Opinion
Le Liban dans la
tourmente syrienne
Alain Gresh
Alain
Gresh
Lundi 22 octobre
2012
L’assassinat le vendredi 19
octobre de Wissam Al-Hassan, le
chef de la branche du
renseignement des Forces de
sécurité intérieures (FSI),
représente le plus grave
attentat commis au Liban depuis
2008. Et un acte d’autant plus
inquiétant qu’il pourrait
contribuer à entraîner ce pays
dans la guerre qui se déroule en
Syrie. Les affrontements à
Tripoli, dans le nord du Liban,
ont fait plusieurs morts, tandis
que des heurts avaient lieu
aussi à Beyrouth après les
funérailles.
La radicalisation de certains
groupes sunnites extrémistes,
qui ne reconnaissent pas
l’autorité du chef de
l’opposition Saad Hariri, est
incontestable, notamment dans le
nord du pays, radicalisation
encouragée par la terrible
répression en Syrie et par les
relations existant entre les
deux pays. On a pu voir,
notamment lors des heurts qui
ont suivi l’enterrement
d’Al-Hassan à Beyrouth, un
drapeau d’Al-Qaida brandi par
des manifestants (voir le
reportage réalisé par la BBC, «
Beirut funeral for Wissam
al-Hassan followed by clashes
», 21 octobre 2012).
Qui est Wissam Al-Hasan ? Le
site en anglais du quotidien
Al-Akhbar, dresse un
portrait intrigant de cet homme
de l’ombre, proche de la famille
Hariri («
Who Was Wissam Al-Hassan ?
»). Il fut notamment un garde du
corps de l’ancien premier
ministre Rafik Hariri assassiné
en 2005. Il aurait dû se trouver
dans le convoi de Hariri — il
était alors le chef de sa
sécurité —, mais
miraculeusement, il n’y était
pas. La commission d’enquête des
Nations unies a affirmé que «
son alibi était faible et qu’il
pouvait être considéré comme un
suspect » : il prétendait
avoir passé des examens à
l’université la matinée de
l’assassinat, mais avait donné,
durant ce temps, vingt-quatre
coups de téléphone. Pourtant, il
ne fut jamais inquiété, les
Nations unies renonçant à
approfondir l’enquête. Saad, le
fils de Rafik, lui, a gardé sa
confiance et il a même été promu
à la tête de la branche du
renseignement des FSI.
Paradoxalement, Al-Hassan
avait d’excellentes relations
avec les services de
renseignement syriens, jusqu’au
début de l’insurrection dans ce
pays. Quand Saad Hariri s’était
réconcilié avec Bachar Al-Assad,
l’absolvant de toute
responsabilité dans l’assassinat
de son père («
Liban : Hariri revient sur ses
accusations envers la Syrie
», Lefigaro.fr, 9 septembre
2010), Al-Hassan avait
accompagné Saad à Damas et avait
rencontré Bachar (As’ad
AbuKhalil , «
Car Bomb in Beirut : Wissam
Al-Hassan », Al-Akhbar, 21
octobre).
Les FSI sont proches de
l’opposition dirigée par Saad
Hariri et hostiles au
gouvernement de coalition entre
le Hezbollah et le parti de
Michel Aoun, soutenu plus ou
moins par Walid Joumblatt (lire
«
Jours intranquilles à Beyrouth
»). Elles ont très tôt bénéficié
de l’aide des services de
renseignement saoudiens et
occidentaux.
Depuis le début de la révolte
en Syrie, les FSI étaient
souvent accusées d’aider les
rebelles et Al-Hassan jouait un
rôle clef en ce domaine. Ce qui
explique les accusations
dirigées contre le régime
syrien, même si, comme le
remarque As’ad Abu Khalil sur
son blog — the Angry Arab —, le
20 octobre : « Les médias
occidentaux n’évoqueront PAS cet
autre angle de l’affaire : que
le service de renseignement de
Hassan était responsable de
l’arrestation de nombreux
espions et terroristes au
service d’Israël au Liban. »
Al-Hassan avait aussi joué un
rôle essentiel dans
l’arrestation en août 2012 de
l’ancien ministre Michel Samaha,
un homme qui n’avait jamais
caché ses relations avec Bachar,
et qui aurait essayé de
commettre des attentats au Liban
pour le compte de Damas. Lors de
l’enterrement, le président
libanais Sleiman a fait un
rapport entre l’assassinat et
l’arrestation de Samaha,
appelant à accélérer l’enquête
sur ce dernier («
Hasan funeral takes place as
thousands gather in Beirut
», The Daily Star, 21
octobre).
Quoiqu’il en soit,
l’implication des forces de
l’opposition dirigées par Saad
Hariri dans le soutien aux
insurgés syriens est avérée.
Comme l’écrit As’ad Abu Khalil
dans
l’article du 21 octobre cité
plus haut :« Ce qui n’est pas
dit, c’est que Saad Hariri –
aussi incompétent et stupide
qu’il soit – a joué avec le feu.
Il a bêtement décidé de jouer le
jeu du « changement de régime »
(regime change) qui a entraîné
l’humiliation des Etats-Unis en
Irak et en Afghanistan. Assis
sur son yacht en exil en
Méditerranée, Hariri a peut-être
été l’instigateur d’un jeu qui a
finalement abouti à la mort d’un
de ses principaux
collaborateurs. »
Rappelons enfin que le
Tribunal spécial pour le Liban a
inculpé plusieurs personnes
proches du Hezbollah dans
l’assassinat de Rafic Hariri
(lire «
Du Liban à l’Irak, juger les
criminels ? » et «
Le Hezbollah et l’assassinat de
Rafic Hariri »).
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