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Teheran Times
« Désormais, les Etats-Unis ne sont plus
une république »,
affirme Gore Vidal
Afshin Rattansi
30
juin 2008
http://www.tehrantimes.com/index_View.asp?code=171986
Téhéran
(Press TV) : Une
interview du légendaire essayiste, écrivain, critique politique
et social Gore Vidal
Press
TV : Nous entendons dire que Michael Mukasey est le dernier
en date des Procureurs Généraux du Président (Bush) à être
mis en examen… Cette fois-ci, il est question de ses
conversations avec Bush et Cheney. Cela démontre-t-il que le
Congrès parle sérieusement, lorsqu’il envisage de demander des
comptes à l’exécutif ?
Gore
Vidal : Non, le Congrès n’a jamais été aussi pleutre, ni
aussi corrompu qu’à l’heure actuelle. Tout ce que Bush a à
faire, c’est de s’assurer que certaines sommes d’argent vont
bien dans les poches de certains membres importants du Congrès,
et que cela mettra un terme définitif à toute enquête sérieuse.
Certes, il y a bien un Congressistes extrêmement courageux
(l’exception confirmant la règle), Denis Kucinich, qui a déposé
un projet de loi d’ « impeachment » [une procédure
permettant de déclarer le président des Etats-Unis inepte (oups :
inapte) à poursuivre l’exercice de ses fonctions, ndt] devant
la Chambre des Représentants. Mais ladite Chambre devrait en
premier lieu exprimer sa défiance envers le président, et ce
n’est qu’en second lieu que la procédure serait le cas échéant
transmise au Sénat, en vue d’un procès. Toutefois, rien de
tout cela n’adviendra, parce qu’il n’y a pas d’abonné au
numéro que vous avez demandé, mis à part M. Kucinich, qui a le
courage de s’attaquer à un président en exercice qui n’est
rien d’autre qu’un mafioso.
Press
TV : Comment peut-on concevoir qu’il n’y ait qu’une
seule individualité, parmi des centaines de membres du Congrès,
qui veuille que George W. Bush soit écarté de ses fonctions,
dans les circonstances présentes ?
Gore
Vidal : Eh bien, c’est parce que nous n’avons désormais
plus de pays. Nous n’avons plus de République. Durant les sept
ou huit dernières années du régime Bush, ils se sont débarrassés
du Bill of Rights [la Charte des Droits Fondamentaux], ils ont jeté
l’habeas corpus aux orties [il s’agit d’un principe
juridique anglais très ancien, qui protège une personne accusée,
qui reste innocente tant que sa culpabilité n’a pas été démontrée,
ndt]. Ils ont mis à la décharge un des plus beaux cadeaux que
l’Angleterre ne nous ait jamais faits, quand les Anglais sont
partis et quand nous avons cessé d’être leur colonie : la
Magna Carta, qui remonte au XIIème siècle. Toutes nos lois et
toutes nos procédures judiciaires sont fondées sur ce document.
Et la bande à Bush en a fait des confettis. Le président et le
petit môssieur Gonzales, qui, durant quelques minutes, fut son
Avocat Général. Ils se sont arrangés pour se débarrasser de
tous les garde-fous constitutionnels qui avaient fait de nous les
citoyens d’une authentique république…
Press
TV : Vous avez souvent écrit au sujet du statut de
superpuissance des Etats-Unis, en faisant la comparaison avec
l’histoire d’autres superpuissances antérieures. Pensez-vous
que nous sommes en train d’assister à la fin de la puissance américaine,
comme d’aucuns le suggèrent ? Devrait-on voir, dans la
Maison Blanche, une sorte de Persépolis ? [Ancienne capitale
impériale des Achéménides ; une dynastie de l’antiquité
iranienne, dont les ruines sont majestueuses, certes, mais sont
bel et bien des ruines ‘de chez ruines’ ! ndt]
Gore
Vidal : Oh non, trois fois hélas non : cela ne fera pas
des ruines aussi magnifiques, non… Cela ressemblera plutôt au
terne tombeau de Cyrus, pas très loin de Persépolis,
d’ailleurs. Ils ont réussi le tour de force de détruire les
Etats-Unis… Pourquoi ? Mais parce que ce sont des gens du pétrole
et du gaz ; leur principale « qualité », c’est
d’être des criminels ! Je répète que nous sommes
confrontés à une bande de criminels qui s’est emparé du contrôle
du pays, au moyen de ce qui avait les apparences (mais seulement
les apparences) d’élections démocratiques normales. Mais il y
a des documentaires, très intéressants, sur ce qui s’est passé,
en 2000, quand Albert Gore avait remporté les élections présidentielles,
après quoi ils ont décrété qu’il ne pourrait pas être le président.
