|
Blog Monde diplo
Bras de fer
entre le Hezbollah et le gouvernement au Liban
Alain Gresh
Instabilités au Liban.
La tension monte au Liban. La
Maison Blanche a fait savoir le 31 octobre qu’il existait « des
preuves croissantes » que la Syrie, le Liban et le
Hezbollah s’apprêtaient à renverser le gouvernement libanais.
Les Etats-Unis ont ajouté que la Syrie espérait bloquer la
formation d’un tribunal international pour juger les
responsables du meurtre de l’ancien premier ministre libanais
Rafic Hariri. Cette déclaration confirme, de fait, que les
Etats-Unis rejettent toute idée de rapprochement avec la Syrie et
l’Iran sur l’avenir de l’Irak. C’est en mars 2006 que le
Conseil de sécurité des Nations unies a décidé la formation du
tribunal international et il a envoyé un plan en ce sens le 21
octobre aux autorités libanaises. Le même porte-parole a ajouté
que « le soutien à un Liban souverain, démocratique
et prospère est un élément clef de la politique américaine au
Proche-Orient (...) Toute tentative de déstabiliser ce
gouvernement élu démocratiquement à travers des manifestations
manipulées ou par la violence, ou à travers des menaces
physiques contre ses dirigeants serait, pour le moins, une
violation de la souveraineté du Liban et des résolutions 1559,
1680 et 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU ».
Interrogé sur les tentatives de déstabilisation, le porte-parole
du ministère des affaires étrangères français Denis Simmoneau a
déclaré le 2 novembre : « Nous
n’avons pas d’éléments spécifiques sur des plans de cette
nature. La France, en ce qui la concerne, réaffirme son soutien
au gouvernement de M. Fouad Siniora et à ses efforts pour
stabiliser le Liban et permettre la reconstruction rapide du pays.
Elle met en garde contre toute tentative de déstabilisation du
Liban. »
Le président de l’Assemblée nationale Nabih
Berri, le chef du parti chiite Amal, a répondu aux allégations
américaines, selon l’Agence de presse libanaise dans une dépêche
du 1er novembre, en ces termes : « Une
forme d’amour peut être fatale. Est-ce que cette déclaration
américaine est faite pour défendre le Liban ou pour le pousser
vers un chaos constructif ? Est-ce qu’il reflète un intérêt
pour le gouvernement ou, au contraire, pousse à se révolter
contre lui ? Quoiqu’il en soit, nous voulons rassurer la
Maison Blanche que le peuple libanais a des tendances démocratiques
assez marquées pour l’inciter à recourir au dialogue et à la
consultation, plutôt que de suivre les avis du protecteur d’Israël
qui viole chaque jour les résolutions internationales et dont les
avions pénètrent dans notre espace aérien en contradiction avec
la résolution 1701 (sur
ce texte, lire mon blog Qui a gagné (I) ? Du côté d’Israël).
Malgré cela, le son de ces appareils ne semble jamais atteindre
le ciel au-dessus de la Maison Blanche. »
Toute cette agitation fait suite à un projet lancé
par Nabih Berri d’un dialogue national (qui doit s’ouvrir le 6
novembre) et à un entretien donné par Hassan Nasrallah, le secrétaire
général du Hezbollah. Interrogé par la télévision Al-Manar le
31 octobre, Hassan Nasrallah a expliqué les élites au pouvoir
voulaient « transformer la Finul en force multinationale
travaillant sous le chapitre VII de la Charte des Nations unies,
des forces qui occuperaient et contrôleraient le Liban (…) Cela
risque de transformer le Liban en un nouvel Afghanistan ou un
nouvel Irak. » Il a toutefois ajouté que les déclarations
de Kofi Annan et de Javier Solana, qui avaient affirmé que la
Finul n’avait pas pour mission de désarmer la résistance, et
la composition actuelle de la Finul, « ne soulevaient pas
d’inquiétudes ».
Abordant les question intérieures, Nasrallah a
affirmé que l’atmosphère au Liban « montrait qu’un
certain parti tentait de monopoliser le pouvoir, d’exclure les
autres parties et de chercher l’aval de l’étranger. »
Il a appelé ces forces « à respecter leurs déclarations
sur la liberté et à laisser le peuple avoir son mot, en le
consultant par sondage » et qu’il respecterait les résultats.
Il a toutefois lancé cette mise en garde :
« Aujourd’hui nous parlons d’un gouvernement d’union
nationale sans mentionner des élections anticipées (…), mais
si les consultations, le dialogue et les efforts politiques échouent
à produire un gouvernement d’union nationale et si les forces
politiques qui veulent un tel gouvernement descendent dans la rue
– et, si Dieu le veut, elles le feront –, je ne sais pas si
leur seul objectif alors sera un gouvernement d’union nationale
ou bien des élections anticipées. » Et nous respecterons
le verdict des urnes quel qu’il soit, même si cela signifie que
ce gouvernement et sa majorité continuent pendant quatre ans. Il
a aussi affirmé que le Hezbollah n’utiliserait pas ses armes
qui sont seulement destinées à l’ennemi. En fait, le Hezbollah
souhaite, avec ses alliés, obtenir un tiers des postes de
ministre, ce qui leur donnerait un droit de veto sur les décisions.
