Algérie
L'Algérie et ses
Cassandres
Ahmed
Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Vendredi 18 mai
2012
L'Algérie
n'est pas un pays comme les autres, on
ne la traite alors pas comme les autres.
L'Algérie est un pays qui aurait dû
s'effondrer et qui doit s'effondrer,
parce qu'on le veut et on n'en parle pas
autrement.
On ne sait
pas comment et avec quel moyen, mais
elle doit le faire. Un clandestin
algérien, une émeute ou une grève
algérienne n’ont qu’un seul contenu,
fuir le pays ou le casser, rien d’autre.
Les analyses qui lui conviennent doivent
tenir dans 26 ou 52 minutes pas plus, ou
beaucoup moins si possible. Il n’y a pas
besoin d’en dire plus. L’Algérie est une
caricature et une caricature ça parle
toute seule, pas besoin de concepts,
d’arguments et de trop compliquer les
choses. Le cliché est tout prêt et
l’émission ou la surface rédactionnelle
trop précieuse pour les rallonges
savantes.
Pour le
décor, l’Algérie est une sorte de grand
camp de concentration, avec ses miradors
et ses kapos, ses barbelés et ses
mitards, où on ne peut rien faire
d’autre que survivre ou mourir.
L’écrasante majorité des plateaux télé,
la presse, les sites et blogs
d’Internet, ne parlent de l’Algérie que
pour en faire le tableau le plus noir
qui soit. Un pouvoir occulte et tout
puissant en haut et un peuple qui
souffre en bas. Entre les deux, ou
plutôt à côté, une intelligentsia,
choisie, souvent exilée qui semble n’en
pouvoir mais. C’est elle qui est chargée
de la parole. Celle qui n’en est pas est
soit ignorée, soit mise au ban. C’est la
règle. Si elle en fait trop, c’est
qu’elle est à la solde des maîtres des
lieux. La promue : une intelligentsia
qui campe à merveille ce rôle de
l’opprimé d’un pays en déshérence qui
étale sa révolte le long d’un discours
qui porte au bout la supplique du titre
de séjour et un peu plus si possible. Et
l’écoute existe, sélective, tatillonne
sur le déroulé et sur son contenu et sur
le lexique qui va avec la gravité à
donner au sujet. Il faut que le message
soit le plus vrai possible et pour qu’il
le soit, il faut que l’énoncé comporte
les mots, les noms, les dates et les
lieux prévus et le tout sous le prisme
consacré. La redondance est si parfaite
qu’elle offre ce confort intellectuel
indicible de pouvoir déduire chaque
partie du discours de la précédente. Il
ne faut surtout pas débattre, si on est
plusieurs. Il suffit de répéter ou de
continuer les phrases des prédécesseurs.
Ces phrases sont devenues des refrains
et les mots qui les composent des
référents universels, valables en tout
temps et en tout lieu, à propos de tout
et de rien. Peut importe, l’objet reste
l’Algérie et non le fait en lui-même.
Parfois, pour faire bonne mesure ou pour
faire varier la séquence, on s’étalera
sur les bords, mais pas trop.
Une grève
en Europe ou en Amérique est une grève,
c’est-à-dire un conflit entre salariés
qui revendiquent de meilleures
conditions de travail et patronat qui
défend son taux de profit. En Algérie,
c’est le signe annonciateur d’un séisme
dévastateur, avec ses torrents de sang
et de larmes, qui va bouleverser de fond
en comble la société. Un émigré
clandestin qui cherche à s’émanciper du
sous-développement structurel de son
pays vers les lumières de l’Occident
devient, en Algérie, le symbole du
désespoir de toute la jeunesse. Une
population qui exprime la joie de voir
son équipe nationale gagner, comme
toutes les populations de tous les pays,
est une masse inculte et surtout
manipulée. Une équipe nationale qui
gagne ses matches est un instrument aux
mains du pouvoir en place. Elle doit
plutôt susciter la défiance. Des joueurs
internationaux qui touchent des
clopinettes par rapport à leurs pairs
d’Europe sont présentés en mercenaires.
