Opinion
Syrie : Les
erreurs de calcul de la Turquie !
Dr
Amin Hoteit
Mercredi 29 août
2012
Quand la Turquie s’est préparée à son
rôle de « Directeur Régional
pour la Recolonisation
» en tant que « puissance néo-ottomane»
ou « califat islamique
moderne », elle
a cru que son chemin
serait sans encombres étant donné
l’absence de
stratégie
arabe, l’isolement de l'Iran, et l’évolution
des conditions régionales ayant rendu
Israël incapable de tenir son propre
rôle consistant, selon les théories de
Shimon Peres, à promouvoir l’idée d’un «
Nouveau ou Grand Moyen-Orient » fondée
sur « la pensée sioniste » et « l'argent
arabe ».
La Turquie a vraiment cru que telle
était la meilleure façon de s’assurer le
leadership de la région pour commencer,
puis celui du monde musulman ensuite…
confortée en cela par ses atouts
économiques, ses bonnes relations avec
les peuples de plusieurs États
indépendants d’Asie centrale, son passé
Musulman doublé d’un présent qui aurait
démontré la capacité des « Islamistes »
à tenir les rênes de l’État turc et à
neutraliser l’obstacle de son Armée «
gardienne de la laïcité » instaurée par Ataturc !
Partant de cette vision, la Turquie ou
plutôt le « Parti pour la Justice et le
Développement » a lancé sa stratégie du
« zéro problème » pensant qu'elle lui
permettrait de faire sauter les
frontières voisines et de faire oublier
les tragédies historiques commises à
l’encontre de plusieurs peuples et États
de la région, avant de s’envoler vers
son nouveau rêve impérial… Elle a donc «
pris d'assaut » la cause palestinienne,
cause centrale pour les Arabes et
Musulmans [cause des peuples et non
celle des régimes inféodés à l'Occident
et à Israël], puis elle s’est lancée
dans le tissage de relations
stratégiques avec différents pays de la
région en commençant par le plus proche
et le plus important : la Syrie ! En
effet, dans un ouvrage publié en 2001,
Daoud Oglu le théoricien du « zéro
problème », avait souligné que la
Turquie ne pouvait mener à bien ses
projets impérialistes qu’en partant de
Syrie, étape préliminaire pour assurer
la profondeur stratégique rêvée !
Ici, il faut noter que la Syrie a
répondu favorablement à la nouvelle
politique d’ouverture de la Turquie et,
en toute confiance, a établi un
partenariat stratégique avec un État
pourtant membre de l’OTAN « cultivant
des relations particulières avec Israël
», pensant que cette nouvelle approche
lui permettrait au minimum de s’assurer
de sa neutralité dans son conflit avec
l’ennemi sioniste, et éventuellement de
lui confier certaines missions dans le
cadre de ce même conflit où elle
n’afficherait plus son soutien flagrant
à Israël.
Mais la Turquie n'a pas été honnête et
avait prévu l’exact contraire de ce
qu’elle proposait, puisque dès que
l’agression occidentale sous ordres et
plans US fondés sur la stratégie
intelligente du « soft power » s’est
abattue sur la Syrie, elle est entrée
dans son rôle de « directeur de
l’agression sur le terrain » et s’est
posée en « donneuse de leçon » usant du
langage condescendant des colonisateurs,
comme si la Syrie faisait toujours
partie de l'Empire ottoman ! Ce fut
manifestement sa
première erreur de calcul, car la
nouvelle lubie néo-ottomane s’est
heurtée à la résistance arabe syrienne
qui lui a interdit de restaurer un passé
révolu faisant fi de sa dignité et de sa
souveraineté; ce qui a déclenché la
furie et la haine des dirigeants turcs
qui se sont publiquement engouffrés dans
le travail de sape de l’intérieur
syrien.
