Les blogs du Diplo
L'Iran tel que nous ne le connaissons pas
Alain Gresh

Samedi 13 juin 2009 La République islamique pratique la
peine de mort sur une grande échelle, arrête des opposants
politiques, torture quelques fois. Les droits de la personne
sont violés, comme le rappelle Gary Sick sur son nouveau blog,
« Gary choice’s », le 11 juin (« Iran’s
elections - the human rights dimension. »). Les droits des
femmes sont souvent bafoués. Et le système politique est
solidement encadré par une Constitution qui écarte les candidats
« non conformes » des élections.
Et pourtant... Sans revenir sur tout ce que les femmes
iraniennes ont gagné depuis 1979 – notamment l’éradication de
l’analphabétisme –, ni sur les progrès faits dans le domaine de
la lutte contre la pauvreté ou de l’accès à l’eau et à
l’électricité – concentrons-nous sur
le système présidentiel. L’Iran est le seul pays de la
région (à l’exception du Liban et de la Palestine et, bien sûr,
Israël) pour lequel nous ne savons pas à l’avance qui sera élu.
En Egypte ou en Algérie, les seules interrogations portent sur
le fait de savoir si le président sortant aura plus ou moins de
90 % des suffrages...
La participation a été massive en Iran, comme le remarque
Reuters le 11 juin au soir (« L’élection
présidentielle mobilise les Iraniens »). Selon les résultats
annoncés officiellement le 13 au matin, Ahmadinejad aurait
remporté les deux tiers des voix, et son concurrent Mousavi un
tiers. Mais ce résultat est contesté et la situation semble
tendue en Iran.
Le président iranien, contrairement à ce que pensent
certains, joue un rôle important, même s’il est subordonné au
Guide de la révolution, comme le rappelle Mohsen M. Milani,
professeur au Department of Government and International
Affairs, Université de la Floride du Sud dans un entretien
publié par Council of Foreign Relations le 10 juin, « Iranian
Presidents Have a Critical Role in Policymaking ».
Tous les observateurs l’ont noté, la campagne électorale
présidentielle a été très animée, comme le montrent l’article du
Christian Science Monitor du 10 juin de Scott Peterson,
« Once
apathetic, young Iranians now say they’ll vote » ou celui de
Marie-Claude Decamps du Monde (12 juin), « Iran :
un référendum pour ou contre Mahmoud Ahmadinejad » ».
Le candidat le plus crédible opposé à M. Ahmadinejad est
Moussavi, dont le Tehranbureau du 10 juin présente le
programme :
« The Moussavi agenda ».
Les débats télévisés entre les principaux candidats ont
passionné les téléspectateurs (on trouvera nombre des
interventions télévisées et des débats avec sous-titres en
anglais sur
PressTV
archive).
Le second débat, entre Mahmoud Ahmadinejad et son principal
concurrent, Hussein Moussavi, début juin, a été suivi par plus
de 40 millions de téléspectateurs. Comme le rapporte le
correspondant à Téhéran du Los Angeles Times, Borzou
Daragahi, le 4 juin, « Iranian
president, rival spar in debate » :
« Moussavi, cherchant ses mots au début du débat, a frappé
fort sur la politique étrangère de Ahmadinejad, l’accusant de
s’être aliéné sans raisons les autres pays. Il a raillé ce qu’il
a décrit comme le comportement erratique d’Ahmadinejad durant
différentes crises et voyages à l’étranger et critiqué à
plusieurs reprises la mise en cause par le président de
l’holocauste, tout cela allant à l’encontre des intérêt
nationaux et rassemblant le monde derrière Israël, le rival de
Téhéran.
