Opinion
Le cercle Taleb,
un déni de mémoire
Ahmed
Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Dimanche 28 avril
2013
Le Cercle
Taleb Abderrahmane, Cercle des
étudiants, n'a pas résisté à la
déferlante qui a visé et fortement
laminé non seulement l'expression
libertaire, la vie intellectuelle et
culturelle, mais la mémoire algérienne
elle-même, en détruisant les lieux qui
la portent, car il est l'un de ceux-là.
Situé juste en dessous des Facultés
d'Alger, ouvrant sur l'une des rues
mythiques de la ville, le Cercle n'offre
plus au regard que des grilles hideuses,
derrière lesquelles il se dégrade dans
l'indifférence. Ce haut lieu de
rencontre – où vibraient des discussions
et des rires juvéniles des étudiants qui
venaient «chez eux» se retrouver et
consommer «moins cher qu'ailleurs»,
accueillis par un personnel qui les
connaissait personnellement – a subi
l'injure de l'ignorance, du mépris et de
l'incurie. La plaque, fort heureusement,
est invisible ou n'est plus là,
épargnant à Taleb Abderrahmane de donner
son nom à une ignominie, qui profitera
peut-être à un quelconque affairiste en
attente d'une procédure administrative
qui s'éternise dans les méandres de
relations occultes. Durant la
colonisation, le local abritait le café
dénommé l'Otomatic. Un établissement où,
le samedi 26 janvier 1957, une jeune
fille d'à peine 17 ans, Danièle Minne,
fille de communistes, condamnés à mort,
et militante du FLN, a posé une bombe
fabriquée par… Taleb Abderrahmane, le
jeune étudiant en chimie. Cette bombe
(et d'autres) était une réponse à un
attentat perpétré par les ultras
colonialistes contre les habitants de La
Casbah d'Alger (rue de Thèbes). Danielle
fut arrêtée et n'a été libérée qu'à la
libération du pays. Taleb Abderrahmane,
trois fois condamné à mort, a été
guillotiné le 24 avril 1958. Par ce
geste, le colonialisme croyait encore
faire capituler les Algériens, il
ignorait la puissance d'un peuple
déterminé plutôt à mourir qu'à continuer
de supporter les dénis d'humanité qui
lui étaient infligés. Quatre ans plus
tard, l'Algérie se débarrassait de sa
criminelle emprise et pouvait honorer
ses libérateurs. Des années vont passer,
des générations se déverser et les
cuisants souvenirs évoqués par des
mémoires de moins en moins nombreuses et
de plus en plus âgées. Les temps,
surtout, ont changé. L'Algérie vit,
tambour battant, à l'heure des
«réformes» libérales de l'économie de
marché et de la mondialisation
capitaliste. Dans la foulée, les
préoccupations mémorielles perdent de
leur importance. Pis, extirpés de
l'indigénat, hissés au statut de
citoyen, émancipés par la
démocratisation de l'enseignement,
promus financièrement par l'Etat
algérien indépendant, des
«intellectuels» se font les militants de
la réhabilitation du crime colonial. Il
n'est pas étonnant que dans ce contexte,
où l'affairisme et son pendant
idéologique font jonction, il soit fait
peu de cas et de l'histoire d'un espace
et de son rôle au profit d'une
communauté en mal de repères. Il n'est
de même pas délictueux, comme cela
devrait l'être, pour un bureaucrate de
décider la fermeture et l'abandon aux
rats d'un établissement baptisé du nom
d'un martyr de la liberté pour en
perpétuer la présence au sein de son
peuple.
Article publié sur
Les Débats
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