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Opinion
Les enjeux de la
bataille pour Tripoli
Alexandre Latsa
© Alexandre Latsa
Mercredi 16 mars 2011
"Un autre regard sur la Russie" par
Alexandre Latsa
Le directeur de l’Institut du Proche-Orient, Evgueny
Satanovsky à donné récemment
une interview extrêmement intéressante sur la position que
la Russie devrait selon lui adopter face aux révolutions dans le
monde Arabo-musulman. Cette interview mérite une place dans le
panthéon du multilatéralisme et du non-interventionnisme.
Selon lui, ces mutations dont on ne peut pour l’instant
réellement prédire l’évolution pourraient également s’étendre
aux pays d’Afrique noire (car ceux-ci sont victimes des même
maux et que leurs frontières issues de la décolonisation sont
fragiles) mais également à certains pays d’Asie comme par
exemple le Pakistan, par ailleurs doté de l’arme nucléaire.
Cette potentielle agitation pourrait donc entrainer une
modification des frontières mais aussi des grands équilibres
internationaux. La Russie, poursuit Evgueny Satanovsky devrait
"s’abstenir d’intervenir et conserver son énergie et son argent
sur son développement intérieur, et ne pas du tout rentrer dans
une logique néo-soviétique d’investissement à perte". Il affirme
que "la Russie devrait probablement imiter la Chine qui
construit des routes et des chemins de fer sur son territoire et
qui ne va au Proche-Orient et en Afrique qu’à la recherche des
matières premières". Enfin rappelle t-il "beaucoup de régions
russes en Sibérie et en Extrême-Orient ont un niveau de vie
inférieur aux pays que la Russie pourrait être tentée d’aider".
Ces révolutions qui se déclenchent ci et là ne sont réellement
pas toute de mêmes natures même si on peut leur trouver des
points communs, le premier étant d’appartenir à ce
grand moyen orient que l’administration Américaine en 2003
s’était juré de remodeler et transformer en une zone libre,
comprenne qui pourra. Certes la plupart des pays concernés ont
en général une situation interne propice à des explosions
sociales mais on peut se poser la question de savoir comment
interpréter l’offensive diplomatique et médiatique anti-Kadhafi
en faveur de rebelles, en partie Islamistes, mais qui ont déjà
les faveurs de
Nicolas Sarkozy, de
Bernard Henri Lévy et de quasiment toute la communauté
internationale. Bien sur le colonel Kadhafi est loin d’être un
grand démocrate et la Lybie loin d’être une social-démocratie à
l’Européenne, mais la Lybie n’a jamais adhéré à l’Islamisme
radical global.
La révolution socialiste y a abouti à la constitution d’un
régime qui n’est finalement pas le moins démocratique ni le plus
pauvre de la région, et ce malgré 10 ans d’embargo, et un leader
ennemi public de la communauté internationale. En 40 ans, la
population libyenne à été multipliée par quatre, une classe
moyenne éduquée à vu le jour, le taux d'analphabètes était en
2006 de 8% pour les hommes (contre 36% au Maroc et 16% en
Tunisie) et 29% pour les femmes (contre 50% au Maroc et 36% en
Tunisie). Enfin les droits des femmes y sont mieux défendus que
dans nombre d’autres pays musulmans puisque elles sont
actuellement majoritaires dans l’enseignement supérieur. Une
leçon aux Ben-Ali et autres Moubarak, amis de la communauté
internationale, de l’Occident et du FMI, mais incapables
d’instaurer le moindre embryon de justice sociale et financière
au sein de leurs sociétés.
J’ai brièvement expliqué dans
ma précédente tribune le risque quasiment nul qu’une
révolution à l’Egyptienne puisse survenir en Russie. Pour
autant, la Russie reste très attentive aux derniers évènements,
notamment en Libye. Les conséquences que la chute du régime
Libyen, souhaitée hâtivement par les Occidentaux, France en
tête, auraient par ricochet sur la Russie sont en effet assez
importantes. Bien sur depuis le début des évènements dans le
monde arabe la Russie profite de la hausse du prix du pétrole
qui lui permet de réduire fortement son déficit budgétaire mais
également de consolider ses réserves financières. En outre, et
peut être surtout, la Russie apparait désormais (et il était
temps) à l’Union Européenne comme un fournisseur stable et apte
à
compenser le manque libyen.
L’analyste Dmitri Babitch à même souligné que la crise Libyenne
était d’ailleurs devenue le
catalyseur des bonnes relations Russie/UE. Néanmoins cette
dépendance confortable et accrue envers l’or noir ne va pas dans
le sens voulu par les autorités russes. La Russie souhaite en
effet réorganiser et renforcer son industrie et ne souhaite pas
s’installer seulement dans la rente pétrolière. Rappelons-nous
également que la dernière flambée excessive des prix du pétrole
en aout 2008 avait mené (plus ou moins directement) à
l’implosion financière mondiale qui a fait tant de mal à
l’économie russe. Enfin, les pertes économiques qui pourraient
résulter d’un remplacement de Kadhafi ou d’une dislocation à la
Yougoslave de la Libye pourraient faire perdre à la Russie
des
milliards de dollars, que l’on pense aux contrats en cours
de vente d’armes, d’extraction de pétrole, de constructions
d’installations énergétiques ou hydrotechniques, ou de l’immense
projet par les chemins de fers russe de construction d’un réseau
ferré à travers tout le pays.
Les évènements en Lybie restent donc aujourd’hui l’équation la
plus incertaine pour la Russie. Ce qui justifie les positions
neutres et non interventionnistes russes, cherchant sans doute
un statuquo. C’est peut être pour cette raison que Kadhafi,
après avoir joué la carte du Panarabisme, du Panafricanisme,
puis la carte d’un rapprochement désordonné avec l’Occident,
vient de sortir un joker
BRIC en appelant très récemment la Russie, la Chine et
l’Inde à investir en Libye. Il est également possible que si les
contestations venaient à se généraliser et s’étendre, le
Caucase, voir l’Asie centrale pourraient être touchés par ces
"agitations non violentes". Pas plus tard que avant-hier,
l’Azerbaïdjan a par exemple connu sa première
manifestation Facebook.
Bien sur il est possible que ces révolutions entrainent
également la chute de régimes plutôt hostiles à la Russie comme
en
Géorgie, mais pour autant l’instabilité de son étranger
proche n’a jamais contribué à sa sérénité intérieure, surtout à
la veille d’élections. Evgueny Satanovsky pense lui que "la
boite de Pandore est ouverte, et qu’on verra ce qui va en
sortir". Une chose est certaine, la Libye pourrait marquer un
coup d’arrêt à ces mouvements de protestations si Kadhafi
arrivait à restaurer l’ordre et écraser la rébellion, ou les
accélérer dans le cas contraire.
La disparition des "dictateurs" a déclenché un courant
d’enthousiasme dans de nombreux pays occidentaux, qui
comprennent mal l’attitude prudente de la Russie. Il suffit
pourtant de regarder le prix de l’essence à la pompe pour
comprendre ce qui se passe. Si d’autres producteurs de pétrole
sont déstabilisés, notamment dans le golfe arabo-persique, c’est
la faible croissance économique des USA et de l’Europe
occidentale qui sera menacée en premier.
Alexandre Latsa, 33 ans, est un blogueur
français qui vit en Russie. Diplômé en langue slave, il anime le
blog DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la
Russie".
Article publié sur RIA Novosti
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