Entretien
La Russie est
devenue un modèle alternatif
fondé sur les valeurs traditionnelles
Alexandre
Latsa
©
Alexandre Latsa
Mercredi 10 avril
2013
Source:
RIA Novosti
Il est souvent difficile de bien
comprendre les bouleversements qu’a
connu la Russie, depuis la chute de
l’URSS jusqu'à nos jours. Vu de
l’extérieur et notamment d’Europe,
l’histoire de ce jeune pays européen
qu’est la Russie ressemble à un puzzle
chaotique et dénué de toute logique.
Pourtant, l’auteur de "La Nouvelle
Grande Russie", qui dirige également
l’antenne russe du Think-tank français
Realpolitik TV, a choisi de
présenter l’histoire russe en fonction
de dates clefs, démontrant ainsi que les
événements importants qui ont fait
l’histoire récente de la Russie sont en
réalité des maillons constitutifs d’un
seul et même processus. Un processus
ayant abouti au redressement
spectaculaire que le pays continue de
connaître aujourd’hui.
© Photo
fournie par Xavier Moreau
Xavier Moreau bonjour !
Pourriez-vous vous présenter?
Je suis un ancien officier
saint-cyrien, j’ai servi dans les
parachutistes. J’ai suivi également un
cursus universitaire puisque je suis
doctorant spécialisé sur les relations
soviéto-yougoslaves pendant la guerre
froide, sous la direction de
Georges-Henri Soutou. J’ai travaillé sur
les archives soviétiques et yougoslaves.
J’appartiens à ce que j’appelle
"l’Ecole historique française" dont le
fondateur est Jacques Bainville et qui
met en évidence les tendances lourdes
ainsi que l’enchainement logique des
évènements. L’Histoire y est décrite
comme le laboratoire de la Politique.
C’est une analyse au sein de laquelle
les considérations morales
n’interviennent pas et qui place
l’intérêt suprême de la Nation au centre
de la réflexion. Cette Ecole a été
"modernisée" par
Aymeric Chauprade, qui a donné ses
lettres de noblesses à la "Géopolitique
française". Il a fait de cette
pseudo-science anglo-saxonne et
germanique, qui visait avant tout à
justifier l’impérialisme et le racisme
inhérents à ces deux civilisations, une
science rigoureuse et logique.
J’essaie donc de m’inscrire dans cet
héritage intellectuel.
© Photo Service de
communication de l'Usine
Legrand a Oulianovsk
Xavier Moreau
Qu’est ce qui vous a poussé à
écrire ce livre sur la Russie de 1991 à
aujourd’hui?
Aymeric Chauprade m’avait toujours
encouragé à écrire sur la Russie
contemporaine, j’ai donc sauté sur
l’occasion lorsque les
éditions Ellipses m’ont proposé de
participer à leur collection "Dates
clés".
Pourquoi avoir choisi
d’analyser la Russie selon des dates
clefs? Selon des événements clefs?
En fait la collection fonctionne
selon ce principe, que je trouve
excellent, car il oblige à être
synthétique et à identifier les
évènements réellement fondateurs, tout
en en cherchant les causes profondes.
Vous affirmez que le
redressement russe, "le miracle russe"
comme vous dites, est en grande partie
due aux décisions de l’élite politique
du pays plus qu’à un heureux concours de
circonstances, à savoir un prix des
matières premières en hausse et une
demande extérieure et européenne
notamment, croissante. Pourriez-vous
développer?
Les matières premières ont souvent
été en hausse en Russie, ça n’a pas
empêché le pays entier de basculer dans
la banqueroute à plusieurs reprises. La
grande différence depuis 2000, c’est que
l’État russe à commencer à épargner et à
gérer ses ressources en prévision des
moments difficiles. La crise de 2008,
sous un gouvernement Eltsine, aurait mis
la Russie à genoux. Au lieu de cela la
Russie a été un des premiers pays à en
sortir et sa position en a été
renforcée.
Les ressources ne suffisent pas sans
la volonté politique de bien les
utiliser. La France a des ressources
humaines et industrielles colossales,
qui sont gaspillés depuis 40 ans.
Vous citez le bombardement de
la Serbie en 1999 comme un élément
décisif et une date clef de l’histoire
russe, pourquoi cet événement de
politique extérieure entre t-il en
compte d’après vous?
A la chute de l’URSS, les Russes ont
été fascinés et bienveillants vis-à-vis
du modèle américain. Ils sortaient du
monde du mensonge et croyait sincèrement
que la vérité était occidentale. Au fur
et à mesure des années 90, ils ont
découvert que les États-Unis avaient
pris la relève comme "Empire du
mensonge".
En 1999, le masque est tombé
définitivement, les États-Unis sont
apparus comme ce qu’ils étaient,
c’est-à-dire les ennemis de la
civilisation européenne, capables de
s’allier avec des mafias, des mouvements
terroristes et/ou islamistes, pour
parvenir à leur fin.
Vous analysez un autre
événement extérieur, la guerre des 5
jours contre l’armée Georgienne, comme,
je vous cite: "l’événement qui marque la
fin de l’expansion américaine dans
l’étranger proche de la Russie"?
Comme prise de conscience de la
duplicité mais également de la faiblesse
américaine. La "guerre des cinq jours"
vient comme la suite logique du
bombardement de la Serbie. La différence
est qu’en face de l’impérialisme
américain, se dresse cette fois la
Russie de Poutine, qui humilie
l’administration américaine impuissante.
En l’espace de deux mois, les États-Unis
ont montré au monde, qu’ils étaient
incapables de protéger ni leurs alliés,
ni leurs banques.