Ils ont obtenu que la Cour Suprême – qui est normalement le
Saint des Saints, dans notre système politique – enquête, puis
accuse les voleurs d’être blancs comme neige, et les vainqueurs
– M. Gore et les Démocrates – d’être les tricheurs.
C’est la première loi énoncée par Machiavel : quelles
que soient les fautes de votre adversaire, concentrez-vous sur ses
vertus, afin de les nier. C’est ce qu’ils ont fait, quand le Sénateur
Kerry s’est présenté à l’élection présidentielle, voici
quelques années. Il s’agit d’un héros célèbre de la guerre
du Vietnam. Ils ont affirmé qu’il s’agissait d’un couard,
et absolument pas d’un héros. C’est comme ça que cela
marche. Quand vous avez une bande de menteurs au gouvernement,
vous ne pouvez pas espérer en retirer de hauts-faits
historiques… Mais plus tard, nous creuserons, nous creuserons…
et nous exhumerons Persépolis !
Press
TV : Le Sénateur Obama parle beaucoup de changement, mais,
comme de juste, il vient de courtiser Wall Street et le lobby
sioniste… : entrevoyez-vous une quelconque perspective de
changement, s’il accède au pouvoir ?
Gore
Vidal : Non, pas vraiment. Je ne doute pas de sa bonne foi,
exactement de la même manière que je ne doute pas de la mauvaise
foi de Cheney et de Bush. Ce sont des types tellement effrayants ;
nous n’en avons jamais eu d’aussi pires au gouvernement, par
le passé… Ils n’y auraient jamais accédé s’ils
n’eussent acheté des voix comme ils le firent en Floride, en
2000, et comme ils l’ont fait dans l’Etat de l’Ohio, en
2004. Ce sont deux cas patents de vol de la Présidence. Quand
j’ai découvert que cela n’intéressait absolument pas ni le
New York Times ni le Washington Post, ni d’ailleurs aucun grand
journal du pays, j’ai compris que nous étions cuits. Nous ne
sommes plus un pays ; nous sommes un poulailler d’escrocs
qui n’ont d’autre motivation dans la vie que de voler du fric.
Tout en étant conscient qu’ils ne se feront jamais pincer et
qu’ils seront même, au contraire, admirés pour leurs méfaits.
Les Américains jugent en permanence quelqu’un selon l’évaluation
qu’il se fait de lui-même… Vous dites : « Je suis
un chef d’Etat », et les Américains de dire :
« Oh, oui, oui, oui ; c’est un homme d’Etat !
Impressionnant, n’est-ce pas ? » Et vous accuser
d’autres de vos crimes, avant même de les commettre. C’est un
vieux truc, que Machiavel connaissait tellement bien qu’il en a
fait un manuel, qu’il a intitulé Le Prince…
Press
TV : En définitive, c’est le problème qui obsède
tellement de gens, au Moyen-Orient et ailleurs. Vous-mêmes, vous
avez tellement écrit au sujet des guerres impériales des
Etats-Unis… Pensez-vous que Bush et Cheney seraient prêts à
prendre le risque d’une nouvelle guerre, provoquant ce que le
directeur de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique,
Mohammad El-Baradei, a qualifié de « boule de feu » ?
Gore
Vidal : C’est leur rêve le plus fou. Mais ils n’ont plus
de fric : ils ont tout dépensé. Ils se sont payé leurs
propres entreprises privées, comme le Vice-Président. De plus,
c’est une entreprise, du nom d’Halliburton, qui ne cesse de
voler du fric, et qui devrait se retrouver devant une commission
d’enquête du Sénat, tôt ou tard. Mais peut-être que cela
n’arrivera jamais, après tout : qui sait ? Mais tout
le monde est au courant, à Washington : ces gens sont en
train de placer en lieu sûr à l’étranger la richesse du pays.
A un tel point que, bon : y’a pus d’fric ! Ils
aspirent à une guerre contre l’Iran. L’Iran n’est pas plus
une menace pour nous que ne l’étaient l’Irak ou
l’Afghanistan. Nos « ennemis », ce sont eux, qui les
inventent. Ils ne cessent de dire des mensonges, encore des
mensonges, et toujours des mensonges…
Le New York Times les croit, bobard après bobard. Alors eux, bien
entendu, ils ne s’arrêtent pas d’en pondre : pourquoi
s’arrêteraient-ils ?
Quand on a une opinion publique à laquelle on ment
trente fois par jour est encore capable de gober les bobards, on
n’a aucune raison de se gêner, n’est-ce pas ?
Traduit
de l’anglais par Marcel Charbonnier
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