Syrie
Le terrorisme
anti-syrien et ses connexions
internationales
Bahar
Kimyongür
Photo:
Sana
Dimanche 15 avril
2012
Depuis le début du
printemps syrien, le gouvernement de
Damas prétend combattre des gangs
terroristes. La plupart des médias
occidentaux dénoncent, dans cette thèse,
une propagande d’Etat servant à
justifier sa répression contre le
mouvement de contestation. S'il est
évident que celle-ci tombe comme du pain
béni pour l'Etat baassiste de réputation
peu accueillante envers les mouvements
d'opposition qui échappent à son
contrôle, elle n'en est pas fausse pour
autant. Plusieurs éléments objectifs
accréditent en effet la thèse du
gouvernement syrien.
D'abord, il y a
le facteur laïcité. La Syrie est en
l'occurrence le dernier Etat arabe laïc.
(1) Les minorités religieuses y
jouissent des mêmes droits que la
majorité musulmane. Pour certaines
sectes sunnites championnes de la guerre
contre l'Autre quel qu'il soit, la
laïcité arabe et l'égalité
interreligieuse, incompatibles avec la
charia, sont une injure à l’islam et
rendent l’Etat syrien plus détestable
qu'une Europe « athée » ou « chrétienne
». Or, la Syrie compte pas moins de dix
églises chrétiennes différentes, avec
des sunnites qui sont arabes, kurdes,
tcherkesses ou turkmènes, avec des
chrétiens non arabes comme les
Arméniens, les Assyriens ou les
Levantins, avec des musulmans
syncrétiques et donc inclassables comme
les alaouites et les druzes. Par
conséquent, la tâche qui consiste à
maintenir sur pied cette charpente
ethnico-religieuse fragile et complexe
s'avère si ardue que seul un régime
laïc, solide et forcément autoritaire
peut y parvenir.
Ensuite, il y a
le facteur confessionnel. En raison
de l'origine du président Bachar El-Assad,
le régime syrien est abusivement décrit
comme « alaouite ». Cette qualification
est totalement fausse, calomnieuse,
sectaire voire raciste. Elle est avant
tout fausse parce que l'état-major, la
police politique, les divers services de
renseignements, les membres du
gouvernement sont majoritairement
sunnites de même qu'une partie non
négligeable de la bourgeoisie. Nos
médias à sensations ne manquent pas de
parler de Mme Asma El-Assad, l'épouse du
président d'origine sunnite dans un but
de la diaboliser. Mais ils évitent
délibérément de citer la vice-présidente
de la République arabe syrienne, Mme
Najah Al Attar, la première et unique
femme arabe au monde à occuper un poste
aussi élevé. Mme Al Attar est non
seulement d'origine sunnite mais elle
est aussi la sœur de l'un des dirigeants
exilés des Frères musulmans,
illustration emblématique du paradoxe
syrien. En réalité, l'appareil d'Etat
baassiste est le reflet quasi parfait de
la diversité ethnico-religieuse qui
prévaut en Syrie. Le mythe à propos de
la « dictature alaouite » est tellement
grotesque que même le grand mufti
sunnite, le cheikh Bedreddine Hassoune
ou encore le chef de la police politique
Ali Mamlouk, lui aussi de confession
sunnite, sont parfois classés parmi les
alaouites par la presse internationale.
(2)
Le plus étonnant
est que cette même presse apporte de
l’eau au moulin de certains milieux
salafistes (sunnites ultra-orthodoxes)
syriens qui propagent le mensonge selon
lequel le pays aurait été usurpé par les
alaouites lesquels seraient, selon eux,
des agents chiites. Ces mêmes salafistes
taxent les chiites de négateurs (rawafidhs)
parce que ces derniers rejettent, entre
autres, la légitimité du califat,
c'est-à-dire du gouvernement sunnite des
origines de l'islam. Or, d’une part, il
existe des différences notables entre
alaouites et chiites tant sur le plan
théologique que de la pratique
religieuse. La divinisation d'Ali, la
doctrine trinitaire, la croyance en la
métempsychose ou encore le rejet de la
charia propres aux alaouites, sont
sources de critiques de la part des
théologiens chiites qui ne manquent pas
de les taxer d'exagérateurs (ghoulat).
D’autre part, s’il y a une religion
d’Etat en Syrie, c’est bien l’islam
sunnite de rite hanéfite représenté
entre autres par le cheikh Muhammad Saïd
Ramadan Al Bouti et le grand mufti de la
République, le cheikh Badreddine
Hassoune dont la sage parole tranche
avec les appels au meurtre et à la haine
des cheikhs wahhabites. Mais qu'à cela
ne tienne, pour expliquer l'alliance
anti-US et antisioniste formée par l’axe
Damas-Téhéran-Hezbollah, la presse aux
ordres et les milieux sunnites
ultraconservateurs répètent en chœur que
la Syrie est dominée par les alaouites
qui formeraient une « secte chiite ». La
Syrie étant soutenue par la Chine, la
Russie, le Venezuela, Cuba, le Nicaragua
ou encore la Bolivie, il faudrait
logiquement en conclure que Hu Jintao,
Poutine, Chavez, Castro, Ortega ou
Morales sont eux aussi des alaouites, au
moins des crypto-chiites.
Troisièmement,
il y a le facteur nationaliste. Il
convient de rappeler que pour les
salafistes, la Syrie n’existe pas. Ce
nom serait comme celui de l’Irak une
fabrication athée. Dans leur jargon
inspiré du Coran, l’Irak s’appelle Bilad
Al Rafidaïn (le pays des deux Fleuves)
et la Syrie, Bilad Al Cham (le pays de
Cham).
Celui qui adopte
l'idéologie nationaliste et se consacre
à la libération de sa patrie commet un
péché d'association (shirk). Il viole le
principe du tawhid, l’unicité divine et
à ce titre, il mérite la mort. Pour ces
fanatiques, le seul combat agréé par
Allah est le djihad, la guerre dite «
sainte » livrée au nom d'Allah et visant
à étendre l'Islam.
En tant que
corollaire du nationalisme arabe, le
panarabisme, cette idée progressiste
d'unité et de solidarité interarabe est
à fortiori un sacrilège parce qu'il mine
l'idée de « oumma », la mère patrie
musulmane. Comme le rappelait récemment
le président Bachar El-Assad dans une
interview accordée au journal Sunday
Telegraph, le combat qui se livre
actuellement sur le sol syrien oppose
deux courants inconciliables: le
panarabisme et le panislamisme (3).
Ce conflit
originel introduit un facteur historique
fondateur de la menace terroriste en
Syrie. Depuis 1963, la Syrie
baassiste mène en effet une véritable
guerre contre les mouvements djihadistes.
