Tribune
La guerre en
Syrie: une guerre pour l'énergie ?
Alexandre Latsa
©
Alexandre Latsa
Mercredi 18 septembre 2013
Source:
RIA Novosti
Alors que la guerre en Syrie
continue, le
Mainstream médiatique, qui
s’acharne sur l’Etat syrien, oublie
de façon récurrente de rappeler l’un des
aspects les plus essentiels de ce
conflit: l’aspect énergétique et
notamment Gazier. Cet aspect explique
principalement le soutien actif de la
Russie à non pas la personnalité de
Bashar El-Assad mais avant tout à
l’effondrement du régime Syrien car cet
effondrement voulu de l’extérieur serait
un élément géopolitique d’un dispositif
bien plus large et assez directement
dirigé contre elle.
Lorsque la Russie commence à relever
la tète à compter des années 2000, elle
devient en effet le principal obstacle
au plan de prise de contrôle énergétique
des voies énergétiques liant l’Europe et
l’Eurasie via les Balkans que les
stratèges américains ont programmé et
entamé via notamment la
guerre en Serbie en 1999.
L'Amérique et l'Union Européenne vont
alors chercher par tous les moyens à
diversifier l’approvisionnement des pays
européens pour réduire leur potentielle
dépendance envers Moscou. C’est le début
du projet de gazoduc Nabucco,
aujourd’hui quasiment abandonné, qui
consistait à permettre l'alimentation de
l'Europe en gaz produit en Azerbaïdjan
et au Turkménistan, via un itinéraire
qui aurait traversé la Turquie et évité
la Russie tout en contournant la Grèce.
Autour de ce projet, il y avait un
plan géopolitique américain très
ambitieux: Transformer l'allié Turc en
pivot central d’un
grand moyen orient à remodeler et
aussi en un centre régional de transit
énergétique entre les Balkans et le
moyen orient.
On comprend dès lors mieux les
velléités américaines pour que la
Turquie intègre l’Union Européenne et
aussi garder ce pays dans leur giron, ce
qui leur permettrait de contrôler
indirectement mais fermement
l’approvisionnement énergétique de
l’Europe et surtout d’empêcher une
alliance continentale énergétique
euro-russe jugée contraire aux intérêts
américains en Eurasie.
Ce projet
Nabucco a cependant échoué puisque
le Turkménistan s'est tourné vers la
Chine et que l'Azerbaïdjan s'est lui
rapproché du projet russe
South Stream. Développé en 2007,
South Stream, a pour objectif de
permettre à la Russie de garder le
contrôle sur l’approvisionnement de
l’Europe via notamment la caspienne et
le Kazakhstan (membre de l’Union
Douanière), tout en y incorporant la
Serbie dont
l'importance énergétique pour
l'Union européenne sera, dans l’avenir,
aussi grande que celle de l'Ukraine
aujourd’hui. Une Ukraine définitivement
contournée pour que ne se reproduise
plus les incidents de 2006 et les
coupures d’approvisionnement en Europe.
Après la faillite de la Grèce suite à
la crise financière, la Russie s’était
engagée sur la voie du rachat du
consortium gazier grec par Gazprom. Ces
négociations se sont arrêtées lorsque le
département d'Etat américain a tout
simplement mis en garde Athènes contre
une coopération énergétique avec Moscou
et déconseillé une cession à Gazprom qui
"permettrait à Moscou de renforcer sa
domination sur le marché énergétique de
la région". South Stream prévoit malgré
tout un
embranchement vers la Grèce,
achevant de transformer le projet en une
sorte de pont énergétique orthodoxe en
direction de l’Europe.
La position d’Ankara est à ce jour
assez ambiguë. Fortement liée à la
Russie sur le domaine énergétique via
par
Blue Stream, Ankara a également
accepté qu’un raccord soit opéré entre
Blue Stream et South Stream. En outre le
pays, seconde puissance de l’Otan, s’est
également déclaré candidat à rejoindre
l’Organisation de Shanghai (l’alliance
militaire sous direction Sino-russe),
avec laquelle le pays a signé en début
d’année 2013 un partenariat de dialogue
préalable à l’adhésion. Est-ce le signe
d’un profond et crucial retournement
d’alliance?