Ahmadinejad a décrit Moussavi comme appartenant à une cabale
qui comprend Hashemi Rafsandjani, un influent ayatollah et un
ancien président et que Moussavi cherche à le défaire pour
garantir des intérêts privés. Il a donné des noms, accusant
plusieurs importantes personnalités politiques et leurs familles
de corruption et pointant à des preuves de prétendues
malversations (wrongdoings) de Moussavi. »
Cette attaque publique contre Rafsandjani, l’un des hommes
les plus puissants du pays (et considéré comme l’un des plus
corrompus) est sans précédent. Durant la campagne présidentielle
de 2005, Ahmadinejad s’était déjà présenté comme le candidat de
la justice sociale, l’ennemi des mafias qui avaient accaparé les
richesses du pays. Il avait gagné en faisant de nombreuses
promesses, tenues seulement en partie grâce aux prix élevés du
baril de pétrole, mais sans être le moins du monde en mesure de
briser l’emprise des « mafias » (lire Ramine Motamed-Nejad,
« L’Iran sous l’emprise de l’argent », Le Monde diplomatique,
juin 2009, en kiosques). La question économique et sociale a été
la première cause de la défaite des réformateurs en 2005 et la
victoire de M. Ahmadinejad ; elle jouera un rôle central dans ce
scrutin où Ahmadinejad a multiplié les promesses sociales.
« Est-ce que l’establishment aristocatique de Rafsandjani
est appelé à se perpétuer ? » se demandait Ahmadinejad
durant le débat. La réponse ne s’est pas fait attendre et dans
une lettre ouverte au guide de la Révolution l’ayatollah
Khamenei, Rafsandjani protestait contre de telles attaques
contre lui, ce que Muhammad Sahimi raconte, le 19 juin, sur le
site Tehranbureau (« Rafsanjani’s
Letter to the Supreme Leader ») :
« A la suite du débat avec ses adversaires réformistes
Moussavi et Karroubi, Ahmadinejad, qui a mis en cause tout le
système de la République islamique – il a accusé de nombreux
dirigeants nationaux et de puissants politiciens de népotisme et
de corruption, et dit que depuis la révolution de 1979, seul son
gouvernement avait travaillé de manière intense pour le bien de
la nation (critiquant ainsi indirectement le Guide l’ayatollah
Khamenei qui a été président pendant deux mandats dans les
années 1980) –, a été condamné par l’ensemble du spectre
politique. »
Dans cette lettre sans précédent au Guide de la Révolution,
Rafsandjani s’est défendu avec vigueur et clarté :
« Malheureusement, les déclarations mensongères et
irresponsables d’Ahmadinejad durant son débat avec Moussavi, ses
déclarations avant le débat et les événements qui ont suivi nous
rappellent ce que les hypocrites (une référence aux
Moudhahidines du peuple) et les groupes contre-révolutonaires
ont dit et fait durant les premières années de la révolution,
aussi bien que les accusations durant l’élection présidentielle
de 2005 (...) qui ont abouti à des condamnations devant
la justice. Puisque ce sont les mêmes accusations qui sont
reprises dans les médias contrôlés par le gouvernement et
répétées par le discours du président dans son discours dans la
ville sainte de Mashad, l’argument qu’Ahamdinejad a pu être
entraîné par l’atmosphère du débat ou que les attaques n’étaient
pas préparées ne peut être accepté. C’est une tentative de
détourner l’attention du peuple des rapports détaillés de
l’office d’évaluation gouvernementale qu’il manque 1 milliard
(dans le budget de l’Etat) dont toute trace a disparu et aussi
que des milliers d’autres actes illégaux ont été commis dans la
mise en oeuvre du budget. Ou peut-être de faire oublier que son
principal concurrent (Moussavi) est un héros de la Révolution
islamique (et que donc Ahmadinejad se sent vulnérable. »
(...)
« La lettre se demande ensuite si de tels actes illégaux
ont toujours lieu et si le président qui a prêté serment de
faire respecter la loi peut contrevenir à la loi sans sanction,
comment la nation peut-elle se considérer comme suivant le
système saint de gouvernement islamique ? Et la lettre se
termine en demandant que l’ayatollah Khamenei s’assure que le
processus électoral se déroule sans fraudes. »
(...)
