Opinion
La France
rend public un bref rapport sur la
guerre en Syrie, fondé sur des mensonges
Alex Lantier
Mercredi 4 septembre 2013
Les services
secrets français ont rendu public hier
un bref rapport de huit pages sur la
guerre en Syrie au moment où le premier
ministre PS (Parti socialiste),
Jean-Marc Ayrault, exhortait les
dirigeants des partis d’opposition de
droite français à soutenir la politique
belliciste du président François
Hollande.
Le bref rapport de
Hollande est une compilation de
mensonges d’ores et déjà discrédités, de
raisonnements fallacieux et
d’affirmations infondées. Un examen du
rapport montre clairement que les
accusations émises par Hollande contre
le régime syrien manquent tout autant de
preuves que ceux du premier ministre
britannique, David Cameron, qui a subi
un échec humiliant en tentant d’obtenir
la semaine passée l’approbation du
parlement pour la guerre en Syrie.
L’affirmation
centrale du document est que le
président syrien Bachar al-Assad a
employé des armes chimiques « notamment
du sarin, dans des attaques limitées
contre sa propre population, en
particulier au mois d'avril 2013.
L’analyse des renseignements dont nous
disposons aujourd’hui conduit à estimer
que, le 21 août 2013, le régime syrien a
lancé une attaque sur certains quartiers
de la banlieue de Damas tenus par les
unités de l’opposition, associant moyens
conventionnels et usage massif d’agents
chimiques. »
Le premier mensonge
selon lequel les forces du régime Assad
ont utilisé en avril des armes chimiques
dans les villes de Saraqeb et Jobar a
déjà été réfuté par l’inspectrice de
l’ONU, Carla del Ponte. En mai, elle
avait déclaré sur la base d’enquêtes
faites par l’ONU sur le terrain en
Syrie, que l’opposition soutenue par les
Etats-Unis était responsable du recours
aux armes chimiques.
(Voir : «
UN says US-backed opposition, not Syrian
regime, used poison gas.
» De leur côté, les autorités
turques ont constaté que les combattants
de l’opposition syrienne en Turquie
possédaient des quantités de gaz sarin.
Le rapport français
ne mentionne ni ne tente de réfuter ces
observations mais dissimule simplement
les preuves que les forces liées à al
Qaïda qui se trouvent parmi ses propres
forces intermédiaires sont responsables
des attaques aux armes chimiques, tant
en avril qu’en août.
Après avoir
consacré quatre pages aux détails
concernant la composition et la
structure du commandement des forces
syriennes disposant d’armes chimiques,
ce qui ne prouve en rien qu’Assad ait
effectivement utilisé ces armes, le
court rapport se penche sur la présumée
attaque du 21 août à Ghouta. En citant «
47 vidéos originales » et « d’autres
évaluations indépendantes, par exemple
effectuées par Médecins sans frontières,
» il conclut que les comptes rendus des
événements de Ghouta concordaient avec
l’attaque chimique syrienne. Le rapport
fait état de « renseignements crédibles
de plusieurs partenaires » que les armes
chimiques faisaient partie d’un plan
d’attaque du régime syrien.
Il conclut en
précisant, « Aucun groupe appartenant à
l’insurrection syrienne ne détient, à ce
stade, la capacité de stocker et
d’utiliser ces agents, a fortiori dans
une proportion similaire à celle
employée dans la nuit du 21 août 2013 à
Damas. »
Aucune de ces
affirmations n’a de crédibilité.
Premièrement, le rapport a été publié
après que les premiers reportages sont
apparus sur des forces d’opposition
revendiquant la responsabilité pour des
attaques chimiques en août à Damas,
reportages que, une fois de plus, le
rapport ne mentionne pas (Voir : «
Un reportage associe l’attaque au gaz à
Ghouta à l’opposition syrienne qui est
soutenue par les Etats-Unis »).
Le rapport ne fournit pas non plus
d’information sur les sources des vidéos
ni sur les « partenaires » qui lui ont
procuré les renseignements.
Ces « partenaires »
pourraient être la CIA, le régime
saoudien ou des forces liées à al Qaïda
en Syrie – tous ont un intérêt direct à
provoquer une guerre avec la Syrie et
des antécédents en matière de mensonges
concernant des événements majeurs.
Quant à
l’organisation Médecins sans frontières,
on peut difficilement dire que c'est une
source « indépendante ». Elle a une
longue tradition de liens avec les
services secrets américains – notamment
durant les années 1980, lorsqu’elle
s’est servie de fonds américains pour
aider à promouvoir les mujahedin
afghans qui combattaient l’URSS en
collaboration avec les précurseurs d’al
Qaïda. Son ancien président, Rony
Brauman, qui siège encore au conseil de
surveillance de l’organisation, a
dernièrement consacré une rubrique parue
dans Le Monde pour réclamer des
frappes aériennes contre la Syrie.
