Opinion
N'aurions-nous que
le choix entre le glacis du despotisme
et les feux de l'occupation ?
Dr
Ali Benmohamed
Dr Ali
Benmohamed
Mercredi 23
novembre 2011
Or, qu'en est-il dans notre
Algérie qui a connu toutes les
adversités ? N'est-il pas temps de
cesser les hésitations et de rompre avec
les vieilles recettes bureaucratiques et
avec les tactiques éculées pour gagner
du temps ?... En entamant de vraies
réformes, à travers une instance
nationale crédible, représentant toutes
les forces qui comptent dans le pays, en
vue d'élaborer une feuille de route
devant conduire notre peuple à une
transition concrète et pacifique, avec
des étapes clairement définies et se
déroulant selon un calendrier bien
précis, pour aboutir à
l'instauration d'un système politique
civil, démocratique, républicain et
juste, entièrement consacré à la
résolution des vrais problèmes, par la
mobilisation des ressources du pays au
service d'un développement national, à
la hauteur des sacrifices du peuple.
Dr. Ali Benmohamed
Nous sommes les enfants du
peuple qui a connu l'épreuve de
l'occupation et les brûlures des feux de
son racisme barbare… Nous sommes les
enfants de la génération qui a ouvert
les yeux sur les dernières années de la
colonisation et qui ont compris la
signification du concept de conscience
nationale avec l'aube naissante de
l'Indépendance…. Nous sommes ceux qui
avons constaté de visu, l'étendue des
prédations historiques perpétrées par
l'occupant ; tant il est vrai que le
malheur a accompagné chacune des étapes
de sa présence dans notre pays ;
l'invasion de notre pays, tout comme sa
libération, ont été synonymes de
tueries, de destructions, de terreur et
de dévastations.
L'occupant n'a eu de cesse,
avant de partir, de laisser la moindre
parcelle de notre sol, sans l'avoir
jonchée de cadavres, de crânes, de
membres, après en avoir irrigué la
surface, du sang des martyrs et des
moudjahidine… Nous sommes les témoins
vivants du malheur de notre pays, avec
le reste de ce qui reste de moudjahidine
qui ont porté le pacte de la libération
de la patrie et lui sont restés fidèles…
Personne parmi eux, ni parmi
nous, n'avait alors imaginé qu'au bout
de 50 ans, nous allions nous retrouver –
tout comme la génération des jeunes
d'ailleurs – face à une alternative dont
les deux termes sont aussi terrifiants
l'un que l'autre : l'occupation
étrangère ou la tyrannie nationale ?
Comme s'il s'agissait-là d'un destin
inéluctablement scellé pour nos
générations confondues, sommées de
choisir entre deux sorts tout aussi
effrayants, tout aussi insupportables,
tout aussi intolérables !
Qui est donc responsable de ce
dilemme tragique où le peuple n'a pas
d'autre choix, en dehors de la tyrannie
du pouvoir national ou du spectre d'une
occupation étrangère, toujours à
l'affût, avec son cortège classique
d'hostilité, de crimes et de complots ?
Dès l'avènement de
l'Indépendance, nous avons connu
l'intrusion quasi forcée dans la vie
intellectuelle et culturelle de notre
société encore balbutiante, d'une
dualité de standards et de thèses
alternatives étranges, dont nous n'avons
pas encore fini de payer les lourdes
conséquences sur la santé de notre
société et la solidité du tissu social,
à la base de l'unité de la nation.
On a pris l'habitude de
considérer cette schizophrénie de notre
société, comme étant une simple querelle
interne entre les différentes
composantes d'une élite nationale
plurielle, au plan de ses référents,
comme au plan de ses horizons. Encore
que beaucoup considèrent une partie de
cette élite comme étant le prolongement
de desseins étrangers visant à
pérenniser et à étendre une certaine
domination linguistique et culturelle et
partant, économique et politique sur
l'ensemble du pays et de son peuple.
Nous aurons l'occasion de
développer plus largement ce sujet ;
aujourd'hui, nous voulons limiter notre
propos de la semaine à l'effroyable
alternative dont nous avons titré ces
quelques lignes :
Ou bien, subir ad vitam æternam
une tyrannie qui se maintient par la
violence et se perpétue par son
autoreproduction parfois quasi
dynastique, ou bien le retour de
l'occupant étranger sous un nouveau
visage…
Comment en est-on arrivé là ?
Et qui est responsable de cette
évolution catastrophique d'un printemps
arabe dont les florilèges et les
horizons étaient pleins d'un avenir en
rose ?