L'armée gouvernementale et les Frères
musulmans se sont affrontés dans de
nombreuses batailles qui se sont toutes
soldées par la victoire du pouvoir
syrien. Ces victoires ont été arrachées
au prix de nombreuses victimes, l'armée
n'hésitant pas à semer la terreur pour
parvenir à ses fins. En 1982, l'armée de
Hafez El-Assad a pilonné des pans
entiers de la ville de Hama pour venir à
bout de la résistance djihadiste,
massacrant sans distinction militants et
civils innocents. On dénombre au moins
dix mille morts dans les bombardements
et les batailles de rue. De véritables
chasses à l'homme ont ensuite été
lancées contre les Frères musulmans
syriens à travers le pays, contraignant
ces derniers à l'exil. La répression
n'est pas pour autant parvenue à
éradiquer la tradition guerrière ni
l'esprit revanchard des djihadistes
syriens.
A présent, voyons
pays par pays quels sont les mouvements
terroristes auxquels les troupes
syriennes sont aujourd'hui confrontées.
Le front
libanais
En avril 2005,
l’Occident s'est réjoui de voir les
troupes syriennes quitter le territoire
libanais après 30 ans de présence
ininterrompue. Cet événement avait été
déclenché par l'attentat visant
l'ex-premier ministre libano-saoudien
Rafiq Hariri connu pour son hostilité
envers la Syrie, attentat immédiatement
imputé au régime de Damas par l'Europe
et les Etats-Unis sans la moindre preuve
et avant même le début de l'enquête. Une
« révolution du Cèdre » soutenue par les
officines droitsdelhommistes de la CIA
poussa l'armée syrienne à quitter le
Liban. A peine les chars syriens se
sont-ils retirés que les groupes
salafistes refirent surface, dégainant
leurs sabres et leurs prêches sectaires.
Ces mouvements se sont implantés dans le
Nord-Liban du côté de Tripoli
majoritairement sunnite puis, peu à peu,
dans les camps palestiniens du Liban,
profitant des divisions politiques et de
la faiblesse militaire des organisations
palestiniennes ainsi que de la politique
de non-intervention de l’armée libanaise
dans ces camps. Entre 2005 et 2010, les
groupes djihadistes ont mené la guerre
contre tous les soutiens réels ou
supposés du régime de Bachar el-Assad
comme les populations chiites, alaouites
ou les militants du Hezbollah. Certains
de ces mouvements ont été jusqu'à
franchir la frontière syro-libanaise
pour harceler les troupes du pouvoir
baassiste sur leur propre territoire.
L'activisme anti-syrien des groupes
salafistes libanais armés connut ensuite
une recrudescence avec le début de la
crise syrienne de 2011. Ils furent
relayés par des mouvements salafistes
non armés. Le 4 mars 2012, quelques deux
mille salafistes conduits par Ahmad Al
Assir, un prédicateur de la ville de
Saïda devenu l'étoile montante du
sunnisme libanais, ont défilé à Beyrouth
pour protester contre le régime de
Bachar El Assad. Derrière un
impressionnant cordon de sécurité
composé de policiers et de militaires,
quelque centaines de contre-manifestants
du Parti baas libanais ont protesté
contre ce défilé. D’Aarida à Naqoura,
tout le Liban retint son souffle. Comme
son cœur se resserre à chaque fois que
des tirs retentissent depuis les
quartiers tripolitains de Bab Tebbaneh
et Djebel Mohsen. Car dans ce pays où la
ligne de fracture politique est
également confessionnelle avec des
sunnites majoritairement anti-Assad et
des chiites majoritairement pro-Assad et
puis aussi avec des chrétiens divisés
qui se retrouvent dans les deux camps,
la hantise de la guerre civile est
omniprésente. Mais le gouvernement
d'union nationale tente de calmer le jeu
et veille à rester neutre face au
conflit syrien. Pour autant, certains
groupes salafistes ne ratent pas une
occasion pour semer le chaos dans ces
deux pays géographiquement
interdépendants et complémentaires.
Voici une brève
description de certains de ces
mouvements sectaires actifs au Liban et
qui menacent la Syrie depuis plusieurs
années :
Groupe de Sir
El-Dinniyeh
Ce mouvement
sunnite dirigé entre 1995 et 1999 par
Bassam Ahmad Kanj, un vétéran
d'Afghanistan et de Bosnie, est apparu à
la suite de luttes entre différents
courants islamiques voulant contrôler
les mosquées de Tripoli. En janvier
2000, le Groupe de Dinniyeh a tenté de
créer un mini-Etat islamiste dans le
Nord du Liban. Les militants ont pris le
contrôle des villages du district de
Dinniyeh, à l'Est de Tripoli. 13.000
soldats libanais ont été envoyés pour
mater cette rébellion djihadiste. Les
survivants de l’assaut se retranchèrent
dans le camp palestinien d’Ayn El Hilwé
dans le sud du Liban. Après le retrait
des forces armées syriennes en avril
2005, les combattants du groupe de
Dinniyeh sont revenus à Tripoli où se
trouvaient encore des cellules
clandestines. La même année, le ministre
libanais de l'intérieur par intérim,
Ahmed Fatfat qui est précisément
originaire de Sir El-Dinniyeh et qui,
par ailleurs, dispose de la citoyenneté
belge, a mené campagne pour obtenir la
libération des prisonniers du groupe de
Dinniyeh et ce, dans le but d'obtenir
l'appui politique des groupes sunnites
et salafistes du Nord-Liban.
Fatah Al Islam
Mouvement sunnite
radical du Nord du Liban. Le Fatah Al
Islam a littéralement occupé la ville de
Tripoli avec la complicité de Saad
Hariri et son parti, le Courant du
futur. Hariri voulait se servir de ces
radicaux sunnites pour combattre le
Hezbollah chiite libanais et le
gouvernement syrien. Parmi les alliés de
Hariri, le groupe appelé « Fatah El
Islam » dissident du mouvement national
palestinien s'est emparé du camp de Nahr
El Bared. Ce mouvement terroriste a
assassiné 137 soldats libanais de
manière brutale notamment lors de
sataniques rituels se soldant par des
décapitations. Le 13 février 2007, le
Fatah El Islam fit également exploser
deux bus dans le quartier chrétien d’Alaq-Bikfaya.
De mai à septembre
2007, l'armée libanaise fit le siège du
camp palestinien de Nahr el Bared où
étaient retranchés les combattants
djihadistes et ce n'est qu'après
d'intenses combats dignes de l’opération
syrienne de Baba Amro qu'elle parvint à
les neutraliser. Pas moins de 30.000
Palestiniens ont dû fuir les combats.
