Opinion
Pierre Chaulet,
l'Algérien
Ahmed
Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Dimanche 7 octobre
2012
Il y a les
«Justes», ces Français qui ont bravé
leur propre Etat, et il y a les autres,
ces Algériens dont le statut colonial
pouvait faire prêter à confusion de par
leur extraction : Maurice Audin, Fernand
Yveton, Henri Maillot, Annie Steiner,
Raymonde Peschard, Danielle Minne et
bien d'autres. Pierre Chaulet était de
ceux-ci. Dans sa détermination, très
difficile pour l'époque, il aura mérité
deux fois. La première fois en
choisissant le camp des opprimés contre
celui des oppresseurs, fussent-ils de sa
propre communauté. La seconde fois
d'être resté, jusqu'au bout, dans un
pays qui ne lui reconnaissait pas la
liberté d'être ce qu'il est, le droit à
la différence. Non pas qu'il fallait lui
tresser des lauriers, qu'il n'a jamais
demandés, mais en assurant à tous les
enfants de l'Algérie de vivre en pleine
lumière leur particularité
socioculturelle. Ainsi, quand certains
d'ici et de là-bas travaillent, toute
honte bue, à réhabiliter le
colonialisme, à lui trouver des
«bienfaits» et à renvoyer dos à dos la
victime et le bourreau, la mort de ce
militant de l'humanité réveille ce passé
où les choix devaient se faire en
fonction d'abord de la conscience que
l'on a de la justice. Chaulet et tous
les Européens d'Algérie, qui ont rejoint
le FLN et le peuple algérien – devenu
leur peuple – dans leur lutte de
libération nationale, ont montré la voie
qui aurait pu tout changer dans la vie
de ces centaines de milliers de
pieds-noirs qui ont préféré croire que
leur salut résidait dans le maintien de
l'indigénat. Le mérite en est
démultiplié. Passant pour «traître»,
risquant sa vie, Pierre Chaulet a bravé
l'injustice. Les camusiens auraient dû
l'interroger à ce sujet et lui demander,
par la même occasion, comment il a fait
pour ne pas choisir «sa mère». Ils
auraient dû ensuite chercher à
comprendre comment Chaulet, qui n'était
pas un «petit-blanc», mais un médecin
émancipé des contingences de la vie,
a-t-il pu tout rompre, tout abandonner
pour s'embarquer dans une aventure
incertaine, qui aurait pu ne pas le
concerner, sans que cela puisse
offusquer quiconque. A l'indépendance,
quand l'exode a commencé pour ceux qui
ont cru jusqu'au bout à «l'Algérie de
papa», qui ont refusé de supporter que
l'indigène sorte de son deuxième
collège, Chaulet a rejoint un autre
combat, celui de la construction d'un
pays exsangue, après la destruction d'un
système d'exploitation et d'oppression
de millions d'êtres humains.
Il a mené
la guerre contre la tuberculose qui
ravageait les Algériens et l'a vaincue.
On venait de dépasser la simple notion
de justice et d'engagement politique et
d'entrer dans celle d'accomplissement du
devoir citoyen. Il est bien d'en parler
et beaucoup en ces temps lourds de
révisionnisme, qui voit s'effriter les
principes qui ont guidé et fait mourir
et vaincre des femmes et des hommes
contre la pire entreprise des temps
modernes : le colonialisme. Il est bien
que l'engagement de Pierre Chaulet soit
le plus connu possible, tant l'écriture
de notre histoire a beaucoup plus obéi
au moule réducteur et à la paranoïa
identitaire qu'à l'objectivité et à la
nécessité que les générations soient
éduquées dans la connaissance objective.
Article publié sur
Les Débats
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