« Plus que tout, poursuit le Tehranbureau, la
lettre révèle des fissures profondes dans les classes
dirigeantes qu’a créées la présidence d’Ahmadinejad. Cette
lettre réduit les possibilités de fraude dans le vote de
vendredi. Déjà lors de l’élection de 1997 qui avait vu la
victoire écrasante de Mohammed Khatami, Rafsandjani avait mis en
garde contre le risque de fraude quelques jours avant le
scrutin. Beaucoup pensent que les mises en garde de Rafsandjani
à l’époque avait été la raison principale pour laquelle les
conservateurs n’avaient pas osé utilisé la fraude, terrifiés
qu’ils étaient d’avoir à faire face à une révolution
populaire. » Si l’on en croit les réactions de Mousavi et de
ses supporteurs dans la nuit de la proclamation des résultats,
les fraudes auraient toutefois été importantes...
Rafsandjani a reçu le soutien de 14 dignitaires religieux de
Qom, comme le rapporte Reuters, repris par Yahoo le 9 juin : « Iranian
cleric slams Ahmadinejad "fabrications" ».
D’autre part, des sources non confirmées officiellement,
indiquaient que, en réponse à cette lettre, le guide aurait
nommé Akbar Nategh Nouri, un religieux conservateur mais
critique d’Ahmadinejad, de superviser la régularité de
l’élection (« Reaction
to Rafsanjani’s Letter », par Muhammad Sahimi, Tehranbureau).
Une vision moins optimiste et pour tout dire alarmiste était
donnée le jour des élections par un correspondant de
INTERNATIONAL RELATIONS AND SECURITY NETWORK, Zurich, « Iran :
Ahmadinejad’s Palace Coup »
« D’abord, selon des sources fiables, les forces de
sécurité se prépareraient à réprimer massivement toute
protestation, une fois les résultats annoncés. »
« Ensuite, dans une rupture symbolique avec les normes en
vigueur, le bureau du Guide suprême a démenti les informations
sur de soi-disants promesses faite par l’ayatollah Khamenei à
Rafsandjani. Le guide a aussi mis en garde ceux qui répandent
des rumeurs malicieuses et qui sont cachés partout, dans tous
les groupes et les institutions. Les observateurs pensent que le
guide ne se compromettrait pas avec les perdants et donc ces
déclarations peuvent être interprétées comme un signe qu’Ahmadinejad
sera le prochain président. »
Concernant le nucléaire, Rasool Nafisi, sur le site de Radio
FreeEurope, « In
Iran, The Election Is Being Televised » (12 juin) écrit :
« Malgré certains échanges très vifs durant les débats,
les candidats ont été attentifs à ne pas franchir les “lignes
rouges” du régime. Tous les candidats ont soutenu le programme
d’enrichissement d’uranium et aucun n’a utilisé l’argument que
poursuivre cette politique malgré les résolutions de l’ONU et la
politique de sanctions internationales ébranlait les fondements
de l’économie et de la société. Aucun n’a reconnu que le taux de
25 % d’inflation était dû en partie à l’impact des sanctions. »
Les Etats-Unis ont fait preuve d’une grande circonspection
durant cette campagne électorale, de peur que leur sympathie à
l’égard d’un candidat puisse se retourner contre lui. Sur le
site de Foreign Policy, le 10 juin, (« As
Iran votes, all quiet on the western front »), Luara Rozen
explique :
« “Nous sommes engagés dans la diplomatie directe avec
n’importe lequel des gouvernements qui sera formé” a déclaré un
officiel mercredi. L’administration américaine est “bouche
cousue sur l’élection” a-t-il reconnu, notant que certaines
interviews sur la question avaient été annulées, de peur que les
conservateurs iraniens ne puissent les dénoncer comme une preuve
d’ingérence des Etats-Unis... »
Pour la droite américaine et israélienne, comme le rappelle
Helana Cobban sur son blog « Just
World News », "Israel’s horse in Iran’s Race" (12 juin),
Ahmadinejad est le meilleur candidat !
Par ailleurs, un important dirigeant démocrate américain
vient d’affirmer, dans un entretien avec le Financial Times
du 10 juin, (« US
senator opens Iran nuclear debate » par Daniel Dombey), que
l’Iran avait le droit d’enrichir son uranium et que l’argument
en sens contraire avancés par l’administration Bush étaient
« ridiculous ».
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