Nous ne pensons pas qu'il se
trouvera un seul arabe, ou même un non
arabe, qui ne puisse pas comprendre
aisément – sans qu'il soit besoin de
longues explications ni d'analyses
savantes - l'importance cruciale à tous
points de vue, de l'aire géographique à
laquelle nous appartenons, en
particulier aux plans économique,
politique et stratégique ; importance
qui fait de notre région arabe, l'objet
d'un intérêt permanent des puissances
dominantes, en temps de paix comme en
temps de guerre ; ce qui nous vaut
d'être soumis à une observation tout
aussi permanente par tous les moyens
humains et technologiques dont ils
disposent, afin que rien ne puisse
arriver dans notre région en dehors de
leur volonté, ou qui puisse menacer
leurs intérêts et les intérêts de leurs
alliés, dont Israël en tout premier
lieu, ainsi que leurs vassaux, les
régimes autoritaires arabes dont le
maintien au pouvoir constitue le plus
sûr garant du maintien de leurs
intérêts. A telle enseigne que certains
de nos potentats ont fini par se
transformer en gardiens vigilants et
fidèles des intérêts de leurs maîtres,
n'hésitant jamais, pour leur complaire,
à nuire à leurs propres frères et pairs,
voire à perpétrer de véritables infamies
contre leurs propres peuples.
Et c'est dans ce contexte
qu'est intervenue la surprise dans un
pays arabe voisin dont nul ne pouvait
imaginer qu'il ouvrirait un jour, la
marche des révolutions arabes, tellement
était solide, la réputation des
organismes sécuritaires sévissant dans
ce pays, en fait de répression et de
terreur qui s'abattaient sans quartier,
sur tout ce qui pouvait ressembler à la
moindre velléité de desserrer les
entraves qui enserraient les gorges et
étouffaient les poitrines.
Et le régime dictatorial et
corrompu est néanmoins tombé à Tunis.
A peine une poignée de jours
plus tard,… l'Egypte à son tour se lança
dans une révolution populaire qui allait
balayer en quelques semaines un régime
corrompu et traître, qui ne le cède en
rien à son clone tunisien, en fait de
services de répression et de terreur. Ce
fut le temps de la joie et des
réjouissances partout en Egypte et dans
tous les autres pays arabes….
Mais au milieu de cette
accélération des évènements dans notre
région arabe, un fait étrange a tôt fait
d'attirer l'attention des
observateurs : l'absence remarquable de
la moindre réaction en provenance des
puissances dominantes de l'Occident,
réaction susceptible, de par sa force et
sa rapidité, de rétablir le brusque
déséquilibre, pour l'heure, rompu en
faveur des populations des deux pays en
révolution, la Tunisie et l'Egypte. Car,
si la surprise était totale, au regard
de la Tunisie, au point que les
puissances dominantes n'avaient d'autres
choix que de faciliter la fuite du
fuyard et d'acquiescer à la prise en
mains de la situation par l'armée, afin
de sauvegarder leurs intérêts d'un
effondrement total et de circonscrire à
un minimum de dégâts, les conséquences
prévisibles de la colère du peuple,…
pour l'Egypte en revanche, et dans une
espèce de scénario pour le moins bâclé,
ces mêmes puissances dominantes se sont
vues acculées, de par l'ampleur du
soulèvement du peuple, à montrer leur
solidarité (!) avec les revendications
de celui-ci en réitérant à plusieurs
reprises leurs exhortations à la
démission immédiate du Chef de l'Etat,
tout en organisant derrière les
coulisses, la continuité du régime à
travers son successeur désigné, de
longue main préparé pour cette mission.
Sauf que le peuple égyptien a étouffé
dans l'œuf cette tentative ; d'où le
recours une nouvelle fois à l'armée pour
jouer son double rôle comme ce fut le
cas en Tunisie, dans la perspective
qu'une telle pause puisse permettre à
ces puissances dominantes de redéployer
leur jeu, pour sortir d'une telle
situation avec le minimum de pertes pour
leurs intérêts.
Or, voilà qu'explose le volcan
libyen dans la "Jamahirya du colonel".
Et là aussi, tout comme en Tunisie ou en
Egypte, les revendications initiales du
peuple, n'excédaient pas le seuil de
quelques desideratas tendant à alléger
le poids d'un autoritarisme absolu et
ouvrir quelque peu le champ des libertés
publiques en cessant de considérer le
pays comme une exploitation familiale….
