Opinion
Pourquoi Moscou
veut sauver le président al-Assad
Andreï
Mourtazine
Le chef de
la diplomatie russe Sergueï Lavrov et le
président syrien Bachar al-Assad
© Photo Twitter officiel de Ministère
des Affaires étrangères de la Russie
Mercredi 8 février
2012
Le 7 février, Sergueï Lavrov,
ministre russe des Affaires étrangères,
et Mikhaïl Fradkov, chef des Services
des renseignements extérieurs de Russie,
ont effectué une courte visite à Damas.
Selon la déclaration officielle du
ministère russe des Affaires étrangères,
le but de ce voyage était de parvenir à
stabiliser la Syrie grâce aux réformes
démocratiques. Les émissaires russes ont
transmis un message personnel du
président russe Dmitri Medvedev à son
homologue syrien Bachar al-Assad. Le
contenu du message reste confidentiel.
Une
mission délicate
Le cortège des invités russes a été
accueilli à Damas par des foules de
Syriens criant "Merci à la Russie!"
L’emploi du temps de cette visite de
travail était très serré – les
négociations avec le président al-Assad,
le briefing, puis le retour à Moscou. A
l’issue de l’entretien, Sergueï Lavrov a
déclaré que la rencontre avec al-Assad
avait été "opportune et utile." Il a
ajouté: "Il existe toutes les raisons de
croire que notre signal d'avancer plus
activement dans toutes les directions a
été entendu." La question est de savoir
quelle était la teneur de ce signal.
A la veille de la visite, beaucoup
d’analystes russes estimaient que
Sergueï Lavrov partait à Damas pour
accomplir la mission très délicate de
persuader Bachar al-Assad de
démissionner de son propre gré et de
transmettre le pouvoir à son adjoint, le
vice-président Farouk Charaa, autrement
dit, d’accepter le plan de règlement
politique proposé par la Ligue arabe.
Très probablement, un ultimatum a été
fixé à al-Assad – soit mettre en œuvre
rapidement les réformes démocratiques
annoncées dans le pays en échange du
soutien de Moscou, soit quitter
volontairement la scène politique. Ce
qui a été indirectement confirmé par la
déclaration de Sergueï Lavrov pendant le
briefing sur la préparation du projet de
nouvelle constitution de la Syrie.
"Le président al-Assad a annoncé
qu’il rencontrerait prochainement la
commission chargée de la préparation du
projet de nouvelle constitution. Le
travail est achevé, et la date du
référendum sur ce document important
pour la Syrie sera annoncée
prochainement", a déclaré le ministre
russe.
On ne
trahit pas les siens
Quoi qu’il en soit, la Russie a
confirmé qu’elle était prête à entrer en
conflit avec l’Occident et la Ligue
arabe pour permettre à son seul allié
moyen-oriental de rester au pouvoir. La
question est de savoir jusqu’où la
Russie serait prête à aller et quels
seraient ses dividendes politiques.
Rappelons que dans les années 2000,
pendant les 8 années de sa présidence,
Vladimir Poutine a déclaré à plusieurs
reprises que la Russie établirait les
relations avec les pays arabes sur une
base économique, et non pas idéologique.
Pendant une longue période cette
thèse a été mise en pratique. Au milieu
des années 2000 la Russie nouait
activement des relations avec l’Arabie
saoudite et d’autres monarchies
pétrolières riches du Golfe. En
parallèle, Moscou a signé d’importants
contrats d’armement avec l’Algérie et la
Libye.
La Syrie ne faisant pas exception.
Simplement les échanges commerciaux avec
Damas étaient bien inférieurs par
rapport aux autres partenaires arabes.
Aujourd'hui, alors que la Syrie est
devenue une pomme de discorde entre la
Russie et le reste du monde arabe (à
l’exception de l’Irak et du Liban),
Moscou se retrouve face à un dilemme
très compliqué.
Ce que la
Russie a à perdre et à gagner
La politique est l’art du possible,
mais après le début de la guerre civile
en Syrie, chose que les diplomates
russes préfèrent ne pas remarquer, la
marge de manœuvre politique de Moscou et
de Damas se réduit comme une peau de
chagrin.
Bien sûr, si Bachar al-Assad restait
au pouvoir, ce qui est peu probable, la
Russie conserverait ce qu’elle possède à
l’heure actuelle. Avant tout, il s’agit
des contrats économiques et militaires.
Moscou pourrait fournir des armes à
Damas, mais très probablement ce
seraient des fournitures à crédit, comme
cela se pratiquait à l’époque
soviétique.
Rappelons qu’en 1991, au moment de
l’effondrement de l’URSS, la dette
syrienne envers l’Union soviétique se
chiffrait à 10-13 milliards de dollars,
selon les diverses estimations.
Récemment, en 2005, cette dette a été
effacée en échange des futurs contrats.
Selon les évaluations de 2009, les
échanges commerciaux entre les deux pays
sont inférieurs à 1 milliard de dollars.
Très récemment, les pays de l’Union
européenne ont adopté des sanctions
économiques contre la Syrie, et ils ont
l’intention de les renforcer. L’espoir
de Damas repose sur trois pays – la
Russie, la Chine et l’Iran. Mais ils ne
sont pas non plus tout-puissants.
Si le régime de Bachar al-Assad était
renversé, la Russie perdrait la Syrie
pour longtemps, indépendamment de son
successeur. Toute l’opposition syrienne
est dressée contre la Russie, aussi bien
à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.
Les islamistes attaquent déjà les
ambassades russes au Soudan et en Libye.
Et même si des libéraux
pro-occidentaux, soutenus par la France,
le Royaume-Uni et les Etats-Unis, se
retrouvaient au pouvoir en Syrie, les
contrats économiques seraient
certainement transmis aux compagnies
occidentales. L’armement russe serait
remplacé par des armes américaines et
françaises, de la même manière qu’en
Egypte près de 40 ans auparavant.
Pour l’instant, la situation évolue
selon le scénario le plus défavorable
pour la Russie. Le 7 février, en suivant
l’exemple de l’Occident, les 6 pays du
Conseil de coopération du Golfe
(Bahreïn, le Koweït, Oman, le Qatar,
l’Arabie saoudite et les Emirats Arabes
Unis) ont rappelé leurs ambassadeurs en
Syrie. Les relations entre la Russie et
ces pays se dégradent de jour en jour.
Cela signifie que tous les contrats
économiques russes avec les pays du
Golfe pourraient être gelés ou rompus à
tout moment.
Mais les armes ou les contrats
économiques ne sont pas la chose le plus
important. En entrant en conflit à la
fois avec les mondes arabe et
occidental, la Russie perd l’image
internationale d’un Etat démocratique
pour laquelle elle a lutté pendant si
longtemps.
Les représentants des Etats-Unis,
mais également leurs partenaires
européens, dont Angela Merkel et Nicolas
Sarkozy, ont vivement critiqué la Russie
pour sa position à l’égard de la Syrie.
Une question se pose alors: le jeu
syrien en vaut-il la chandelle?
L’opinion de l’auteur ne coïncide
pas forcément avec la position de la
rédaction
© 2012
RIA Novosti
Publié le 9 février 2012
Le
dossier Syrie
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