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Opinion

Ne pas laisser voler la victoire du peuple tunisien !
Abd Raouf Chouikha


Jeudi 20 janvier 2011

Ces derniers jours,  le peuple tunisien a montré sa capacité et sa ténacité à prendre en main son destin, en se débarrassant d’un  tyran grâce au sang de ses martyrs et au sacrifice d’une jeunesse assoiffée de liberté. Mohammed Bouazizi a montré que l’arbitraire, la tyrannie et l’injustice n’ont qu’un pouvoir et un impact limités. En sacrifiant sa vie, ne se doutait-il pas que ce système dont sont victimes bon nombre de jeunes exclus comme lui aller s’écrouler comme un château de cartes ?

 Le peuple tunisien vient d’écrire une des plus belles pages de l’histoire de son pays. Il a fait preuve d’un degré de courage et de maturité qui honore notre pays, longtemps humilié et dénigré par ces 55 années de dictature. Ce peuple très hospitalier s’est maintes fois distingué dans l’histoire par sa profonde tolérance,  son ouverture d’esprit et ses potentialités que ce soit sur les plans culturels, littéraires, scientifiques,...

A titre d’exemples :

·         L’esclavage a été aboli le 23 janvier 1846 par Ahmed Bey  (en France il a été aboli de manière définitive en 1848, aux Etats-Unis  il a fallu attendre 1865).

·         l’adoption en 1861 d’une constitution  qui reconnaît le droit, la liberté de culte et l’égalité de  tous les sujets sans distinction de religion, de nationalité ou de race (article 1), devant la loi et l'impôt (articles 2 et 3).

                                    
                    Première page de la constitution de 1861                                   M’hamed al Khidr Hussein

·         M’hamed al Khidr Hussein natif de Nafta avait occuper le prestigieux poste de shaykh al-Azhar (1952-1954),

·         La première femme docteur du monde arabe Tawhida Ibn Cheikh en 1936, nièce de Tahar Ben Ammar décédée récemment à l’âge de 102 ans.

·         Bien d’autres personnalités (musulmanes et juives) avaient contribué au rayonnement de cette Tunisie, montrant ainsi que le potentiel créatif des tunisiens était intact.

Le peuple tunisien vit donc des moments cruciaux de son existence, et l’avenir de notre démocratie naissante se joue aujourd’hui même, dans la rue, dans les cafés, dans les universités,....  Le pragmatisme et la clairvoyance ne doivent pas céder la place à l’engouement général ni au populisme ni à la démagogie.

 Cette fois-ci le peuple a tranché : il veut de réels changements et pas seulement des réajustements ou des colmatages. Il nous a adressé plusieurs signaux.

Son message est clair et sans appel :

-          On ne veut plus d’un pouvoir centralisé et autoritaire

-          On ne veut plus de la mainmise du parti sur l’appareil d’état

-          On veut de vrais représentants élus  à  la tête de l’état,  de l’Assemblée et des instances dirigeantes.

-          On veut une transparence totale dans les élections et dans les décisions.

-          Il faut lutter et réprimer toutes formes de corruption, de clientélisme, et de favoritisme.

-          On exige des poursuites pénales à l’encontre des corrompus.

Pour concrétiser ces objectifs et répondre aux aspirations il faut entre autre :

-          Eviter les dérives autoritaires qui sont les prémisses  d‘une dictature répressive en instaurant un contre-pouvoir qui contrôle.

-          Créer une véritable opposition et non une façade non représentative des couches populaires pouvant être utilisée comme épouvantail au gré d’un pouvoir central

-          Amorcer une réforme urgente de la constitution afin d’évoluer vers un régime moins présidentiel ; le futur président devra rendre des comptes au peuple et à ses représentants de l’Assemblée. Répartir les pouvoirs entre le législatif et l’exécutif, afin qu’un contrôle rigoureux puisse s’établir.

Comment éviter les erreurs du passé !

Il est très important de prendre du recul, d’avoir un regard éclairé sur l’évolution des faits afin d’éviter les nombreuses erreurs du passé. Il faut « puiser dans les cendres du passé la flamme de l’avenir » disait Jean Jaurès.  Il est important de rafraîchir les mémoires et de remonter à la période pré-Bourguiba.

Cela avait débuté au lendemain de l’indépendance le 20 mars 1956, dans l’allégresse générale d’un peuple qui retrouvait sa fierté et sa dignité,  une assemblée constituante avait  été élue démocratiquement.  Bien que le parti libérateur le Destour remporte tous les sièges, il n’en demeurait pas moins que cette assemblée réunissait en son sein pratiquement toutes les sensibilités syndicales,  politiques et religieuses. Elle avait pour fonction de doter ce jeune pays d’une constitution moderne. Les débats étaient passionnés, parfois houleux mais francs. Mais dès les premières réunions, Bourguiba  voulut orienter le débat;  il  dénonça vigoureusement la monarchie constitutionnelle et  voulut axer le débat essentiellement  sur la nature du régime.

Il faut saluer au passage la promulgation du code du statut personnel qui donne aux femmes des droits, une révolution dans le monde arabo-musulman.