Mais la réaction du "Guide-doyen" et de
sa progéniture vint sous forme de
représailles violentes, de bombardements
intenses, de punitions cruelles et
d'insultes vulgaires à l'endroit du
peuple. D'où les craintes des
sympathisants – arabes et non arabes –
avec les révolutionnaires, sur le sort
qui attendait ces derniers et leurs
familles, y compris leurs femmes et
leurs enfants ; en particulier lorsque
le "guide" mit en branle tout son
potentiel de guerre et son armement
lourd en direction de la ville de
Benghazi, devenue le lieu de
rassemblement de la majorité des
opposants qui ont osé défier l'autorité
du colonel tyran.
Cette fois-ci, l'Occident ne
fut pas pris au dépourvu par les
évènements, pas plus qu'il ne fut
contraint d'improviser, car, ses
Services de Renseignements avaient
élaboré entre-temps, des rapports
analytiques détaillés, dressant la liste
des pays en passe de connaître des
explosions révolutionnaires populaires
imminentes. Et de fait, il était indiqué
dans ces rapports, que les pays arabes
étaient pratiquement tous au bord de
l'explosion, avec la Libye en tête de
liste.
La France est alors entrée en
lice, sous les apparences trompeuses
d'un humanisme qui se voulait plein de
compassion et de miséricorde pour le
peuple libyen ; ceci pendant que
d'intenses contacts se multipliaient
avec la Grande Bretagne autour d'un plan
qui prit nom de "protection des civils"
et reçut le feu vert nécessaire du grand
frère américain qui est, comme chacun
sait, le parrain incontournable de
toutes les "missions humanitaires" de ce
genre…. De plus, seuls les américains
pouvaient garantir un succès
diplomatique au Conseil de "Sécurité"
(!) où l'intransigeance occidentale
réussit tout de même à impliquer la
Russie en l'entraînant à approuver une
Résolution d'une rare mauvaise foi,
montrant ses initiateurs sous les dehors
de l'agneau innocent qui ne demande rien
d'autre que d'interdire de vol,
l'aviation du bouillant colonel pour
l'empêcher de perpétrer un génocide
contre une grande partie de son peuple.
Et il arriva ce qui devait
arriver et dont tout le monde connait
l'issue, à défaut d'en connaître,
jusqu'à présent du moins, les dessous
cachés. Mais le pire cette fois-ci, et
contrairement à ses positions d'antan,
ambigües, négatives voire empreintes de
félonie, de ceux que le défunt Président
Boumédiène qualifiait d"Arabes de
l'Amérique" auxquelles nous avait
accoutumés, cette vieille institution
momifiée et d'une indolence légendaire
qu'est la Ligue Arabe, a fonctionné à
visage découvert, en s'intégrant
clairement dans les plans de l'O.t.a.n.
La Syrie constitue à présent un
nouveau chantier ouvert pour cet
activisme débordant [de la Ligue arabe].
Et il s'agit ici tout à la fois, d'un
malheur qui s'abat sur l'ensemble de la
Oumma et d'une tragédie qui frappe le
peuple syrien, du fait de la stupidité
d'un régime incapable de faire droit aux
revendications de son peuple et sourd
aux appels d'une avant-garde de
patriotes sincères qui n'ont pas cessé
depuis longtemps déjà, d'exhorter le
régime à entreprendre de véritables
réformes permettant d'associer les
citoyens à la gestion des affaires du
pays en y instaurant la démocratisation,
la transparence et l'alternance au
pouvoir… C'était autant s'adresser à un
mur.
Aujourd'hui en Syrie, la
conscience des arabes est doublement
crucifiée : la première planche de cette
croix, c'est celle de la stupidité du
régime syrien – une stupidité largement
partagée du reste, par les autres
régimes arabes qui sont comme on sait, à
la source de tous les malheurs de notre
Oumma – un régime syrien disions-nous,
qui a opposé un refus obstiné et
criminel à toutes les voix de la raison
qui lui conseillant d'agir avant qu'il
ne soit trop tard, alors qu'à
l'évidence, il voyait bien que les
pièges d'une destruction programmée se
refermaient un à un autour de la Syrie ;
un pays qui jouit d'une place
particulière dans les cœurs des arabes.
