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Opinion

Le soulèvement se propage à la capitale libyenne
Ann Talbot

Lundi 28 février 2011

Alors que le soulèvement s'étend dans l'ensemble du pays, le bilan des manifestants tués et blessés par le régime du colonel Mouammar Kadhafi continue de s'accroître. Des avions de chasse ont ouvert le feu sur les manifestants, y compris, selon certains rapports, dans la capitale Tripoli. Des avions militaires auraient attaqué les manifestants et bombardés les routes avoisinantes de la ville qui abrite deux millions de personnes.

En s'adressant en direct par téléphone à Al Jazeera, Adel Mohamed Saleh, un habitant de Tripoli, a décrit ce qui s'était passé :

 « Ce à quoi nous assistons aujourd'hui est inimaginable. Des avions et des hélicoptères de l'armée bombardent sans distinction un quartier après l'autre. Il y a beaucoup, beaucoup de victimes.

 « Notre peuple est en train de mourir. C'est la politique de la terre brûlée. Toutes les 20 minutes il y a un bombardement.

 « Ça continue, ça continue. Ils prennent pour cible tout ce qui bouge, même ceux qui circulent en voiture. »

Le soulèvement s'est étendu dimanche soir à Tripoli lorsque 4.000 manifestants s'étaient regroupés sur la Place Verte pour réclamer le renversement du régime. Des nervis du gouvernement les ont attaqués et les forces de sécurité ont tiré à balles réelles sur eux. Des affrontements se sont poursuivis jusqu'à l'aube. Il a été rapporté que des mercenaires lourdement armés parcouraient les rues en voiture en tirant à vue et en écrasant les gens. Des comptes-rendus faits sur place parlent de mercenaires dont feraient partie non seulement des Africains mais aussi des Italiens.

Le fils de Kadhafi, Seif al-Islam Kadhafi, est intervenu dimanche soir à la télévision d'Etat pour brandir la menace de la guerre civile. Il a mis en garde que « Nous lutterons jusqu'à la dernière minute, jusqu'à la dernière balle. » Il a dit qu'il y aurait « des rivières de sang » dans toute la Libye si les protestations se poursuivaient.

Le massacre de civils dans la capitale est la réponse du régime à l'intensification des protestations. Le recours aux forces aériennes est un signe à la fois de l'irresponsabilité et de la situation sans issue où se trouve Kadhafi. La clique dirigeante dans son entourage a déclenché une guerre civile contre les masses libyennes.

Au moins deux pilotes ont refusé d'obéir aux ordres de tirer sur des civils et se sont posés à Malte où ils ont demandé l'asile politique. A Stockholm, en Chine, en Inde et dans d'autres pays, ainsi qu'aux Nations unies, les ambassadeurs libyens ont démissionné après l'assaut contre Tripoli.

Ce n'est pas seulement le régime de Kadhafi qu'il faut blâmer pour ces crimes. Des ministres européens des Affaires étrangères qui se sont rencontrés à Bruxelles ont officiellement condamné le recours à l'arme lourde contre les civils. Mais, s'exprimant après la réunion lors d'une conférence de presse, la haute représentante de l'Union européenne pour les Affaires étrangère et la politique de sécurité, la baronne Catherine Ashton, a appelé « toutes les parties à faire preuve de retenue » comme s'il y avait un équilibre de force entre une machine miliaire moderne et une population civile.

Ses paroles expriment le degré de collusion existant entre l'Union européenne (UE) et le régime de Kadhafi. Tous les Etats de l'UE se sont efforcés de développer d'étroites relations avec la Libye depuis que les sanctions internationales ont été levées en 2004, Tony Blair en Grande-Bretagne et Silvio Berlusconi en Italie ouvrant la voie.

Le secrétaire britannique aux Affaires étrangères, William Hague, s'était entretenu au téléphone avec Seif al-Islam Kadhafi juste avant que celui-ci ne profère sa menace contre la population libyenne. La Grande-Bretagne a annulé huit licences d'exportation d'armements à la Libye depuis le début du soulèvement. Mais une énorme quantité d'équipement fabriqué en Grande-Bretagne a déjà été expédiée vers la Libye et a servi à réprimer les protestations.

Le matériel militaire exporté l'année dernière de la Grande-Bretagne vers la Libye comprenait du gaz lacrymogène, des armes pour le contrôle des foules, de l'équipement de surveillance, des  armes légères, des fusils de tireurs d'élite et de vision nocturne, des véhicules de commandement et de contrôle, et du matériel de brouillage radio. La Grande-Bretagne est également impliquée dans l'entraînement des forces de police libyennes qui se sont distinguées par leur brutalité.