 Mais dès le 30 mai 1956, la Constituante votait l'abolition des privilèges de la famille royale. Relégué dans son palais de La Marsa, Lamine bey ne s’était jamais associé aux grandes décisions qui engageaient le pays. En visite officielle à Tunis, en février 1957, Abdelaziz Ibn Saoud, le roi d'Arabie, fut choqué par le peu d'égards avec lequel est traité son homologue maghrébin. Bourguiba se comportait en véritable chef d'État, alors qu’il venait d’être nommé ministre par le…bey.


Lamin Bey entouré de Tahar Ben Ammar et de Habib Bourguiba
© Tahar Ben Ammar

Naissance d’une dictature :

Dans la salle du Trône du palais du Bardo le 25 juillet 1957,  devant un auditoire acquis à sa cause, Bourguiba chargea durant deux heures contre la dynastie régnante, dénonçant ses «bassesses » et ses « trahisons ».

 Il s'acheva par ces phrases : « Le peuple tunisien a atteint un degré de maturité suffisant pour assumer la gestion de ses propres affaires. Je sais toute l'affection qu'il me porte. Certains ont pensé que je pourrais prendre en charge ses destinées. Mais j'ai un tel respect pour le peuple tunisien que je ne lui souhaite pas de maître et que le seul choix que je puisse lui indiquer est le choix de la République. »

Ce discours contrastait évidemment avec son déni pour les aspirations populaires et le peu de respect pour le peuple. En effet, il aimait se comparer à Massinissa qui lui n’avait pas réussi à rassembler les peuplades de tribus berbères.

Le 25 juillet au soir après une journée particulièrement chaude, profitant de l'absence de nombreux députés et devant un auditoire acquis à sa cause Bourguiba faisait voter à la hâte:

- la destitution de la monarchie

- la proclamation de la république

- se fait "élire" président

Un régime autocratique etait donc né en Tunisie et, le pouvoir était désormais entièrement à la merci d’un seul homme. Celui-ci  vite dériva vers une dictature avec tous ses corollaires (culte de la personnalité, répression, corruption, injustice,…). Le peuple se fit volé sa victoire fruit de sa lutte pour l’indépendance.  Les espoirs et l’engouement des tunisiens s’estompèrent vite.

Le bey, déclaré simple citoyen, fut aussitôt arrêté ainsi que ses proches. Ils furent assignés à résidence à la Manouba. En août, les biens de sa famille étaient confisqués par l'État. Les husseinites sombrèrent dans l'oubli, et, pour beaucoup, dans la pauvreté. L'épouse du bey resta handicapée à cause des mauvais traitements voire aux tortures qu'elle aurait subies.

http://www.jeuneafrique.comArticle/LIN20073bourgeuqilb0/edition_digitale.php

Voilà comment furent traités de manière inhumaine et impitoyable les acteurs  qui ont marqué bon gré mal gré l’histoire de notre pays  pendant 350 ans. Comme le seront d’ailleurs traités plus tard les opposants ou les réfractaires à la doctrine bourguibienne. C’est un  système autocratique et répressif qui s’édifiera progressivement et perdurera pendant 55 longues années. 

Les premières années du règne de Bourguiba commencèrent d’abord par la chasse aux opposants et surtout par l’épuration  du mouvement  de Salah Ben Youssef, des dizaines  voire des centaines de morts jonchèrent les rues de la capitale et des autres villes.  Jusqu’à la liquidation de leur chef le 12 aout 1961.

Que pense Habib Bourguiba des du peuple tunisien ?

« il n’a pas les aptitudes nécessaires à la compréhension des affaires de l’Etat, ni même un discernement suffisant pour choisir des hommes capables de remplir leur mission. »

Le masque était tombé ! Le peuple tunisien qui avait montré sa capacité à défendre courageusement sa dignité, se retrouvait être méprisé, relégué à être servile et surtout infantilisé par un « combattant suprême » omniprésent.

La répression des yousséfistes

 

Le différend qui avait opposé Habib Bourguiba à Salah Ben Youssef fut capital pour comprendre  l’histoire de la Tunisie et toutes les conséquences qui en découlèrent (Assassinat, Procès politiques, censure, torture, culte de la personnalité…).Dans leur Ouvrage, «  le syndrome autoritaire » V. Geisser et M. Camau ont utilisé l’expression de «  le crime fondateur »  en évoquant l’assassinat de Salah Ben Youssef par les hommes de Bourguiba.

 

On citera le livre de Omar Khlifi (pages 140 et suivantes) : « Un cycle infernal commence. (..) des enlèvements sont opérés par des milices, les comités, dit comités de vigilance, sévissent en plein jour sous prétexte de soutenir l’action de la police…telles sont les dérives graves auxquelles se livrent le secrétariat général de Salah Ben Youssef et le Néo-Destour de Habib Bourguiba à l’aube de l’émancipation de leur patrie. (..) Des dizaines de mort, un grand nombre de blessés, des attaques quotidiennes contre les locaux des deux mouvements antagonistes. Des militants yousséfistes sont suppliciés dans des prisons privées illégales, comme celles de Beni Khaled, créée par Amor Chachia (qui siégea par la suite en tant que commissaire du gouvernement auprès de la haute Cour) ».

