Opinion
La Syrie, pomme de
discorde entre Moscou et l'Occident
Andreï
Mourtazine
Photo: RIA
Novosti - © REUTERS/ Ahmed Jadallah
Mercredi 1er
février 2012
Le jeudi 2 février, le Conseil de
sécurité des Nations Unies votera le
nouveau projet de résolution sur la
Syrie proposé par les pays occidentaux
conjointement avec la Ligue arabe. Le
point central de la résolution stipule
que Bachar al-Assad doit impérativement
quitter volontairement son poste et
transmettre le pouvoir au vice-président
Farouk al-Charaa.
Moscou exhorte à rechercher un
compromis, mais si les parties ne
trouvaient de terrain d’entente, la
Russie pourrait utiliser son droit de
veto et la résolution serait bloquée.
Dans ce cas, le président al-Assad
disposerait d'une nouvelle opportunité
pour lancer des négociations avec
l’opposition et l’Occident se
retrouverait face à un dilemme –
dialoguer ou renverser le "dictateur
sanguinaire."
Pendant ce temps la Russie cherche à
devenir médiateur et asseoir les parties
en conflit à la table des négociations,
mais en vain jusqu’à présent.
L’opposition
syrienne rejette la médiation de la
Russie
Récemment, le ministère russe des
Affaires étrangères a avancé une
nouvelle initiative pacifique visant à
organiser le dialogue entre les
représentants de Damas et l’opposition
syrienne à Moscou sans conditions
préalables.
Damas a accepté, mais l’opposition en
la personne du Conseil national syrien
(CNS) a catégoriquement rejeté cette
proposition. "Nous n’avons reçu aucune
proposition officielle… et je pense que
si cette proposition existe, ce ne sera
rien d’autres qu’une tentative
d’influencer le Conseil de sécurité des
Nations Unies. Mais je dis clairement
que notre position n’a pas changé, et
elle consiste à refuser le dialogue avec
le président al-Assad", a déclaré le
représentant du CNS Abdel Baset Seda
dans une interview accordée à Reuters.
Le refus aussi catégorique de
l’opposition syrienne de dialoguer avec
les autorités est facile à comprendre.
Premièrement, ni l’opposition, ni
l’Occident ne considèrent Moscou comme
un arbitre. Rappelons qu’en octobre
dernier la Russie et la Chine ont bloqué
le projet de résolution des pays
européens au Conseil de sécurité des
Nations Unies impliquant la possibilité
d’adopter des sanctions contre la Syrie
si la violence dans le pays ne cessait
pas dans les 30 jours. La position de
Moscou sur la Syrie est claire. La
Russie craint avant tout la répétition
du scénario libyen, lorsque sur
autorisation de l’ONU, sous prétexte de
protéger les civils, les pays de l’Otan
ont lancé une opération militaire qui a
permis de renverser le régime de
Mouammar Kadhafi, et le dirigeant libyen
a été exécuté sommairement par les
rebelles libyens.
Deuxièmement, le CNS, qui s’est
constitué sur l’égide des Etats-Unis, de
la France et du Royaume-Uni, ne peut a
priori pas accepter de propositions de
la part de Moscou. Cet organisme, dirigé
par le politologue de la Sorbonne Burhan
Ghalioun, n’a pas été créé pour négocier
avec Bachar al-Assad, mais afin de
combler le vide du pouvoir après la
démission ou le renversement du
président syrien en exercice.
En novembre dernier déjà, lors de sa
rencontre à Moscou avec le ministre
russe des Affaires étrangères Sergueï
Lavrov, Burhan Ghalioun a cherché à
persuader Moscou de soutenir l’Occident
pour forcer al-Assad à renoncer à son
poste de son propre gré et quitter la
Syrie. La Russie n’était pas d’accord
avec une telle approche.
Les compromis
tardifs
Le président Bachar al-Assad est le
premier responsable des événements
actuels en Syrie. Contrairement à son
père, qui savait louvoyer habilement
entre l’URSS et les USA, et tirer un
maximum de profit des deux côtés, Bachar
al-Assad comprend mal la conjoncture
politique et prend des décisions trop
tardives.
Toutes les initiatives démocratiques
actuelles du président syrien
(l’élaboration d’une nouvelle
constitution, le pluripartisme, les
libertés politiques) devaient être mises
en œuvre il y a plusieurs années, bien
avant le début du printemps arabe.
