dans un large
éventail de projets d'infrastructure.
Entre-temps, la Russie a développé
d'importants accords pétroliers, des
ventes d'armes s'élevant à des milliards
de dollars et un projet de 3 milliards
de dollars pour relier Syrte à Benghazi
par rail. Il y avait aussi eu des
discussions sur l'ouverture à la flotte
russe d'un port méditerranéen près de
Benghazi.
Kadhafi avait provoqué la colère du
gouvernement de Nicolas Sarkozy en
France de par son hostilité au projet
d'une union méditerranéenne, destinée à
reconditionner l'influence de la France
dans les anciennes colonies du pays et
au-delà.
De plus, d'importants conglomérats
énergétiques américains et d'Europe
occidentale toléraient de plus en plus
mal ce qu'ils considéraient être des
clauses difficiles exigées par le
gouvernement Kadhafi, ainsi que la
menace de voir la société pétrolière
russe Gazprom bénéficier d'une
part importante de l'exploitation des
réserves du pays.
Des facteurs politiques se sont ajoutés
à ces motifs économiques et
géostratégiques. Le rapprochement de
Kadhafi vers l'Occident avait permis à
Washington et à Paris de cultiver
certains éléments au sein du régime qui
étaient prêts à collaborer à une
mainmise impérialiste du pays. Faisaient
partie de ceux-ci, des figures telles
Mustafa Abdul Jalil, l'ancien ministre
de la Justice de Kadhafi, à présent le
président du CNT soutenu par l'OTAN, et
Mahmoud Jibril, l'ancien responsable
pour le développement économique qui est
actuellement le chef du conseil exécutif
du CNT.
Avec les soulèvements populaires
survenus en Tunisie et en Egypte - aux
frontières occidentales et orientales de
la Libye - les Etats-Unis et les alliés
de l'OTAN ont vu une occasion de donner
suite à un projet qui avait été
développé depuis un certain temps déjà
pour un changement de régime en Libye.
Disposant d'agents qui travaillaient sur
le terrain ils ont décidé d'exploiter et
de détourner les manifestations
anti-Kadhafi pour fomenter un conflit
armé.
Afin de se préparer à une prise de
contrôle impérialiste directe, ils ont
suivi une procédure bien établie,
calomniant le dirigeant du pays et
promouvant l'idée que seule une
intervention extérieure pourrait sauver
les civils innocents d'un massacre
imminent.
La soi-disant destruction imminente de
Benghazi a été utilisée pour obtenir le
soutien à la guerre impérialiste de
toute une couche de personnes jadis de
gauche, de libéraux, d'universitaires et
de défenseurs des droits de l'homme, qui
ont pesé de tout leur poids moral et
intellectuel en faveur d'un exercice
d'agression impérialiste et de meurtre.
Des figures telles le professeur
d'histoire du Moyen-Orient de
l'université du Michigan, Juan Cole, qui
avait émis des critiques limitées envers
l'invasion de l'Irak par le gouvernement
Bush, étaient devenues de fervents
promoteurs de la mission « humanitaire »
du Pentagone et de l'OTAN en Libye. De
représentants d'une couche sociale de la
classe moyenne supérieure ils sont
devenus une nouvelle base pour
l'impérialisme, et se sont totalement
compromis, politiquement et moralement.
Ils n'ont absolument pas été gênés par
le non respect de la loi durant toute
cette entreprise et l'accumulation de
preuves de meurtre et de torture
d'immigrants et de Libyens noirs aux
mains des soi-disant rebelles.
Leur tentative de décrire le changement
de régime en Libye comme étant une
révolution populaire devient de plus en
plus grotesque au fur et à mesure que
les jours passent. Le régime fantoche
instable qui est en train de prendre
forme à Benghazi et à Tripoli a été mis
en place par un bombardement incessant
et massif de l'OTAN, par le meurtre et
la violation systématique du droit
international.
La Libye sert d'avertissement au monde
entier. Tout régime qui entraverait les
intérêts américains, qui contreviendrait
aux grandes entreprises ou qui ne se
soumettrait pas aux puissances de l'OTAN
peut être renversé par la force
militaire et voir ses dirigeant
assassinés.
D'ores et déjà, les médias américains
qui ont organisé une célébration hideuse
du bain de sang devant Syrte, hurlent
pour que l'OTAN répète son intervention
libyenne en Syrie. Clinton, quant à
elle, a averti jeudi les dirigeants
pakistanais qu'un soutien insuffisant à
la guerre américaine en Afghanistan
impliquerait qu'ils en paieraient
« chèrement le prix. »
Il n'y a pas de doute que de futures
opérations sont en projet avec des
guerres plus grandes qui se précisent,
entraînant des conséquences
catastrophiques. Le gouvernement Obama a
déjà averti l'Iran que tout restait
« envisageable » en ce qui concerne un
complot fabriqué pour l'assassinat à
Washington de l'ambassadeur saoudien.
Et, étant donné que l'intervention
libyenne visait en grande partie à
contrer l'influence chinoise et russe
dans la région ainsi que mondialement,
la Chine et la Russie elles-mêmes sont
perçues comme de futures cibles.
Les événements sanglants de Libye et les
motifs économiques qui les sous-tendent
fournissent une nouvelle leçon quant au
caractère véritable de l'impérialisme.
La crise qui s'empare du capitalisme
mondial représente une fois de plus une
menace de guerre mondiale. La classe
ouvrière ne peut confronter cette menace
que par la mobilisation de sa force
politique indépendante en se réarmant
avec le programme de la révolution
socialiste mondiale afin de mettre un
terme au système capitaliste qui est la
source du militarisme.
(Article original paru le 21 octobre
2011)
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Publié le 24 octobre 2011 avec
l'aimable autorisation du WSWS
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