 

Sous Taieb Mhiri, premier Ministre de l’intérieur de 1956 à 1965, la Tunisie a connu une des périodes noires de son Histoire. Répression des opposants de Bourguiba, torture et assassinat.  Noura Borsali (Le complot de décembre 1962 : Fallait-il les tuer ?) rappelle les conditions de détention des youssefistes dans les prisons tunisiennes :« Pendant plus de sept ans, nous avons vécu dans l’obscurité de jour comme de nuit », confie un détenu. Borsali rapporte un autre témoignage: "Azzeddine Azouz, lui-même, arrêté sans avoir été jugé, raconte sa détention dans les locaux de la brigade de la Sûreté de l’Etat, dans son récit « L’Histoire ne pardonne pas. Tunisie 1938-1969 » (L’Harmattan/Dar Ashraf Editions, 1988). « Je fus éveillé par d’atroces cris de douleurs  provenant de pièces avoisinantes. Je réalisai promptement que l’interrogatoire nocturne commençait… Je peux décrire ici ce que j’ai entendu ce soir-là : tortures, supplices, cris inhumains, coup de cravache, étouffements à l’eau, brûlures à la cigarette et à l’électricité, supplice de la bouteille…Je ne pouvais en croire mes oreilles et m’imaginer vivre en plein vingtième siècle, dans une Tunisie moderne et indépendante sous la présidence de Bourguiba. Un policier de stature colossale fit irruption dans la pièce où j’étais, une cravache à la main et tout en sueur à forcer de frapper les détenus  »
Ils ont reçu la visite de quelques personnalités politiques comme Taïeb Mhiri, Béji Caïd                                    Essebsi, Mohamed Farhat, Hédi Baccouche, Tahar Belkhodja, Fouad Mbazaa, le gouverneur de Bizerte à l’époque, et l’actuel président en remplacement de Ben Ali.…



Omar Khlifi, auteur de l’Assassinat de Salah Ben Youssef (p 180. « L’assassinat de Salah Ben Youssef », de Omar Khlifi, MC Editions , avril 2005), écrit au sujet de Taieb Mhiri : « Certaines sources publiées et jamais démenties avancent que les protagonistes du projet d’élimination physique de Ben Youssef furent Bourguiba en personne, son épouse Wassila, Mohamed Masmoudi, Hassen Belkodja, Tayeb Mhiri, ainsi que l’inévitable Béchir Zarg Layoun ».

Bourguiba lui-même s’était enorgueilli et avait même revendiqué, dans un discours télévisé, tous les détails de l’exécution, et décoré les assassins, qui n’avaient fait que « rendre justice », disait-il.


Des conditions inhumaines décrites par feu Nouredine Ben Khedr, arrêté dans le cadre des procès politiques dont fût  victime  le groupe perspectives et l’extrême gauche tunisienne:

« En prison, nous avons découvert la Tunisie moyenâgeuse : les caves, la tonte, les uniformes, les besoins faits à même le sol. Il y avait dans les caves des prisonniers quasiment aveugles qui étaient là depuis la répression du coup d’État de 1962. Nous avons aussi été privés pendant des mois des droits les plus élémentaires comme la visite des parents, la lecture et la correspondance ce qui nous a poussé à faire grève sur grève de la faim afin d’imposer aux geôliers le respect ».

 

Tous les opposants au régime (qu’ils soient politiques ou syndicalistes) ont dû subir des exactions de ce type, mais le pire des traitements furent réservés aux islamistes, dès les années 1980 dont les tortures décrites ci-dessus ne donnent qu’un lointain aperçu.

 

Le coup d’état du 7 novembre 1987, après une courte période en trompe l’œil,  n’a fait que confirmer le pouvoir autocratique voire même policier de Ben Ali, avec toutes les dérives sécuritaires que l’on connait et dans une ambiance de corruption généralisée.

 

Il faut que tout cela cesse, tourner ces pages sombres des 55 années de l’histoire de cette Tunisie à la fois surprenante et  attachante. Il faut revenir à l’esprit de la constitution de 1861,  se mobiliser pour bâtir une Tunisie nouvelle où toutes les sensibilités politiques, religieuses, sociales  pourront s’exprimer librement sans avoir à s’inquiéter.

 

Avec ce gouvernement de transition dont les postes ont été attribués aux ministres du parti honni le RCD, on ne peut s‘attendre à aucun changement de nature à satisfaire les attentes de la population qui espèrent vraiment une amélioration de leur quotidien.

 
Cependant, pour la grande majorité de nos concitoyens, la montagne a, accouché d’une souris. Quelle grande déception ; tous ceux, qui s’attendaient à un remaniement de fond, afin d’opérer un véritable changement ont déchanté. Une question, qu’on lit souvent dans les banderoles des dernières manifestations : comment peut on faire du neuf avec du vieux ?

 

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