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Mercredi 16 mai 2012
Non, Manuel Valls, le nouveau
ministre de l’intérieur, ne fera sans
doute pas de déclaration sur l’inégalité
entre les civilisations. Il ne faudrait
donc pas lui faire de procès
d’intention. Il faudrait se garder de
toute caricature.
Le problème est que Manuel Valls est
sa propre caricature, même s’il
s’abstiendra, du moins faut-il
l’espérer, d’affirmer comme son
prédécesseur qu’il
y a trop de musulmans en France.
C’est tout de même lui qui, se promenant
sur un marché de sa bonne ville d’Evry,
le 7 juin 2009, interpellait ses
collaborateurs : « Belle image de la
ville d’Evry… Tu me mets quelques
Blancs, quelques White, quelques Blancos
! »
Manuel Valls ne représente pas
grand-chose dans son parti : il n’a
récolté que 5,7 % des voix lors de la
primaire d’octobre 2011. Il est vrai que
cet admirateur de Dominique Strauss-Kahn
et de Tony Blair aurait sans doute plus
sa place au Nouveau centre ou au Modem
de François Bayrou, dont il reprend les
thèses économiques et sociales. Nicolas
Sarkozy avait tenté de le débaucher en
2007 et Martine Aubry lui avait écrit
une lettre ouverte en juillet 2009 :
« Si les propos que tu exprimes
reflètent profondément ta pensée, alors
tu dois en tirer pleinement les
conséquences et quitter le Parti
socialiste. »
Mais Valls a su faire le bon choix :
rester au PS tout en combattant tous les
principes de la gauche et, finalement,
accéder à un poste où il pèsera lourd
dans les choix gouvernementaux des
prochains mois sur la sécurité,
l’immigration, l’islam. Concédons-lui
donc le fait qu’il est un habile
politicien, mais mettons entre
parenthèses l’idée qu’il serait de
gauche.
C’est sur le terrain de la sécurité
que Valls a voulu se faire un nom, en
montrant que la gauche pouvait être
aussi répressive, voire plus, que la
droite. Il a multiplié les articles et
les livres sur le sujet, dont
Sécurité, la gauche peut tout changer
(Editions du Moment, Paris, 2011). Cet
ouvrage rend un hommage appuyé et répété
aux forces de l’ordre, sans jamais
évoquer les violences policières, les
jeunes assassinés dans les quartiers,
les procès de policiers qui débouchent
toujours sur des non-lieux. En revanche,
il est impitoyable avec le terrorisme,
ayant été l’un des seuls socialistes à
exiger l’extradition de Cesare Battisti.
Et aussi avec les délinquants, ces
classes dangereuses dont la bourgeoisie
a toujours eu peur. Valls ne
regrette-t-il pas, dans son livre, que
la gauche n’ait pas assez rendu justice
à Clemenceau, l’homme qui n’hésitait
pas, entre 1906 et 1908, à faire tirer
sur les ouvriers au nom, bien sûr, de
l’ordre républicain ?
Lors du soulèvement des banlieues de
2005, il a été l’un des trois députés
socialistes à ne pas voter contre la
prolongation de l’état d’urgence, une
décision qui ramenait la France à
l’époque de la guerre d’Algérie. En
octobre 1961, s’il avait été ministre de
l’intérieur, Valls n’aurait certainement
pas hésité à faire appliquer l’ordre
républicain à tous ces Algériens qui
osaient défier le couvre-feu (lire
Sylvie Thénault, «
L’état d’urgence (1955-2005). De
l’Algérie coloniale à la France
contemporaine : destin d’une loi »)…
Pour Valls, la violence dans nos
villes « augmente de manière
constante » depuis plus de trente
ans. Il reprend les arguments de son ami
Alain Bauer (lire
Les marchands de peur. La bande à
Bauer et l’idéologie sécuritaire),
l’homme qui a imposé à la gauche comme à
la droite le thème de l’insécurité —
avec l’aide active du Front national et
de Jean-Marie et Marine Le Pen.
Conseiller de Sarkozy, Bauer est aussi
proche de Manuel Valls car, pour lui, la
sécurité n’est ni de gauche ni de droite
(l’économie non plus, sans doute...). Et
personne ne sera trop regardant sur les
médecines du docteur Bauer, l’homme qui
propage la peur dans les villes et en
profite pour leur vendre, à travers sa
société AB conseils, et à prix d’or, les
remèdes à l’insécurité. Un peu comme si
un responsable de l’industrie
pharmaceutique établissait les
prescriptions pour les malades...
