Opinion
Iran, un échec
pour le Guide et...
pour la presse occidentale
Alain
Gresh
Alain
Gresh
Lundi 17 juin 2013
Avec 18 613 329 voix, soit plus de 50 %
des suffrages exprimés, Hassan Rohani a
été élu président de la République
islamique dès le premier tour. Selon les
chiffres officiels, la participation a
été de 72,7 % et le candidat arrivé en
deuxième position, Mohammad Baqer
Qalibaf, le maire de Téhéran, n’a
recueilli que 6 077 292 voix.
En élisant le candidat qui avait pris
le plus de distance avec le système, les
électeurs ont infligé un camouflet au
Guide Ali Khamenei — sinon au régime.
Les éléments conservateurs en ont pris
acte. Tabnak, une agence de presse
proche de ceux-ci, titre, le 15 juin,
sur « une nécessaire défaite pour les “principalistes” »
— c’est ainsi qu’est désigné le camp
conservateur. Et d’écrire : « Les “principalistes”
doivent comprendre qu’ils ont des
comptes à rendre. Ils doivent savoir que
l’ère durant laquelle ils monopolisaient
les médias est terminée. »
Les électeurs ont aussi infligé un
camouflet à la presse occidentale. Que
n’avait-on entendu sur l’élection
présidentielle ? Elle était jouée
d’avance ; les électeurs ne se
déplaceraient pas ; le régime avait
bloqué toute possibilité de changement ;
le Guide décidait de tout. Mais l’homme
le plus proche de ce dernier, Said
Jalili, n’a obtenu que 4 168 946 voix,
arrivant en troisième position avec à
peine plus de 11 % des suffrages. Depuis
longtemps, ces médias occidentaux ont
cessé de s’intéresser au pays réel, à sa
vie politique et sociale, pour n’en
retenir que des caricatures.
Même le débat sur le nucléaire entre
les différents candidats, pourtant vif,
n’a pas retenu une vraie attention. Oui,
on débat en Iran, comme le confirment
les critiques de Ali Akbar Velayati, un
ancien ministre des affaires étrangères
— proche lui aussi de Khamenei — qui a
dénoncé la rigidité de Said Jalili sur
la question nucléaire.
Bien sûr, ce débat se déroule dans un
cadre étroit, en témoigne le refus
d’accepter les candidatures à la
présidence de certains prétendants,
comme Hachemi Rafsandjani, ou comme
celui soutenu par le président Mahmoud
Ahmadinejad, Esfandiar Rahim Mashaie.
Bien sûr, nombre d’opposants sont en
prison et l’Iran est loin d’être un
modèle de démocratie. Mais imagine-t-on
une élection chez « notre » allié
saoudien ? Imagine-t-on une élection
chez « notre » allié jordanien, dont les
résultats ne seraient pas connus
d’avance ?
Sur les premières leçons de ce
scrutin, on lira le toujours pertinent
Juan Cole, « An
Outbreak of Reasonableness in Tehran :
Top Ten Conclusions from Iran’s Early
Election Returns » (Informed
comment, 15 juin). Lequel souligne la
forte participation électorale, la
défaite de Said Jalili, et les
déclarations du nouvel élu sur le
mouvement vert :
« J’étais conseiller à la sécurité
nationale de l’Iran pendant seize ans,
durant les administrations Rafsandjani
et Khatami. Par conséquent, je sais
comment faire face à des questions
délicates. Si je suis élu, je ferai de
mon mieux pour obtenir la libération de
ceux qui ont été incarcérés à la suite
des événements regrettables de 2009. Je
sais que les pouvoirs constitutionnels
du président en Iran ne s’étendent pas
aux domaines qui sont en dehors de
l’exécutif. Cependant, je suis tout à
fait optimiste sur le fait de pouvoir
rassembler, d’aller vers un nécessaire
consensus national pour améliorer la
situation actuelle de Moussavi et
Karoubi [les deux dirigeants du
mouvement vert assignés à résidence]. »
Dans le domaine de la politique
étrangère aussi, Juan Cole reproduit
cette déclaration de Rohani :
« La relation Iran-Etats-Unis est
une question complexe et difficile. Une
histoire amère, pleine de méfiance et
d’animosité, sous-tend cette relation.