Quant à Nahr el Bared, il fut réduit à
l’état de ruines.
Quelques mois plus
tard, le Fatah al Islam est impliqué
dans un attentat meurtrier qui secoue
Damas. Le 27 septembre 2008, le
sanctuaire chiite de Sayda Zainab à
Damas est en effet la cible d'un
attentat à la voiture piégée où 17
pèlerins sont tués. Le Fatah Al Islam
est souvent cité lorsque des
affrontements éclatent à Tripoli entre
le quartier sunnite de Bab Tabbaneh et
le quartier alaouite de Djébel Mohsen.
Jounoud Al Cham
(Les soldats du Levant)
Mouvement sunnite
radical du Sud du Liban aux origines
multiples. Certains de ses membres
seraient issus du groupe Dinniyeh tandis
que d’autres seraient des vétérans
d’Afghanistan ayant combattu sous le
commandement d’Abou Moussab Al Zarqawi.
La plupart de ses combattants seraient
des Palestiniens « takfiristes »,
c’est-à-dire en guerre contre les autres
religions et les non-croyants. Jounoud
Al Cham serait responsable d'un
attentant en 2004 à Beyrouth qui a tué
un responsable du Hezbollah. Depuis
plusieurs années, il tente de prendre le
contrôle du camp palestinien d’Ayn El
Hilwé situé à proximité de la ville de
Sayda. En 2005, le groupe fait parler de
lui pour ses accrochages quotidiens avec
l’armée syrienne. Jounoud al-Sham se
trouve sur la liste des organisations
terroristes émise par la Russie. Il
n'est pas sur la liste des organisations
terroristes étrangères du Département
d'Etat nord-américain. (4)
Ousbat Al Ansar
(Ligue des partisans)
Présent sur la
liste des organisations terroristes,
Ousbat al-Ansar lutte pour «
l'établissement d'un Etat sunnite
radical au Liban ». Connu pour ses
expéditions punitives contre tous les
musulmans « déviants », Ousbat al-Ansar
fait assassiner des personnalités
sunnites comme le cheikh Nizar Halabi.
Il fait également plastiquer des
établissements publics jugés impies :
salles de théâtre, restaurants,
discothèques... En janvier 2000, il
attaque à coups de roquettes l’ambassade
de Russie à Beyrouth. Héritier du groupe
de Dinniyeh, il infiltre le camp
palestinien d’Ayn El Hilwé dans le Sud
du Liban. Lorsqu'en septembre 2002, je
visitai les camps palestiniens du Liban,
l'inquiétude des résistants palestiniens
était palpable. Nombre d'entre eux
avaient été tués lors de tentatives de
prises de contrôles par ce groupe réputé
proche d'Al Qaïda. En 2003, quelque 200
membres d’Ousbat Al Ansar attaquèrent
les locaux du Fatah, le mouvement
palestinien de Yasser Arafat. Il y eut
huit morts dont six membres du Fatah.
Le mythe de
l'ASL
Il faut le reconnaître: les chasseurs de
dictateurs qui peuplent les rédactions
des grands organes de presse sont passés
maître dans l'art du camouflage quand il
s'agit de présenter des « résistants »
qui servent les intérêts de leur camp.
En véritables chirurgiens esthétiques,
ils vous transforment l'Armée syrienne
libre (ASL) en mouvement de résistance
démocratique brave et sympathique
composé de déserteurs humanistes
dégoûtés par les atrocités commises par
l'armée syrienne. Il n'y a aucun doute
que l'armée du régime baassiste ne fait
pas dans la dentelle et commet
d'impardonnables exactions contre des
civils, qu'ils soient terroristes,
manifestants pacifistes ou simples
citoyens pris entre deux feux. A ce
sujet, les médias mainstream nous
abreuvent ad nauseam de crimes imputés
aux troupes syriennes parfois à raison
mais le plus souvent à tort. Car en
termes de cruauté, l'ASL ne vaut pas
vraiment mieux. Seuls quelques rares
journalistes comme le néerlandais Jan
Eikelboom osent montrer l'envers du
décor, celui d'une ASL sadique et
crapuleuse. La correspondante à Beyrouth
du Spiegel, Ulrike Putz vient,
elle aussi, d'égratigner la réputation
de l'ASL. Dans une interview mise en
ligne sur le site de l'hebdo allemand,
Ulrike Putz a mis en lumière l'existence
d'une « brigade d’enterrement » chargée
d'exécuter les ennemis de leur sinistre
révolution à Baba Amr, le quartier
insurgé de Homs repris par l'armée
syrienne. (5) L'égorgeur interrogé par
Der Spiegel attribue 200 à 250
exécutions à sa brigade des
croque-morts, soit près de 3% du bilan
total des victimes de la guerre civile
syrienne depuis un an. Du côté des
institutions humanitaires, il a fallu
attendre la date fatidique du 20 mars
2012 pour qu'une éminente ONG, à savoir
Human Rights Watch, dont la traduction
signifie bien « guetteur des droits de
l'homme » reconnaisse enfin les
tortures, exécutions et mutilations
commises par les groupes armés opposés
au régime syrien. Après 11 mois de
terrorisme insurgé... A la bonne heure ô
infaillible sentinelle ! «Sah Al Naum»,
comme on dit en arabe à quelqu'un qui se
réveille.
Passons à une autre
info qui écorne un peu plus la renommée
de l'Armée syrienne libre et leurs
appuis atlantistes. D'après des sources
diplomatiques et militaires, l'ASL,
cette armée dite de « déserteurs »
manquerait d'effectifs militaires. Pour
pallier cette pénurie de combattants,
l'ASL enrôlerait des salafistes à tour
de bras. C'est le cas du bataillon Al
Farouq de l'ASL qui s'était rendu
célèbre par ses enlèvements d'ingénieurs
civils et de pèlerins iraniens, par ces
tortures et ces exécutions sommaires. La
difficulté de recruter des conscrits est
somme toute fort logique puisqu'un
déserteur est par définition un homme
qui abandonne le combat. Déserter
signifie quitter la guerre. Dans le cas
syrien, de nombreux déserteurs se
constituent réfugiés et quittent le
pays. La propagande de guerre
occidentale affirme que s'ils quittent
l'armée ou ne répondent pas aux appels
sous les drapeaux, c'est parce qu'ils
refusent de tuer des manifestants
pacifiques. En réalité, ces jeunes
recrues craignent autant de tuer que de
mourir. Ils affrontent un ennemi
invisible rompu aux techniques de
guérilla, qui tire aveuglément sur des
pro- et des anti-régime et qui n'hésite
pas à liquider ses prisonniers selon un
rituel sordide de décapitation et de
dépeçage. La terreur qu'inspirent les
groupes armés dissuade légitimement de
nombreux jeunes de risquer leur vie en
circulant en uniforme. Alors, ils
choisissent de quitter l'armée et le
pays.