Nous ne reviendrons pas ici sur la
critique détaillée de ses théories de la
sécurité. Laurent Mucchielli, l’un des
meilleurs spécialistes de la question et
qui est plusieurs fois cité de manière
élogieuse par Valls, a un diagnostic
ravageur («
La posture autoritaire et populiste de
Manuel Valls », Lemonde.fr, 5 juin
2011). Critiquant Sécurité, la gauche
peut tout changer, qui vient alors
de sortir, il fait deux remarques :
« La première est que M. Valls n’a
pas un niveau de connaissance suffisant
des problèmes. Nous l’avons vu, son
diagnostic est globalement plutôt
superficiel. Ses propos ressemblent
étrangement aux discours de certains
syndicats de police et parfois même d’un
certain café du commerce. La violence
explose, les délinquants rajeunissent
sans cesse, il n’y a plus de valeurs et
plus de limites, la justice ne fait pas
son boulot, on les attrape le soir ils
sont remis en liberté le lendemain...
etc. En cela, M. Valls est proche d’un
certain terrain politique : celui des
plaintes de ses administrés, des
courriers de protestation reçus en
mairie, des propos entendus en serrant
des mains sur le marché le samedi matin
ou encore de ce que lui racontent les
policiers municipaux de sa ville. Mais
il est totalement éloigné de ce que
peut-être le diagnostic global d’un
problème de société et l’approche
impartiale d’une réalité complexe. Telle
est sans doute la condition ordinaire
d’un responsable politique de haut
niveau, dont on imagine l’agenda très
rempli. Mais l’on attendrait alors de
lui qu’il ait l’intelligence de
comprendre les biais et les limites de
sa position pour s’entourer de personnes
capables de lui donner le diagnostic de
base qui fait ici défaut. Encore faut-il
toutefois le vouloir et ne pas se
satisfaire de ce niveau superficiel
d’analyse, au nom d’une posture
volontairement très politique pour ne
pas dire politicienne. C’est la deuxième
hypothèse. »
Voici donc pour la compétence du
nouveau ministre de l’intérieur. Par
ailleurs, poursuit Mucchielli :
« C’est bien une posture politique
qui irrigue fondamentalement la pensée
de Manuel Valls, une posture
politicienne même dans la mesure où elle
vise manifestement à se distinguer en
politique, en particulier vis-à-vis
d’autres personnalités du parti
socialiste. Cette posture, on la
retrouve d’abord dans les pages
consacrées à une sorte d’éloge de
l’ordre comme “socle des libertés” (p.
58), comme on la retrouve à la fin du
livre dans l’éloge de « l’autorité » qui
serait aujourd’hui « bafouée » et «
attaquée de toutes parts » (p. 156-157).
De nouveau, c’est exactement aussi la
posture qui traverse toutes les lois
votées ces dernières années par ses
adversaires politiques. »
Valls n’est pas seulement un
défenseur de la sécurité, mais aussi un
contempteur du communautarisme et un
pseudo-partisan de la laïcité (c’est
évidemment tout à fait par hasard que
les cibles de ses attaques sont les
populations des quartiers populaires).
On ne compte plus les exemples de ces
attaques contre un soi-disant
communautarisme, c’est-à-dire contre les
musulmans, de sa volonté d’interdire à
un Franprix de ne vendre que des
produits halal — aurait-il interdit des
magasins qui ne vendraient que des
produits casher ? — à
l’affaire de la crèche Baby Loup et
au licenciement d’une employée qui
portait le foulard. Après l’absurde
décision de Nicolas Sarkozy
d’interdire à des théologiens musulmans
d’intervenir au congrès de l’UOIF,
il a fait de la surenchère, non
seulement en approuvant la décision mais
en écrivant :
« Tariq Ramadan, leader européen
de l’Internationale des Frères
Musulmans, présenté par ailleurs comme
un “intellectuel” muni d’un passeport
suisse, doit s’exprimer le week-end
prochain à Bagnolet. Il propagera les
mêmes idées extrémistes que ceux qui ont
déjà été interdits de territoire
français. » Quelques jours plus
tard,
le candidat Nicolas Sarkozy à son tour,
mettait en doute les qualités
d’intellectuel de Tariq Ramadan. Quant à
ces déclarations sur les idées «
extrémistes » défendues par Ramadan, il
devrait plutôt lire ses textes et
écouter ses interventions.
On ne peut s’étonner alors que Manuel
Valls fasse l’éloge du dernier livre de
Hugues Lagrange, qui met en avant
l’origine culturelle des immigrés pour
expliquer les difficultés de
l’intégration — rappelons que le même
argument culturel était avancé pour
expliquer les difficultés des immigrés
juifs d’Europe centrale, italiens ou
portugais à s’intégrer dans les années
1930, 1940 ou 1950 (lire Gérard Mauger,
«
Eternel retour des bandes de jeunes
», Le Monde diplomatique, mai
2011). Aucune idée de droite n’est
vraiment étrangère à M. Valls.
Une dernière question : Manuel Valls
est aussi signataire d’un
appel indigne appelant à poursuivre
les militants qui prônent le boycott des
produits israéliens. Parmi eux, Stéphane
Hessel ou Alima Boumediene. Que fera le
ministre de l’intérieur, alors que
plusieurs de ces militants ont été
relaxés par la justice, mais que
certains restent poursuivis ?
Ajout 17 mai. Voici
comment le pourfendeur du
communautarisme parle :
« Par ma femme, je suis lié de
manière éternelle à la communauté juive
et à Israël » (vidéo).
Imaginons un responsable français ayant
épousé une femme d’origine algérien ou
marocaine et disant « Par ma femme,
je suis lié de manière éternelle à la
communauté musulmane et à l’Algérie (ou
au Maroc). »
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