Opinion
Quatorze
Palestiniens libérés lors de l'accord
Shalit
retrouvent les prisons israéliennes
Amira Hass
Vendredi,
des partisans palestiniens de
Samer
Issawi
brûlent des pneus lors de heurts avec
les troupes à proximité d’Ofer,
une prison militaire israélienne située
près de Ramallah. Photo : AP.
Lundi 18 février
2013
Des
modifications des lois militaires
permettent aux FDI et au Shin Bet, sous
le moindre prétexte et en s’appuyant
souvent sur des preuves secrètes,
d’arrêter à nouveau tout prisonnier
libéré jusqu’à ce qu’il ait accompli la
totalité de sa sentence originale.
Quatre prisonniers palestiniens
grévistes de la faim sont parvenus à
secouer le public palestinien plus que
tout autre élément de friction créé sous
la domination israélienne.
Deux des grévistes, Tarek Qa’adan et
Ja’afar Ezzedine, sont en détention
administrative. Les deux autres, Ayman
Sharawna et Samer Issawi, ont été
relâchés lors de l’accord Gilad Shalit
et de nouveau arrêtés par la suite.
Issawi subsiste depuis plus de 200 jours
en ne consommant que de l’eau, des sels
et des suppléments nutritifs, alors que
Sharawna jeûne (avec de brèves
interruptions) depuis 140 jours.
L’inquiétude à propos de leur sort a mis
de côté la discussion du problème très
important des mines terrestres apparu au
moment de l’accord de libération des
prisonniers et qui a été occulté au
cours des festivités marquant leur
retour.
Depuis que l’arrangement en vue de la
libération de Shalit a été signé en
octobre 2011, les Forces de défense
israéliennes et le service de sécurité
du Shin Bet ont arrêté de nouveau 14 des
prisonniers relâchés lors de l’échange.
À l’époque, cinq d’entre eux avaient été
condamnés à des peines allant de 24 à 38
années de prison. Aujourd’hui, il est
prévu qu’ils achèvent le reste de leur
sentence – de 16 à 28 ans !
Ces cinq hommes sont Issawi (qui a
enfreint les conditions de sa libération
et a quitté Jérusalem pour le quartier
voisin d’A-Ram), Sharawna, Ibrahim Abu
Hijleh, Iyad Abu-Fanun et Ayman Abu Daud.
D’autres, y compris un mineur d’âge et
une femme, avaient déjà été condamnés à
de courtes peines de prison et ils
attirent moins l’attention du public.
Divers reportages de médias israéliens
prétendent que les prisonniers arrêtés
de nouveaux avaient sans doute repris
leurs activités terroristes. Toutefois,
l’éventail des définitions israéliennes
du mot « terrorisme » comprend
des activités que les Palestiniens
considèrent comme de simples actes
civiques (tels que recevoir une
allocation de survie, comme c’est le cas
pour Abu Daud) ou des activités
politiques normales (être membre
d’institutions politiques au sein de
l’Organisation de libération de la
Palestine ou participer à un meeting ou
à un rassemblement).
Abu Hijleh, par exemple − qui avait été
condamné à 24 ans de prison pour avoir
exercé des fonctions dans l’aile
militaire du Front démocratique de
libération de la Palestine au cours de
la Seconde Intifada – n’a bénéficié que
de huit mois de liberté.
En juin 2012, quand des soldats ont
frappé à la porte de la maison qu’il
partageait avec sa femme à Ramallah, il
n’aurait pu imaginer qu’il était un
homme recherché. Le ministre de la
Culture du cabinet du Premier ministre
de l’Autorité palestinienne Salam Fayyad
est membre du Front démocratique. Ce
groupe fait partie de l’OLP, qui a signé
les accords d’Oslo avec Israël.I Abu
Hijleh ne pensait pas que des activités
civiles et politiques étaient
interdites.
Sous la surface, on peut entendre des
plaintes contre les services de
renseignement égyptiens et contre les
négociateurs du Hamas.
Manifestement, ils n’ont pas pris en
considération le sort auquel on pouvait
s’attendre pour les quelques centaines
de prisonniers résidents de la
Cisjordanie et de Jérusalem et qui
n’avaient pas été déportés à l’étranger
ou à Gaza, mais avaient pu rentrer chez
eux.
Le Hamas à Gaza jouit de la gloire du
libérateur, alors que l’AP porte le
poids des troubles sociaux. Le club des
prisonniers palestiniens et le ministre
des Affaires des prisonniers de l’AP
progressent surtout sur la piste
diplomatique avec les Égyptiens : coups
de file aux chefs des renseignements,
réunions au Caire et lettres à
l’ambassadeur égyptien à Ramallah. Ils
espèrent que l’implication diplomatique
pourra les aider, quand les Égyptiens
auront du temps à y consacrer, de toute
façon.