Par exemple, les
déserteurs kurdes syriens se réfugient
dans la région autonome du Kurdistan
irakien. A Erbil surtout, dans un
quartier peuplé de Kurdes syriens que
l'on surnomme « le petit Qamishli ».
D'autres rejoignent les camps de
réfugiés d'Irak, du Liban, de la Turquie
ou de la Jordanie. Le terme de
«déserteur » servant à désigner les
militaires qui ont fait défection pour
rejoindre le camp adverse et tirer sur
leurs anciens camarades est donc
inapproprié. Il serait plus correct de
parler de transfuges.
Voici une analyse
de Maghreb Intelligence, une agence que
l'on ne peut soupçonner de collusions
avec le régime de Damas et qui appuie la
thèse de la démobilisation des jeunes
appelés, de la faiblesse de l'ASL et de
la présence de salafistes armés sur le
champ de bataille:
D’après un
rapport émanant d’une ambassade
européenne à Damas et corroboré par des
enquêtes menées par des centres de
recherches français à la frontière
turque, l’Armée Libre Syrienne -ALS- ne
compterait en tout et pour tout que
quelque 3000 combattants. Ils sont pour
la plupart armés de fusils de chasse, de
Kalachnikov et de mortiers de
fabrication chinoise provenant d’Irak et
du Liban. D’après ce rapport, l’ALS n’a
pas pu enrôler la majorité des 20 milles
militaires qui auraient déserté l’armée
de Bachar Al Assad. D’ailleurs, l’ALS
est particulièrement présente dans les
camps de réfugiés établis sur le
territoire turc. A Hama, Deraa et Idlib
ce sont davantage des groupes armés
salafistes qui donnent la réplique à
l’armée syrienne. Ces salafistes,
particulièrement violents et déterminés,
proviennent dans leur grande majorité de
la mouvance sunnite radicale active au
Liban. (6)
A part le fait
d'être impitoyable, infiltrée par des
groupes sectaires et en manque
d'effectifs, l'Armée syrienne libre est
désorganisée. Elle n'est pas chapeautée
par une direction centrale et unifiée.
(7)
De nombreuses
indications, notamment les saisies
d'armes réalisées à divers
postes-frontières du pays, montrent que
l'ASL reçoit des armes de l'étranger et
ce, depuis le début de l'insurrection,
ce que l'ASL démentait avant de demander
ouvertement une intervention militaire
étrangère sous forme de bombardements,
d'appui logistique ou de création de
zones-tampons. Au début de son
insurrection, le groupe armé dissident
ne voulait visiblement pas donner
l'image d'une cinquième colonne agissant
pour des forces étrangères ni
compromettre ces généreux mécènes que
l'on devine. On se souviendra que dans
le documentaire de propagande anti-Bachar
réalisé par Sofia Amara, intitulé «
Syrie : Permis de tuer » et diffusé
sur la chaîne frano-allemande Arte en
octobre 2011, un soldat de l'ASL est sur
le point de révéler ses fournisseurs
étrangers quand son supérieur le somme
de se taire.
Le front
jordanien
L'allégeance de la
monarchie hachémite à Washington et
Tel-Aviv relève du lieu commun. Pour
satisfaire ses alliés, la Jordanie a
d'ailleurs été le premier régime arabe à
appeler Bachar El-Assad à quitter le
pouvoir. Le 22 février 2012, le
correspondant du Figaro, Georges
Malbrunot révélait que la Jordanie avait
acheté à l'Allemagne quatre batteries
anti-missiles Patriot américains «
pour protéger Israël contre
d'éventuelles attaques aériennes menées
depuis la Syrie. » (8) Ces
missiles devraient être installés à
Irbid, non loin de la frontière
syrienne.
Déjà en 1981, la
monarchie sécuritaire alliée des
Etats-Unis avait laissé faire l'aviation
israélienne qui avait violé son espace
aérien pour aller bombarder le réacteur
nucléaire irakien d'Osirak.
En politique
intérieure, la Jordanie n'affiche pas
une posture plus progressiste. Ainsi,
des décennies durant, Amman a encouragé
les Frères musulmans selon un calcul
politique motivé par le souci
d'éradiquer l'ennemi principal, à savoir
l'opposition de gauche laïque
(communiste, baathiste et nassérienne).
Selon M. Abdel Latif Arabiyat, ancien
ministre et ex-porte-parole du Parlement
jordanien : « La confrérie n’était
pas une organisation révolutionnaire,
elle prônait la stabilité. Avec la
montée en puissance des partis
nationalistes et de gauche, nous avons
conclu une alliance officieuse avec les
autorités » (9). En 1970, les Frères
musulmans se rangèrent du côté de la
monarchie lorsque le roi Hussein ordonna
l'écrasement des fédayins palestiniens.
Motus donc de la part des Frères
musulmans devant le massacre dit du «
Septembre noir » dans lequel près de
vingt mille Palestiniens ont été
massacrés. De cette stratégie
d'instrumentalisation des Frères
musulmans jordaniens, ce sont finalement
ces derniers qui sont sortis vainqueurs
puisqu'ils représentent aujourd'hui le
principal mouvement d'opposition du
pays. Pour le royaume hachémite, les
Frères musulmans constituaient un
moindre mal à la fois par rapport à la
gauche mais aussi par rapport aux
mouvements djihadistes. Ce mariage de
raison n'a pas tenu longtemps. Et
finalement, la monarchie se vit
contrainte de réprimer un mouvement
devenu trop puissant. Entretemps, la
Jordanie subit plusieurs attentats
terroristes. En 2005, ce sont des hôtels
de la capitale Amman qui furent visés
par des groupes salafistes. Abou Moussab
Al Zarqawi, l'ancien chef d'Al Qaïda en
Irak, est lui-même originaire de Zarqa,
une ville jordanienne située au Nord-est
d’ Amman. La révolte syrienne contre le
régime ayant éclaté à Deraa, une ville
méridionale proche de la frontière
jordanienne, elle a éveillé l'appétit de
conquête du courant djihadiste basé en
Jordanie qui s'était essoufflé suite aux
nombreuses pertes essuyées dans les
rangs d'Al Qaïda. On y trouve entre
autres la Brigade Tawhid, une petite
armée djihadiste formée de plusieurs
dizaines de combattants naguère actifs
au sein du Fatah Al-Islam et
s’infiltrant en Syrie pour attaquer
l’armée gouvernementale. (10) Le portail
d'info libéral jordanien Al Bawaba
révèle que la ville frontalière de
Ramtha accueille des mercenaires libyens
payés par l'Arabie saoudite et le Qatar.