Pour la Grande-Bretagne et les autres Etats de l'UE, le soulèvement en Libye est un désastre. Le gouvernement du Royaume-Uni entretient des liens avec Kadhafi dans un effort de conclure des contrats pétroliers pour des firmes britanniques tel BP. Quelque 79 pour cent du pétrole libyen vont à l'UE faisant de l'Europe le plus gros client de la Libye.

La Libye vient tout juste de dépasser l'Arabie saoudite et de passer au troisième rang des fournisseurs de pétrole à l'Europe, derrière la Norvège et la Russie. L'Italie importe 32 pour cent de son pétrole de Libye, l'Allemagne 14 pour cent et la France 10 pour cent. Quelque 23 pour cent vont au reste de l'Europe.

Certains manifestants ont prétendu qu'il y avait une collusion directe du gouvernement italien avec la répression. Berlusconi avait dit ce week-end en parlant de Kadhafi, « Non, je n'ai pas été en contact avec lui. La situation évolue encore et donc je ne me permettrais pas de déranger qui que ce soit. » Ce ne fut qu'hier qu'il a publié pour la forme une condamnation de la violence.

Il y a à peine quelques jours, la société pétrolière italienne ENI assurait à ses investisseurs qu'il « fallait continuer comme si de rien n'était » en Libye. Lundi elle a commencé l'évacuation de son personnel. Le groupe pétrolier norvégien Statoil qui a formé comme un consortium avec Total, France, et Repsol en Espagne, a annoncé qu'il fermerait ses bureaux à Tripoli. Le gazier autrichien OMV a évacué tout son personnel à l'exception du personnel indispensable.

BP a suspendu ses préparatifs de travaux de forage dans le vaste champ pétrolier de Syrte. Le forage devait débuter dans quelques semaines. Syrte est considéré comme dangereusement proche de Benghazi qui se trouve actuellement entre les mains des manifestants anti-régime.

La relation entre les gouvernements européens et la Libye ne se limite pas seulement au pétrole. La Libye a des investissements substantiels en Europe, notamment en Italie. De plus, Kadhafi a amassé des réserves en devises étrangères évaluées à plus de 70 milliards de dollars dont il se sert pour exercer de l'influence. Lorsque son plus jeune fils, Hannibal Kadhafi, avait été arrêté en Suisse pour avoir maltraité son personnel, Kadhafi avait stoppé l'approvisionnement en pétrole et menacé de prendre le système bancaire suisse en otage. Les autorités lui ont immédiatement présenté leurs excuses.

Le soulèvement populaire en Libye risque de renverser un tyran qui a longtemps été courtisé par les gouvernements européens et qui est considéré comme un partenaire fiable assurant l'approvisionnement en pétrole de l'Europe et investissant dans les banques, les entreprises et les universités européennes les richesses que sa famille a pillées au peuple libyen.

A Bruxelles, la baronne Ashton a insisté pour dire que l'Afrique du Nord se trouvait au sein de la sphère des intérêts de l'UE.

 « C'est de notre voisinage, qu'il s'agit » a-t-elle déclaré en ajoutant « l'Europe doit être jugée sur sa capacité à agir à court terme dans son propre voisinage. »

Ashton doit se rendre en Egypte la semaine prochaine, immédiatement après le premier ministre britannique, David Cameron. Les dirigeants européens cherchent à tout prix à ce que des régimes amis soient installés en Afrique du Nord afin de garantir la continuité des dictatures évincées.

Cameron s'est présenté comme le défenseur de la démocratie. Le bilan du gouvernement britannique concernant les ventes d'armes aux régimes les plus répressifs de la région raconte une toute autre histoire. « L'histoire de nos deux pays remontent à plusieurs décennies, » avait dit Cameron de l'Egypte au moment où il avait promis un plan d'aide au nouveau gouvernement militaire.

Depuis 1882, la Grande-Bretagne est l'une des principales puissances coloniales dans la région depuis qu'elle et la France ont envoyé des navires de guerre pour bombarder Alexandrie. La France a exercé son pouvoir colonial sur la Tunisie et une partie du Maroc. Les masses algériennes ont mené de 1954 à 1962 une guerre résolue pour acquérir leur indépendance de la France. L'Espagne continue d'occuper une partie du Maroc.

