Opinion
Dossier syrien:
les plus et les moins pour Moscou
Alexeï Eremenko
Photo: RIA
Novosti -
© AFP/
Shaam News
Network
Mardi 3 septembre 2013
Source:
RIA Novosti
Tandis que les torpilleurs américains
en Méditerranée pointent leurs missiles
sur les sites syriens, que peut faire
Moscou qui s'oppose à
l'intervention militaire occidentale
et quels sont les enjeux ?
Les USA et leurs alliés de l'Otan –
le Royaume-Uni, la France et la Turquie
– se disent prêts à attaquer les forces
gouvernementales syriennes en réaction à
l'utilisation de l'arme chimique dans le
pays. Selon certaines informations,
ces mesures punitives pourraient être
entreprises dès vendredi prochain même
si l'on annonce que la Maison blanche
n'est pas pressée d'agir. L'agence
Associated Press cite pour sa part
mercredi une source anonyme du
renseignement qui doute que les preuves
de l'attaque contre une centaine de
personnes obtenues par Washington la
semaine dernière soient fiables.
Opposée aux mesures de pression
contre Assad de la part de l'Occident
depuis les émeutes de 2011, la Russie
pense que l'attaque chimique a été
fomentée par les rebelles, pas par le
gouvernement. Cependant les alliés, sous
l'égide des Américains, ne tiendront pas
compte de l'avis de Moscou s’ils
décident d'attaquer la Syrie. Si c’était
le cas, plusieurs scénarios
s’ouvriraient pour la Russie.
Participants possibles à une
intervention militaire en Syrie
Les conséquences
- pour
l'image internationale de la Russie
La Russie a-t-elle perdu sa voix
diplomatique sur le dossier syrien ?
C'est une question de point de vue. Si
elle n'arrivait pas à empêcher
l'opération occidentale contre Assad,
cela pourrait être interprété comme une
défaite, estime Vladimir Akhmedov,
expert sur la Syrie à l'Institut
d'études orientales de l'Académie des
sciences de Russie. Néanmoins, le fait
que la Russie ait réussi à repousser
cette opération depuis plus de deux ans
est déjà une réussite diplomatique
modeste, déclare Vladimir Bartenev de la
faculté de politique internationale à
l'université Lomonossov de Moscou.
Les deux experts se rejoignent pour
dire que dans l'ensemble, cette
situation rappelle l'invasion de l'Irak
par une coalition dirigée par les USA en
2003. A l'époque, la Russie s'était
activement opposée à cette opération au
Conseil de sécurité des Nations unies.
Moscou n'avait pas réussi à empêcher
cette guerre mais avait confirmé son
statut d'acteur indépendant sur la scène
internationale. Depuis, il a rappelé à
plusieurs reprises qu’il avait vu juste,
compte tenu du succès douteux de
l'opération.
- pour le
statut de la Russie dans le monde arabe
Les experts reconnaissent que la
Russie ne perdrait pas grand-chose au
Moyen-Orient en cas d’attaque car de
toute façon la plupart des pays de la
région n'ont jamais soutenu sa position
sur la Syrie. La majorité des Arabes
sont sunnites, ce qui fait de la Syrie
dirigée par les alaouites un bastion
chiite - et un opposant. Selon certaines
informations, l'Arabie saoudite a tenté
de faire passer la Russie dans son camp
en proposant de lui acheter, d'après des
sources officieuses, des armes pour 15
milliards de dollars si la Russie
renonçait à soutenir Assad. Mais même si
les pays arabes cherchaient réellement à
amadouer la Russie avec ce genre de
propositions, leur future position
dépendra du succès ou de l'échec des
bombardements pour renverser le régime
d'Assad.
- pour
l'économie russe
Pendant plusieurs décennies la Russie
fut le principal fournisseur d'armes en
Syrie, comme les chasseurs MiG, les
systèmes de défense côtière Bastion,
sans parler
des missiles sol-air ultramodernes S-300
dont les ventes ont été convenues avec
Damas avant que la guerre civile
commence.
Selon Akhmedov, l'éventuel
renversement d'Assad pourrait nuire à la
coopération militaro-industrielle entre
la Russie et la Syrie mais ne la
romprait pas définitivement : les forces
armées syriennes, qui s'affrontent
actuellement des deux côtés, sont
habituées aux armes russes. L'Irak et
l'Afghanistan, deux pays dont les
régimes ont été renversés suite aux
opérations militaires organisées par les
USA, ont repris leurs achats d'armes
russes, qu'ils utilisent depuis des
décennies. Même si la Russie perdait la
Syrie en tant que client, cela ne serait
pas une grande perte car elle ne
représente que 5% des ventes d'armes, ce
qui est largement inférieur aux
fournitures que la Russie assure en
Inde, en Indonésie ou en Malaisie,
déclare Rouslan Poukhov, directeur du
Centre d'analyse stratégique et
technologique.
Pendant ce temps, les cours
pétroliers pourraient monter de 125
jusqu'à 150 dollars le baril, a
déclaré la banque française Société
générale mercredi dernier. Au bout du
compte : un sérieux coup de pouce pour
l'économie russe, dépendante du pétrole
et au bord de la récession. Cependant,
selon John Lough du think tank Chatham
House, cet avantage sera éphémère.