Par ailleurs, étant
situé entre la Syrie et l'Arabie
saoudite, le royaume hachémite est un
passage obligé pour tous les djihadistes,
les instructeurs et les convois
militaires envoyés par Ryad.
Le front
saoudien
A l'instar du
royaume hachémite, la fidélité de la
dynastie Saoud à l'Oncle Sam n'est un
secret pour personne et ce depuis le
Pacte du Quincy signé sur le croiseur
américain du même nom entre Roosevelt et
Abdelaziz Ben Saoud en février 1945. Cet
accord allait permettre aux Etats-Unis
de s'assurer un approvisionnement
énergétique sans entrave moyennant une
protection de son vassal face à leurs
adversaires régionaux communs, notamment
le nationalisme arabe et l'Iran dont
certains territoires passaient sous
influence soviétique. Lorsque la crise
syrienne éclata, Etats-Unis et Arabie
saoudite fêtaient leurs noces de jasmin
pour leurs 66 années de vie commune en
scellant le plus grand contrat
d'armement de l'histoire : 90 milliards
de dollars, impliquant la modernisation
de la flotte aérienne et de la marine
saoudiennes.
On s'en doutera,
l'Etat wahhabite ne pouvait rester les
bras croisés face aux événements qui
secouent la Syrie, un pays phare du
nationalisme arabe et de surcroît, ami
de l'Iran, son ennemi juré.
Ryad alimente le
terrorisme anti-syrien sous diverses
formes : diplomatique, économique,
religieux, logistique et bien sûr
militaire.
La Maison des Saoud
parraine les djihadistes actifs en Syrie
en les encourageant par le biais de ses
propagandistes attitrés à mettre le pays
à feu et à sang.
Par exemple, après
avoir autorisé le djihad en Libye et
appelé à l’élimination de Mouammar
Kaddhafi, l'une des plus grandes
autorités juridiques et fatalement
religieuses du pays, le Cheikh Saleh Al
Luhaydan s'est dit favorable à
l'extermination d'un tiers des Syriens
pour en sauver les deux tiers.
Sur la chaîne
télévisée saoudienne Al-Arabiya TV, le
prédicateur Aidh Al-Qarni a déclaré que
« Tuer Bachar est plus important que
tuer des Israéliens ». (11)
C'est depuis Ryad
et via la chaîne Wessal TV qu'Adnan Al
Arour appelle à hacher les alaouites et
à donner leur chair aux chiens.
Les récentes
déclarations christianophobes du Cheikh
Abdul Aziz bin Abdullah, rapportées par
Arabian Business, ne vont sans doute
pas rassurer les chrétiens de Syrie :
s'appuyant sur un hadith décrivant le
prophète Mahomet sur son lit de mort,
déclarant qu'il « ne devrait pas y
avoir deux religions dans la péninsule
arabique », le cheikh saoudien
Abdullah qui n'est autre la plus grande
autorité wahhabite au monde, en a déduit
qu'il fallait détruire « toutes les
églises de la région ». Les
chrétiens de Syrie en proie à la haine
religieuse, trouvent dans cette
déclaration, une raison de plus pour
soutenir Bachar el-Assad.
Nombreux sont les
citoyens syriens hostiles au régime de
Bachar el-Assad qui s'inquiètent du
parrainage de leur mouvement
démocratique par une théocratie qui
décapite encore des femmes pour
sorcellerie, qui torture ses opposants
politiques dans les prisons et qui ne
connaît ni Parlement ni élection.
Sous le soleil de
Ryad, il y a aussi Bandar que l'on ne
présente plus.
Son rôle trouble
dans les attentats de Londres, le
financement de groupes salafistes armés
revendiqué par l'intéressé, ses
collusions avec le Mossad, sa haine du
Hezbollah, de la Syrie et de l'Iran font
du prince saoudien Bandar Ben Sultan,
secrétaire-général du Conseil national
de sécurité, une pièce maîtresse du plan
de destruction de la Syrie laïque,
multiconfessionnelle, souveraine et
insoumise.
Il n’y a donc pas
vraiment de quoi s’étonner lorsque la
dictature saoudienne s'engage aux côtés
de son voisin et concurrent qatari, à
verser les salaires des mercenaires
antisyriens lors de la réunion des «
amis de la Syrie » à Istanbul.
Le front qatari
Le Qatar, c'est
avant tout, une gigantesque base
militaire US, la plus grande qui se
trouve en dehors des Etats-Unis. Et
puis, accessoirement, c'est le royaume
d’un petit émir médiocre, fourbe et
cupide. Dans son royaume, il n'y a ni
Parlement, ni Constitution, ni partis,
ni élections. En 1995, il organise un
coup d'Etat contre son propre père. A
peine arrivé au pouvoir, le
pétromonarque putschiste se lance dans
un vaste programme de partenariat
économique avec l’Etat sioniste
prévoyant notamment la commercialisation
du gaz qatari en Israël. En 2003, l’émir
du Qatar autorise l’administration Bush
à se servir de son territoire pour
lancer l’assaut sur l’Irak. Avec le
reste de sa famille, il contrôle
l'ensemble de la vie économique,
politique, militaire et culturelle du
pays. La célèbre chaîne télévisée Al
Jazeera est son joujou personnel. En peu
de temps, il en a fait une puissante
arme de propagande anti-syrienne. Grâce
aux bidonnages d’Al Jazeera, la CIA et
le Mossad peuvent s’offrir des vacances.
Le nom de sa Majesté : Hamad Ben Khalifa
al Thani. Le printemps arabe ? Il en est
le principal bâilleur de fonds. Car pour
lui, tout s'achète : le sport, l’art, la
culture, la presse et même la foi.
Alors, vous pensez bien, une
révolution...
L’année dernière,
l’émir Hamad envoya 5.000 commandos pour
appuyer la rébellion djihadiste contre
la Libye souveraine. A présent, son
nouveau jeu de casino, c’est la Syrie et
les rebelles de ce pays, des jetons de
mise. Lorsque ces derniers subissent un
revers de la part de l'armée arabe
syrienne, il hurle au génocide. Hamad et
sa clique, c'est l'hôpital qui se moque
de la charité. Et à propos de charité,
il a justement embauché un prédateur
notoire de la paix et de la démocratie,
le cheikh Al Qardawi, histoire
d'islamiser le message de la chaîne.