Quant à la seconde planche de cette
croix, elle provient du tronc d'un
palmier enraciné dans une oasis arabe et
portée par des gens à keffieh, alliés
d'une puissance ayant derrière elle une
longue expertise historique dans l'art
sanglant d'enfoncer les clous, de pendre
les hommes libres, de crucifier les
peuples et de détruire les nations… une
puissance qui se présente à nos benêts
de dirigeants – y compris parmi
certaines "élites"– sous les oripeaux du
Sauveur salutaire…
Quel patriote libre, quel
nationaliste authentique, quel homme
raisonnable serait-il capable, l'esprit
apaisé et la conscience tranquille, de
trancher librement son choix entre la
direction politique syrienne actuelle et
le peuple syrien ? D'un coté, une
direction politique chaque jour
davantage déstabilisée et ne cessant de
crier au complot, à son corps défendant,
même si ses relais médiatiques officiels
sont totalement discrédités depuis bien
avant le déclenchement de la révolution
; car il s'agit bien d'un complot des
américano-sionistes et européens,
flanqués de leurs supplétifs des
monarchies du Golfe qui fournissent au
moins la couverture de la Ligue Arabe….
Et même de la majorité des autres pays,
qui par crainte, qui par cupidité, qui
tout simplement par apathie, voire les
trois à la fois… Nous nous interrogions
donc, qui pourrait trancher entre cette
réalité-là et l'autre réalité ?
Celle d'une partie considérable du
peuple syrien dont les citoyens et les
citoyennes présentent leurs poitrines
nues aux violences et aux tirs des
hordes sécuritaires barbares en criant
"A bas le régime !"; un régime qui n'a
même pas su comprendre, qui n'a même pas
su distinguer entre de simples
manifestations populaires
conjoncturelles, passagères, que l'on
peut réduire en un jour ou en une
poignée de jours, avec de simples forces
de police et une révolution véritable
qu'il n'a pas su discerner ; celle d'un
peuple décidé à ne plus revenir jamais,
à la case départ, c'est-à-dire à la case
de l'obéissance et de l'humiliation,
quels que pourraient être les sacrifices
consentis et quels que pourraient être
les degrés des tortures et les
souffrances à endurer.
La Syrie ne sera pas la
dernière, par plus qu'elle n'aura été la
première… La liste de ce qu'on appelle
"Les Républiques arabes" reste ouverte
et elles y passeront toutes, l'une après
l'autre… Alors que [ironie de
l'Histoire !] les royaumes et les
émirats viennent quant à eux, de
consolider leurs rangs au sein d'un seul
et même front unifié, après que le
Conseil de Coordination des pays du
Golfe se soit élargi aux deux royaumes
qui n'en faisaient pas encore partie, la
Jordanie et le Maroc. D'ailleurs, les
dernières positions politiques au sein
de la Ligue arabe, se passent de tout
commentaire. Et félicitations donc, aux
arabes pour l'avènement imminent de
leurs "démocraties" et autres
"révolutions" programmées ; ainsi qu'aux
Majestés et aux Altesses qui se sont
chargées de les diffuser…
D'où faudra-t-il puiser – ô mon
Dieu ! – l'énergie qu'il faudra mettre
pour convaincre les inconscients – ou
pire, ceux qui feignent l'inconscience –
parmi ceux qui restent de dirigeants,
que leur tour est en train d'arriver, et
celui de leurs pays avec, s'ils ne se
réveillent pas de leur torpeur et s'ils
n'en reviennent pas de leurs folles
illusions que leur pays "est différent"
et que ce qui est arrivé aux autres
n'arrivera pas chez eux, à cause de ceci
ou de cela…en se lançant dans de piètres
et stupides explications qui pourraient
prêter à sourire, n'eût été la gravité
d'une situation qui pourrait à tout
moment basculer dans une vraie tragédie
faite de larmes, de sang et de remords
amers opprimant les poitrines, quand les
remords n'y pourront plus rien.
Or, qu'en est-il dans notre
Algérie qui a connu toutes les
adversités ? N'est-il pas temps de
cesser les hésitations et de rompre avec
les vieilles recettes bureaucratiques et
avec les tactiques éculées pour gagner
du temps ?... En entamant de vraies
réformes, à travers une instance
nationale crédible, représentant toutes
les forces qui comptent dans le pays, en
vue d'élaborer une feuille de route
devant conduire notre peuple à une
transition concrète et pacifique, avec
des étapes clairement définies et se
déroulant selon un calendrier bien
précis, pour aboutir à
l'instauration d'un système politique
civil, démocratique, républicain et
juste, entièrement consacré à la
résolution des vrais problèmes, par la
mobilisation des ressources du pays au
service d'un développement national, à
la hauteur des sacrifices du peuple.
Dr. Ali Benmohamed
(*) Ancien Ministre de
l'Education Nationale.
Texte Original en arabe :
http://www.assala-dz.net/ar/index.php?option=com_content&...
Traduit de l'arabe par
Abdelkader Dehbi
Le dossier
Algérie
Les dernières mises à jour
|