C’est devenu une plaie chronique dont la
guérison est difficile mais possible, à
condition que règnent la bonne foi et le
respect mutuel. (...) En tant que
modéré, j’ai un plan par étapes pour
désamorcer l’hostilité et ramener les
choses à un état de tension gérable, et
ensuite m’engager dans la promotion de
l’interaction et du dialogue entre les
deux peuples pour obtenir une détente,
et enfin atteindre ce point de respect
mutuel que les deux peuples méritent. »
Le rôle du président dans le domaine
de la politique étrangère n’est pas
négligeable, et l’ancien président
Khatami avait d’ailleurs permis une
ouverture sur la question nucléaire — à
l’époque où la France et l’Union
européenne n’étaient pas purement et
simplement alignées sur les
Etats-Unis —, et avait aussi normalisé
ses relations avec les pays du Golfe.
Comme l’explique Trita Parsi, « Iran’s
election is neither free nor fair — but
its outcome matters » (« Les
élections en Iran ne sont ni libres ni
équitables, mais leur résultat compte »,
The Globe and Mail, 13 juin) :
« Il ne s’agit pas seulement de
Rohani, mais aussi du personnel qui va
l’accompagner dans le gouvernement,
remplir les principaux ministères et
institutions et reconfigurer les
conditions de prise de décision du
régime. Quand Mahmoud Ahmadinejad est
arrivé au pouvoir, en quelques mois il a
mis à la retraite quatre-vingt des
ambassadeurs les plus expérimentés et
des personnalités parmi les plus
qualifiées en politique étrangère.
Beaucoup d’entre eux étaient
pragmatiques et compétents et ont joué
un rôle-clef dans les décisions les plus
conciliantes de l’Iran, comme la
collaboration avec les Etats-Unis en
Afghanistan et la suspension de
l’enrichissement [de l’uranium]
en 2004. Ils ont été remplacés par des
idéologues inexpérimentés mais fidèles à
Ahmadinejad. Un renversement de cette
tendance peut se révéler très précieux.
Ensuite, Rohani et son entourage
ont une vision du monde différente de
celle de M. Ahmadinejad et du Guide
suprême. Bien qu’encore soupçonneuse et
méfiante à l’égard de l’Occident, et
décidée à obtenir gain de cause sur la
question nucléaire, l’élite associée à
Rohani ne voit pas le monde de manière
manichéenne. Le monde extérieur peut
être considéré comme hostile, mais des
intérêts communs peuvent encore être
trouvés avec lui. La collaboration est
encore possible. Plutôt que d’insister
sur l’idéologie et sur la résistance,
cette élite se targue d’être pragmatique
et intéressée d’abord par les résultats
(bien sûr, dans le contexte de
l’échiquier politique de la République
islamique). Ce n’est pas une surprise si
la plupart des arrangements conclus par
l’Iran sur des questions sensibles ont
été obtenus durant des périodes où ce
courant dominait le processus de
décision en Iran. »
Un dialogue des Etats-Unis avec
l’Iran pourra-t-il s’ouvrir,
en dépit de la propagande israélienne ?
Il est regrettable de penser que,
encore une fois, la France laissera
passer sa chance. Les obsessions
anti-iraniennes du pouvoir et de
ceux qui sont en charge du dossier
(on observe une assez grande continuité
entre la présidence Sarkozy et celle de
Hollande de ce point de vue) se
traduisent en effet dans tous les
domaines, notamment dans le cas de la
Syrie, par le refus de Paris de voir
l’Iran participer aux négociations de
Genève.
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