À ce stade, la Turquie a joué le rôle de
conspirateur sur deux niveaux :
·
Au niveau politique
elle a parrainé des groupes d’agents du
renseignement
de divers pays et des catégories
de revanchards haineux ou d’assoiffés du
pouvoir avant de les organiser en un
soi-disant « Conseil national Syrien »
[CNS] qui, en réalité, est à la solde
des services et des intérêts étrangers
en Syrie. Ce faisant elle a pensé que ce
faux conseil serait une alternative aux
autorités légitimes syriennes… Deuxième
erreur de calcul, car tout comme ce CNS
est né pour servir d’instrument de
discorde extérieure, il a évolué vers
encore plus de discorde intérieure
jusqu’à se transformer en un cadavre
puant devenu un fardeau pour ses
concepteurs, la Turquie en premier !
·
Au niveau militaire
elle s’est transformée
en base de ralliement pour terroristes
de toutes nationalités lancés à l’assaut
de la Syrie, avant exécution
d’une opération militaire
internationale dont
elle serait le fer de lance et en
récolterait les bénéfices après l’avoir
transformée en arrière cour de l’empire
néo-ottoman ressuscité de ses cendres…
Troisième erreur de calcul manifeste
depuis qu’une telle opération dite «
internationale » s’est révélée
impossible et a poussé la Turquie à ne
plus concentrer ses efforts que sur
de sordides actions
terroristes menées sur le sol syrien !
Le parti au pouvoir en Turquie a fini
par mettre tous ses espoirs dans le
terrorisme
international et s’est
imaginé que la
Syrie allait s’effondrer en
quelques semaines ouvrant le chemin de
Damas au nouveau
sultan ottoman…
Quatrième erreur de
calcul devant une Syrie
dont toutes les
composantes
étatiques et
civiles ont
résisté face à la
marée
terroriste espérée invulnérable,
ramenant la
Turquie à la
dure réalité qu’elle n’a pas daigné
anticiper.
En effet, la Turquie s’est imaginée que
la défense syrienne et de ses alliés
régionaux de « l'Axe de la résistance »,
pourtant en parfait accord avec un front
du refus de pays émergents sur la scène
internationale, ne pourraient résister
en cas d’une
confrontation si bien menée et,
qu’en tous cas, elle n’aurait pas à se
mouiller… Cinquième erreur de calcul
particulièrement dangereuse vu
l’évolution du théâtre des opérations au
détriment de ses folles ambitions. Nous
n’en citerons que les conséquences
fondamentales :
1.
Échec définitif de la Turquie dans sa
guerre terroriste contre la Syrie menée
conjointement avec le « camp occidental
des agresseurs »… D’ailleurs, elle-même
est désormais intimement convaincue
qu’il lui est impossible de renverser le
gouvernement syrien, le peuple syrien
étant le seul capable d’en décider.
2.
Échec des efforts de la Turquie en
faveur d’une intervention militaire
directe visant à transformer l’essai,
maintenant que toutes ses tentatives
pour créer des « zones de sécurité »,
des « zones tampons », des « couloirs
humanitaires », ou tout autre prétexte
autorisant une ingérence militaire
étrangère en Syrie ont lamentablement
échoué face à la résistance syrienne, à
la fermeté iranienne, et à la constance
russe dans leur refus concerté d’un tel
dénouement même s’il leur fallait en
arriver à une confrontation militaire
internationale, alors que la Turquie et
ses alliés ne se sont pas préparés à une
telle possibilité.
3.
L’angoisse sérieuse de la Turquie quant
au devenir des groupes terroristes
qu’elle a accueillis sur son sol et
dirigés contre la Syrie sous supervision
US ; ce qui doit nous rappeler le
phénomène des « Afghans arabes » devenus
un problème pour les pays qui les ont
poussés à se battre contre l'Union
soviétique en Afghanistan où, une fois
les troupes parties, ils se sont
transformés en « combattants chômeurs »
menaçant de tous les dangers ; situation
pas très éloignée de celle que risque de
rencontrer la Turquie aujourd’hui !
C’est pour cette raison qu’elle s’est
hâtée de lancer ses appels de détresse
aux USA pour l’aider à prévenir ce
probable fléau… C’est pour cette même
raison que se sont réunies dernièrement
les forces de sécurité militaire des
deux pays, contrairement à ce qui a été
déclaré par les médias parlant de la
mise au point des derniers préparatifs
pour une
intervention militaire en Syrie ;
alors qu’il
s’agissait de défendre la Turquie
craignant pour sa propre sécurité en cas
d’une réplique lancée par la citadelle
syrienne qui a résisté à sa violente
agression par terroristes interposés.