La Syrie, aux prises avec une guerre
civile et interconfessionnelle qui
oppose chiites et sunnites, est elle
directement concernée par deux projets
de gazoducs liés aux projets Nabucco et
South Stream mentionnés plus haut.
En 2009, un projet appelé "Friendship
Pipeline" a été lancé par l'Iran,
l'Irak et la Syrie, trois pays à
gouvernance musulmane chiite. Le tube
amènerait du gaz iranien à la
méditerranée, en vue d'alimenter
l'Europe, mais en évitant le territoire
turc. Ce projet, destiné à permettre à
l’Iran d’écouler son stock en Europe,
comprend également une extension vers le
Liban et selon Roland Lombardi devrait
être à terme
raccordé au projet russe South
Stream. Il faut rappeler que l’Iran
était initialement pressenti comme
fournisseur essentiel de Nabucco mais
sera rapidement exclu du projet pour des
raisons politiques et aussi sans doute
après que le renversement du régime soit
apparu comme de plus en plus improbable,
tant par la force que par des procédés
moins violents comme l’embryon de
révolution de couleur qui a frappé le
pays en 2009
En 2009 aussi, un autre projet a été
lancé, un projet de pays sunnites et qui
aurait reçu l'aval du Pentagone. Du gaz
qatari serait livré en Europe, par un
gazoduc qui partirait du Qatar,
traverserait l'Arabie Saoudite puis la
Syrie et enfin la Turquie. Au passage ce
projet ressusciterait le projet Nabucco,
soutenu par les turcs et les américains,
mais abandonné pour l’instant faute de
fournisseurs de gaz fiables. Bien
entendu, ce projet du Qatar est
irréalisable si le régime de Bashar el-Assad
n'est pas anéanti et remplacé par un
gouvernement docile. On comprend mieux
ce qui peut pousser un certain nombre de
pays à s'engager activement dans le
soutien de l'opposition syrienne.
On voit que le point focal de cette
concurrence entre les producteurs de gaz
est l'Union Européenne, cet énorme
marché solvable dont la consommation de
gaz ne devrait qu'augmenter malgré la
crise.
Plus que jamais, les choses se
passeront en Méditerranée car de
nouveaux acteurs vont bientôt apparaitre
sur le marché. Israël et Chypre ont
découvert de très grandes réserves de
gaz off shore dans leurs zones
économiques exclusives, ces deux pays
deviendront à moyen terme des pays
exportateurs importants. Dans ce bassin
de la méditerranée orientale, il est
probable que les découvertes de gaz off
shore ne font que commencer. Le Liban et
la Syrie pourraient aussi disposer de
réserves exploitables de gaz.
Pour l'exportation de ces nouvelles
ressources deux solutions qui mélangent
commerce et géopolitique s'affrontent
déjà. Les USA sont partisans d'un réseau
de gazoducs qui alimenteraient l'Europe
en traversant la Turquie et les
pressions sur Israël ont déjà commencé.
Les russes, pour leur part,
préfèreraient que ce gaz soit liquéfié
et exporté par méthaniers vers l'Asie
industrielle.
Le grand jeu énergétique semble
s'accélérer, opposant plusieurs projets
énergético-civilisationnels qui
traduisent clairement les ambitions
politiques et stratégiques de blocs
politiques entre lesquels la guerre
énergétique est visiblement en train de
s’intensifier.
Alexandre Latsa est un journaliste
français qui vit en Russie et anime le
site DISSONANCE, destiné à donner un
"autre regard sur la Russie".
© 2013
RIA Novosti
Reçu de l'auteur pour publication
Le sommaire d'Alexandre Latsa
Les dernières mises à jour
|