Mais malgré ses dollars et ses campagnes
de mobilisation contre la Syrie, Al
Jazeera est une armée en déroute.
Les coulées de
désinformation qui se déversent à propos
de la Syrie depuis les studios de la
chaîne ont entraîné la démission de ses
plus grandes vedettes. De Wadah Khanfar
à Ghassan Ben Jeddo, de Louna Chebel à
Eman Ayad, Al Jazeera a subi
d’importantes défections qui passent
inaperçues dans la presse occidentale.
En mars 2012, Ali
Hachem et deux de ses collègues quittent
eux aussi le navire de la piraterie
informative qatarie. Certains des
courriels d’Ali Hachem fuités font état
de mesures de censure prises par Al
Jazeera concernant des images de
combattants anti-Bachar s’infiltrant en
Syrie depuis le Liban qui datent d’avril
2011. Ces images font donc remonter la
présence d’une opposition armée de type
terroriste aux débuts du « printemps
syrien ». Leur publication aurait fait
voler en éclats l’imposture selon
laquelle le mouvement anti-Bachar ne se
serait radicalisé qu’à la fin de l’année
2011, une thèse reprise en chœur par
toutes les chancelleries occidentales.
En dépit de ces
scandales à répétition, « nos » médias
continuent de considérer Al Jazeera
comme une source fiable et son patron,
l’émir Hamad, comme un apôtre de la
démocratie syrienne.
Le front irakien
L’invasion de
l’Irak par les troupes
américano-britannique en mars 2003 a
joué un rôle crucial dans l’augmentation
du nombre de djihadistes syriens. Les
poste-frontières comme Bou Kamal sont
devenues des points de passage pour les
djihadistes syriens allant combattre les
forces d'occupation en Irak. Nombre de
Syriens ont été grossir les rangs des
bataillons d’Abou Moussab al-Zarqawi.
Depuis l'été 2011, le processus s'est
visiblement inversé puisque désormais,
les militants sunnites irakiens
franchissent la frontière pour aller
combattre les troupes syriennes.
Al Qaida
La branche irakienne d'Al Qaida
appelée Tanzim Qaidat al-Jihad fi Bilad
al-Rafidayn (Organisation de la base du
Jihad au Pays des deux fleuves) comptait
de nombreuses recrues syriennes. On dit
que 13% des volontaires arabes en Irak
étaient syriens. (12) Leur terreur fut à
l'égal de leur réputation. Al Qaida
causa de tels dégâts au sein de la
résistance irakienne sunnite que ces
derniers durent se résigner à ouvrir un
front anti-Al Qaida. En 2006, un Conseil
de secours d'Anbar regroupant la
majorité des clans et tribus de la
province rebelle vit le jour. Son but
était de nettoyer la province des
terroristes d'Al Qaida. (13) A Falloujah
et à Qaim, les chefs de tribus qui
initialement ouvrirent les bras à la
bande à Zarqawi finirent par retourner
leurs armes. Pour avoir déclaré la
guerre à Al Qaida, ils reçurent même le
soutien du gouvernement irakien. La
terreur aveugle d'Al Qaida a ainsi
grandement neutralisé la résistance
patriotique irakienne. Tous ces vétérans
de la guerre contre les Américains mais
aussi contre l'Iran, les chiites et les
patriotes sunnites irakiens ont trouvé
un nouveau salut dans la guerre contre
le régime de Damas.
De décembre 2011 à
mars 2012, les villes de Damas, Alep et
Deraa ont été la cible de plusieurs
attentats suicides ou à la voiture
piégée faisant des dizaines de morts et
de blessés. Ces attaques ont été
revendiquées par Al Qaida ou attribuées
à l'organisation takfiriste par les
autorités syriennes et les experts
internationaux en anti-terrorisme qui
confirment l'infiltration de terroristes
depuis l'Irak.
Jabhat Al-Nusra
Li-Ahl al-Sham (Front de soutien à la
population du Levant)
Le 24 janvier
dernier, ce groupe a annoncé son
apparition dans divers forums
islamistes. Mais ce nom à rallonge
semble être un diminutif de Jabhat Al
Nusra li Ahl Al Sham min Mujahideen al
Sham fi Sahat al Jihad ou Front de
soutien à la population du Levant par
les Moudjahidines de Syrie dans les
lieux du Jihad.
D'après les experts
en terrorisme, l'expression «Lieux du
Djihad» suggère que les membres de ce
groupe mènent leur guerre sainte sur
d'autres fronts comme l'Irak. C'est
d'ailleurs ce que révèle le leader du
groupe Abou Mohammed al Julani dans une
vidéo mise en ligne au milieu du mois de
mars. Al Julani signifie le Golanais,
référence syrienne explicite. Comme tous
les groupes terroristes, Jabhat Al Nusra
dispose d'un organe de presse: Al Manara
al Bayda, le phare blanc. (14)
Jabhat Al Nusra
reçoit l'appui d'un cyber-salafiste
éminent dénommé Abou Moundhir al
Shanqiti. Ce dernier a émis une fatwa
appelant les musulmans à se ranger dans
le camp de ceux qui élèvent le drapeau
de la charia en Syrie.
Le front turc
En Turquie, pays
membre de l’OTAN depuis 60 ans qui
accueillera bientôt le bouclier
anti-missile, c'est l'Armée syrienne
libre qui tient le haut du pavé. Son
chef présumé, Riyad Al Assaad est
hébergé dans la province turque
anciennement syrienne du Hatay et
bénéficie de la protection directe du
ministère des affaires étrangères. La
Turquie est comme chacun sait l'un des
plus ardents ennemis du régime de Damas.
Craignant de « passer pour des
impérialistes », les forces de l'OTAN
poussent Ankara à franchir le Rubicon ou
disons l'Oronte en la circonstance, dans
la guerre contre la Syrie.
De nombreuses
sources font état d’un axe
Tripoli-Ankara dans la guerre contre
Damas. Un trafiquant d'armes libyen
évoque l'achat d'équipements militaires
légers par des Syriens à Misrata (15).
L’ex-officier de la CIA et directeur du
Conseil de l'intérêt national US Philip
Giraldi parle carrément d'un transport
aérien de l'arsenal de l’ex-armée
libyenne vers la Syrie via la base
militaire américaine d'Incirlik située
dans le sud de la Turquie à moins de 180
km de la frontière syrienne. Il affirme
que l'OTAN est déjà clandestinement
engagée dans le conflit syrien sous
direction turque.
