Réflexions
Syrie / France :
Soyons un peu raisonnables
Alain
Rodier
Jeudi 23 août 2012
Ancien
officier supérieur des services de
renseignement français, Alain Rodier
interpelle les pouvoirs politiques et
médiatiques au sujet de leur attitude à
l’égard de la Syrie.
Je ne connais pas
les conseillers des hommes politiques, [1]
qu’ils soient de droite ou de gauche,
qui inspirent l’action de ces derniers
vis-à-vis de la Syrie. Il est possible -
et même probable - qu’ils détiennent des
informations recoupées qui ne sont pas
accessibles aux citoyens moyens que nous
sommes. Peut-être sont-ce ces
renseignements qui provoquent les
réactions de notre élite politique
vis-à-vis de la crise syrienne. Mais
alors, qu’ils en fassent état de manière
à mieux faire comprendre leur attitude.
Car en effet, pour le moment, les seules
raisons avancées sont la «
protection des
populations » contre le pouvoir de
Damas.
Une première
question se pose : Quelles populations ?
Les sunnites, les Alaouites, les
chrétiens, les Kurdes ? Nous avons
aujourd’hui affaire à une guerre civile
et tout le monde sait que ce type de
conflit a toujours été à l’origine
d’atrocités commises par les deux camps.
L’ONU vient de reconnaître que les
forces étatiques étaient responsables de
crimes contre l’humanité et que
l’opposition armée l’était de crimes de
guerre. Cette disproportion tient
vraisemblablement au fait que les forces
gouvernementales, en particulier les
milices shabiha, sont détentrices des
moyens de la violence d’Etat, lesquels
sont actuellement supérieurs à ceux des
insurgés. Par contre, une fois que ces
derniers seront parvenus au pouvoir, il
est probable que nous assisterons
« stupéfaits » à de
véritables massacres (contre) des
membres de minorités ethniques ou
religieuses. C’est d’ailleurs cette
perspective qui pousse les Alaouites à
se battre férocement car ils ont le dos
au mur, sachant que pour eux, ce sera la
valise ou le cercueil.
Si c’est toujours
le principe humanitaire qui guide nos
politiques, il est légitime de se poser
une seconde question : pourquoi se
limiter à la Syrie ? Il existe
malheureusement de par le monde une
multitude d’Etats où les populations
civiles sont opprimées et menacées : les
chrétiens au Nigeria, les hindouistes au
Pakistan, les personnes réduites à une
situation qui peut s’apparenter à de
l’esclavage dans de nombreux pays
moyen-orientaux, les civils pris entre
les forces de sécurité et les
narcotrafiquants au Mexique, etc.
Si l’on rêve
d’établir par la force des démocraties à
l’occidentale à l’étranger, la majeure
partie des Etats (et pas des moindres)
pourrait être visée.
Si enfin il s’agit
d’une guerre par procuration comme l’a
affirmé le secrétaire général de l’ONU
destinée à affaiblir le grand allié de
la Syrie, l’Iran, afin que cet Etat
renonce à ses ambitions militaires dans
le domaine nucléaire, l’auteur peut
comprendre que cela ne soit pas étalé
sur la place publique. Toutefois, ce
machiavélisme n’est théoriquement pas
une méthode employée par les
« gentils »
Européens.
Quant à faire plier
la Russie et la Chine, est-ce que le
fait de les avoir ridiculisés en Libye
n’a pas servi de leçon ? Ce sont deux
grandes puissances à l’ego très
susceptible qui peuvent rivaliser avec
les Etats-Unis sur beaucoup de plans et
qui laissent loin derrière la «
vieille Europe »
acariâtre et donneuse de leçons. Les
deux capitales, Moscou et Pékin, se
sentent humiliées et ne sont pas prêtes
à oublier le camouflet qu’elles ont
subi. Il est fort probable qu’elles vont
nous le faire payer et leur soutien au
régime de Damas n’est qu’un début.