Un festival qui se tient, comme se
tiennent des milliers de festivals
ailleurs, plus fréquents et plus
nombreux, est décrit comme étant un
gouffre financier.
L’Algérie
qui vit, qui crée, qui chante, qui
s’amuse, qui aime, qui espère, qui lutte
n’existe pas et ne doit pas exister. Ses
intellectuels, ses syndicats, ses
partis, ses poètes, ses féministes, ses
artistes, ses libres-penseurs, ses
jeunes qui mordent le ciel et tout ce
qui fait un pays n’existent pas. Ils ne
font pas partie du spectacle. Ils
doivent déranger énormément quand ils
apparaissent. Ils ne doivent pas sortir
de cette masse, désormais symbolique,
compacte, gémissante sous le joug de
dictateurs sans foi ni loi. Car
l’Algérie ne doit pas changer par
elle-même, en tout cas, c’est ce qui
transparaît. On a beau attendre et
chercher les solutions proposées, il n’y
a que les diatribes et rien au bout que
le noir avenir d’un pays qui n’en est
même pas un. Parce que l’Algérie
elle-même n’aurait pas dû être. De son
indépendance, il n’y a que cette lutte
pour le pouvoir qui fait l’événement et
pas la libération de l’une des pires
conditions que l’homme puisse vivre.
Tous les glissements deviennent
possibles, dont celui qui filtre le
plus, le déni d’indépendance. Parce que
ce déni d’indépendance, c’est d’abord et
avant tout le désir d’appropriation,
sans retenue, des richesses nationales.
Derrière
tout ça, il y a ceux qui font la farce,
les dindons, comme il va de soi, n’y
sont pas pour grand-chose. Et ceux qui
font la farce sont ceux qui n’acceptent
que la soumission à leur volonté
d’hégémonie. La démocratie et les
libertés publiques des Algériens, ils
s’en soucient comme ils s’en sont
souciés dans les pays où, après les
avoir détruits, ils ont installé des
pouvoirs clés en main. Le but caché est
de créer un courant d’opinion
suffisamment puissant qui déstabilise
non pas seulement l’Etat mais qui
fissure profondément la société, par
l’amalgame qui est fait entre le fait de
s’opposer politiquement au pouvoir et le
fait de ne pas se reconnaître dans le
pays tant qu’il est gouverné par ce
pouvoir. D’où cette propension au
catastrophisme, à la surenchère et à la
diabolisation. Cela se fait par la
simplification, parce qu’il n’est pas
question de construire une alternative
politique avisée et solide. La méthode
suppose qu’il suffit de pousser au
pourrissement de la situation et au
blocage des initiatives. Conditions
supposées suffirent à affaiblir les
résistances locales aux initiatives
étrangères.
Pour en
revenir aux instruments de la cabale,
parmi ceux qui vont mal, quelques-uns
vont là-bas se plaindre. Ou plutôt pour
être bien là-bas, on doit se plaindre.
Les autres,
tous les autres, les plus nombreux, ceux
qui sont ignorés, qu’on ne voit ni
n’entend devant les caméras,
construisent chaque jour, pierre à
pierre, la société de demain.
«Seule la
vérité est révolutionnaire», disent les
marxistes et ils veulent dire, par là,
que pour changer les choses, il faut
d’abord savoir de quoi elles sont
faites, sinon on ne pourra rien y faire.
C’est dans le sens où on veut faire des
sauts qualitativement supérieurs. Ce qui
n’est, de toute évidence, pas le cas, et
la vérité ne semble pas intéresser
ceux-là qui ont fini dans le délire de
se prendre pour des observateurs
étrangers, tant le confort illusoire que
leur procure une notoriété dérisoire les
enivre.
Ecrit en mars 2010
bien avant le "printemps"
Article publié sur
Les Débats
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