Les comptes rendus
relatifs à la réunion des politiciens de
droite qui ont rencontré hier Ayrault
ont encore souligné le fait que la
campagne pour la guerre menée par Paris
contre son ancienne colonie est fondée
sur des mensonges et des histoires
montées de toutes pièces.
Après avoir eu
connaissance, lors de sa réunion avec
Ayrault, des informations classifiées,
l’ancien ministre de droite Jean-Louis
Borloo a dit, en décrivant
l’argumentation du gouvernement en
faveur de la guerre : « Il y a
raisonnement mais pas de preuves. »
Après avoir reconnu par un euphémisme
que le gouvernement Hollande ne
disposait de rien pour justifier une
guerre, Borloo a cherché à trouver un
moyen pour sauver la politique
belliqueuse de Hollande en proposant «
soit un mandat de l’ONU, soit un débat
parlementaire » afin de légitimer une
agression impérialiste contre la Syrie.
La campagne
belliciste du PS témoigne de la faillite
de l’ensemble de l’establishment
politique. Non seulement le gouvernement
Hollande mais aussi les groupes
réactionnaires petit-bourgeois de «
gauche » comme le Front de Gauche et le
Nouveau Parti anticapitaliste sont
impliqués dans des crimes monstrueux.
Ces partis avaient soutenu l’élection de
Hollande et oeuvrent pour présenter les
forces d’opposition syriennes qui
collaborent avec la CIA et les services
de renseignement français, comme faisant
partie intégrante d’une « révolution ».
(Voir : «
Gilbert Achcar cherche à dissimuler son
soutien pour les guerres au Moyen-Orient“).
Ces partis ont
soutenu une guerre impérialiste par
procuration en Syrie et qui menace
actuellement de s'intensifier en une
intervention directe franco-américaine
et une guerre régionale bien plus vaste.
Une telle guerre, comme les guerres en
Afghanistan ou en Irak plus tôt,
coûterait la vie à des centaines de
milliers voire des millions de
personnes. La campagne en faveur de la
guerre a été menée au mépris d’une vaste
opposition de la population. Des
sondages ont révélé lundi que 64 pour
cent de la population française étaient
opposés à la guerre, soit une
augmentation de cinq pour cent par
rapport à jeudi.
Ayrault a indiqué
hier soir que le parlement français ne
voterait pas sur la guerre lors de sa
séance de mercredi 4 septembre. Il a
dit, « c’est au président de décider si
un vote… doit avoir lieu… Mercredi, il y
aura un débat sans vote. »
Ceci reflète en
partie la crainte d’une possible
répétition de l’échec retentissant que
Cameron a subi au parlement britannique.
Il y a aussi la préoccupation de savoir
ce qui se passera au congrès américain.
La volte-face d’Obama pour rechercher
une autorisation du congrès pour la
guerre, après le débat parlementaire
français prévu, a pris Paris à
l’improviste. La France n’a pas la
capacité militaire pour attaquer seule
la Syrie.
Les commentaires de
la presse ont amèrement décrit Hollande
comme ayant été « piégé » par Obama, et
Le Républicain Lorrain l’a
qualifié de « cocu magnifique » dont les
projets de guerre ont été éconduits par
son partenaire américain.
Mais le
gouvernement Hollande est pour le moment
en mesure de contourner un vote du
parlement en vertu des dispositions
antidémocratiques de la constitution
française de 1958 qui octroie au
président des pouvoirs exceptionnels en
matière de politique étrangère. Elle
avait été modelée durant la guerre
d’Algérie pour Charles de Gaulle qui
avait pris le pouvoir dans le contexte
d'un putsch de parachutistes et d’agents
des services secrets visant à mettre en
place un gouvernement engagé à écraser
la lutte pour l’indépendance du peuple
algérien. Elle stipule que le président
français peut lancer une guerre durant
quatre mois sans l’autorisation du
parlement.
Actuellement, la
guerre syrienne témoigne du fossé
grandissant et de l’aggravation des
tensions sociales entre la classe
ouvrière et l’ensemble de l’establishment
politique. Cinquante-cinq ans après le
putsch de 1958, les services secrets ont
modelé un dossier mensonger en vue d'une
guerre dans une autre ancienne colonie
française, cette fois-ci avec l’aide
directe des partis de pseudo-gauche. Ces
forces sont unies dans leur soutien à
une agression impérialiste à l’étranger
et dans leur hostilité à l’égard du
sentiment anti-guerre qui existe au sein
de la classe ouvrière dans le pays même.
A voir aussi:
Le Monde fait de la propagande
pro-guerre sur les armes chimiques en
Syrie
[5 juin 2013]
(Article original
paru le 3 septembre 2013)
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Publié le 4 septembre 2013 avec
l'aimable autorisation du WSWS
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