Actualité
Macron au dîner du CRIF, tiraillé
entre
les juifs français et les enjeux
israéliens
Louis Doutrebente
© Sputnik.
Alexei Vitvitsky
Vendredi 9 mars 2018
Source :
Sputnik Antisémitisme en
France, Jérusalem capitale d’Israël et
boycott des produits israéliens,
Emmanuel Macron a réaffirmé ses
positions lors du dîner du Conseil
représentatif des institutions juives de
France. Un exercice d’équilibriste entre
les enjeux des juifs français et ceux de
l’État d’Israël, tous deux défendus par
le CRIF.
«Tribunal
dînatoire où les membres du gouvernement
français comparaissent devant un
procureur communautaire» ou simple
tribune offerte aux pouvoirs publics et
plus particulièrement au Président de la
République? Alain Finkielkraut avait mis
les pieds dans le plat en 2005: le dîner
annuel du CRIF (Conseil représentatif
des institutions juives de France)
suscite toujours la polémique. Quoi
qu'il en soit, l'événement est devenu
incontournable pour les chefs d'État
depuis Nicolas Sarkozy et Emmanuel
Macron n'a pas dérogé à la règle.
Sur le plan
national, le sujet prioritaire abordé
durant ce dîner est l'antisémitisme,
«le contraire de la République» et
«le déshonneur de la France».
Emmanuel Macron a rappelé qu'il
maintiendrait, durant toute la durée de
son quinquennat, l'aide allouée à la
sécurité des personnes et les sites de
la communauté juive: «l'État assurera
sans faiblir son devoir de protection
des personnes, lieux de culte, écoles et
crèches.»
Outre la lutte
contre l'antisémitisme, qui vise
régulièrement certaines banlieues
particulièrement touchées, le Président
a annoncé la mise en place d'une
nouvelle structure pour lutter contre la
«cyberhaine». Cette mission sera confiée
par le gouvernement à un membre de la
société civile, l'écrivain
franco-algérien Karim Amellal et au
vice-président du CRIF, Gil Taïeb. Cette
annonce d'Emmanuel Macron intervient à
la suite de celle de Francis Kalifat,
président du CRIF, qui a confirmé que
son instance allait mettre en place un
«observatoire de la haine sur le net».
Cependant, cette structure agira
seulement pour dénoncer et lutter contre
l'antisémitisme et pas contre toutes les
«pho (b) ismes», du moins dans un
premier temps, a précisé Francis Kalifat:
«lorsque notre outil aura fait ses
preuves, nous pourrons l'élargir au
racisme, à la xénophobie, à
l'homophobie, à la haine des musulmans
et, aussi, à la haine de la France».
Une position qui
peut interloquer les Français puisque la
République ne reconnaît en théorie
aucune communauté, donc aucune
hiérarchie dans la haine envers ces
communautés. L'attention portée à
l'antisémitisme s'explique peut-être
parce que «les juifs de France sont
plus que jamais les Français à
l'avant-garde de la République»,
comme le soulignait l'ex-ministre de
l'Intérieur, Manuel Valls, lors du
rassemblement, organisé par le CRIF,
deux années après les tueries de
Toulouse et de Montauban.
Bien que
l'actualité, comme la requalification en
acte à caractère antisémite du meurtre
de Sarah Halimi, la réédition
très controversée des écrits de
Céline, ou encore la pas si nette
agression à caractère antisémite d'un
écolier portant une kippa par deux
jeunes de Sarcelles, justifie ce type
d'intervention sur le plan national,
Emmanuel Macron s'est aussi exprimé sur
les volets internationaux.
Sommé de
reconnaître Jérusalem comme capitale de
l'État d'Israël par le président d'une
association qui défend parfois plus les
intérêts du gouvernement israélien que
celui des juifs de France, selon
l'Union des Juifs de France pour la Paix,
Emmanuel Macron a
réaffirmé la position de la France
sur cette question, qui a enflammé les
territoires palestiniens en décembre
2017:
«À un moment
donné du processus, la reconnaissance de
Jérusalem comme capitale d'Israël et de
la Palestine adviendra, mais cela doit
venir au bon moment du processus, dans
un jeu équilibré, qui avancera.»
Cette demande du
CRIF au Président Macron n'est pas la
première. En effet, rappelons que dès
l'annonce de Donald Trump de reconnaître
Jérusalem comme capitale de l'État
d'Israël, le 6 décembre 2017, le CRIF
avait réclamé qu'Emmanuel Macron en
fasse de même.