En ce qui concerne
la France, l’attitude actuelle de
l’opposition serait risible si elle
n’était pas tragique. Jouer avec la vie
des gens pour tenter de retrouver un
semblant d’existence sur la scène
politique nationale est tout simplement
impardonnable. D’autant que l’ancien
président a conduit en Libye, en 2011,
une politique étrangère pour le moins
contestable. En effet, ce beau succès
que fut l’opération militaire de l’OTAN,
pilotée depuis Paris et Londres avec le
soutien indispensable de Washington sans
qui, rien ne pouvait se faire car les
moyens miliaires européens sont plus
qu’insuffisants - a amené la
déstabilisation durable de la Libye et
du Sahel. C’est à se demander si
l’attitude de notre ex-président n’est
pas liée à la perte de face que lui ont
fait subir Kadhafi puis Bachar el-Assad.
Il les a traités avec tous les honneurs
à Paris, espérant une ouverture
démocratique de leur part, avant de
déchanter rapidement.
La politique
étrangère mérite de la mesure, de la
réflexion et une certaine cohésion
nationale. Les dernières déclarations de
l’ex-président de la République et de
celui qui fut son Premier ministre ne
répondent en rien à ces règles. Que leur
ont soufflé leurs conseillers ?
Quant à la presse,
elle ne fait guère mieux, en ne
vérifiant pas ses sources ou en envoyant
des reporters de guerre dont le but
n’est pas d’informer mais de faire leur
autopromotion sur des fonds de scènes de
guerre. Le prix Albert Londres est au
bout du chemin…
Je n’ai pas de
conseil à donner au nouveau gouvernement
en dehors de celui de la prudence. Il
conviendrait qu’il définisse exactement
où se trouve l’intérêt de la France et
des Français. En effet, l’auteur s’est
souvent demandé si l’intérêt hexagonal
était vraiment le moteur de l’action de
ceux qui ont l’honneur de gouverner le
pays. Le fait d’adopter une posture
humanitaire vis-à-vis des réfugiés est
une bonne chose, encore que, les moyens
déployés certes modestes -auraient pu
être consacrés à d’autres causes tout
aussi légitimes : les réfugiés maliens
fuyant la sauvagerie islamique qui
s’étend dans le nord du pays, les
malheureux chrétiens du Nigeria, les
réfugiés somaliens présents au Kenya,
etc. [2]
Les intérêts de la
France, dont les caisses sont plus que
vides, passent-ils par une prise de
position « tartarinesque
» sur la Syrie ? Le Sahel semble être
beaucoup plus crucial pour le futur
approvisionnement en uranium des
centrales de nouvelle génération qu’Areva
devrait construire pour le bien de
l’économie française, afin que nos
citoyens puissent encore se chauffer à
l’électricité ou faire rouler les
voitures propres que l’on nous promet [3]
Mais, le nucléaire est aussi un sujet
tabou à ne pas aborder car les
écologistes veillent… [4]
Alain Rodier
- Centre Français de Recherche sur le
Renseignement
NOTE DE REFLEXION N°14
Août 2012
Alain
Rodier Ancien officier
supérieur des services de renseignement
français. Directeur de recherche au
Centre Français de Recherche sur le
Renseignement (CF2R), en charge du
terrorisme et de la criminalité
organisée.
[1]
En dehors de l’inénarrable Bernard Henry
Levy qui se rêve en Malraux pendant la
guerre d’Espagne.
[2]
Et pourtant, cet homme présentait toutes
les caractéristiques de pondération dont
la France a cruellement besoin. Cela
semble prouver que la lutte pour le
pouvoir passe par des méandres contre
nature que la morale et l’intérêt
national ne justifient pas.
[3]
Il faut bien les recharger, ces jolies
petites voitures pleines de batteries si
délicates à recycler en fin de vie...
[4]
Traditionnellement pacifistes, ils ne
semblent pas avoir beaucoup de choses à
dire sur le sujet syrien.
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