Opinion
L'écriture sous
haute surveillance ?
Ahmed Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Dimanche 13 octobre 2013
Quand Diogène de Sinope tançait les
princes l’intelligence ne souffrait
d’aucune tutelle. Alexandre, celui-là
qui conquit le monde, n’a pas pris
ombrage d’avoir dû entendre le
philosophe lui dire : « Ôte-toi de mon
Soleil !» Ce fut, il faut le dire,
l’immense civilisation grecque qui
rayonne toujours jusqu’à nous à travers
les millénaires. Deux mille ans et
quelques centaines de siècles plus tard,
le ministère algérien de la Culture
dépose un projet de loi, que le
gouvernement approuve. Il s’agit dans
les attendus de « développer et
d’encourager l’écriture, la production
et la commercialisation du livre produit
en Algérie et de favoriser sa promotion
et sa distribution ». C'est-à-dire
qu’il serait question de remuer tout le
potentiel bloqué par les difficultés de
toutes sortes et d’initier, enfin,une
dynamique qui va faire exploser la
production littéraire. Enfin l’Etat va
pousser à l’écriture et à la lecture, il
va mettre la main à la poche et hisser
le livre au rang de produit de première
nécessité, en subventionnant à tour de
bras les publications, les mettant à la
portée du dernier salaire, voire de la
dernière bourse d’études.
De quoi jubiler après plus de trente
années de désertification du champ
culturel, d’hécatombe des librairies et
disparition de l’acte de lire, y compris
dans le système éducatif, de l’école
primaire àla post-graduation
universitaire. Dans la foulée, il serait
attendu une floraison de jeunes talents
soutenus et poussés à dire la société et
à se dire,pour le plus grand profit de
l’intelligence collective. Las ! Ce
n’est pas le cas. D’abord«l’éditeur
pour le livre qu’il édite, ou
l’importateur pour le livre qu’il
importe, déterminent et fixent librement
le prix de vente du livre au public».
Ainsi, parmi ceux qui peuvent lire, les
plus nombreux continueront de ne pas
pouvoir acheter les ouvrages convoités
et ceux qui écrivent continueront de se
chercher un autre moyen d’assurer leurs
revenus. Et pas seulement, leurs écrits
passeront sous la loupe d’inquisiteurs
qui chercheront les mots sacrilèges, qui
interpréteront, qui feront l’exégèse de
la moindre phrase et de la moindre
tournure. Car, si les députés votent le
texte,il faudra écrire pour les muphtis
et non plus pour les citoyens libres de
leurs lectures. Double coup, bridage des
plumes et minoration des lecteurs.
Et le champ offert est aussi large que
possible pour dénicher des atteintes à
l’ordre décrété. Jugeons-en, en
parcourant les domaines susceptibles de
valoir les foudres de la censure et de
la justice, les voici : « la
Constitution,la religion musulmane ainsi
que les autres religions, la
souveraineté etl’unité nationales, les
exigences de la sécurité et de la
défense nationales,les exigences de
l’ordre public ainsi que la dignité de
la personne humaine et des libertés
individuelles et collectives.» Autant
promulguer une interdiction d’écrire,
pousser le livre à l’exil, au grand
bonheur des « démocratiseurs » de là-bas
recruteurs d’ « opposants », ou à la
circulation clandestine, quand les
vocations ne sont pas étouffées. On en
vient à souhaiter qu’il valait mieux
laisser les choses en l’état et la
littérature se débrouiller par
elle-même. Au moins elle n’aurait pas à
subir l’imprimatur qui va disposer de sa
liberté.
Article publié sur
Les Débats
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