Certains commentateurs ont
estimé que l’arrestation de Khodorkovski
marquait un réel coup d’arrêt aux visées
américaines de prise de contrôle
politique de l’énergie russe, est ce
aussi votre opinion?
Sans aucun doute. Khodorkovski avait
reçu plusieurs signaux de la part du
Kremlin, comme des rappels à l’ordre. Il
était persuadé que ses alliés américains
lui garantissaient l’impunité. Comme
d’autres oligarques, comme feu
Berezovsky, Khodorkovski était avant
tout un homme audacieux et sans
scrupule. Pour cette génération, tout
s’achète, à commercer par le Président
de la Fédération. Ces hommes n’ont pas
imaginé que la volonté du peuple russe
puisse s’incarner dans celle d’un homme,
qui réduirait à néant le fruit de 10
années de rapines.
Votre livre se veut une
bouffe d’optimisme sur un pays qui a
pourtant une image atroce à l’extérieur
de ses frontières, comment
expliquez-vous ce décalage entre votre
opinion et l’image vraiment négative qui
ressort du pays par le biais des canaux
plus habituels, médiatiques notamment?
Les premiers responsables sont les
médias. Je pense en revanche qu’il ne
faut pas surestimer la corruption et la
malhonnêteté et sous-estimer la bêtise.
Les journalistes français sont bien plus
stupides et paresseux que méchants. Une
bouillie moralisatrice est bien plus
rapide à cuisiner qu’un article fouillé
et documenté. Cela est dû notamment aux
Ecoles de journalisme qui sont de
véritables usines à idiots.
Le problème est également lié au fait
que l’on trouve beaucoup de diplômés des
langues orientales, qui parlent très
bien russes, mais qui sont de piètres
analystes. Pour prendre l’exemple du
Monde, qui mène en ce moment une
campagne très agressive contre la
Russie, la rédactrice en chef Natalie
Nougayrède fixe les objectifs de cette
campagne, que Marie Jego et Piotr Smolar
alimentent péniblement de leurs
articles, transformant peu à peu le
quotidien subventionné en un fanzine
d’extrême gauche.
Vous vivez et travaillez en
Russie, quelle est votre opinion sur la
façon dont le pays évolue? Quels sont a
votre avis les points forts/faibles du
pays aujourd’hui en 2013?
Je vis en Russie depuis 13 ans. Il
est incontestable que la situation s’est
considérablement améliorée d’année en
année. On peut critiquer le rythme et la
vitesse des progrès mais pas leur
réalité. La Russie d’aujourd’hui fait
face à des problèmes très divers, qui
rappellent un peu les nôtres, les
retraites, la ré-industrialisation, le
"vouloir vivre ensemble" à l’intérieur
de son vaste territoire. Ses atouts sont
nombreux, sa population avant tout, son
territoire immense, ses ressources et
surtout ses élites politiques, qui sont
sans doute les plus brillantes en
Europe, avec un vrai souci de l’intérêt
de la Nation.
La Russie aujourd’hui ne cherche plus
de modèle, elle est elle-même devenu un
modèle alternatif de développement
social, fondé sur les valeurs
traditionnelles. Les libertés publiques
sont désormais plus fortes en Russie
qu’en France, avec l’existence d’une
presse écrite d’opposition à grand
tirage, qui n’existe pas dans notre
pays. J’ai été frappé par la liberté de
ton avec laquelle les autorités russes
ont communiqué sur les manifestations de
2011-2012, proposant librement l’accès à
toutes les photos aériennes, permettant
ainsi de décompter précisément le nombre
de manifestants.
En quoi la Russie présente
t’elle un réel intérêt pour les
investisseurs étrangers, français
notamment?
La Russie est un marché de 143
millions d’habitants avec une natalité
en plein redressement et une classe
moyenne de plus en plus nombreuse et de
plus en plus riche. C’est un état peu
endetté, stable, où les marchés publics
peuvent être remportés par des
fournisseurs étrangers, contrairement
aux États-Unis par exemple où la
corruption et les appels d’offres
truqués interdisent tout espoir pour des
constructeurs européens, que l’on pense
par exemple récemment au
contrat des ravitailleurs.
Votre livre s’arrête a 2008,
quels sont d‘après vous les dates clefs
du développement de la Russie depuis
2008?
Mon livre a été livré fin 2011, avant
l’élection de Vladimir Poutine, qui
constituerait la future "date clé" dans
le cas d’une mise à jour.
Les élections de 2012 démontrent
l’incapacité du département d’État
américain à influer sur le pays réel
russe. Elles sont importantes également
en raison de l’affaiblissement sensible
de Russie Unie, qui perd 125 députés.
Les résultats traduisent également le
rejet massif de l’occident par les
Russes, qui se choisissent une
opposition communiste et nationaliste,
plutôt que libérale. C’est ce dernier
point qui préfigure ce que pourrait être
le futur découpage politique de la
Russie.
Enfin la "date clé" suivante pourrait
être la victoire de Bachar El Asad, le
cas échéant. Elle apporterait un coup
très dur au système d’ingérence
américain, fondé sur les mafias et
l’islamisme et ferait de la Russie,
l’allié recherché des nations qui
souhaitent rester souveraines.
Merci Xavier Moreau pour
cette Interview.
Les lecteurs intéressés peuvent
retrouver les interviews de Xavier
Moreau sur le site de RIA-Novosti,
ici et
la.
Je rappelle que le livre « La
Nouvelle Grande Russie » est disponible
aux
éditions Ellipses.
© 2013
RIA Novosti
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