Opinion
Fantasmes et
conjectures
Ahmed
Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Samedi 1er juin
2013
Tout occupé à démontrer l’utilisation
d’armes chimiques par le gouvernement
syrien, le journal français le Monde
trouve le temps de laisser de la place à
des analyses de haute voltige sur
l’Algérie. Un véritable tir de barrage.
Le désir, à peine caché, de la voir
tomber dans la gibecière atlantiste. Le
contexte s’y prêterait. Il est tout
simple, la maladie de Bouteflika, son
absence prolongée, les rumeurs et autres
certitudes sur son incapacité à revenir
aux affaires et les risques, supposés,
de déstabilisation du pays que cela
entraînerait. Pour ce faire, le journal
convoque des plumes d’ici, promues
plumes autorisées, préposées à écrire ce
qu’il faut, et en plus sérieux, loin de
leurs états d’âme, le directeur de
recherche du CERI-Sciences po, un
certain Luis Martinez, qui nous livre sa
perspicacité sur ce qui nous attend, à
partir de son docte statut. Je ne vais
pas m’attarder sur ces conclusions ou
sur sa vision expéditive de la nature de
l’Etat algérien, même si les poncifs
récurrents en sont la base. Ce serait
inintéressant et trop aisé. Car il est
plus judicieux de considérer les
attendus du chercheur. D’après lui, «
l'Algérie continue d'offrir le charme
désuet d'un modèle de république
nationaliste et militaire qui ravit les
diplomaties occidentales, déstabilisées
par l'irruption des partis islamistes et
des sociétés civiles sur la scène
politique des Etats d'Afrique du Nord ».
D’emblée, nous pouvons constater que
les lentilles de son microscope
souffrent de déformations irréductibles,
conçues par la haine de ce pays qui
s’entête à ne pas être une vassalité
d’un empire déchu. Par son peuple, non
pas par ses dirigeants. D’où le mépris
méthodologique qui ne met en scène que
le « régime », cette « république
nationaliste » et… « militaire ». Toute
la démarche découle de ce concept, mais
s’oblige à puiser des arguments pour
satisfaire à l’ambition affichée, sans
précautions aucune, sur leur validité.
Tel celui-ci, que notre chercheur
déchaîné a ramassé au tournant d’une
actualité riches en scandales. « Il
(notre pays) est gangrené par la
corruption et les inégalités sociales,
alors que son sous-sol regorge de
ressources gazières », nous dit
M.Martinez, sans s’attarder sur le
rapport systémique causes à effets de la
libéralisation, en oeuvre partout et
autour de lui, chez lui. Là n’est pas
son sujet. Comme ce n’est pas un
communiste, nous devrions comprendre
que, lorsqu’il parle d’inégalités, il ne
doit se préoccuper que de poser les
conditions du « printemps arabe »
qu’il désire de toutes ses fibres et qui
doit avoir sa chair à canon. Et il y va
dès l’entame de son réquisitoire: «
L'Algérie peut-elle rester à l'écart du
"printemps arabe" ? A un an de
l'élection présidentielle, une crise
politique et sociale peut-elle éclater ?
». Pas si assuré de son fait, il se
fend ensuite d’hypothèses hasardeuses et
s’appuie sur des voix alarmistes,
convoquées bien à propos, pour ne
souhaiter in fine que la poursuite du
processus de « démocratisation » qui
aurait été compromis par la guerre
civile. Au cœur de la problématique du «
politologue », l’armée et ses officiers
« quinquagénaires » et rien d’autre, qui
seraient les acteurs sans partage dans
une Algérie en voie de connaître une «
déflagration ». Rêve indicible et
lancinant, qui fulgure à chaque fois que
se dessine une échéance quelconque
autour du pouvoir. Les Algériens qui
vivent, travaillent, chantent, se
révoltent, pensent autrement, font le
quotidien et leurs réalités, n’existent
pas. Ils dérangeraient le confortable
schéma, qui n’a de valeur que par la
réponse qu’il donne à l’attente
cinquantenaire d’un chaos. Car ces
Algériens ignorés feront ce qu’ils font
tous les jours, contre le
néolibéralisme, et le « nationalisme
désuet», comprendre le refus «
ombrageusement » exprimé de l’ingérence
colonialiste, sera toujours vivace, quel
que soit l’ « après-Bouteflika », source
de tant de fantasmes.
Article publié sur
Les Débats
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