Les tentatives de comprendre à partir du
Hamas quels étaient les détails de
l’arrangement – et jusqu’à quel point
les représentants du Hamas étaient
conscients de ses restrictions – ont été
vaines. Les familles des prisonniers
relâchés lors de l’échange l’ont compris
avec douleur que, dans le même temps que
les pourparlers étaient en cours pour la
libération de Shalit en 2009, des
modifications étaient apportées à la loi
militaire concernant la libération
précoce des prisonniers (ordre
sécuritaire n° 1677).
Ces amendements et l’interprétation
donnée aujourd’hui à cet ordre
[sécuritaire n°1677] permettent aux FDI
et au Shin Bet d’arrêter de nouveau tout
prisonnier libéré jusqu’à ce qu’il ait
accompli la totalité de sa sentence
originale, et ce, pour le moindre
prétexte.
Dans la plupart des cas, les poursuites
de la part de l’armée s’appuient sur des
preuves secrètes. L’avocat Ahlam Haddad
représente Sharawna et Abu-Fanun.
Sharawna a été arrêté le 31 janvier 2012
et Abu-Fanun en avril 2012. Tous deux
étaient accusés d’activités interdites,
mais les preuves sont gardées secrètes
et tous deux ont réfutés ces allégations
avec véhémence.
Abu-Fanun, qui a été condamné en 2003
pour une tentative de meurtre et pour
son appartenance au Djihad islamique, a
purgé 9 années d’une peine de 29.
Sharawna en a purgé 10 sur les 38
encourues pour son implication dans un
attentat terroriste à Be’er Sheva en
tant que membre du Hamas.
Mercredi, la Haute Cour de justice
auditionnera une requête de Sharawna,
rédigée par Haddad en compagnie de Nery
Ramati, du cabinet juridique de Gabi
Lasky. Selon les avocats, les clauses
qui ont fait l’objet d’amendements dans
l’ordre sécuritaire n° 1677 «
incluent un certain nombre d’ordres qui,
s’ils étaient appliqués en même temps,
créeraient une masse critique qui
transformerait tout l’arrangement en un
autre allant carrément à l’encontre d’un
processus équitable. »
Au contraire des commissions de
libération sur parole en Israël, qui
consistent en experts tels des
travailleurs sociaux, des criminologues,
des éducateurs et des psychologues, la
commission de l’armée n’est composée que
d’officiers censés remplir le rôle de
juges. Ce sont, déclare la requête, des
membres du même système « qui a
ordonné l’arrestation [initiale] des
prisonniers libérées et ils n’ont joué
aucun rôle dans la décision de les
libérer. »
Selon l’ordre, la condition de
libération est que le prisonnier ne
commette pas de délit la où la peine est
de trois mois d’emprisonnement ou plus.
Ainsi, par exemple, une infraction
routière, la participation à une
manifestation ou la présence illégale en
Israël renverra le prisonnier en prison
pour 20 ou 30 ans. Et, au contraire des
commissions israéliennes de libération
sur parole, la commission militaire n’a
absolument pas la compétence pour
commuer la sentence d’un tel prisonnier.
Haddad et Ramati écrivent dans la
requête que, selon l’ordre, les preuves
secrètes présentées peuvent consister en
preuves présumées avancées par un agent
du Shin Bet. Selon les avocats, il
s’agit précisément de la situation dans
laquelle se trouve Sharawna.
Le Bureau des porte-parole des FDA a
déclaré dans Haaretz que les termes des
amnisties ayant permis la libération des
prisonniers en échange de celle de
Shalit comportaient « la condition
qu’ils ne reprendraient pas des
activités interdites pour des raisons de
sécurité ». De même que,
juridiquement, l’amnistie pouvait être
révoquée « suite à l’accusation d’un
autre délit commis durant la période de
liberté sur parole ou par l’intervention
d’une commission administrative
autorisée à examiner des informations
des services de renseignement, même si
une seule était présente pour attester
la violation des conditions ».
Au cours des manifestations de ces
dernières semaines, en soutien des
grévistes de la faim, on a entendu des
appels disant qu’enlever un soldat
israélien était la seule façon pour les
Palestiniens de contraindre Israël à
traiter les prisonniers palestiniens
comme des prisonniers de guerre (et de
les rendre ainsi susceptibles d’être
libérables), plutôt que comme des
criminels incarcérés.
Les gens qui prônent de telles actions
ne tiennent pas compte de la
détermination du gouvernement et de
l’armée d’Israël à limiter les acquis
des Palestiniens dans l’échange Shalit
et de repousser tout arrangement futur.
Publié sur
Haaretz le 17 février 2013.
Traduction pour la Plate-forme
Charleroi Palestine : JM Flémal
Amira Hass
est une journaliste israélienne,
travaillant pour le journal Haaretz.
Elle a été pendant de longues années
l'unique journaliste à vivre à Gaza, et
a notamment écrit "Boire la mer à
Gaza" (Editions La Fabrique)
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