L’accord auquel sont parvenus les
Etats-Unis et la Russie sur les armes
chimiques en Syrie est incontestablement
un pas en avant. Il permet d’éviter des
bombardements sur ce pays, dont les
premières victimes seraient des civils.
Il est un pas vers l’élimination de la
région des armements chimiques et de
destruction massive. Encore faudrait-il
que l’autre pays qui dispose de ces
armements au Proche-Orient, à savoir
Israël, signe la convention sur les
armes chimiques et accepte la discussion
sur son arsenal nucléaire.
Mais, au moment où les grandes
puissances discutent d’un projet de
résolution à l’ONU, il est plus que
nécessaire de mettre au centre des
préoccupations la formidable crise
humanitaire que connaît ce pays. Plus de
deux millions de réfugiés, des millions
de personnes déplacées, la destruction
de nombreuses infrastructures… Les
mesures allant dans le sens de
l’allègement des souffrances doivent
également être défendues par la
communauté internationale.
« Le conflit en Syrie a débouché
sur l’une des pires crises
humanitaires depuis la fin de la
Guerre froide. Plus de 100 000
personnes ont été tuées, pour la
plupart des civils, beaucoup
d’autres ont été blessées,
torturées. Des millions ont fui, des
familles ont été divisées et des
communautés entières déchirées. Ne
laissons pas les discussions sur une
intervention militaire occulter
notre devoir de les aider.
En tant que médecins du monde
entier, nous sommes horrifiés par
l’ampleur de cette urgence. Le
manque d’accès aux soins pour les
civils et le ciblage délibéré des
hôpitaux et du personnel médical
nous consternent. Il ne s’agit pas
de conséquences inévitables ou
tolérables de la guerre. Ce sont des
trahisons inadmissibles du principe
de neutralité médicale. Il est de
notre devoir professionnel, éthique
et moral de dispenser des soins à
quiconque en a besoin. C’est
pourquoi, quand nous ne pouvons le
faire nous-mêmes, nous nous devons
d’exprimer notre soutien envers ceux
qui risquent leur vie à notre place.
L’accès indispensable des civils
aux services de santé est presque
impossible : 37 % des hôpitaux ont
été détruits, 20 % sont sérieusement
endommagés. Les dispensaires de
fortune deviennent des centres de
traumatologie à part entière,
peinant à faire face à l’afflux de
blessés. Quelque
469 professionnels de santé sont
emprisonnés. Avant la guerre,
Alep comptait 5 000 médecins,
il n’en resterait que 36.
L’augmentation exponentielle du
nombre de malades est une
conséquence directe du conflit, mais
elle résulte aussi de la
détérioration du système de santé
public syrien, autrefois
sophistiqué, et de l’absence de
soins curatifs et préventifs
appropriés. D’horribles blessures
restent sans soins, des femmes
accouchent sans aide médicale,
adultes et enfants sont opérés sans
anesthésie. Les victimes de
violences sexuelles n’ont personne
vers qui se tourner. La population
syrienne est exposée aux épidémies
d’hépatite, de rougeole, de typhoïde
et de diarrhée aiguë. Dans certaines
zones, les enfants nés depuis le
début du conflit n’ont pas été
vaccinés. Les patients atteints de
maladies chroniques comme le cancer
et le diabète ne peuvent recevoir
leurs traitements vitaux de longue
durée.
Confronté à d’énormes besoins et
à des conditions dangereuses, le
personnel médical syrien est
pourtant celui qui dispense
l’essentiel des soins aux civils.
Les restrictions gouvernementales,
conjuguées à la rigidité du système
international d’aide humanitaire,
aggravent la situation. En
conséquence, de vastes régions de la
Syrie sont complètement coupées de
toute forme d’assistance médicale.
Les professionnels de santé sont
tenus de soigner du mieux qu’ils le
peuvent quiconque en a besoin. Toute
personne blessée ou malade doit
pouvoir accéder à un traitement
médical. C’est pourquoi, en tant que
médecins, nous demandons d’urgence
que nos confrères en Syrie soient
autorisés et aidés à sauver des vies
et à soulager les souffrances sans
crainte d’attaques ou de
représailles.
Nous appelons le gouvernement
syrien et toutes les parties au
conflit à respecter la neutralité
médicale et à ne pas attaquer les
hôpitaux, les ambulances, les
médicaments, le personnel médical et
les patients ; le gouvernement
syrien doit traduire en justice les
auteurs de ces violations
conformément aux normes
internationales.
Les gouvernements alliés des
parties au conflit doivent exiger
que celles-ci cessent leurs attaques
contre l’aide médicale et qu’elles
permettent son acheminement
jusqu’aux Syriens, par-delà les
lignes de front et à travers les
frontières syriennes.
L’ONU doit intensifier son
soutien aux réseaux médicaux
syriens, tant dans les zones
gouvernementales que dans celles
contrôlées par l’opposition, où,
depuis le début du conflit, le
personnel médical risque sa vie pour
apporter des soins indispensables. »