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Mondialisation.ca
Libye : Dans le
précipice
Angelo Del Boca
Muhammar Kadhafi au
pouvoir absolu depuis 41 ans.
Source de la photo :
http://www.cermam.org/...
Mardi 22 février 2011
Les nouvelles qui nous arrivent de Libye sont celles d’une
véritable guerre contre des civils en révolte, donc de massacre.
Ce que Kadhafi avait toujours promis, qu’il n’aurait jamais
retourné les armes contre son peuple, cette promesse aussi il ne
l’a pas tenue. Il est temps qu’il s’en aille, il est temps
d’entrevoir au-delà du bain de sang une solution de médiation
qui, comme en Egypte et Tunisie, ne peut pas ne pas commencer
seulement par la sortie de scène de Muhammar Kadhafi au pouvoir
absolu depuis 41 ans. Il est temps que l’Occident découvre dans
le nouveau processus de démocratisation lancé avec les révoltes
de masse au Moyen-Orient non pas le danger de l’intégrisme
islamique, mais une ressource pour penser
différemment ce monde et, en même temps, nos sociétés
blindées.
Maintenant,
enfin, que les Nations Unies ont élevé la voix, celui qui a aimé
ce peuple et ce pays ne peut pas se taire. Comme le fait le
gouvernement italien qui se cache derrière les déclarations, au
dernier moment, d’une Union européenne plus préoccupée par ses
affaires que par les sociétés et par ces peuples. Donc, nous
devons dire la vérité pour arrêter le sang qui coule à Tripoli,
à Bengasi et dans toute la Libye. Avant tout nous devons faire
ce que nous n’avons pas fait avec le Traité Italie-Libye de
2008. Nous le savions que Kadhafi était un dictateur, qu’en
Libye il n’y a pas de respect des droits de l’homme. Et donc
quand nous avons, en tant qu’Italie, signé ce traité, nous avons
voulu ratifier seulement un accord de caractère économique,
commercial, capable d’arrêter ce désespoir de l’immigration
africaine dans de nouveaux camps de concentration. Mais pas
politique. Nous avons fait une erreur gravissime. Une erreur que
nous sommes en train de traîner aujourd’hui encore parce que nos
responsables au gouvernement n’ont pas le courage d’affronter la
situation et de dire que ça suffit et demander clairement : « Tu
as conduit le pays pendant 41 ans, tu as fait de ton mieux,
maintenant laisse la place à d’autres ».
Voilà ce que devrait être la demande précise. Mais les
faits qui s’affolent pendant que nous écrivons, nous disent que
le précipice malheureusement est déjà là. Parce qu’en un certain
sens Kadhafi est en train de payer deux erreurs fondamentales de
sa politique. Il a oublié qu’une partie décisive de la Libye, la
Cyrénaïque, est encore prise dans le mythe de la Sénoussie et
d’Omar el Mukhtar, qui avait été pendu par les Italiens, et les
manifestants célèbrent el Mukhtar. Fait plus grave encore,
Kadhafi a par contre toujours minimisé l’importance des tribus
du Djebel, de la « montagne », qui sont à 50 Kms de Tripoli.
Les Orfella, les Zintan, les Roseban, ces grandes tribus
de la montagne qui sont celles-là même qui ont mis dans
l’embarras les Italiens en 1911. Kadhafi a toujours minimisé
l’importance de ces composantes nombreuses -les Orfella sont
90mille personnes- dans la lutte de libération et dans la
reconstruction de la nouvelle Libye. C’est ainsi qu’a couvé
pendant des décennies un ressentiment sourd qui les voit
aujourd’hui, si ce n’est à la tête même, associés avec les
révoltés qui, en ce moment, sont en train de marcher sur
Tripoli. En somme, c’est toute l’histoire de la Libye qui se «
rembobine » et contredit le régime du Colonel.
Si nous
pensons seulement à ce qui s’est passé il y a quelques mois,
quand Berlusconi et Kadhafi présidaient un caravansérail dans
une caserne romaine de carabiniers, avec joutes de cavaliers. La
question, objective, se pose : mais comment a-t-il fait pour ne
pas s’apercevoir que tout ce monde qu’il avait construit était
dans une crise dramatique ? Lui qui aspirait à se présenter
comme le leader de tout le continent africain, il n’avait même
pas la sensation des limites de son gouvernement et de la
tragédie qui se consommait dans sa patrie.
