Opinion
Libye. Chaos ou
formation d'une nation ?
Ali Hakimi
Mardi 12 février
2013 Spécialistes
patentés du «Monde arabe», analystes et
autres journalistes connaisseurs de la
région, tous ont imposé une lecture
univoque des événements enveloppés dans
le concept de «printemps».
Un concept qui offre le confort
intellectuel nécessaire et suffisant à
la justification de l'intervention du
bloc atlantiste, que ce soit dans sa
forme militaire directe, comme en Libye,
selon des stratégies adaptées aux
rapports de force internationaux nés de
l'irruption de la Russie et de la Chine
sur la scène ou en regard des
spécificités des pays et de leurs
«révolutions». A cet égard, en Libye,
tout devait fonctionner conformément au
schéma réducteur suivant : un peuple
révolté, assoiffé de liberté et de
démocratie, soumis à un dictateur
sanguinaire. Il
suffisait de l'aider à déchoir le
pouvoir en place pour le voir instaurer
une gouvernance en phase avec des
aspirations populaires dont seuls des
«révolutionnaires», médiatisés à souhait
et désignés «représentants légitimes du
pays», portaient le contenu.
Souvenons-nous, le samedi 25 février
2011, l'ancien ministre de la Justice
libyen, Mustapha Abdel Jalil, annonçait
la formation à Benghazi d'un
gouvernement provisoire «représentatif
de toutes les provinces du pays et de
ses couches sociopolitiques» qui se
charge de piloter la transition de l'ère
post-Kadhafi. En fait, l'insurrection ne
pouvait se prévaloir du soutien, si tant
est qu'on admette cette fumeuse
hypothèse, que de la Cyrénaïque, de la
ville de Misrata et d'une partie du
Djebel Néfoussa, soit un tiers de la
population. Mais, qu'à cela ne tienne,
dans le vacarme international, il était
difficile d'arrêter la machine de guerre
de l'Otan et d’examiner objectivement
les faits. Un adage dit qu’«on ne
pouvait pas demander au vainqueur la
raison de son agression». Malgré tout,
des explications fusent. Si après la
destruction du pays et l'assassinat de
Mouammar Kadhafi le chaos et
l'insécurité ont pris place, ce sera du
fait d'une «absence d'élites
alternatives», avec un ancrage
autochtone, susceptibles de construire
l'Etat «révolutionnaire». Exit les
«représentants légitimes» et oublié
l'argument d'un peuple féru de
démocratie (que seules des élites
auraient pu exprimer). Désormais, il
faudra vendre aux opinions des
rectificatifs sur la situation libyenne
et, à minima, tenter de stabiliser un
territoire ouvert à toutes les dérives.
Peu importe, pour le moment, la
démocratie et ce qui va avec. Le chaos
libyen a déjà des répercussions majeures
sur la sécurité des pays voisins. A cet
effet, il est devenu urgent de parer au
plus pressé. C’est l'objectif de la
réunion ministérielle internationale de
«soutien à la Libye» qui s’est tenue
hier à Paris. Assisteront, notamment, le
ministre français des Affaires
étrangères, Laurent Fabius, et celui qui
fait office d'homologue libyen, Mohamed
Abdelaziz.
Le souci premier, il ne faut pas en
douter, est le contrôle et la sécurité
de ses frontières et ne peut pas être,
pour l'instant, ces centaines de groupes
armés et ces 200 000 hommes en armes qui
échappent à toute autorité, qui exercent
le pouvoir sur les fiefs sous leur
emprise. Ce sera peut-être, aussi, la
question d'une armée nationale, qui en
soit vraiment une, qui ne soit pas ces
additifs de milices qui conservent leurs
chefs et leurs structures de
commandement. Au-delà et en marge,
concernant le très proche anniversaire
de la «révolution du 17 février», la
réunion se penchera certainement sur les
risques encourus par le gouvernement de
Tripoli ciblé par des appels à une
insurrection fixée pour les 15 et 17 du
même mois.
A ce propos, celui qui fait office de
ministre de l'Intérieur rappelle que le
maintien de l'ordre relève de la
responsabilité de chacun et non de son
seul ministère. Un aveu d'impuissance
d'un gouvernement presque de pure forme,
sur le plan local. Ce qui revient à
mettre en évidence la cause principale
de la défaite de Kadhafi, hormis le rôle
déterminant de l'Otan. Le «Guide» ne
dirigeait pas une nation forgée, mais un
conglomérat de tribus, elles-mêmes
subdivisées en rivalités de toutes
formes, qu'il a réussi à fédérer autour
de sa personne et de la rente
pétrolière.
Sa légitimité a pu durer tant qu'il a
pu maintenir un minimum d'équilibre
entre les régions et grâce, le cas
échéant, à son appareil policier. Mais
lorsque le point de rupture fut atteint,
entre les intérêts de certaines couches
sociales des tribus en rupture de ban et
le mode de distribution des richesses et
d'administration des territoires,
Kadhafi ne pouvait plus compter que sur
la fidélité de sa tribu et sur celle
d'une partie de ce qui constituait son
armée. Son sort était scellé. Les tribus
insurgées, de leur côté, ne trouvaient
aucun scrupule à se mettre sous les
ordres des forces occidentales, pour
ensuite refuser, naturellement, de se
soumettre à un Etat qui ne leur inspire
aucune confiance, alors même qu'elles
disposent des armes pour faire entendre
leurs exigences. S'offrent alors les
conditions à tous les opportunismes peu
enclins à ne pas s'imposer autrement que
par la force. Les armes ne seront donc
pas «rendues» et les «armées» ne seront
pas dissoutes. Les citadins et les
franges intégrées de la population
pourront exiger la sécurité. Mais un
Etat civil ne se construit pas avec des
discours et sur la bonne volonté de
chacun. La sécurité étant aussi
l'assurance pour chacun d'être payé en
retour de la fin de l'ancien régime.
Rien ne le laisse présager après
l'installation du CNT à Tripoli et après
des élections, dont on ne sait pas les
conditions réelles de déroulement. La
mendicité explose et l'économie se
résume à la reprise fulgurante de
l'extraction du pétrole, sans les
retombées sociales des revenus qui
s'ensuivaient auparavant. Rien ne
démontre aux jeunes «thouars» que les
nouvelles autorités seront meilleures
que celles qui ont prévalu. De plus, les
syndromes tunisien et égyptien, en
retour, peuvent aggraver la propension à
cette attitude prudentielle, même chez
les moins réticents à rentrer dans le
rang. Sans préjudice de la nébuleuse
djihadiste qui exploite un terreau on ne
peut plus favorable à son activisme, sur
fond de crise au Mali et dans le Sahel
voisin.
Publié sur
Reporters
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