Le quotidien de langue anglais The
Daily Star explique dans son éditorial du 3 novembre intitulé
« Foreign
meddling and domestic inaction push Lebanon to the brink of crisis » :
« Le Liban est de nouveau au bord de la
crise à la suite d’ingérences extérieures et d’inaction sur
le plan interne. La Maison Blanche a accusé le Hezbollah, l’Iran
et la Syrie de chercher à renverser de manière illégale le
gouvernement du premier ministre Fouad Siniora, reprenant un thème
défendu depuis longtemps par le député du Chouf Walid
Joumblatt, qui vient de se rendre à Washington. L’attaque
simpliste correspond bien à l’approche actuelle que les
Etats-Unis ont du Proche-Orient, mais elle accrédite aussi la théorie
selon laquelle la politique américaine de l’administration Bush
sur le Liban est si peu ferme qu’elle peut être altérée par
la dernière personne qui a obtenu une audience avec le président
ou avec un de ses conseillers. Les choses sont aussi inquiétantes
à Beyrouth où le gouvernement Siniora et ses alliés ont fait un
travail lamentable pour expliquer pourquoi le Liban n’avait pas
besoin d’un gouvernement d’union nationale à cette étape. »
Et l’éditorial de poursuivre : « A
part des slogans creux comme "un Etat honnête et
juste", le Hezbollah doit encore préciser sa vision pour la
prochaine étape, à part son désir d’avoir plus de postes au
gouvernement. De la même manière, la vision des forces du 14
mars d’une série de problèmes pressant, y compris la loi électoral,
est au mieux vague, au pire non existante. Dans un tel climat,
qu’est-ce que les citoyens libanais doivent-ils penser de leur
classe politique ? Vers qui peuvent-ils se tourner pour avoir
un leadership intelligent ? »
Plusieurs faits contradictoires ne permettent pas
de mesurer dans quelle direction on se dirige. D’une part, le
ministre de l’information libanais a apporté un démenti
officiel à Terjé Roed-Larsen, chargé par Kofi Annan du suivi de
l’application de la résolution 1559. « Le
gouvernement n’a adressé (à l’ONU) aucune information au
sujet de la poursuite de la contrebande d’armes de la Syrie vers
le Liban », a-t-il affirmé. D’autre part, l’Arabie
saoudite, dont l’ambassadeur au Liban a rencontré Hassan
Nasrallah, aurait présenté un projet de compromis favorable à
la constitution d’un gouvernement d’union nationale. Enfin, le
correspondant à Paris du quotidien Al-Akhbar,
proche de l’opposition, cite
un responsable français qui affirme qu’il existe un plan américano-franco-britannique
pour, en cas d’impasse au Liban, faire adopter une nouvelle résolution
du Conseil de sécurité, sous le chapitre VII (qui autorise
l’utilisation de la force), pour donner des pouvoirs élargis à
Fouad Siniora, un peu sur le modèle de la résolution concernant
la Côte d’Ivoire adoptée hier (Notons toutefois que cette résolution
est plus un trompe-l’oeil qu’une résolution
"efficace", comme le soulgine l’article du quotidien Libération
du 3 novembre), « Paris échoue à marginaliser Gbagbo en Côte-d’Ivoire
La résolution de l’ONU prolonge la transition et le mandat du
Président », signé par Thomas Hofnung et Laurent Mauriac.
Pour comprendre l’enjeu et les rapports de
force, on pourra se référer au site conservateur américain
intitulé « Mideast
Monitor » et qui publie les
résultats de quatre sondage réalisés au Liban. Il existe
des différences sensibles entre les sondages (certains ont été
réalisés pendant la guerre, d’autre après la guerre), mais un
certain nombre de données se dégagent : l’appui
majoritaire des Libanais à la capture des soldats israéliens le
12 juillet et le fait que la majorité aussi considère cette
guerre comme résultant d’une entente américano-israélienne
pour imposer un ordre nouveau au Proche-Orient. Des différences
sensibles sont perceptibles selon l’appartenance communautaire,
la grande majorité des chiites étant derrière le Hezbollah.
Insistons toutefois que la dimension confessionnelle ne recouvre
pas tous les clivages ce que j’ai pu constater lors
de mon voyage au Liban dans la première quinzaine d’octobre
et qui est confirmé par un article d’Alex Klaushofer, sur le
site de la BBC, intitulé « Shift
in Lebanon’s sectarian politics » (changements dans
les alignements confessionnels au Liban).
Rappelons, en conclusion, le paradoxe de la
situation intérieure libanaise. Les forces dites du 14 mars (qui
regroupent notamment le parti de Saad Hariri, celui de Walide
Joumblatt et celui de Samir Geagea) n’a eu la majorité aux précédentes
élections (et n’a pu vaincre les forces regroupées autour de
Michel Aoun) que grâce à l’alliance avec le Hezbollah
(rappelons que les élections au Liban ont lieu selon un système
confessionnel que les forces du 14 mars refusent de remettre en
cause). Le Hezbollah est aujourd’hui au gouvernement (mais
"légèrement" si on peut dire) et s’est allié avec
le parti de Michel Aoun, qui vient de déclarer à la télévision
Al-Manar, le 2 novembre : « Si
l’administration américaine veut vraiment assurer le triomphe
de la démocratie, elle ne doit pas appuyer un gouvernement qui ne
représente pas son peuple. C’est le droit du peuple et même
son devoir de renverser un tel gouvernement. » En gros,
le pays est désormais coupé en deux.
|