Et pourtant
Kadhafi n’a pas été qu’un fantoche, comme Ben Ali et Hosni
Moubarak. Quand il fut le protagoniste du coup d’état en 1969,
il avait devant lui un pays plein de petites organisations,
clanique, et il a contribué à en faire une nation. Et pendant de
nombreuses années la Libye a été considérée comme une nation. En
une année il a chassé les bases militaires états-uniennes et
anglaises, il a expulsé les 20mille
Italiens qui constituaient encore un héritage de
colonialisme. En somme il a essayé de faire de la Libye une
nation. Et pendant de nombreuses années la Libye a été
considérée comme une nation. Ce n’était qu’une présomption, nous
le savons maintenant. C’était une présomption de réduire à un
seul homme ce projet qui devait appartenir à tout le peuple, pas
seulement aux « comités du peuple » voulus par le régime. Là il
a échoué. Quand il s’est auto-représenté comme l’unique
responsable de la chute du colonialisme et de l’affrontement de
l’impérialisme. En réduisant à une personne les institutions
libyennes, l’histoire de ce pays, les aspirations diffuses.
Quand il est venu en Italie, il avait sur son uniforme la photo
du héros anti-italien Omar el Mukhtar.
Mais ça n’était qu’une provocation subjective, comme pour
dire « Moi je n’oublie pas ». Mais le fait d’avoir sous-évalué
l’importance de toutes les tribus de la montagne, c’est-à-dire
de la société politique qui a produit la naissance de la Libye a
été l’erreur la plus grave. Parce que ce sont les composantes
fondamentales qui avaient fait la résistance, la
libération et ensuite avaient fait croître le pays.
La situation
maintenant, malheureusement, est bien au-delà. Je pense avec
douleur que désormais tous les appels arrivent trop tard. Le
fait même que les tribus de la montagne descendent à Tripoli
pour la libérer me donne la mesure du tournant dans le
précipice. Le groupe des anciens, des sages, a dit qu’il faut
abattre Kadhafi. Avec ces mots exactement : «
Nous invitons à la lutte contre qui ne sait pas gouverner
», ont déclaré les anciens des Orfella ; tandis que les chefs
voisins des Zintan demandaient « aux jeunes de combattre et aux
militaires de déserter et d’amener l’enfer à Kadhafi ». Et ceci
est la nouveauté de la crise libyenne. La révolte historique de
la génération des anciens, de la génération des vétérans. Une
confirmation qui
arrive aussi du Caire, où le représentant libyen à la Ligue
arabe Abdel Moneim al-Honi a démissionné pour rejoindre les
révoltés. C’est une information très importante, parce qu’il est
un des fameux « 11 officiers » qui ont fait la révolte de 69
avec Kadhafi. Et
ensemble, à présent avec la génération des jeunes et des très
jeunes. Ces très jeunes qui ont fait cette révolte pour des
raisons de désespoir social,
avec un chômage très haut, à 30%. Une donnée qui dévoile
la fable de la bonne distribution des richesses énergétiques
libyennes. Et les bavardages d’un « socialisme populariste » qui
est resté sur le papier du « Livre vert » du Colonel. La somme
de sa pensée lui a servi à minimiser l’apport politique des
autres protagonistes de la révolution. Dans une interview pour
laquelle je l’avais rencontré en 1986, il admit que le « Livre
vert » avait échoué et que le Libye était encore « noire », pas
verte. Maintenant elle est aussi rouge du sang de son peuple
qu’il a versé. Pour la dernière fois.
Edition de
mardi 22 février 2011 de il manifesto,
http://www..ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/22-Febbraio-2011/art2.php3
Traduit
de l’italien par Marie-Ange Patrizio
Angelo Del Boca (né à Novare, Piémont
italien, en 1925), ancien résistant, est historien du fascisme
et du colonialisme italien, spécialiste de la Libye et auteur de
très nombreux essais (liste sur :
http://it.wikipedia.org/wiki/Angelo_Del_Boca) .
© Droits d'auteurs Angelo Del Boca,
Il manifesto, 2011
Publié le 22 février 2011
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