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RIA Novosti
Russie, Venezuela, Etats-Unis. Le
troisième est de trop
Andreï Vassiliev
Photo RIA Novosti
27 juin 2007
Le président vénézuélien Hugo Chavez effectuera fin juin
une visite officielle en Russie. La question de savoir si de
nouveaux contrats de livraison d'armements, entre autres de
sous-marins, seront signés au cours de ce voyage fait l'objet de
débats animés, surtout aux Etats-Unis qui estiment, on ne sait
pas bien pourquoi, que leur point de vue doit être
obligatoirement pris en considération.
En fait, l'administration de Washington a beaucoup de raisons
de s'inquiéter. Ces dernières années, la Russie joue un rôle
si important sur le marché des armements que le leadership américain
a été mis en doute par beaucoup d'acteurs du secteur, y compris
par les Etats-Unis eux-mêmes. "Après la désintégration de
l'URSS, les Etats-Unis prédominaient sur le marché des armements
conventionnels où la concurrence était très serrée, a fait
remarquer en décembre 2006 l'analyste militaire Richard F.
Grimmett. Mais la situation a changé. A présent, Moscou agit de
façon de plus en plus énergique et agressive".
Effectivement, les produits de l'industrie de l'armement russe
sont appréciés dans de nombreux pays, même dans certains Etats
qui ne sont pas ses clients traditionnels. Ces derniers temps, un
certain nombre d'armées étrangères ont choisi de changer de
fournisseurs, en estimant que le matériel russe était plus
fiable, plus moderne et moins cher. Cela a été, par exemple le
cas de la Colombie, dont les forces armées ont acheté 10 hélicoptères
de transport militaires Mi-17, surpassant par leurs caractéristiques
tactiques et techniques l'hélicoptère Black Hawk proposé par
les Américains, et qui coûtaient (au total) 18 millions de
dollars de moins, ce qui est assez important pour un pays qui est
loin d'être le plus prospère du continent.
En mars 2005, lorsque 3,4 milliards de dollars du budget
militaire du Venezuela ont été transférés en Russie pour
100.000 fusils d'assaut AK-103 (Kalachnikov), 24 chasseurs Su-30
MK2 et 38 hélicoptères militaires Mi-35, l'indignation de
Washington a atteint le point d'ébullition. Hugo Chavez a rappelé
alors que le Venezuela n'avait pas le choix, car les Etats-Unis
avaient introduit un embargo sur l'exportation d'armements vers
son pays sous prétexte que Caracas coopérait insuffisamment avec
Washington dans la lutte contre le terrorisme. D'ailleurs, à la
différence des Etats-Unis, la Russie livre des armes au Venezuela
sans poser de conditions politiques et en respectant la
souveraineté de ce pays.
Une tentative des Etats-Unis de faire pression sur la Russie
n'a eu aucun effet. D'abord, une déclaration a été faite par
Donald Rumsfeld, alors secrétaire américain à la Défense, qui
affirmait ne pas comprendre pourquoi le Venezuela avait besoin de
cent mille fusils d'assaut Kalachnikov. Ensuite, l'inquiétude
suscitée par ce contrat a été exprimée par la secrétaire d'Etat
Condoleezza Rice au cours de sa visite à Moscou. En réponse,
elle a entendu de la bouche du ministre russe des Affaires étrangères
Sergueï Lavrov que la coopération militaire entre la Russie et
le Venezuela n'était pas contraire à la législation
internationale. Le premier vice-premier ministre Sergueï Ivanov a
mis fin à la discussion en déclarant: "La révision du
contrat est absolument impossible... 24 avions ne sont pas
superflus pour protéger un pays aussi vaste que le Venezuela...
Le Venezuela ne fait pas l'objet de sanctions internationales, par
conséquent, aucune restriction n'existe pour la mise en oeuvre du
contrat".
Le fait que le Venezuela ait déjoué le blocus américain est
un exemple contagieux d'insoumission qui risque, en fin de compte,
de causer un préjudice considérable à l'influence américaine
sur le continent. Ce n'est pas par hasard que, lorsque la
possibilité d'achat de matériel de guerre russe par l'Argentine
a été étudiée l'année dernière, son ministre de la Défense
Nilda Garre a déclaré que Buenos Aires ne craignait pas la réaction
négative des Etats-Unis. "L'achat d'armements est une
affaire souveraine de chaque pays, cela ne peut susciter le mécontentement
de qui que ce soit".
En 2005, la Russie a exporté des armes pour 6 milliards 126
millions de dollars. Les Etats-Unis, qui ont gagné presque deux
fois plus, 12,3 milliards de dollars, ont conservé, de même
qu'en 2004, leur part (33% ) sur le marché mondial des armements.
Mais ils restent inquiets, car ils contrôlaient précédemment
environ 50% du marché. Washington ne souhaite en aucune façon
que la Russie y renforce ses positions.
Pour nous (la Russie, ndlr), la progression de la composante
militaire des exportations permet de développer le secteur des
hautes technologies de l'économie russe qui a manifesté, ces
deux dernières années, sa capacité à jouer le rôle de
locomotive dans d'autres secteurs. Heureusement, les temps sont révolus
où l'on recommandait à l'industrie de l'armement d'accorder une
plus grande attention à l'assemblage d'aspirateurs et à la
fabrication de poêles à frire plutôt qu'à la conception de
nouvelles générations d'armes. A présent, on comprend que les
bombardiers et les intercepteurs modernes permettent de gagner
bien plus. Un exemple en a été fourni par la corporation Irkut,
dont le président Oleg Demtchenko a fait savoir au cours d'une récente
conférence de presse au Salon du Bourget que sa compagnie
fournirait avant 2014 à l'étranger 242 chasseurs polyvalents
Su-30 MKI pour environ 7 milliards de dollars.
D'ailleurs, cela n'est nullement contraire à notre doctrine
militaire. En fin de compte, les habitants de tous les pays
veulent dormir tranquilles. Pour cela, il faut être sûr de l'étanchéité
de ses frontières. Lorsque le président Hugo Chavez affirme
qu'il a l'intention de créer un système national de DCA qui
"couvrira tous les Caraïbes" et qui sera capable de détecter
des cibles aériennes à une distance de 200 km et de les détruire
à 100 km du Venezuela, il a le droit de le dire, ne serait-ce que
pour la raison que cela ne menace nullement la sécurité des
Etats-Unis.
En ce moment, on ne peut pas dire exactement si la prochaine
visite du président vénézuélien vise à conclure de nouveaux
contrats de livraison d'armes. Le tapage soulevé par la presse
n'a probablement pas de fondement, et les négociations ne
porteront nullement sur l'achat de sous-marins. Mais, en fait,
cela ne concerne que Caracas et, naturellement, Moscou, et
nullement Washington. Dans cette relation, le troisième est de
trop.
Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à
la stricte responsabilité de l'auteur.
© 2007 RIA
Novosti
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