Les Etats européens veulent devancer Washington en proclamant leur enthousiasme pour la démocratie et en façonnant des gouvernements complaisants. Contrairement à son discours, l'UE est effectivement de connivence avec le régime Kadhafi dans le massacre de civils.

Durant le week-end, le Financial Times a reproduit une caricature montrant Berlusconi croulant sous une rangée de dominos désignés Tunisie, Egypte, Bahreïn et Libye. Même au moment où les ministres européens des Affaires étrangères étaient réunis à Bruxelles, le ministre italien des Affaires étrangères, Franco Frattini, avait manifesté son angoisse. « Vous imaginez avoir un émirat islamique arabe à la frontière de l'Europe ? Ce serait une menace sérieuse, » a-t-il dit.

En fait, les Islamistes n'ont joué qu'un rôle mineur dans le soulèvement en Libye, tout comme ailleurs en Afrique du Nord. Dès le début, le mouvement révolutionnaire a eu en Tunisie et en Egypte un caractère essentiellement laïc et reflétant les griefs des jeunes chômeurs, des travailleurs et des pauvres qui ne peuvent payer les prix élevés.

Ce que craint Frattini c'est un authentique gouvernement populaire. Les gouvernements européens n'ont pas de difficultés avec les régimes islamiques tels que l'Arabie saoudite. Ce qu'ils veulent, c'est un régime qui soit capable de réprimer son propre peuple. Kadhafi leur a offert précisément cela et actuellement ses fils tentent de montrer qu'ils sont capables d'en faire autant même si cela signifie massacrer des hommes, des femmes et des enfants en recourant à des avions de chasse.

Les masses libyennes ne sont pas découragées par les menaces de Kadhafi. Des appels circulent pour une marche du million sur la Place verte à Tripoli. Lundi matin, la « salle du peuple » et d'autres bâtiments gouvernementaux à Tripoli auraient été la proie de flammes. La deuxième chaîne de la télévision publique al-Jamahiriya 2 TV et la station de radio al-Shababia ont été saccagées et au moins un commissariat de police a été incendié. Lundi soir deux chaînes de télévision auraient été occupées.

L'éclatement de protestations à Tripoli est survenu après une semaine de manifestations et d'affrontements en Libye orientale et à Benghazi, la deuxième ville de la Libye. A Benghazi, des célébrations ont envahi les rues lundi après que davantage de luttes durant la nuit se seraient soldées par la mort de 6 personnes. Les manifestants auraient à présent pris le contrôle de la ville.

La ville d'al-Zawiya serait sous le contrôle des forces anti-régime après que la police ait fui devant les manifestants. Des combats se dérouleraient à la raffinerie pétrolière de Ras Lanuf et au complexe pétrochimique du Golfe de Syrte dans l'Est du pays. On a aussi rapporté que des travailleurs de l'industrie pétrolière sont en grève.

L'irruption de la classe ouvrière dans la situation marque un tournant significatif dans le soulèvement comme cela avait été le cas auparavant en Egypte.

Des centaines de personnes brandissant des pancartes disant « A bas le tueur, à bas Kadhafi, » et « Kadhafi a recruté des mercenaires africains pour tuer des Libyens, » ont protesté devant l'ambassade libyenne au Caire et dans la ville portuaire d'Alexandrie dans le Nord de l'Egypte.

Des convois d'aide ont traversé la frontière entre la Libye et l'Egypte. Dix Egyptiens ont été abattus à Tobrouk, selon le docteur égyptien Seif Abdel Latif.

La classe ouvrière d'Afrique du Nord et du Moyen Orient est la seule force qui puisse unir les masses opprimées et mener à bonne fin le mouvement révolutionnaire en renversant les régimes dictatoriaux et en chassant les compagnies pétrolières, les banques et les entreprises internationales qui considèrent l'Afrique du Nord comme la source de profits énormes. Son plus grand soutien viendra d'autres travailleurs aux quatre coins du monde, notamment de en Europe et en Amérique.

D'ores et déjà, les travailleurs qui protestent au Wisconsin ont fait des parallèles entre leurs expériences et celles faites par les masses d'Afrique du Nord et du Moyen Orient. Des millions d'autres feront de même. Le soulèvement révolutionnaire qui a commencé en Tunisie il y a quelques semaines seulement marque le début d'une nouvelle époque révolutionnaire qui affectera toutes les parties du monde.

 (Article original paru le 22 février 2011)

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Publié le 28 février 2011 avec l'aimable autorisation du WSWS

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