Giraldi confirme
aussi l'information parue en novembre
dernier dans le Canard enchaîné,
à savoir que des forces spéciales
françaises et britanniques assistent les
rebelles syriens tandis que la CIA et
les Forces spéciales US leur fournissent
des équipements de communications et
d'espionnage.
Un autre ex-agent
de la CIA, Robert Baer, dont les
mémoires (16) ont inspiré le film
Syriana de Stephen Gaghan avec
George Clooney en tête d’affiche, a
déclaré à l’été 2011 que des armes sont
envoyées aux rebelles syriens depuis la
Turquie. (17)
Sibel Edmonds,
cette interprète de la FBI censurée pour
avoir dénoncé des abus commis par les
services de renseignement américains,
affirme que la livraison d’armes aux
rebelles syriens est assurée par les
Etats-Unis depuis mai 2011. Les
Etats-Unis auraient également installé
en Turquie une « division de
communication » dont la mission est de
convaincre les soldats de l’armée
syrienne à rejoindre la rébellion. (18)
L'implication des
mercenaires libyens ne serait pas
uniquement logistique. Selon plusieurs
témoins oculaires dont un
reporter du quotidien espagnol ABC, des
djihadistes libyens, dont certains
membres du Groupe islamique combattant
libyen (GICL) sont concentrés aux
frontières syro-turques. (19)
Dans la région
majoritairement arabophone d'Antioche en
Turquie qui jouxte la Syrie, la
population locale croise un nombre
exceptionnellement élevé de Libyens.
Occupant les plus luxueux hôtels de la
région, ils ne passent pas inaperçus.
Certains de ces Libyens multiplient les
actes de vandalisme dans certaines zones
touristiques comme à Antalya. Des
miliciens libyens séjournant en Turquie
ont plusieurs fois attaqué et occupé
leur ambassade à Istanbul pour réclamer
leur solde. A ce tableau étrange vient
s'ajouter l'arrestation d'un Libyen de
33 ans à l'aéroport d'Istanbul en
possession de 2,5 millions de dollars.
Le 1er avril, ce Libyen
faisait escale à Istanbul. Sa
destination finale : la Jordanie, un
pays où l’on signale un grand nombre de
mercenaires libyens massés à la
frontière syrienne. Tiens, tiens… (20)
Et les USA dans
tout ça?
Comte tenu des
allégations de certains agents de la CIA
concernant l’implication US dans la
déstabilisation de la Syrie, est-il
raisonnable de croire que
l’administration Obama serait
indifférente voire complaisante à
l’égard d’un pays qui figure pourtant
dans la liste des « Etats voyous » pour
son soutien à la résistance
palestinienne et son alliance
stratégique avec le Hezbollah et l’Iran
? La Syrie est à ce titre cité parmi les
sept pays contre lequel « l’utilisation
de l’arme nucléaire est envisageable ».
A ceux qui croient en l’inaction des
forces occidentales en Syrie et à leur
bonne foi dans leur défense des civils
syriens, il convient de leur rappeler
qu’il y a un an, l'Organisation du
traité de l'Atlantique nord (OTAN) sous
commandement américain jurait par tous
les saints vouloir agir par «
responsabilité de protéger » le peuple
libyen et promettait de s'en tenir à la
résolution 1973 du Conseil de sécurité
des Nations Unies afin d’ « empêcher le
dictateur Kadhafi de bombarder sa
population » et que, subitement, la
protection des citoyens libyens s'est
muée en engagement militaire dans une
guerre civile, en coup d'état, en
attentats ciblés et en bombardements
aveugles.
On se souviendra
aussi qu’après avoir anéanti la ville
libyenne de Syrte où le dirigeant libyen
s'était retranché, les forces de l'OTAN
le livrèrent en pâtures à des bandes
criminelles qui le torturèrent à mort.
Cette sordide exécution avait été
facilitée par les USA et l'OTAN
puisqu’ils ont préalablement traqué et
bombardé son convoi. Pourtant, Andres
Fogg Rasmussen et ses comparses qui se
félicitèrent de la mort de Kadhafi
répétèrent des mois durant que le
dirigeant libyen n'était pas leur cible.
La cynique
stratégie des USA et de l'OTAN en Libye
qui consistait à « ne pas dire ce que
l'on fait et ne pas faire ce que l'on
dit » est manifestement celle qui a été
choisie pour la Syrie.
En effet,
officiellement, l'OTAN n'a pas
l'intention d'intervenir dans ce pays.
Rasmussen a même rappelé que son
organisation n'armera pas les rebelles.
Pourtant, certains courriers
électroniques de l'agence de
renseignement privée américaine Stratfor
révélés par WikiLeaks le 27 février
dernier indiquent la présence de forces
spéciales occidentales en Syrie.
Le compte-rendu
d’une réunion, daté du 6 décembre 2011,
sous-entend que des forces spéciales
auraient été présentes sur le terrain
dès la fin de l’année 2011. A ce propos,
le courriel du directeur d'analyse de
Stratfor Reva Bhalla est sans équivoque.
(21) Il est question d'une réunion
regroupant «quatre gars,
niveau lieutenant colonel dont un
représentant français et un britannique
»:
Au cours d'un
entretien qui dura près de deux heures,
ils auraient insinué que des équipes des
Forces spéciales étaient déjà sur le
terrain, travaillant à des missions de
reconnaissance et à l’entraînement des
forces de l’opposition.
Les stratèges
occidentaux réunis aux Etats-Unis
sembleraient rejeter l’hypothèse d’une
opération aérienne sur le modèle libyen
et privilégier l’option d’une guerre
d’usure sous forme d’attaques de
guérilla et de campagnes d’assassinat
afin « provoquer un effondrement de
l’intérieur. »
Ils auraient jugé
la situation syrienne beaucoup plus
complexe que celle de la Libye et le
système de défense syrien trop
performant, surtout ses missiles sol-air
SA-17 disposés autour de Damas et le
long des frontières israélienne et
turque. En cas d'attaque aérienne,
l’opération serait conduite depuis les
bases de l’Otan à Chypre, conclut
l'agence Stratfor.
Si jusqu’à présent,
les Etats-Unis n’ont pas envoyé leurs
bombardiers sur Damas, ce n’est donc pas
parce que le maintien du régime syrien
les arrange mais parce que ce régime
n’est pas une bouchée facile. En
apportant leur appui aux groupes armés,
les USA se rendent néanmoins complices
des massacres en Syrie.
L'OTAN et les
Etats-Unis viennent ainsi compléter la
très sympathique photo de famille du
terrorisme anti-syrien aux côtés des
monarchies du Golfe, des mercenaires
libyens, des propagandistes salafistes
et d'Al Qaida.