4.
L’angoisse non moins sérieuse de la
Turquie devant certains dossiers qui
sont sur le point d’exploser
alors qu’elle a tenté de les
dissimuler par sa prétendue politique du
« zéro problème » transformée, en
pratique, en politique de « zéro ami » ;
le plus dangereux dans cette affaire
étant l'hostilité des peuples dépassant
de loin celle des
des gouvernements. Ainsi, quatre
dossiers principaux menacent l’essence
même de l’État turc et hantent ses
dirigeants :
·
Le dossier sectaire
: la Turquie a cru qu’en allumant le feu
sectaire en Syrie elle s’épargnerait
l’incendie. Elle a oublié que sa
population était idéologiquement et
religieusement aussi hétérogène et que
les mêmes flammes pouvaient la brûler vu
sa proximité géographique ; ce qu’elle
semble avoir maintenant compris…
·
Le dossier nationaliste
: la Turquie a pensé qu’elle pouvait
éternellement contenir le mouvement
nationaliste kurde… Autre erreur de
calcul, car ce mouvement est devenu
tellement douloureux qu’il l’oblige à
reconsidérer sérieusement l'ensemble de
sa politique à son égard.
·
Le dossier
politique
:
la Turquie s’est
imaginée qu’en s’appuyant sur l’OTAN
elle pourrait négliger
les positions
respectives des
pays de la région et leur imposer sa
propre vision conçue pour ses seuls
intérêts, mais voilà qu’elle se trouve
de plus en plus politiquement isolée,
les pays sur l’amitié desquels elle
espérait pouvoir compter dans son
agression contre la Syrie s’étant
éloignés par crainte de son ambition
démesurée, et les pays qu’elle a traité
en ennemis au point de croire qu’elle
pouvait leur dicter ses ordres ou les
écraser s’étant révélés capables de lui
résister avec une force qui l’a
déroutée… et l’a laissée dans la
situation inattendue de « zéro ami » !
·
Le dossier
sécuritaire
: la Turquie
tente vainement
de nier
le recul
de la sécurité sur son
territoire, devenu extrêmement
pénible pour ses
commerçants et plus
particulièrement pour ceux qui
travaillent dans le
secteur du tourisme et
qui auraient perdu
plus de 50% de
leurs revenus
réguliers au cours des six
derniers mois !
Tout ce qui précède montre que la
Turquie est à la traîne derrière les USA
qu’elle supplie de la sortir du bourbier
dans lequel elle s’est enfoncée ! Elle a
non seulement
échoué dans son agression contre
la Syrie et a dévoilé la fausseté de sa
politique et de toutes ses déclarations,
mais elle n’est même plus sûre de sauver
les cartes qu’elle pense encore détenir,
maintenant que les manifestations à
Antioche, les revendications
arméniennes, les attaques kurdes, les
opposants intérieurs de tous bords à la
politique du gouvernement actuel, et le
refus de coopération doublé de la
méfiance des pays de la région sont
devenus autant de facteurs réunis pour
générer des vents contraires aux projets
impérialistes d’Erdogan et de son
ministre des Affaires étrangère
rappelant, en la circonstance,
l’anecdote de l’arroseur arrosé !
Dr Amin Hoteit
27/08/2012
Article original : Al-Thawra
الحسابات التركية الخاطئة: طابـــــــخ
الســـــــــم آكــــــلــه ؟
http://www.thawraonline.sy/index.php/site-word/8693-2012-08-27-08-12-18
Article traduit de l’arabe par Mouna
Alno-Nakhal [Biologiste] pour
Mondialisation.ca
Le
Docteur Amin Hoteit est libanais,
analyste politique, expert en stratégie
militaire, et Général de brigade à la
retraite.
Publié sur
Mondialisation.ca
Le
dossier Syrie
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