- pour la
base navale russe en Syrie
Depuis 1971, la Russie possède
une base de maintenance pour ses navires
militaires dans le port syrien de
Tartous. Aujourd'hui, il s'agit de la
dernière base militaire russe en dehors
de l'ex-URSS mais ce vestige de la
puissance militaire soviétique, selon
les experts, n'a qu'une importance
symbolique. "Cette base n'a aucune
utilité significative", estime Rouslan
Poukhov, soulignant que ce site
minuscule comprend seulement quelques
casernes et bâtiments techniques et ne
peut accueillir plus de deux navires de
taille moyenne.
Ce que la Russie doit ou ne
doit pas faire
Les mesures qui doivent être prises :
- Le veto
au Conseil de sécurité
La Russie estime que toute mesure
militaire doit être approuvée par le
Conseil de sécurité des Nations unies
mais elle bloque la résolution qui
autoriserait l'invasion en se référant
au manque de preuves illustrant que
l'arme chimique a été utilisée par le
régime d'Assad et non par les rebelles.
Tel est le point de vue de l'ensemble
des experts interrogés pour cet article.
"La Russie annoncera fermement que
toute action punitive ou mesure de
rétorsion contre le régime syrien est
illégale, elle adopte cette position
depuis le début des années 1990
vis-à-vis de toutes les frappes
punitives des Américains", déclare Roy
Allison, expert en relations
internationales du Saint Anthony's
Collège de l'université d'Oxford. Seule
exception : l'opération libyenne de 2011
suggérée par l'Otan. Au Conseil de
sécurité la Russie s'était abstenue en
laissant ainsi le feu vert à l'opération
- une décision prise sous la présidence
de Dmitri Medvedev.
- Organiser
la conférence internationale Genève-2
Il est fort probable que la Russie
continue d’exiger une solution politique
à
la guerre civile en Syrie,
principalement grâce à son
initiative baptisée Genève-2,
appelée à faire s'assoir les
représentants d'Assad et de l'opposition
à la table de négociations. Les frappes
aériennes entraîneraient un durcissement
des deux côtés mais Moscou ne renoncera
pas à l'idée de convoquer cette
conférence et pourrait même s'assurer le
soutien des USA, pensent MM.Bartenev et
Akhmedov. Le ministre russe des Affaires
étrangères Sergueï Lavrov a déclaré
lundi que le département d'Etat
américain continuait à soutenir
Genève-2.
- Aider le
régime d'Assad
Moscou continuera à fournir au
gouvernement de Bachar al-Assad
armes et
aide humanitaire, estime Olga Oliker,
analyste géopolitique chez RAND
Corporation, agence analytique
américaine à but non lucratif. Les
analystes russes sont également de cet
avis car de toute évidence Moscou a
investi des fonds conséquents dans le
régime d'Assad sous forme de crédits,
d’armes et de soutien financier - bien
qu’il n’existe pas d'informations
fiables sur les investissements de la
Russie en Syrie. Il ne faut pourtant pas
s'attendre à l'expansion de la
coopération militaire, déclare
M.Bartenev.
La liste des choses à éviter :
-
L'amélioration des relations avec l'Iran
L'Iran est le principal allié de la
Syrie dans la région et le bastion
mondial du chiisme. La Russie a déjà une
expérience de coopération avec Téhéran :
elle a construit la centrale nucléaire
de Bouchehr et a convenu la vente de
plusieurs missiles sol-air S-300 - mais
elle s'est rétractée en 2010,
principalement sous la pression d'Israël
et de l'Occident. Moscou serait
peut-être prêt à envisager une
coopération plus étroite avec l'Iran
mais le Kremlin ne voudrait pas se
retrouver mêlé à l'aggravation de la
crise syrienne que cela implique, estime
Allison. Il ajoute que tout en cherchant
à conserver ses relations avec Téhéran,
Moscou tente également de garder des
relations plutôt conviviales avec
Israël. La Russie craint d'armer l'Iran,
connaissant les ambitions nucléaires de
ce pays et sa réputation dans la région.
- La
détérioration des relations avec les USA
Les relations russo-américaines
traversent une étape difficile et la
Syrie n'est pas la seule pierre
d'achoppement, pense Olga Oliker. Moscou
pourrait suspendre symboliquement sa
coopération militaire avec les pays
occidentaux, y compris pour l'Iran et
l'Afghanistan, mais il est peut probable
que la Russie mette en application ses
menaces, déclare John Lough de Chatham
House.
- La guerre
S'il y a bien une chose que la Russie
ne fera pas, c'est d'entrer en conflit
armée à cause de la Syrie. Lavrov l'a
ouvertement déclaré lundi et les
commentateurs politiques sont unanimes
concernant l'interprétation de ses
propos. De même que dans le cas d'autres
opérations militaires sous l'égide
américaine, l'attaque contre la Syrie
affecterait peu les intérêts
géopolitiques primordiaux de la Russie.
Moscou n'aurait donc pas la motivation
nécessaire pour investir des ressources
économiques et militaires conséquentes
dans une opération armée à l’étranger,
pensent les analystes. L'opinion
publique, c’est autre chose. La prise
inattendue de l'aéroport de Kosovo en
1999 par les troupes aéroportées ruses
est pratiquement l'unique exemple
d'ingérence de la Russie dans une
opération militaire américaine. Cette
manœuvre a surpris le monde entier mais
a eu peu de conséquences. Toutefois, à
l'époque, Moscou pouvait se vanter
devant la population d'avoir apporté un
soutien audacieux aux Serbes, peuple
slave fraternel injustement attaqué par
l'Occident.
© 2013
RIA Novosti
Publié le 4 septembre 2013
Le
dossier Syrie
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