Conclusions
Le terrorisme
anti-syrien est une réalité qui crève
les yeux au sens propre comme au sens
figuré. Son apparition est antérieure au
printemps arabe. Durant les années 70 et
80, les Frères musulmans syriens en
furent les principaux acteurs. Après
avoir mis le pays à feu et à sang, ils
furent écrasés par l'armée syrienne
principalement à Hama en 1982. La
dictature baassiste misa sur des moyens
militaires pour éradiquer ce fléau mais
comme bien souvent, la répression a au
contraire eu pour effet d'ajourner voire
d'amplifier la menace. Avec le retrait
syrien du Liban en 2005, les mouvements
djihadistes se sont implantés et
renforcés dans la région libanaise de
Tripoli puis dans les camps palestiniens
du pays du Cèdre. Ils y ont retrouvé une
nouvelle jeunesse et l'occasion de
prendre leur revanche sur le régime
baassiste en lançant des attaques en
territoire syrien. Puis ils ont connu
une troisième renaissance avec le
printemps syrien de mars 2011.
Composés de toutes
les nationalités qui peuplent la région,
les courants djihadistes anti-syriens
affichent un antinationalisme radical
qui ne reconnaît aucune limite
territoriale. Ils ne peuvent donc être
associés strictement à un seul pays de
la région. On trouve ainsi dans leurs
rangs des Saoudiens, des Maghrébins, des
Jordaniens, des Libyens, mais aussi de
nombreux Palestiniens ultraconservateurs
qui rejettent l'idée de lutte de
libération nationale en Palestine à la
faveur d'une stratégie de guerre de
religions « contre les Juifs et les
Croisés ».
Ces groupes
politico-militaires ont causé des
dommages significatifs à de nombreux
mouvements de libération ainsi qu'à tous
les gouvernements nationalistes arabes.
En Irak par exemple, les militants d'Al
Qaida ont farouchement combattu la
résistance sunnite qui pourtant luttait
contre les troupes américaines.
Aujourd’hui, les
gouvernements libanais et irakien,
alliés objectifs du régime syrien et en
proie à ces mêmes groupes armés, tentent
de bloquer le passage des djihadistes
vers la Syrie.
Mais la
connaissance du terrain de ces derniers
disposant d'un soutien logistique
sophistiqué de la part de l'OTAN et de
ses alliés du Golfe rend ses frontières
poreuses. Par exemple, certaines tribus
sunnites transfrontalières, naguère en
lutte contre les troupes d'occupation
américaines et contre les chiites et
aujourd’hui hostiles au régime de Damas
pour des motifs essentiellement
sectaires, acheminent armes, équipements
et combattants depuis la province
irakienne d'Anbar vers le district
syrien de Deir Ez-Zor.
L'OTAN est donc bel
et bien militairement engagée en Syrie
par l’intermédiaire de ses alliés arabes
mais aussi et surtout par le biais de la
Turquie qui, selon les propres
déclarations du premier ministre Recep
Tayyip Erdogan, est un acteur clé dans
la réalisation du Projet américain du
Grand Moyen-Orient, un plan qui vise à
abattre les dernières poches de
résistance anti-US de la région.
Eviter de comparer
les scènes de destruction, de massacres
et de désolation qui nous parviennent de
Syrie avec la guerre civile algérienne
des années 90 devient de plus en plus
difficile. D’autant que la Syrie et
l’Algérie, pays phare du nationalisme
arabe, sont tous deux dotés de
gouvernements politico-militaires issus
d’une guerre de libération contre la
France coloniale et sont tous deux
confrontés à un terrorisme d’un même
genre. Les djihadistes algériens étaient
des vétérans d'Afghanistan qui
combattirent les troupes soviétiques
alors que les djihadistes aujourd’hui
actifs en Syrie ont fait leurs armes sur
les fronts irakien, afghan ou libyen.
Dans l’Algérie des années 90 comme dans
la Syrie de 2012, les groupes
terroristes procèdent à un nettoyage
ethnique, idéologique et confessionnel
méthodique. Une différence de taille
tout de même entre les deux pays: s’il
demeure une menace, le terrorisme
algérien a malgré tout pu en grande
partie être neutralisé grâce à des
moyens politiques basés sur le dialogue
et la réconciliation. L’un des
architectes de la paix algérienne fut
Ahmed Ben Bella, héros révolutionnaire
et premier président de l’Algérie
indépendante. Il nous a quittés le 11
avril dernier. Osons espérer que la
Syrie trouvera son Ahmed Ben Bella.
Bahar Kimyongür
Sources
-
Avec un bémol : le président de la
République doit obligatoirement être
musulman. Cet article de la
Constitution a été maintenu malgré
la nouvelle réforme pour ne pas
s’aliéner la majorité musulmane du
pays.
-
A propos du mensonge sur
l'appartenance religieuse du cheikh
Hassoune, voir Envoyé Spécial,
19 janvier 2012. A propos d'Ali
Mamlouk, voir Le Figaro, 31
juillet 2011
-
Sunday
Telegraph,
29 octobre 2011
-
Voir U.S. Department of State,
Foreign Terrorist Organizations,
27 janvier 2012
-
Ulrike Putz, The Burial Brigade
of Homs in Der Spiegel,
29 mars 2012
-
Maghreb
Intelligence,
17 février 2012
-
Nir Rosen, Al Jazeera online,
13 février 2012
-
Georges Malbrunot, Le Figaro,
22 février 2011
-
Vicken
Cheterian, Le Monde diplomatique,
mai 2010
-
David Enders, McClatchy
Newspapers, 1er avril 2012
-
Sabq
(journal saoudien en ligne), 26
février 2012
-
The Jamestown
Foundation, Terrorism Monitor,
2 décembre 2005
-
Peter Beaumont, The Guardian,
3 octobre 2006
-
Ayfer Erkul, De Morgen, 20
mars 2012
-
Ruth Sherlock, The Telegraph,
25 novembre 2011
-
Robert Baer, La chute de la CIA:
les mémoires d'un guerrier de
l'ombre sur les fronts de
l'islamisme (trad.
Daniel Roche de See not evil,
Three Rivers Press, New York, 2001)
collection Folio documents, Ed.
Gallimard, 2002
-
Hürriyet,
8 mars 2012
-
Interview de Sibel Edmonds,
Russia Today, 16 décembre 2012
-
Daniel Iriarte, Islamistas libios
se deplazan a Siria para « ayudar »
a la revolucion, 17 décembre
2011
-
Milliyet,
2 avril 2012
-
Russia Today,
6 mars 2012
Le
dossier Syrie
Les dernières mises à jour
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