Il aurait pu lancer les changements
démocratiques progressifs en 2000,
lorsqu’il est devenu président. Et
l’Occident, dont al-Assad cherchait le
soutien, aurait forcément été de son
côté.
Mais au lieu de cela, le jeune
dirigeant syrien a voulu conserver le
système de gestion gouvernementale
hérité de son père. Jusqu’à une certaine
période l’Occident n’y voyait aucun
inconvénient, mais le meurtre en février
2005, à Beyrouth, de l’ex-premier
ministre libanais Rafic Hariri, homme
politique influent qui s’opposait à la
présence militaire syrienne dans son
pays, a changé la donne.
L’Occident a accusé les services de
renseignement syriens de l’organisation
de l’attentat, et non sans raisons
valables. Les relations avec l’Occident
ont commencé à se dégrader, et le
printemps arabe a été le catalyseur du
processus.
Selon le
scénario yéménite
La semaine dernière, la Ligue arabe a
proposé à Bachar al-Assad un nouveau
plan de paix basé sur l’expérience du
règlement de la crise dans un autre pays
arabe – le Yémen. Ce plan implique
notamment la transmission du pouvoir du
président al-Assad à son adjoint, le
vice-président syrien Farouk al-Charaa.
Selon ce plan, un gouvernement d’unité
nationale, dirigé par une personnalité
convenant à tous les partis, devait être
formé en deux mois. Des élections
démocratiques et transparentes devaient
être organisées en Syrie dans les six
mois sous le contrôle des observateurs
arabes et étrangers.
Ce plan était à la base du nouveau
projet de résolution sur la Syrie
présenté mardi au Conseil de sécurité
par l’Occident conjointement avec la
Ligue arabe. Al-Assad a rejeté le
scénario yéménite, en le qualifiant de
violation de la souveraineté syrienne.
La Syrie dans
la géopolitique
D’un point de vue géopolitique, le
conflit actuel en Syrie est largement dû
à l’impossibilité d'une entente entre la
Russie et ses partenaires occidentaux,
avant tout les Etats-Unis, la France et
le Royaume-Uni. Ce qui n’est pas
étonnant. Au cours des dix dernières
années, les relations entre Moscou et
l’Occident n’ont pas cessé de se
dégrader. Le redémarrage des relations
entre la Russie et les Etats-Unis a
échoué. Il n'existe pratiquement aucune
compréhension mutuelle sur les
principaux problèmes, y compris le
bouclier antimissile (ABM) et le
programme
nucléaire iranien.
La situation autour de la Syrie
rappelle l’époque de la guerre froide
entre l’URSS et les Etats-Unis.
Quelle est la
suite pour la Syrie?
Selon la secrétaire d’Etat américaine
Hillary Clinton, l’effondrement du
régime de Bachar al-Assad est
inévitable, et c’est la raison pour
laquelle elle appelle la Russie et la
Chine à ne pas bloquer le nouveau projet
de résolution sur la Syrie au Conseil de
sécurité des Nations Unies.
La Russie, en la personne du ministre
des Affaires étrangères, a déjà déclaré
qu’elle ferait tout pour empêcher une
intervention militaire en Syrie.
Toutefois, Sergueï Lavrov a reconnu que
la Russie ne pourrait pas empêcher une
ingérence militaire dans les affaires de
la Syrie si un pays prenait une telle
décision.
La Ligue arabe soutient la position
de l’Occident et est prête pour l’option
militaire. La situation d’al-Assad est
peu enviable, et sa marge de manœuvre
politique se réduit de jour en jour.
Mais l’Occident ne tente pas encore le
tout pour le tout. Bien sûr, il voudrait
voir à Damas Burhan Ghalioun, et non pas
al-Assad, mais la majorité de la
population syrienne n’approuve pas ce
choix. Il ne pourra accéder à Damas que
grâce aux forces de l’Otan, mais ni
l’Europe, ni les Etats-Unis ne sont
encore prêts pour une intervention
militaire. Pendant ce temps, les flammes
de la guerre civile embrasent des
régions de plus en plus grandes du pays.
L’opinion de l’auteur ne coïncide
pas forcément avec la position de la
rédaction
© 2012
RIA Novosti
Publié le 2
février 2012
Le
dossier Syrie
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