Et finalement,
devant près d'un millier de personnes,
devant
des ministres, des députés, des
ambassadeurs, des «personnalités»
culturelles, etc., dont probablement la
majorité partageait la demande du CRIF,
Emmanuel Macron a donc réaffirmé que la
France prônait une solution à deux
États, soulignant comment il voyait son
rôle: «le Président de la République
française ne ferait pas son devoir, y
compris à votre endroit, s'il se
contentait simplement de vous faire
plaisir pour une soirée.»
Enfin, lors du
dîner organisé sous la Pyramide du
Louvre, où par ailleurs les époux Beate
& Serge Klarsfeld ont reçu le prix du
CRIF 2018, le chef de l'État a condamné
à nouveau les appels à boycotter des
produits israéliens: «ces actions
sont prohibées par notre droit, je les
considère comme indignes, je les
condamne avec la plus grande fermeté, et
elles seront toujours scrupuleusement
poursuivies et sanctionnées.»
On pourrait
remarquer, qu'à l'instar du dossier
«Jérusalem, capitale d'Israël», la
question du boycott de produits
israéliens devrait davantage être
traitée par le pays concerné que par une
organisation qui représente les juifs
français. Si le CRIF se défend d'être un
lobby, l'organisation affiche tout de
même son soutien à l'État d'Israël: «le
CRIF a pour vocation l'affirmation de sa
solidarité envers Israël». Rappelons que
le CRIF fédère des dizaines
d'associations dont le
B'nai B'rith France et
l'Alliance israélite universelle, et
est affilié au
Congrès juif mondial, connues pour
leur soutien sans faille à Israël.
Nonobstant, le
Président de la République a qualifié
«d'odieuse» la campagne d'appel au
boycott en 2016 et rappelé
l'illégalité de l'appel à boycotter
les produits israéliens. En effet, en
octobre 2015, la Cour de cassation avait
confirmé l'arrêt de la Cour d'appel de
Colmar qui condamnait des militants
soutenant la cause palestinienne
dénonçant devant une grande surface:
«Israël assassin, Carrefour complice».
Si le boycott a largement été utilisé
comme une arme politique, l'appel à
boycotter les produits israéliens est
aujourd'hui interdit seulement en France
et en Israël. Précisons qu'Amnesty
International et bien d'autres
organisations ou personnalités ont
souligné que cette décision allait à
l'encontre de la liberté d'expression.
La détermination
d'Emmanuel Macron à ce sujet renvoie
finalement à la cause de ces boycotts.
En effet, ce genre d'opérations
médiatiques, organisées par la campagne
Boycott, Désinvestissement, Sanctions
(BDS), créée par 171 ONG palestiniennes
en 2005, a pour but de sensibiliser la
communauté internationale à propos des
colonies israéliennes sur le territoire
palestinien, notamment en Cisjordanie.
Ces colonies, illégales au regard du
droit international, ne cessent de
s'étendre sur les terres palestiniennes,
même de manière «sauvage»,
malgré les injonctions fréquentes de
nombre de pays et organisations
internationales comme l'Union
européenne. Mais de simples déclarations
ne semblent pas empêcher le gouvernement
de Benjamin Netanyahou,
classé à l'extrême droite,
d'appliquer sa politique.
Une des mesures qui
a fait réagir Israël fut appliquée en
novembre 2015 à la demande de l'Union
européenne: l'étiquetage des produits
israéliens en mentionnant sur chaque
produit s'il était importé des
implantations juives en territoires
palestiniens occupés par Israël.
Ainsi, alors que la
France a obligé les distributeurs à
mentionner «colonie israélienne»,
à l'instar du gouvernement israélien,
qui avait
critiqué Paris en l'accusant de
favoriser les boycotts, le CRIF n'avait
pas hésité à condamner «avec la plus
grande fermeté la décision du
gouvernement français de rendre
obligatoire le double étiquetage des
produits en provenance d'Israël»,
qualifiant la décision française de
«traitement discriminatoire».
Le CRIF termine sa
dénonciation en considérant que les
mesures contre Israël sont des actes
antisémites:
«Le CRIF
rappelle que l'obsession
anti-israélienne contribue à
l'importation du conflit en France et
attise la haine.
Pour Francis
Kalifat, Président du CRIF, cette
décision discriminatoire ne va pas dans
le sens de l'apaisement et renforce le
mouvement illégal BDS qui déverse sa
haine et sa détestation d'Israël,
appelant au mépris de la loi, au boycott
et à la délégitimation du seul état du
peuple juif, pratiquant ainsi un
antisionisme obsessionnel qui véhicule
la forme moderne de l'antisémitisme.»
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Publié le 9 mars 2018
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